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L'Aiguille creuse

« Aussitôt Isidore regarda les timbres de la poste. Ils portaient Cuzion (Indre). L'Indre ! Ce département qu'il s'acharnait à fouiller depuis des semaines !

Il consulta un petit guide de poche qui ne le quittait pas. Cuzion, canton d'Eguzon... Là aussi il avait passé.

Par prudence, il rejeta sa personnalité d'Anglais, qui commençait à être connue dans le pays, se déguisa en ouvrier, et fila sur Cuzion, village peu important, où il lui fut facile de découvrir l'expéditeur de la lettre. »

Maurice Leblanc (L'Aiguille creuse, Le Livre de Poche, p. 146)


Descendue en dessous de cent habitants, la commune de Chantôme fut rattachée à celle d'Eguzon en 1975. Le titulaire de son église est saint Antoine, mais le grand saint qui fut toujours vénéré ici n'est autre que saint Sylvain, auquel une fontaine proche est dédiée. Un pélerinage a lieu le dimanche précédant l'Ascension, qui voit « venir les enfants atteints de « convulsions », parfois des adolescents ou des enfants atteints du « mal de saint Sylvain ». (...) Autrefois, une procession était organisée à travers le village ; le brancard employé à porter la statue est encore dans l'église. » (Jean-Louis Desplaces, op.cit. p. 147.) Cette fête n'avait pas été du goût de Mgr de La Rochefoucauld, qui faisait en 1734 l'inventaire des pratiques religieuses de la province. Il avait certainement deviné l'essence peu chrétienne de cette coutume qu'il condamnait dans les termes suivants : « Sur ce qui nous a été encore représenté que depuis quelques années, les habitants de ladite paroisse se sont avisés de chômer la fête de saint Sylvain qui n'est point patron de leur église, nous avons défendu au sieur curé d'en faire office même de dire la messe ledit jour en ladite église. » Jean-Louis Desplaces note plaisamment qu'il aura fallu attendre deux siècles pour que satisfaction soit donnée au prélat, sans que pour autant le bon saint Antoine y ait regagné quelque respect...

En juin 1948, on note encore dans le bulletin paroissial que l'église est trop petite pour contenir l'assistance venue des communes environnantes : Saint Sébastien, Crozant, Lafat, Parnac, Saint Benoît-du-Sault. C'est la présence de Saint Sébastien qui doit nous retenir ici. Bien avant saint Roch, il a été invoqué contre la peste, conséquence d'un miracle qui se serait produit à Pavie au Ve siècle. La ville était alors ravagée par une violente épidémie de peste, qui aurait cessé dès qu'on eut érigé un autel à la gloire du saint dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. Or Saint Sébastien, Crozant et Eguzon forment un quasi triangle équilatéral.

 

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Le chiffre trois revient sans cesse dans la dévotion à saint Sylvain. Après le pélerinage pour la guérison d'un malade, il convenait de revenir trois années de suite en « actions de grâce ». Mieux, lorsqu'un enfant était malade, précise J.L. Desplaces, « une femme du pays en état de veuvage ainsi que l'exige la tradition, posait dans un baquet d'eau trois vêtements appartenant à l'enfant. L'un était censé représenter le patronage de Saint-Sylvain de Chantôme, le second celui de Saint-Luc à Bonnu et le troisième vêtement, le patronage de Saint-Marin, près d'Argenton. Le premier linge qui s'enfonçait indiquait le lieu du culte où il convenait de se rendre afin de prononcer les prières et d'effectuer les rites propres à assurer la guérison. On disait alors « on lève le saint », « l'enfant tient du saint de Chantôme, de Bonnu ou de Saint-Marin ». »


Trois saints associés à trois fontaines : on comprend l'acharnement de Mgr de La Rochefoucauld qui le jeudi 7 octobre 1734, demande, comme à Chantôme, la suppression du pélerinage à saint Luc de Bonnu. Sans plus de succès, d'ailleurs.

 

Saint Luc écrivant
(image BnF)

La chapelle de Bonnu, dépendant de la paroisse de Cuzion, avait été édifiée en 1634 par Françoise de Poyenne, veuve de Messire Jean Aujusson, à la suite d'un voeu qu'elle fit au moment de la contagion de 1632 qui vit trépasser 76 habitants de Bonnu. Aucun document, note J.L. Desplaces ne nous apprend si le culte de saint Luc était plus ancien ni ne fait mention de la fontaine. Remarquons aussi que la Dame de Poyenne fonde à la même époque une autre chapelle appelée « Hermitage » - où nous retrouvons nos deux saints traditionnellement associés contre la peste - « située dans la garenne des céans, où quatre messes seront célébrées par an : Notre Dame des Miracles, sainte Anne, saint Roch, saint Sébastien. »

 

La chapelle de Saint-Marin est, elle, plus éloignée de Chantôme et de Bonnu, étant située en aval d'Argenton, mais toujours près de la Creuse. Cette Creuse dont la profondeur mythologique - rappelons-nous du rocher des Fileuses dominant ses méandres - ne cesse de nous interloquer.

Elucubrons un peu : Maurice Leblanc, en écrivant son énigme lupinesque, n'exprimerait-il pas, à travers son titre même, le chiasme que nous avons mis à jour entre Aigurande-Eguzon et Crozant-Crozon ? En effet, cette aiguille se faufile dans le premier élément des premiers cités (quand bien même l'étymologie, qui se rapporte à l'eau, est tout à fait différente), tandis que le terme « creuse » se lit, on en conviendra, sans effort dans les seconds.


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D'Estrée à Souvigny

En 828, le comte de Bourges, Wilfred, "plus célèbre encore par sa piété que par sa naissance", précise Mgr Villepelet, décide, d'un commun accord avec sa femme Ode, de faire édifier, sur son domaine du bord de l'Indre appelé Estrée, une église et un monastère dédiée à la Vierge Marie et à tous les Saints. Cette large consécration  ne sembla pas satisfaire  les bénédictins chargés d'administrer les lieux puisqu'ils préférèrent se placer sous la protection d'un saint particulier, aussi bien allèrent-ils chercher les reliques de saint Genou qui reposaient à Cella supra Nahonem depuis de longues années.

Il faut croire que ces reliques étaient de grande valeur car on prit garde à les transporter, dès la première menace d'invasion normande, à l'oratoire de Saint-Pierre-le-Moutier, "entre Loire et Allier". A juste titre apparemment puisque les Vikings brûlèrent le monastère de fond en comble. Revenues à leur emplacement après autorisation de l'archevêque de Bourges, ne voilà-t-il pas que les Hongrois menacent à leur tour la région. Cette fois on transporte les saintes reliques au château de Loches, puis on les rapatrie dans la toute proche forteresse de Palluau. "C'est de là, enfin, assure Mgr Villepelet, après tant de pérégrinations, qu'elles furent ramenées solennellement, par la rivière de l'Indre, jusqu'à l'église d'Estrée, le 12 des calendes de juillet, et placées derrière l'autel. En souvenir de cette déposition, le bourg autrefois appelé Estrée a pris le nom de Saint-Genou, qu'il porte encore aujourd'hui avec respect."

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Forteresse de Palluau

 

Revenons sur ce périple des reliques : il est pour le moins curieux de protéger les reliques des attaques vikings en choisissant un oratoire lui-même situé à proximité d'un fleuve. On sait que les Vikings ont souvent remonté la Loire et un lieu élevé loin d'un cours d'eau important aurait mieux convenu, reconnaissons-le,  que Saint-Pierre le Moutier. Mais il semble qu'une tout autre logique soit ici à l'oeuvre.

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Image : Wikipedia

 

Observons d'abord que Saint-Pierre-le-Moutier est situé entre Loire et Allier, à peu de distance du confluent du Bec d'Allier, ce qui rapproche la petite cité de la thématique proprement Verseau de la convergence des flux.

En second lieu, la ville est rasée  au Nord par le grand axe d'Autun, lié à l'histoire de saint Léger, qui "se dirige, je me cite,  au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle [la ligne] passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx."

Cette position si proche d'un alignement majeur n'est sans doute pas fortuit car je m'avise maintenant qu'un autre axe, quasi perpendiculaire à l'axe d'Autun,  relie  le  hameau de Saint-Léger (que j'avais repéré mais n'avais pu jusque là intégrer dans un quelconque alignement), où une chapelle demeure, dernier vestige d'un ancien couvent, et Saint-Léger-le-Petit, sur les bords de la Loire.

 Et vers le sud-est, cette perpendiculaire va traverser très exactement le village de Souvigny, près de Moulins. Berceau de la maison de  Bourbon, première capitale du Bourbonnais,  il renferme  l'un des monuments les plus importants de l'époque romane : l'église prieurale Saint-Pierre et Saint-Paul, lieu de pèlerinage sur les tombes des  saints  abbés de Cluny, Mayeul et Odilon.

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Cette découverte donne a posteriori un sens manifeste à la récurrence de Souvigné et Souvigny sur l'axe autunois - fait que j'avais noté sans pouvoir  alors le justifier. J'ajoute que l'église Saint-Julien de Mars-sur-Allier, près du hameau de Saint-Léger, au nord de Saint-Pierre-le-Moutier, appartenait à un prieuré bénédictin dépendant de Souvigny (peut-être le couvent de Saint-Léger ?).

Au vu de ce que je lis maintenant sur Souvigny, une note spéciale me semble  nécessaire.

 

 

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29 mai 2007 | Lien permanent

Lusignan, Luzeret et les Wisigoths

La question est depuis longtemps de savoir si Mélusine tire son nom de Lusignan, le château qu'elle a fondé, ou bien si c'est celui-ci qui lui doit son nom ? Claude Lecouteux penche pour la première hypothèse, réhabilitant ainsi la thèse souvent raillée de Léo Desaivre, selon laquelle Mélusine serait la déformation de "mère des Lusignan" : "Cette fée bienveillante qui a édifié la forteresse de Lusignan est donc, dans l'esprit des hommes de l'époque, aussi bien à l'origine de la réussite de la lignée que de son déclin. Au Moyen Age, on appelait ces fées "bonnes dames", et il n'est pas impossible, ni même invraisemblable de penser que le génie tutélaire du château fut nommé "bonne dame de Lusignan", puis par extension "mère Lusignan" comme il est fréquent dans nos campagnes. L'usure de la langue conduit alors à une contraction de cette appelation en "merlusignan", et, les liquides /r/ et /l/ ayant presque le même point d'articulation, nous aboutissons à la forme "mellusignan", avec gémination du /l/ puis à Mellusigne, forme attestée par les manuscrits." (Mélusine et le chevalier au cygne, p. 45)

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Mais la question n'en est que repoussée : pourquoi la fée a-t-elle été rattachée à cette famille, à ce lieu même de Lusignan ? La ville, qui se situe à la bifurcation des chemins Poitiers-Saintes (route de Saint-Jacques) et Poitiers-Niort-La Rochelle, se place donc dans le signe du Bélier du zodiaque neuvicien. Or, dans le secteur homologue du zodiaque toulousain, on rencontre Saint-Jean-de-Luz. Doumayrou : "port extrêmement actif au XIIe siècle : l'attribut de ce nom venu d'un mot basque (lohitzun) signifiant marais, a pris tout naturellement la forme romane (lutz) du nom de la lumière, que le tourbillon du Bélier doit extraire de la tourbe ; on sait déjà, si l'on se souvient de ce qui a été dit à propos du mot troubadour, que cette lumière est la trouvaille par excellence." Ajoutons que dans le prolongement de l'axe Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, on découvrira Saint-Jacques de Compostelle. La même forme se retrouve-t-elle à la racine du nom des Lusignan ? Ce serait cohérent avec la logique du signe et ferait en quelque sorte de Mélusine une mère-Lumière. A l'appui de cette hypothèse, on peut avancer la présence en Bélier, non loin d'Argenton, du village de Luzeret qui, au-delà de son nom (Albert Dauzat le dérive de l'ancien français lusier : porte-lumière), ne laisse pas d'être intéressant. Tout d'abord, remarquons qu'il est situé sur le méridien de Toulouse. Ensuite son église est la seule de la région à être consacrée à saint Vivien, mort en 460. Le site nominis en donne la biographie suivante : "Originaire de Saintes, il devint administrateur de la région de Saintes par décision de l'empereur Honorius, puis renonçant à cette charge, il devint prêtre et évêque. Il connut l'invasion des Visigoths d'Espagne et accompagna les prisonniers jusqu'à Toulouse pour les soutenir dans leur épreuve. Il gagna l'estime du roi Théodoric et put obtenir de lui, quelque temps plus tard, la libération des prisonniers. Il est reconnu au martyrologe romain, mais n'est fêté que dans le diocèse de La Rochelle." Il n'est pas sans intérêt de retrouver là encore les Wisigoths, que l'on a déjà vus à l'oeuvre avec saint Laurian. Toulouse et Tolède (où Jean Richer voit le centre zodiacal de la péninsule hispanique) ayant été leurs capitales successives, Doumayrou suggère qu'ils ont peut-être joué un rôle important de relais dans la chaîne traditionnelle. (Petite pause océane pour le géographe sidéral. De retour ici dans quelques jours.)

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15 avril 2005 | Lien permanent

Le Zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre

Résumons : le python poitevin sorti du limon picton s'enroule autour d'un axe Est-Ouest qui a déjà ramassé sur son passage Ingrandes, Argenton-sur-Creuse et la petite chapelle de Verneuil. Hypothèse : cet axe Est-Ouest est la ligne vernale, équinoxiale, d'un système symbolique basé sur la projection du ciel sur la terre et donc la partition d'un territoire en douze secteurs correspondant aux douze signes du zodiaque. Cet axe est la ligne 0° Bélier du système et s'origine à Neuvy Saint-Sépulchre, dans l'Indre. Un bas-relief représentant une vouivre, autre figuration du serpent fabuleux, se dresse, solitaire, sur le parement extérieur de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre, édifiée entre 1034 et 1049 à l'imitation du Saint Sépulcre de Jérusalem.

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La singularité de ce monument n'avait pas échappé à Guy-René Doumayrou qui, dans sa Géographie Sidérale, avait noté qu'il était posé sur un cercle de onze colonnes : "Ce symbolisme unidécimal est d'autant plus surprenant qu'il s'appuie sur un nombre à peu près unanimement considéré comme néfaste dans la tradition occidentale. C'est le nombre des Apôtres après la trahison de Judas, le retour d'une singularité venant détruire la perfection du dénaire, bref le désordre." Ceci est juste, mais nous savons maintenant ce que nous devons penser de l'avènement d'une telle figure : le désordre n'est qu'un moment de la crise rituelle, le passage obligé vers l' ordre nouveau. Doumayrou ne se contentait pas de relever une bizarrerie symbolique, il plaçait Neuvy au sein d' une figure de vaste dimension dont l'origine se trouvait être le château de Montségur, le haut-lieu cathare.
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Sur l'axe de symétrie vertical, les centres des deux triangles sont marqués "non au point de rencontre géométrique des autres hauteurs, mais très exactement, de part et d'autre du segment Saintes-Feurs, au sommet de triangles construits sur la division par Onze, à Beaulieu-sur-Dordogne au sud, et à Neuvy saint-Sépulchre au Nord." Le même nombre onze se retrouve à Beaulieu où le grand porche méridional de l'abbatiale bénédictine, "assez semblable à celui de Moissac, s'orne au tympan d'une fourmillante scène du Jugement posée sur un double registre d'animaux fabuleux. Or, sur le registre inférieur, ces animaux évoluent en avant d'un décor composé de Onze rosaces tangentes, très nettement ciselées." Ce n'était pas tout : Neuvy prenait place également, toujours selon Doumayrou, dans un autre triangle sidéral dépassant de loin le seul espace des pays d'Oc.
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"Le village de Syren, au solstice d'hiver de Luxembourg (c'est-à-dire du Château-Lumière), le seuil d'Outre Monde de Sein sur la bais des Trépassés, et le belvédère de Planès, s'inscrivent aux sommets d'un exact triangle équilatéral dont le côté Nord passe par le Mont-Saint-Michel. La bissectrice issue de Planès passe par Vaour, celle qui vient de Syren traverse Saintes (où Jehan d'Arras situe les derniers chantiers de Mélusine) et celle qui part de Sein s'appuie sur Neuvy Saint-Sépulchre, Lyon, se pose à Gargano, autre Mont Saint-Michel situé dans l'ergot de la botte italienne, et prototype de la montagne normande, pour enfin s'accrocher à Delphes." (c'est moi qui souligne) Nous retrouvons donc le grand omphalos grec, où Apollon défit le Python mythique. Mais il y a une autre figure mythique, citée ici en passant par Doumayrou dans ce dernier extrait, qui doit nous interroger : Mélusine, la fée à la queue de serpent. Ne serait-elle pas un avatar de notre créature ophidienne ? Liée intimement au Poitou et à la famille des Lusignan, son inscription dans la géographie sacrée ne semble pas là encore relever du hasard.

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11 avril 2005 | Lien permanent | Commentaires (4)

Saint Marcel et Dionysos

Les légendes des deux saints Marcel, le parisien et le berrichon, sont dissemblables sous bien des aspects, cependant on a vu qu'elles possèdent au moins un point commun : le miracle renouvelé des noces de Cana, avec la transformation de l'eau en vin. Un miracle dont on ne perçoit guère la nécessité au vu des événements qui suivront. Aucune relation directe, aucune causalité ne semblent pouvoir être établies. Cependant, cette récurrence interroge et me conduit à faire une hypothèse : une autre divinité se cache là-dessous, par-delà l'allure christologique relevée par Jacques le Goff.

Et c'est rien moins que le pape lui-même, Joseph Ratzinger - Benoît XVI, qui nous donne la réponse. Dans un passage de son livre Jésus de Nazareth, cité par Philippe Sollers dans Guerres secrètes : "La recherche en histoire des religions évoque volontiers, comme pendant préchrétien de l'histoire de Cana, le mythe de Dionysos, du dieu qui aurait découvert la vigne et qui passe également pour avoir transformé l'eau en vin, un événement mythique qui a été célébré de façon liturgique.(...)Comme [...] Le Seigneur a donné le pain et le vin comme les supports de la Nouvelle Alliance, il n’est certes pas interdit de penser [...] et de voir transparaître dans l’histoire de Cana le mystère du Logos et de sa liturgie cosmique, dans laquelle le mythe de Dionysos est complètement transformé tout en étant conduit à sa vérité cachée. »1

Autrement dit, l'hagiographie témoignerait d'une évangélisation consistant à se substituer à un culte dionysiaque. Marcel, vicaire du Christ, incarne cette nouvelle figure autour de laquelle se constituera la communauté chrétienne. Il emprunte néanmoins à son modèle antique quelques traits bien caractéristiques. Je m'explique : ce n'est certainement pas un hasard si Marcel, le Marcel d'Argenton, est décrit comme un adolescent de quinze ans. En effet, Dionysos, est souvent représenté en jeune garçon, c'est à cet âge que commencent ses ennuis avec Héra : "Devenu adolescent, Dionysos est, à son tour, victime d’Héra qui le frappe de mania. Sauvé par Rhéa, sa grand-mère paternelle, Dionysos entame alors un long vagabondage, ayant des difficultés à se faire accepter dans toutes les cités où il aborde. Venu d’ailleurs, il est considéré comme un dieu dangereux qui apporte, en même temps que la vigne, ivresse et désordre."

 

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Dionysos jeune couronné de lierre et de sarments de vigne, tenant un thyrse (disparu) dans la main gauche et un canthare dans la main droite. Marbre de Luni avec des traces de dorure, œuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C. Provenance : sanctuaire du Janicule.© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Et souvenons-nous que le préteur de la ville qui livre Marcel au supplice se nomme Héracle, un nom bien proche de celui d'Héra. Enfin, je me suis longtemps demandé pourquoi Marcel était secondé d'Anastase. Quel sens donner à ce compagnonnage ? Or, le mot est grec et signifie tout simplement résurrection (anastasis).L'église du Saint-Sépulcre de Jérusalem est aussi la Basilique de la Résurrection (en grec : Ναός της Αναστάσεως). Que saint Anastase périsse à Saint-Marcel, sur l'axe équinoxial de Neuvy Saint-Sépulchre, est pleinement justifié symboliquement.

Dionysos lui-même est déjà un ressuscité : sa mère Sémélé étant morte foudroyée pour avoir contemplé Zeus, son divin amant, au grand jour, celui-ci extrait l'enfant du ventre maternel et le coud dans sa cuisse. Le voici donc deux fois né. Dans  une version orphique du mythe élaborée sans doute dès le VIe siècle, Dionysos enfant est démembré, bouilli et rôti par les Titans puis reconstitué et ramené à la vie. Notons encore que sa tante est Ino, qui n'est autre que Leucothéa, la déesse blanche."Or Ino-Leucothéa, écrit Corinne Bonnet, entretient avec Dionysos un rapport très étroit. Elle est la nourrice par excellence du jeune dieu et fut donc considérée, dès l'Antiquité, comme le prototype et le modèle de la Ménade frappée par la mania. Elle était logiquement mêlée à certains rites d'initiation qui marquaient l'entrée des jeunes garçons dans la puberté et Théocrite l'associe explicitement aux orgia de Dionysos."

Revenons maintenant à la légende : Marcel martyrisé obtient tout de même de ses persécuteurs d'être conduit à l'entrée du sanctuaire. Là, il ordonne à Apollon de sortir, ce que fait celui-ci, comme un diable tonnant et fumant, disparaissant dans un nuage de soufre. Ici seraient donc confrontés Apollon et Dionysos, autrement dit les deux forces fondamentales que Nietzsche désigne comme sources de l'art et de la tragédie grecque. Opposition à son tour dépassée par l'advenue du christianisme, ce qui fait écrire à René Girard, dans Achever Clausewitz, que « Nietzsche n’a pas voulu voir que le Christ avait pris, une fois pour toutes, la place de Dionysos, à la fois assumé et transformé l’héritage grec. »

Qu'en un seul lieu - ce Saint-Marcel héritier de l'antique Argentomagus, fiché sur l'axe de tous les commencements, sur cette flèche vernale du premier temps de l'année -, se conjuguent autant de valeurs et de figures à la fois archaïques et toujours contemporaines, ne laisse pas de m'émerveiller.



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03 février 2010 | Lien permanent | Commentaires (1)

La corne du Bélier

"La carte du monde imaginable n'est tracée que dans les songes. " Charles Nodier (Rêveries), cité par Gaston Bachelard. De retour ici, je vois bien que je ne tiendrai pas ma feuille de route. J'avais imaginé de déployer cette étude de géographie zodiacale au fil des mois et des signes traversés, ce pourquoi j'avais ouvert ce blog le jour de l'équinoxe de printemps. Mais le Taureau pointe son mufle alors que je suis loin d'en avoir terminé avec le Bélier. La bête est plus longue à tondre que prévu et il me faut donc renoncer, au moins provisoirement, à l'adéquation du zodiaque terrestre et du zodiaque temporel, à la synchronie des parcours. Ici le chemin s'invente au fur et à mesure de la marche, et aux voies directes nous nous réserverons toujours le droit de préférer les chemins de traverse. Disons qu'il est des retards et des détours qui ne sont pas forcément des pertes de temps. J'en étais resté à Luzeret, ce petit village au sud d'Argenton qui s' honorait d'un Saint Vivien, évêque de Saintes bien mystérieux. En fait, ce n'est pas le seul lien existant sur la commune avec la Saintonge puisque en aval de la Sonne, la petite rivière qui arrose Luzeret, on trouve les vestiges de l'ancienne abbaye de Loudieu (de loco dei, à l'origine, c'est-à-dire le lieu Dieu ). Or celle-ci relevait de l'abbaye de Fontdouce, sise en Charente-Maritime. Les deux édifices sont pareillement situées dans un vallon, près d'une source (à la Loudieu, elle est même réputée miraculeuse : elle guérirait les maux d'yeux), à l'instar de la plupart des abbayes cisterciennes (d'ailleurs, le pape Alexandre III, dans une bulle du 31 décembre 1163, ordonnera aux religieux de suivre la règle de Cîteaux). Fondée en 1111, Fontdouce s'était développée grâce à Aliénor d'Aquitaine dont les dons avaient permis la construction d'un second monastère de style gothique. La souveraine serait d'ailleurs figurée par une tête tricéphale à quatre yeux qui regardent dans trois directions. Il semble a priori hasardeux de rapprocher le nom de la rivière, la Sonne, du nom allemand du soleil, mais les influences tudesques sont-elles si rares dans notre langue ? Remarquons que le fondateur de Fontdouce n'est autre que le dénommé Wilhelm de Conchamp , seigneur de Taillebourg ( Wilhelm est le pendant germanique de Guillaume). Repensant à nos Wisigoths, nous observerons aussi que la forme gothique du soleil est sunno. D'ailleurs, selon le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert, 1992), le latin classique sol "appartient à une famille de mots indoeuropéens désignant le soleil, affectant des formes diverses qui impliquent une racine avec alternance l-n dans la flexion ; sol proviendrait d'une forme ◦swol- ; le grec hêlios (→hélio-) d'un ◦sawelios." La racine grecque, nous la retrouvons dans le mythe même de Chrysomallos, le bélier ailé à la toison d'or, en la personne de Hêllé, la lumineuse, fille d'Athamas, roi d'Orchomène. Voyant son pays dévasté par la sécheresse et la famine, cet Athamas envoya à Delphes des députés pour consulter l'oracle d'Apollon. Soudoyés par Ino, la seconde épouse d'Athamas, qui haïssait les enfants du premier lit, Hêllé et son frère Phrixos (le bouclé), ils déclarèrent que leur sacrifice était nécessaire à l'apaisement des dieux. Le brave bélier, qui avait eu vent du complot, emporta alors les deux enfants dans les airs. Mais l'une de ses cornes se brisa et la jeune fille tomba dans la mer, qu'on nomma dès lors Hellespont, aujourd'hui le détroit des Dardanelles. Parvenus en Colchide, Chrysomallos ordonna à Phrixos de l'immoler puis il monta au ciel où il devint le premier signe du zodiaque. Sa toison d'or fut alors cachée par Phrixos dans un bois consacré à Arès (maître traditionnel du signe) et devint l'objet de la quête des Argonautes menés par Jason.

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"The Sacrifice of Phrixos and Helle" Lucanian Red Figure Nestoris C4th BC Cambridge, Harvard University Art Museums 1960.367 J'aime à croire que c'est pour porter souvenir du bris de la corne de Chrysomallos que l'alignement Luzeret - Neuvy Saint-Sépulchre passe par Malicornay, ancienne place forte et paroisse dépendant, comme Luzeret d'ailleurs, de l'abbaye de Déols (mais je note aussi qu'un étang Malicorne existe au nord du village, à quelques kilomètres, au milieu des bois). L'astrologue Jean-Pierre Nicola propose une interprétation du mythe qui n'est pas sans intérêt : "La Fable exalte la jeunesse... votre jeunesse. Elle oppose le divin au terrestre. Les enfants de Néphélé sont les fruits des nuages et du vent (Athamas est fils d’Eole, dieu du vent)... Une belle-mère calculatrice veut les supprimer pour que ses propres enfants, créatures terrestres, héritent du pouvoir temporel. Ses calculs sont mauvais. " En effet, Athamas, instruit plus tard des visées d'Ino, tua leur fils Léarchos dans une crise de folie. La jeunesse, les enfants, je les retrouve encore, liés à cet élément aquatique décidément omniprésent, en relisant Le florilège de l'eau en Berry, de Jean-Louis Desplaces (2ème volume, Buzançais, 1981) : j' avais oublié qu'outre l'église, la paroisse de Luzeret abrite une fontaine Saint-Vivien. Situé à 60 mètres au sud de l'édifice religieux, sur les bords de la Sonne, elle était le but d'une procession le 28 août. On invoquait alors Saint-Vivien pour la fièvre des enfants : le rituel consistait en trois tours d' église et la palpation d'une des deux statues en plâtre du saint.
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Maintenant si nous prolongeons l'axe Luzeret-Neuvy vers le sud, nous atteignons le village de Liglet, qui forme avec le village de Lignac et le hameau de Lignat un autre alignement (le terme ne convient-il pas parfaitement ici ?) loin d'être anodin. A suivre, bien entendu.

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22 avril 2005 | Lien permanent

Sanctus Leodegarius

« Le nom dit la vérité de la personne, permet de retracer son histoire, annonce ce que sera son avenir. La symbolique du nom propre joue ainsi un rôle considérable dans la littérature et dans l'hagiographie. Nommer est toujours un acte extrêmement fort, parce que le nom entretient des rapports étroits avec le destin de celui qui le porte. C'est le nom qui donne sens à sa vie. Bien des saints, par exemple, doivent leur vita, leur passion, leur iconographie,leur patronage ou leurs vertus à leur seul nom. »

(Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Seuil, 2004, p. 16)


Sanctus Leodegarius, c'est saint Léger en latin. La racine leo, lion, est au départ du nom. Mais fi du latin, La Vie de saint Léger (seconde moitié du Xème siècle), inspiré d'écrits monastiques, est un des premiers textes de la langue française, en strophes de six vers octosyllabiques assonancés.

Léger naît au début du VIIème siècle ; sa famille, installée aux confins de la Bourgogne et de l'Alsace, envoie le jeune homme auprès de son oncle Didon, évêque de Poitiers. Archidiacre peu après l'âge de 20 ans, il est désigné pour reprendre la charge de l'abbé de Saint-Maixent qui venait de mourir. « L 'abbaye de Saint-Maixent, précise Pierre Riché, était construite autour de la cellule de saint Maxence, un saint contemporain de Clovis. Grégoire de Tours raconte que les guerriers de Clovis, lorsqu'ils étaient allés combattre le roi wisigoth Alaric en 507, avaient, à la suite d'un miracle, épargné cette abbaye. » (Histoire des Saints, tome IV, p. 197, Hachette, 1986). Léger reste là six ans puis, sa réputation ayant gagné la cour, la reine Bathilde l'appelle auprès d'elle.

Le maire du palais, Ebroïn, le fait ensuite nommer, en 663, évêque d'Autun. Léger s'installe dans la cathédrale, située dans la partie fortifiée de la ville, au sud de ce qui avait été Augustodunum, la ville romaine, et qui demeurait une étape importante sur la grande route de Lyon à Boulogne. Il entreprend là de grands travaux d'urbanisme et légifère en faveur de l'Eglise et des pauvres. Il devient aussi le porte-parole des aristocrates bourguignons en lutte avec Ebroïn, qui souhaite restaurer l'unité du royaume divisé en deux parties depuis la mort de Dagobert, en 639. Léger parvient même à le faire enfermer au monastère de Luxeuil. Conseiller ensuite du roi Chilpéric II, il s'aliène son appui dans une affaire de justice et se retrouve exilé lui aussi à Luxeuil. « L'assassinat de Chilpéric et l'évasion des deux prisonniers, poursuit Pierre Riché, relancent les tractations. Ebroïn finit par l'emporter ; les dernières années de Léger ne sont qu'un long supplice. Affreusement torturé, il meurt décapité en 678 ou 679. » Il devient tout naturellement un martyr ; à l'instar des frères Aymon dressés contre Charlemagne, sa lutte contre le pouvoir politique central fait de lui un personnage populaire : « Le nom même du saint a contribué à sa gloire posthume, puisqu'il passe pour alléger les obèses, et pour donner un pied léger à ceux qui ont des difficultés à marcher »(op. cit. p.196). Belle illustration de la remarque de Michel Pastoureau citée plus haut.

 

Martyre de saint Léger

Or, il s'avère que ce destin tourmenté suit les voies de la géographie sacrée et peut pratiquement être résumé par une grande loxodromie (Robert : courbe suivie par un navire lorsqu'il coupe les méridiens sous un même angle) issue de la cathédrale d'Autun. Elle se dirige au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx.

 

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Ce grand axe symbolique a sa correspondance historico-légendaire avec l'assemblée de Pâques 681 au palais royal, où l'évêque de Poitiers, Ansoald, et celui d'Autun, Hermenaire, réclamèrent tous deux l'honneur de ramener dans leur diocèse la dépouille du saint, tandis que l'évêque d'Arras (ville où il avait été mis à mort) le revendiquait au prétexte que des miracles avaient déjà eu lieu sur sa tombe. On en appela à un jugement de Dieu pour attribuer le trophée. « Après trois jours de jeûne et de prières, on écrivit les noms des trois évêques sur trois billets qu'on déposa sur l'autel. Le lendemain, un clerc tira au hasard celui sur lequel était inscrit le nom d'Ansoald de Poitiers.» (op. cit. p. 201).

 

Le saint fit donc retour aux lieux mêmes de son initiation. Le récit de la translation, d'Artois en Poitou, est en lui-même chargé d'enseignement.




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13 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Saint-Marcel, de la Creuse à la Bièvre

C'est une vieille histoire. L'histoire du médecin d'un petit village, passionné d'archéologie, qui emmène le dimanche deux hommes pour fouiller avec lui le plateau des Mersans, à Saint-Marcel.

L'un de ces hommes est mon grand-père paternel, Lucien, tout petit paysan sur la commune de Bouesse.

Le médecin est Jacques Allain, pionnier d'Argentomagus, qui payait alors sur ses fonds propres ses deux compagnons de fouilles.

Vieille histoire : j'écris aujourd'hui sur Argentomagus, que mon aïeul, dans les années 60, a donc contribué à faire renaître. Le clavier et la souris ont remplacé la truelle et la pioche. Etrange continuité, et je songe qu'un hasard malicieux voulut que l'antique cité, placée sous l'égide de la blancheur et de l'éclat (étant à Neuvy Saint-Sépulchre ce que Leucade était à Delphes), fut mise au jour par un qui portait aussi la lumière dans son prénom...  Lucien...

Et l'autre, je tiens cela de mon père, je ne l'invente pas, se nommait Blanchard...

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Eglise de Saint-Marcel (Photo : Jean Faucheux)

Il me faut m'attarder sur ce site, car il se trouve que je n'ai pas parlé non plus comme il le fallait de Saint-Marcel, la cité qui a succédé à Argentomagus, s'établissant un peu plus au nord-ouest, laissant la cité s'édifiant plus bas dans la vallée reprendre le nom d'Argentomagus, du moins son premier élément. Reportons-nous à la vie du saint telle qu'elle est narrée sur le site du musée :

"Le récit légendaire du double martyr de saint-Marcel et de saint Anastase est la première manifestation de l'évangélisation d'Argentomagus. La venue de ces deux apôtres de la foi chrétienne est traditionnellement placée au milieu du IIIe s., sous le règne de l'empereur Dèce (248-251).

D'après la légende, Marcel n'avait que 15 ans tandis qu'Anastase était parvenu à l'âge mûr. Venant de Rome et se dirigeant vers Toulouse, les deux missionnaires s'arrêtèrent dans une maison du faubourg d'Argentomagus. Là, Marcel accomplit un premier prodige en rendant la santé à un misérable enfant sourd, aveugle, muet et boiteux de surcroît... Puis, renouvelant le miracle des Noces de Cana, il transforma l'eau en vin au grand émerveillement du voisinage assemblé.

Instruit de l'effervescence qui agita le quartier après ces deux miracles, Héracle, le préteur de la ville, fit bientôt comparaître le thaumaturge et son compagnon et les somma d'abjurer leur foi.

Irrité par leur refus de sacrifier Apollon, Hercule et Diane, les divinités vénérées dans le temple, Héracle livra Marcel au supplice du chevalet puis du gril sur des braises ardentes. L'adolescent supporta toutes ces épreuves avant de demander à être conduit à l'entrée du sanctuaire. Là, devant une foule considérable, Marcel ordonna à Apollon de sortir du temple. La divinité s'exécuta et, poussant un long rugissement, s'évanouit dans un nuage de soufre. Alors le saint pénétra dans le temple. Aussitôt les statues des idoles tombent de leur piédestal et viennent se briser à ses pieds.

Après avoir été une nouvelle fois livré au supplice, Marcel fut jeté dans un cachot, le saint fut peu après décapité non sans avoir prophétisé. La tradition prétend en effet que Marcel fut martyrisé et inhumé à l'emplacement de l'église actuelle. Quant à son compagnon, il fut mis à mort sur le chevalet au lieu-dit le clos Saint-Anastase, aujourd'hui le Champ de l'Image.

Quoiqu'il en soit, l'archéologie, ne nous est d'aucun secours puisque jamais ici, le moindre symbole chrétien n'a été observé sur des objets gallo-romains."


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Saint Marcel et le dragon

Châteauroux, BM, ms. 002

Bréviaire à l'usage de Paris

Cette légende montre bien en creux la difficulté que l'église rencontra pour éradiquer les cultes païens qui devaient être ici très prégnants. J'avais en 2005 déjà signalé le passage à Argenton du moine Yrieix, lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, lequel décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. C'était donc plus de trois siècles après le martyre supposé de Marcel... Les clercs qui rédigèrent la vie de Marcel n'hésitent pas à prêter vie aux divinités du temple, pour mieux les réduire en cendres par la suite, mais cette naïveté est bien sûr gênante pour les chrétiens d'aujourd'hui, et Mgr Villepelet qui recense Marcel et Anastase dans la liste des Saints Berrichons (1) juge "raisonnable et prudent de traiter ce document comme le témoin de traditions anciennes", sans accorder foi à tous les détails. Il est significatif quant à notre propos de voir que c'est Apollon qui est au premier chef concerné par l'appel de Marcel. C'est lui qui obéit à l'ordre du saint et part en fumée. non sans avoir poussé un long rugissement de bête blessée.

Ceci n'est pas sans faire penser à un autre saint Marcel, celui de Paris, qui vint à bout du dragon de la Bièvre. Jacques Le Goff lui a consacré une étude tout à fait passionnante. S'il ne fut pas martyrisé, il a au moins un autre point commun avec notre Marcel berrichon, c'est le miracle renouvelé des noces de Cana : "Le second miracle (Vita, VI), écrit J. Le Goff, qui revêt déjà une allure christologique, mais qui rappelle un des premiers miracles du Christ avant l'apostolat décisif de ses dernières années, le miracle des noces de Cana, se produit quand, Marcel puisant de l'eau dans la Seine pour permettre à son évêque de se laver les mains, cette eau se change en vin et enfle de volume au point de permettre à l'évêque de donner la communion à tout le peuple présent ; son auteur devient diacre."(2)

Ce saint Marcel, devenu lui-même évêque de Paris,  patronna sainte Geneviève. Or, celle-ci a été mise en relation par Anne Lombard-Jourdan, avec la déesse grecque Leucothéa, que nous avons évoquée au billet précédent.

Recoupements troublants. Lutèce-Argentomagus, mêmes constellations symboliques ? Il va falloir aller y voir de plus près.

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(1) Mgr Jean Villepelet,  Les Saints Berichons, Tardy, 1963, p. 114-115.

(2) Jacques Le Goff, Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age, Saint Marcel de Paris et le dragon, repris dans Pour un autre Moyen Age, Quarto, Gallimard, 1999, p. 230.

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15 décembre 2009 | Lien permanent | Commentaires (10)

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