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Paris ne finit jamais

Entracte dans le feuilleton Denis Gaulois. Ceux qui me lisent régulièrement savent que je tire deux fils distincts sur ce site, l'un est bien entendu l'enquête autour de la géographie sacrée du Bas-Berry et ses alentours, l'autre est cette interrogation sur les coïncidences qui vient sporadiquement s'intercaler dans le cours de mes investigations zodiacales. Ces deux fils ne cessent d'ailleurs de se croiser, formant un brin qu'il serait bien artificiel de démêler. C'est comme une de ces pièces de théâtre élizabéthaines avec ses deux intrigues : la principale et la secondaire qui se dénouent ensemble au final. Sauf que le final ici n'est pas de mise...

medium_villa-matas.jpgCe préambule pour dire qu'au même moment où je m'évertuais à pénétrer cette obscure légende déoloise en poursuivant ma lecture de Montjoie et saint Denis !, je me suis offert le luxe d'une digression dans l'univers romanesque de l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas. Je dis bien luxe, car cette initiative n'avait rien de raisonnable : le temps me manque déjà pour venir à bout des lectures entamées et je me rajoute une nouvelle dose d'imprimé. Cela, on en conviendra aisément, frise l'inconséquence... Pour venir à bout des scrupules qui naturellement me tenaillent (« Finis donc déjà ce que tu as commencé, tu verras bien après »), je me donne d' « excellents » prétextes : Villa-Matas, dont je n'ai lu jusqu'à présent que des extraits et quelques articles de revue, est un écrivain qui fait lui aussi la part belle aux coïncidences (avec une savante ironie qui est, semble-t-il, sa marque de fabrique et qui fait se demander toujours si ce qu'il raconte est, comme l'on dit trivialement, du lard ou du cochon). Par ailleurs, le livre de lui que j'ai choisi se nomme  Paris ne finit jamais, ce qui fait écho à l'étude d'Anne Lombard-Jourdan dont il est dit (quatrième de couverture) qu'elle « éclaire ainsi de façon décisive les causes profondes de la primauté de l'abbaye royale de Saint-Denis et de la singularité et de l'ascendant de Paris capitale. » Ce livre se tenait donc dans le droit fil de mes deux problématiques (allons-y pour le mot pédant) exposées au-dessus.

Quel est l'argument du livre ? Quatrième de couverture encore : « A l'occasion d'une conférence qu'il doit donner à Barcelone, un écrivain revient sur ses années de bohême et d'apprentissage littéraire à Paris. Sous la figure tutélaire d'Ernest Hemingway, il dit son amour pour cette ville à travers les souvenirs de ses premiers pas dans l'écriture. »

Bon, là-dessus, j'achète ce matin le Journal du Dimanche et voici qu'en dernière page du supplément Paris-Ile de France, je tombe sur un grand article de l'écrivain américain Jérôme Charyn, intitulé Le grand Paris de Hemingway. C'est une promenade jalonnée par les différents lieux parisiens marqués par le passage de « Papa », promenade où Charyn ne se prive pas d'égratigner le mythe à l'occasion.

Ainsi évoque-t-il la rencontre avec Scott Fitzgerald en 1925, au Dingo Bar, dans le 14ème : « A l'époque, l'auteur de Gatsby le Magnifique est idolâtré dans le monde entier. Mais il reconnaît tout de suite le talent de Hemingway. Et semble même impressionné par le jeune écrivain. Il l'aide d'ailleurs à faire publier Le soleil se lève aussi, le roman qui fait de lui une star.

C'est le début d'une amitié. Même si lors de cette première rencontre Scott pose des questions indiscrètes sur la sexualité de Hem' et finit la soirée ivre mort. Hemingway s'amuse à noter que, quand Scott est assis au bar, ses jambes sont si courtes qu'elles ne touchent pas le sol. Comme à son habitude, il ne peut s'empêcher de se moquer de la personne qu'il encense. »

Or, la page sur laquelle j'avais arrêté ma lecture du livre, la page 54, relatait précisément cette rencontre de 1925 entre Fitzgerald et Hemingway : « Ce fut le début d'une amitié qui commença sur un bon rythme et finit très mal. Paris est une fête raconte que, quelques jours après cette première rencontre , ils partirent tous les deux en train pour Lyon afin de récupérer la voiture décapotable que l'écrivain à succès y avait abandonnée, l'un l'écrivain très riche, brillant et déjà très célèbre (Scott Fitzgerald), et l'autre, un peu plus jeune et encore un débutant (Hemingway), un écrivain sans argent, avide de triompher et content d'avoir fait la connaissance de cette grande étoile de la littérature. »

Il faut savoir que lorsque j'ai commencé à prendre note quasi systématiquement des coïncidences (en février 1991, dans un cahier Clairefontaine à couverture rose), la première page mentionnait déjà Hemingway, à travers une de ses nouvelles intitulée Une très courte histoire.

Cette histoire-ci promet en revanche d'être très longue...

 

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01 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Inventaire des Souvigny

Quatre lieux nommés Souvigny sont recensés en France. L'idée m'est donc venue de mener une petite enquête sur chacun d'eux, afin de voir si des points communs les rassemblaient au-delà de la dénomination. Je n'insiste pas sur Souvigny en Allier, dont j'ai déjà beaucoup parlé (même si certains éléments importants n'ont pas encore été évoqués, mais cet inventaire sera précisément l'occasion de le faire), et je porte d'abord mon attention sur les trois autres Souvigny.

1. Souvigny-en-Sologne


Petit village de 419 habitants, dans le Loir-et-Cher, Silviniacus en 938, vestiges préhistoriques et gallo-romains, église Saint-Martin du XIIème siècle, fête de la Saint-Blaise (31/1).


 
Deux observations importantes : on voit bien sur la carte que, d'une part Souvigny-en-Sologne est cerné par la forêt, d'autre part il est situé à l'extrémité du département, en un point de contact entre Cher, Loiret et Loir-et-Cher, en limite des anciens diocèses de Bourges et d'Orléans.



2. Souvigny-de-Touraine

Ce village  est proche d'Amboise, l'ancienne capitale des Turons,  cité royale depuis  la Guerre de Cent Ans jusqu'au XVIème siècle.

Extrait de la présentation du site cg37 :


"Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse qui faisait autrefois tourner jusqu'à cinq moulins.
Le nom de Souvigny apparaît pour la première fois au XIème siècle (Salviniacum du latin Silva : forêt). De l'occupation néolithique, on passe à un habitat gaulois, puis gallo-romain.
Le village s'est développé autour de l'église actuelle construite au XIIème siècle, sur l'emplacement d'un ancien édifice religieux : des fonts baptismaux datant du Vème-VIème siècle en témoigne et dans son enceinte un préau a été récemment bâti.
Un lavoir construit à l'emplacement d'une ancienne fontaine sacrée gauloise a été remis en valeur.
"



Le porche de l'église du village, placée sous le vocable de Saint-Saturnin, est  orné de signes du zodiaque entourant l’Agneau pascal.
Là encore, on constate que le village est  au centre d'un important massif forestier, et à la limite d'un département. Une ancienne carte des diocèses montre qu'il était proche du carrefour de l'archevêché de Tours avec les deux évêchés de Blois et d'Orléans.



3. Souvigny (dans les Yvelines)

Ce Souvigny, signalé par ViaMichelin, a été le plus difficile à repérer. En effet, le site donnait l'emplacement sans préciser le nom, et la carte Michelin plus précise restait muette sur un quelconque Souvigny.
Seul renseignement exploitable : le lieu faisait partie de la commune de Boissière-Ecole, qui fut au Moyen Age fief de la châtellenie de Saint-Léger.  Saint-Léger-en -Yvelines se dresse en effet à quelques kilomètres au nord-est, au coeur une nouvelle fois d'une région très boisée, en limite de la grande forêt de Rambouillet, elle-même vestige de l'antique forêt d'Yveline : "Important à l'époque gallo-romaine, le village de St Léger fut, avec son ancien château, résidence royale de 987 à 1203 et, de nouveau, de 1499 à 1875 avec le nouveau château-pavillon de chasse des rois de France. Entre les deux châteaux furent d'ailleurs installés les premiers haras royaux."

Heureusement, j'ai fini par mettre la main sur une carte datée du 17 septembre 1788, où Souvigny apparaît sous la forme Savigny, maison isolée à la lisière de la forêt, près de la route de Saint-Léger.

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Enfin, Saint-Léger se situe non loin de la limite des diocèses de Chartres et de Paris.

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Essai de synthèse


1. L'omniprésence de la forêt pour les quatre Souvigny étudiés nous autorise à abandonner l'hypothèse du nom propre romain pour expliquer leur étymologie : la silva est bel et bien motif central.


2. Le caractère royal de cette forêt est établi pour Souvigny-de-Touraine (forêt d'Amboise), et Souvigny en Yvelines (résidence capétienne). Souvigny en Allier, déjà honorée par la visite de papes et de rois,  fut longtemps sépulture des Bourbons à tel point qu'on a pu écrire que Souvigny était le Saint-Denis du Bourbonnais.

         Rappel : Souvigny en Allier
 

3. Le caractère frontalier des quatre Souvigny est également patent. Que Souvigny (Allier) et Souvigny (Yvelines) soient liés à saint Léger corroborent l'observation réalisée lors de l'inventaire des Saint-Léger, à savoir que la grande majorité des Saint-Léger prenant place  dans la géographie sacrée est située sur des marches, des points de contact entre plusieurs entités géographiques et politiques.


4. L'eau semble avoir aussi de l'importance : fontaine sacrée à Souvigny-de-Touraine ; à Souvigny (Allier), "les deux saints étaient représentés en gisant sur le tombeau, au centre de l’église. En dessous, il y avait une hypogée avec une source, où se rendaient les pèlerins."

Cet aspect est moins flagrant pour les deux autres Souvigny, mais Souvigny-en-Sologne, arrosé par un affluent du Beuvron, est tout de même au coeur d'une région d'étangs, tandis que le  Souvigny yvelinois se place juste à l'amont de la naissance d'un ruisseau.


5. Le zodiaque est figuré à Souvigny-de-Touraine ainsi qu'à Souvigny en Allier. En effet, la cité renferme une des pièces les plus extraordinaires de la sculpture romane, un fût en pierre octogonal de la fin du XIIe siècle dite la Colonne du Zodiaque (ou Calendrier de Souvigny), dont quatre faces sont couvertes de bas-reliefs :   mois de l'année, signes du Zodiaque, peuples et animaux étranges et fabuleux. Hélas, la colonne est mutilée,  la partie basse correspondant aux premiers mois de l'année a disparu.

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Cet inventaire des Souvigny semble donc  mettre en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux.

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10 juillet 2007 | Lien permanent

Saint Maur, Pigalle et Galifront

 

Déols, inspiratrice du triangle brennou, nous ne faisons là que vérifier encore une fois le rôle primordial de l'abbaye dans la construction de la géographie sacrée médiévale. L'axe Déols-Le Blanc (Ville Haute) semble confirmer la relation étroite entre les deux cités. Examinons-le attentivement.

 

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L'axe Déols-Le Blanc (cliquer pour afficher toute la carte)

Si nous partons de Déols, nous allons tout d'abord suivre le cours de l'Indre, en rasant le quartier Saint-Christophe, jusqu'au village de Saint-Maur. Passé celui-ci, l'axe abandonne la rivière et pique vers la Brenne en traversant la forêt de Saint-Maur ; il atteint ensuite avec une très grande précision le village de Méobecq, où Dagobert, on l'a vu, avait prétendûment fondé l'abbaye. Au-delà du Blanc, il est jalonné par Ingrandes, la Fines antique, à la limite des cités biturige et pictone (et situé sur l'axe équinoxial neuvicien) avant de se ficher à Saint-Savin, la prestigieuse abbaye déjà désignée par une diagonale du carré de Pouligny.

Il faut noter que cet axe passe à proximité de trois lieux-dits nommés le Tertre : Le Tertre Boulu, le Tertre Mondon et le Tertre des Petits-Champs, ainsi que d'un autre lieu-dit Le Perron, que l'on retrouve dans l'étude d'Anne Lombard-Jourdan sur saint Denis :

« (...) à proximité et sans doute sur le flanc même de la Montjoie du Lendit, existait un « Perron » (...). Ce genre de tumulus avec pierre plate date de l'âge du bronze ou de Halstatt, c'est-à-dire entre 1200 et 800 environ avant notre ère. Grâce au respect qu'il inspira aux ethnies successives, le Perron traversa les siècles et il est encore bien attesté au Moyen Age.

L'auteur de Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle, après s'être réclamé de ses sources san-dyonisiennes, raconte comment Charlemagne répartit, à son retour d'Espagne, les reliques conquises sur les Sarrasins. Ce partage solennel, opéré devant une foule immense, a lieu au « Perron du Lendit » :

«  A Saint Denis en France fu li tresors portés ;

Au perron, au Lendi, fu parti et donnés.

Pour les saintes reliques dont vous après orés,

Par chou est il encore li Lendis appelés. » (op. cit. p. 51)

Tout se passe comme si ces tertres, petites éminences sur le plat pays brennou, servaient de relais au grand rayon déolois. Le nom même de Méobecq, assez obscur, viendrait peut-être, selon Dauzat, d'un élément gaulois, mello, colline.

 

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Mais l'indice le plus éclairant est sans doute Saint-Maur. Ce saint inconnu ailleurs dans l'Indre (il n'est pas cité par Mgr Villepelet au rang des saints berrichons) rime bien sûr richement avec la Maure de la légende des Bons Saints. Les deux visées primordiales à partir du Blanc, Tours et Déols, portent la même symbolique de l'ombre.

En effet, « Maur, comme l'explique Pascal Duplessis, est le patron des charbonniers et des chaudronniers, lesquels ont en commun la couleur noire que leur confère leur activité. Ce choix s'explique très certainement par l'étymologie du nom de Maur : mauricus désignant un habitant de Mauritanie, noir de peau. »

Le même auteur montre dans une riche étude le lien étroit entre saint Maur et Gargantua : « Dans l'est du département [Maine-et-Loire], trois des dix prieurés ayant appartenu à l'abbaye de Saint-Maur sont en relation avec Gargantua : le Voide et les dégaillochées du géant, Faveraye et le Palet de Gargantua aux Noyers, Blaison et le Caquin de Gargantua à Gohier. Au-dessus de Glanfeuil, un chemin dit de Courgain relie l'abbaye au Thoureil et au village néolithique. Enfin, un épisode contenu dans la vita du Pseudo-Fauste nous apprend que Benoît, aurait donné à son disciple Maur, à l'occasion du départ de celui-ci pour la Gaule, "un fragment du manteau qui avait été déposé dans la grotte vénérable du Mont Gargan, si célèbre par l'apparition de saint Michel" (Dom Chamard). » Le géant qui persécutait l'abbaye avait pour nom Pigalle : "...Merlin luy donna encores huyct jours d'espace pource qu'il avoit oubliée sa grant jument [...], et d'aultre part vouloit revenir par dessus la rivière de Loyre pour tuer deux grans geans lesquelz faisoient grant mal au pays d'Anjou, dont l'ung estoit à Sainct Mor sur Loire et l'autre estoit près Angiers, celuy de Saint Mor estoit nommé Pigalle, et celuy d'Angiers estoit nommé Amaurry, quant Gargantua fut audit S. Mor Pigalle estoit jà mort et enterré, et luy fut monstrée la tumbe où de present l'en veoit encores sa fosse..." (Les Croniques admirables du puissant Roy Gargantua, début du XVIe siècle)

Ce Pigalle, par sa racine GAL, est parent du Galifront brennou, reconnu comme avatar de Gargantua. Les tertres rencontrés le long de l'axe déolois seraient en somme analogues aux dépattures de Gargantua, aux tumulus funéraires du néolithique. Les moines du Bourg-Dieu ont ici certainement cherché à christianiser une très ancienne mythologie, bien ancrée dans les usages rituels des habitants de cette campagne.

 

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17 mars 2009 | Lien permanent | Commentaires (6)

Le taureau de Saint Sernin

Sous la conduite de Brennus, Les Gaulois Volques pillent Delphes et en ramènent un trésor qu'ils abandonnent dans les marécages de la Garonne parce qu'il leur aurait porté malheur. Guy-René Doumayrou rapporte que Jean Markale, dans son étude sur les Celtes (page 119), « constate que rien n'atteste la réalité historique de cette équipée et que l'or de Delphes pourrait fort bien avoir été de nature spirituelle, plutôt que grossièrement métallique. Autrement dit, la légende ne ferait que porter témoignage, par le truchement tout à fait traditionnel du récit allégorique, d'une transmission initiatique de la puissance oraculaire, de l'omphalos héllène à l'omphalos occitan. Nombre de légendes de cette sorte, prises à la lettre par l'érudition moderne refusant a priori (ce qui ne relève pas d'une attitude proprement scientifique) l'interprétation symbolique qui était pourtant jadis la règle, ont conduit à l'élaboration d'une histoire rendant certainement très mal compte des réalités passées. » (G.S., p. 51) Un semblable souci de transmission de centre à centre ne se cache-t-il pas dans le tropisme toulousain de Guillaume d'Aquitaine et Robert d'Arbrissel ? Pourquoi modifier les prérogatives de Saint-Sernin, le lieu le plus sacré de la ville, comme en témoigne encore une inscription à l'entrée de la crypte : Non est in toto sanctior orbe locus, il n'est pas au monde de lieu plus saint ? Pourquoi créer un prieuré au nord de Toulouse, tout comme Saint-Sernin est au nord de Toulouse et Saint-Denis au nord de Paris ? Il est vrai ici que l'équipée militaire n'est pas une légende, mais encore une fois, sous les enjeux apparents de pouvoir, se dissimulent peut-être d' authentiques motifs d'ordre spirituel.

Pour le comprendre, il n'est pas inutile de se pencher sur une autre histoire au parfum de légende, la Passio précisément de Saint Sernin, (dérivation occitane populaire de Saint Saturnin), rédigée au Vème siècle. Envoyé en Gaule par le Pape avec six autres évêques (dont saint Martial, premier évêque de Limoges), il aurait évangélisé Pampelune puis Toulouse. En 250, sous Dèce, les prêtres du Capitole (alors consacré à Jupiter) l'accusent de rendre muet par sa présence l'oracle du temple et le somment dès lors de sacrifier le taureau rituel. Refus catégorique de Saturnin qui lui vaut d'être attaché par les pieds à la queue de l'animal furieux. Pris d'une rage folle, le taureau dévale les marches de l'escalier du Capitole. Saturnin, le cou brisé, est traîné le long du cardo romain (la rue saint-Rome) avant d'être abandonné, une fois passé la porte Nord, en dehors donc des remparts de la ville, sur la route de Cahors, à l'emplacement de l'actuelle rue du Taur (pour taureau). Recueilli par deux jeunes femmes (les saintes Puelles), son corps sans vie est enterré dans un fossé profond. Le taureau, lui, est achevé un peu plus loin, au lieu nommé depuis Matabiau (de matar = tuer et biau = bœuf), où se trouve la gare actuelle. C'est un autre Hilaire, contemporain de Hilaire de Poitiers dont j'ai déjà parlé, évêque de Toulouse au quatrième siècle (358-360), qui fait construire une petite église en bois sur la tombe du martyr. Cet oratoire devient rapidement un important lieu de pèlerinage, si bien qu'à la fin du IVe siècle, devant l'afflux des fidèles, l'évêque saint Sylve (360-400) décide de construire un édifice plus grand, achevé en 402 sous l'épiscopat de saint Exupère , lequel organise le transfert des reliques du premier martyr toulousain dans la nouvelle basilique et fait rédiger les actes officiels du martyre (connus donc sous le nom de Passio antiqua). Ce n'est qu'au début du IXe siècle que se constitue à Saint-Sernin une communauté de chanoines réguliers. Et, en 1080, commence la construction de la basilique romane actuelle. Le 24 mai 1096, le pape Urbain II, venu demander au comte Raymond de conduire la première croisade, consacre l'autel et la basilique. Or, la même année, lors de son séjour à Angers, Urbain II avait fait prêcher Robert d'Arbrissel en sa présence et lui avait donné plein pouvoir d'annoncer en tous lieux la parole divine.
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Une grande partie de ce que je retrace ici, je l'ai trouvé sur le très riche site de l'Ecole occitane de carillon, qui traite entre autres des sept sonneries toulousaines. Elles « prennent leur racine dans le martyre de saint Saturnin en 250. C'est un véritable tableau de ces instants : les quatre cloches au pied pour les pattes du taureau, les deux petites à la main pour les cris de la foule haranguant la bête. Dès lors, les premiers chrétiens ont voulu perpétuer le souvenir de leur premier évêque par ces rythmes qui se sont transférés après le VIIe siècle aux cloches, nous permettant aujourd'hui de jouer cette partition vieille de plus de 1750 ans. Peut-être la plus vieille partition au monde ? Au nombre de sept, elles se nomment : Simple, Marche, Double majeur (ou double de marche), Plan, Roulements, Taur simple (ou Petit Taur) et Grand Taur. » Ce qui me frappe, c'est qu'on peut trouver entre la Passio de Sernin et le pélerinage de Jovard au moins quatre grands points communs : - la récurrence du nombre sept : les sept apôtres évangélisateurs envoyés par le Pape dont fait partie Sernin, mais aussi Martial, dont Mauvières et Ruffec relèvent dans la Roue du nemeton belâbrais ; les sept sonneries ; les sept stations de Notre-Dame-de-Jovard. Mais, dira-t-on justement, sept est un nombre tellement fréquent en symbolisme qu'on ne saurait s'étonner outre mesure d'une telle coïncidence. - la récurrence de Jupiter est déjà plus surprenante : on a vu que Jovard dérivait de Jovis (Jupiter), et Sernin est accusé de troubler l'oracle de ce dieu auquel l'empereur rendait un culte officiel. - la récurrence du taureau mis à mort : au nord de la Forêt de la Luzeraize, se trouve un étang dit du Boeuf Mort. - la récurrence de l'épine : le prieuré de Lespinasse fondé au nord de Toulouse ; le prieuré de l'Epeau ; le château et l'étang de l'Epineau au nord de la Roue du nemeton ; et enfin notons qu'en 1251, Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, offrit une Epine de la couronne du Christ aux chanoines de Saint-Sernin.

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18 mai 2005 | Lien permanent

La Chapelle-Aude

Trouvé tout récemment sur le net, le document de l'Ecole des Chartes sur les possessions de Saint-Denis, non seulement m'a confirmé ce que je savais déjà de Reuilly par une autre source, mais aussi m'a appris l'appartenance à l'abbaye royale de La Chapelaude et de Vaux.

La Chapelaude, je connaissais : j'ai souventes fois traversé cette bourgade de l'Allier en me rendant à Montluçon. Son nom est une contraction de la Chapelle-Aude (Capella Aude du cartulaire blanc de Saint-Denis). Ce que désignait ce nom de Aude fut la première question que je me posai. La réponse vint rapidement : il s'agirait d'une moniale disciple au VI ème siècle de Sainte Geneviève. Le legs de la terre de la Chapelaude se situe, lui, au XIème siècle. Voici ce qu'on peut lire sur un site intéressant consacré au canton d'Huriel : « En 1060, le chevalier Jean de Saint Caprais, avec l'assentiment d'Humbault le Vieux, sire d'Huriel, donne à Rainier, abbé de St Denis, le terroir du Mont-Jullian. L'abbé y fait alors élever un prieuré à l'origine du bourg actuel, appelé successivement La Chapelle, La Chapelle Saint Denis, La Chapelle Audes puis La Chapelaude. »

Nous ne sommes guère qu'à une vingtaine de kilomètres, à vol d'oiseau, de Toulx Sainte-Croix. Je trace alors la ligne réunissant les deux localités et je m'aperçois qu'elle vise, au-delà de la Chapelaude, le bois d'Audes, près du village précisément nommé Audes (et dont l'église, je le découvre peu après, appartenait elle aussi à l'abbaye de Saint-Denis).

Quand on met à jour une telle association, on y regarde ensuite d'un peu plus près. Or, si mes calculs sont bons, La Chapelaude indique, par rapport à Toulx, le lever héliaque au solstice d'été.

 

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On peut d'ailleurs se demander si le choix de Aude, au-delà de la sainte référence historique qui rattache clairement le prieuré à Paris et Saint-Denis, ne relève pas d'un jeu de mots avec aube (alba) ?

Est-ce fortuit également de constater que non loin de La Chapelaude se situe le village de Vaux, sur les rives du Cher, qui fait écho à Vaux, la possession poitevine des dyonisiens ?

De ce Vaux picton, parlons-en, en retrouver la trace fut une autre paire de manches...


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25 août 2005 | Lien permanent

Le peintre des Gaules

"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."
Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112

Au coeur de la vertigineuse perspective projetée par Doumayrou, se love donc la Brenne, qu'il qualifie de "gouffre ombilical des Gaules". Or, découvrant la semaine dernière les visées symboliques autour des châteaux du Bouchet et de Salvert, je ne fus pas peu surpris d'apprendre que ces terres avaient été hantées,  non pas cette fois par un de ces êtres blafards et menaçants qui peuplent les légendes brennouses, mais par un artiste authentique dont le surnom n'était pas sans écho avec leur vocation. C'est en effet en glanant quelques renseignements sur Douadic, le village proche de Salvert, que la figure d'Evariste-Vital Luminais vint en pleine lumière. Ce peintre du XIXème siècle, né à Nantes en 1821, est venu pendant quarante ans séjourner en Brenne, à Douadic justement , au lieu-dit La Petite Mer Rouge. Mort à Paris en 1896, c'est pourtant à Douadic qu'il est inhumé.

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Ceci dit, quel rapport avec notre sujet ? Eh bien c'est que tout simplement Luminais est communément désigné comme le Peintre des Gaules : ainsi la notice de Wikipédia écrit-elle que "Peintre des Gaules, il représenta des scènes de bataille des différents peuples qui s'y sont affrontés. Les Romains allaient au combat équipés de cuirasses à éléments métalliques, et rôdés aux techniques d'attaque par leurs campagnes précédentes. Téméraires, les Celtes les affrontaient torse nu, protégés par leurs seuls casques et boucliers." Elle suit en cela le titre du catalogue d'une exposition dédiée à " Evariste Vital Luminais, Peintre des Gaules,1821-1896" organisée en 2003 par les Musées de Carcassonne et de l'Ardenne à Charleville-Mézières. Dénomination reprise par le Musée des Beaux-Arts de Quimper"Peintre nantais, il est l'élève de Léon Cogniet et de Troyon. Dès ses premiers salons, il expose des scènes de genre et des sujets puisés dans la vie des pêcheurs et dans l'histoire de l'Ouest. Après 1848, il devient le "peintre des Gaules"."

 

Peintre des Gaules, Luminais l'est devenu pour  avoir, précise encore l'auteur de la notice de Wikipédia," largement participé à la diffusion de l' iconographie nouvelle véhiculée par les manuels scolaires et l'idéologie de la IIIe République, c'est à cette époque que naquit cette imagerie d'ailleurs fausse du gaulois au casque ailé et aux longues tresses blondes qui a bercé notre enfance. Ainsi la scène du tableau Gaulois revenant de la chasse comporte quelques anachronismes, notamment dans l'habillement : braie et haut-le-corps serrés. Il s'agit ici d'un retour de chasse et non d'une scène guerrière, le casque représente bien plus un accessoire nécessaire à la caractérisation du Gaulois, qu'un attribut guerrier. La longue chevelure rousse participe à l'idée que l'on se faisait des gaulois au XIXe siècle.

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En vue de Rome. Musée des Beaux-Arts de Dunkerque.

De même pour la toile En vue de Rome, où la représentation des casques et du bouclier de gauche est très fantaisiste. L'aventure des Celtes en Italie a frappé très tôt de manière durable l'imagination des artistes. Cela peut à nos yeux friser parfois le ridicule et cependant certaines de ses peintures semblent surgir d'un lointain passé qui nous interroge et que nous questionnons sans vouloir trop nous y arrêter."

Au-delà de la véracité des représentations, l'essentiel réside bien dans cette puissance de rêverie à l'oeuvre dans les tableaux de Luminais. Sa toile la plus célèbre, Les énervés de Jumièges, elle-même fondée sur une légende, n'en finit pas de nourrir les interprétations les plus diverses, les songes les plus glauques ou les plus flamboyants. Il reste surtout que je n'en reviens pas de cette coïncidence, une de plus : le Peintre des Gaules au coeur du gouffre ombilical des Gaules.

 

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Les énervés de Jumièges, Musée des Beaux-Arts de Rouen


Et ce gouffre n'est pas qu'une métaphore...

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16 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (9)

L'être de l'étang

Selon le propre site de la cité, le village de Locronan est le seul en Europe à avoir conservé un nemeton, toujours inscrit dans le paysage :

"Le Nemeton de Locronan est un grand quadrilatère d'une douzaine de km. de périmètre, comportant douze points remarquables, représentant les douze mois de l'année celtique. La fonction sacrée du nemeton était la représentation sur terre du parcours des astres dans le ciel : il décrivait dans l'espace les douze mois de l'année en même temps que chacun de ces mois était consacré à une divinité du panthéon celtique. C'est au travers de la Troménie chrétienne contemporaine que nous pénétrons au coeur de ce rituel ancien. En effet, les habitants de Locronan parcourent tous les six ans, à travers la lande, le chemin sacré jalonné de douze stations situées à l'endroit exact des douze mois de l'année celtique."
C'est hier soir, juste après avoir posté la note précédente, que je me suis rendu compte que le segment de l'alignement Luzeret-Béthines traversant la Roue (la corde AB en rouge sur la carte) constituait la base presque exacte du carré inscrit dans ce cercle. On retrouve donc bien ici aussi un quadrilatère, plus vaste que celui de Locronan. On remarquera que la diagonale issue de A pointe au-delà de la roue vers le cromlech de Seneveau , c'est-à-dire un cercle de pierres levées comme à Stonehenge. La même diagonale traverse aussi tout un chapelet d'étangs.
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On sait d'après de nombreux textes antiques, confirmés par l'archéologie, que les Gaulois, comme d'autres peuples indo-européens, accordaient une importance toute particulière aux sources, aux lacs et aux étangs. Sénèque affirmait que c'était la sombre couleur, l'insondable profondeur de leurs eaux qui conféraient à certains étangs un caractère sacré . L'étang, comme la source, ouvrait un passage vers l'Autre Monde, le monde souterrain des dieux. "Le lac sacré le plus célèbre", écrit Jean-Louis Brunaux (Les Gaulois, Sanctuaires et rites, Errance, 1986), est celui de Toulouse que maints auteurs antiques nous décrivent. Les Volques Tectosages, habitants de la région, y vouaient un culte au dieu Belenus qu'ils honoraient en plongeant de somptueuses offrandes d'or et d'argent dans ses eaux. Le consul L. Servilius Caepio ne résista pas à ces richesses accumulées lorsqu'il conquit la cité en 106 av. J.C. Il aurait dérobé aux Gaulois 110 000 livres d'argent et 100 000 livres d'or.." Belenos, Toulouse, ces noms nous sont familiers. Et que dire de ces Volques qui auraient aussi selon une légende pillé l'or de Delphes sous la conduite de Brennus. Un trésor qui leur aurait porté malheur et qu'ils auraient abandonné, devinez où ? Dans les marécages des bords de la Garonne. Est-ce à nouveau un hasard si la Roue de Nesmes est mis au jour un premier mai (j'assure ici n'avoir rien prémédité) ? Retour au site de Locronan : "Le premier mai, début de la saison chaude dans le calendrier celtique, est la grande fête du feu, la fête de Belenos. A Locronan, le premier mai, est planté au milieu de la place un hêtre, arbre sacré des Gaulois, symbole du renouveau de la nature, qui sera immolé par le feu au solstice d'été à la fin juin. " Vérifiez : le hameau le plus proche du centre de la Roue, placé sur l'axe équinoxial, se nomme la Bélivière.

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La plus belle ville des Gaules, ou presque

Avril 52 avant J.C. Les légions romaines de Jules César prennent d'assaut l'oppidum d' Avaricum, la capitale des gaulois Bituriges Cubi. Sur ses 40 000 défenseurs, 800 à peine parviendront à échapper au massacre. La Guerre des Gaules se joue ici, sur ce tertre entouré de prés-bas marécageux. Les Romains y trouveront le repos et les ressources nécessaires à la poursuite de la conquête. Il s'en est pourtant fallu de peu : le siège s'est déroulé dans des conditions climatiques détestables, « froid opiniâtre, pluies continuelles », écrit César (BG, VII, 23), les convois de vivres des alliés Eduens harcelés par l'armée de Vercingétorix cantonnée au camp d'Alléans, près de Baugy, les tours en bois et les terrassements du génie romain effondrés par les sapes des Bituriges rompus aux travaux miniers. L'héroïsme des Gaulois a impressionné César :

« J'ai vu ce jour-là une chose mémorable. Un Gaulois posté devant une porte, lançait sur le foyer qui menaçait une tour romaine, des boules de suif et de poix qu'on lui passait à la chaîne ; un trait lancé par une machine le traverse et le tue ; un de ses voisins enjambe le corps et prend sa place ; il tombe à son tour, atteint de même ; un troisième lui succède, puis un quatrième : et ainsi de suite jusqu'à la fin du combat : pas une fois le poste ne demeura inoccupé. »

Malgré cette résistance acharnée, Avaricum succombe à la ténacité des légions romaines, sans doute transcendées par la perspective du butin qui les attendait derrière les solides remparts de pierres et de poutres.

 

Monnaies bituriges

Pourtant de butin, il n'aurait pas dû y en avoir une miette. Si les Bituriges avaient consenti à appliquer totalement la tactique de la « terre brûlée » que Vercingétorix avait préconisée afin de réduire l'armée de César à la famine. Mais voilà : les chefs Bituriges ont bien voulu que l'on brûle une vingtaine d'oppida mais ont si vigoureusement défendu la cause de leur capitale que Vercingétorix s'est laissé fléchir, alors que cette décision mettait justement en péril toute sa stratégie. Quelles furent leurs arguments ? Nous pouvons déjà les imaginer à partir du propre témoignage de César, qui affirme qu'Avaricum était la plus belle ville, ou peu s'en faut, de toute la Gaule : Pulcherrima prope totius Galloe urbs. Mais la seule beauté peut-elle suffire d'explication ? Les guerriers gaulois sont-ils de purs esthètes prêts à se faire tailler en pièces pour préserver leurs trésors architecturaux ? Dans une société dominée par le fait religieux comme l'était la société celtique, la beauté ne peut être que la conséquence d'une consécration. C'est qu'en vérité Avaricum apparaissait aux yeux des Gaulois comme un haut-lieu central.

Il est facile d'observer que le territoire biturige se situait au centre géographique de la Gaule. Le nom même Biturige se décompose en bitu-, à la fois « monde » et « âge », et -riges, pluriel de rix, « roi ». Il a donné en français Berry (Bituriges) et Bourges (Biturigibus), et signifie donc étymologiquement « rois-du-monde » ou « rois perpétuels ».

« La notion de l'équilibre et de l'harmonie d'un pays -et donc du monde- , écrivent Ch. J. Guyonvarc'h et F. Le Roux, s'exprime géographiquement par la réunion de caractères sacrés dans un territoire central, et temporellement par un moment, historique ou mythique, où un souverain idéal concentre en lui-même tout en l'irradiant, la perfection d'un gouvernement généreusement bénéfique. Autrement dit, le roi parfait, régnant aux temps mythiques dans un centre traditionnel, échappe aux contingences du temps et de l'espace en se plaçant à la jonction de l'un et de l'autre. Il est à la fois roi perpétuel et roi du monde. (...) L'Irlande connaît une conception semblable, cristallisée dans le nom de la province centrale de Mide (Meath) « milieu », constituée par le prélevement d'une parcelle de territoire sur les quatre provinces initiales. Mide contient la capitale politique et religieuse, Tara. » (Les Druides, Ogam-Celticum, 1980, p. 210-211).

A la lumière de ces lignes, on peut concevoir qu'il soit apparu comme sacrilège de détruire le centre sacré, et on saisit mieux aussi les raisons profondes de l'héroïsme quasi-suicidaire de ses habitants. La mort reçue au cours de la défense du sanctuaire devait être la plus belle mort qui soit pour le guerrier celte :

« L'attitude des Celtes sur le champ de bataille, explique Jean-Louis Brunaux ( Les Gaulois, Errance, 1986, p.105), ne peut se comprendre qu'à travers leurs conceptions du combat et de la mort. Il a été signalé à plusieurs reprises que seule la mort héroïque était souhaitable, que le Celte redoutait par-dessus tout que la maladie ou la vieillesse viennent mettre un terme sans gloire à une vie qu'il voulait riche d'exploits guerriers. Enfin, rien ne lui semblait plus honteux que la fuite ou la captivité. »

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22 novembre 2005 | Lien permanent

Vaux-sur-Net

Et comme celui qui a morigéné les Rois, j’écouterai monter en moi l’autorité du songe.
(Saint-John Perse, Vents)

 

 

Tapez « Vaux » dans Google, le moteur vous annonce aussitôt 975 000 résultats. Evidemment vous vous en doutiez, le terme est tellement commun. Vaux-le-Vicomte a droit à la première place, suivi de Vaux-sur-Mer, et plus loin Vaux-sur-Sure, Vaux-le-Pénil, etc. Notre Vaux est poitevin, c'est tout ce que nous en savons pour l'instant. Allons donc pour « Vaux Poitou » : plus que 96 100 résultats, où Vaux-sur-Mer se paie la part du lion, en campings, hôtels, locations... Serait-ce là notre Vaux dyonisien ? On a des doutes... Essayons donc « Vaux Saint-Denis » : 76 000 résultats seulement, on progresse. On trouve même un Saint-Denis-de-Vaux : las, ce beau village, qu'on peut visiter virtuellement (mais j'ai décliné la ballade), est sis en Saône-et-Loire... Fausse piste donc. Et « Vaux Saint-Denis Poitou » ne nous donne plus que 9060 réponses en français (bizarrement le premier site indiqué est espagnol...), sans nous apporter plus de lumière.

Je commence à désespérer lorsque soudain me revient en mémoire un détail de ma récente recherche sur Ingrandes, où l'on se souvient que le convoi translatant le corps de saint Léger avait fait halte : l'église de la ville dépendait d'un prieuré de Saint-Denis. J'avais noté ça dans un coin de ma tête en m'amusant de la coïncidence, je ne pensais pas alors y revenir si vite. Vérification sur le site du diocèse de Poitiers : il est bien écrit que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »

La question était maintenant de savoir où se situait ce Saint-Denis-en-Vaux. C'est un autre site sur la même page de résultats, consacré aux églises romanes du Poitou, qui m'apporta la solution : « Trois kilomètres à l'Est d'Ingrandes, à Oyré, se trouve une autre très belle Eglise Romane dédiée à Saint Sulpice. Elle relevait jadis du Prieuré de Vaux sur Vienne qui lui meme dépendait de l' Abbaye de Saint Denis, près de Paris. L'église possèdait à l'origine des fresques murales. »

Vaux-sur-Vienne : il ne restait plus qu'à remonter le cours poitevin de la Vienne pour repérer le haut-lieu tant attendu. Et à vrai dire, il n'y eut pas à remonter loin, Vaux-sur-Vienne était là, tout près d'Ingrandes et de Oyré. Il aurait dû me crever les yeux : il me jouait le coup de La lettre volée d'Edgar Poe.

 

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Ceci dit, le mystère demeurait : la carte Michelin n'indiquait aucun bâtiment religieux remarquable et une nouvelle recherche sur Vaux-sur-Vienne fut très décevante : aucune mention du prieuré, qui semble avoir disparu dans les ténèbres de l'Histoire. J'ai eu beau scruter la carte de Cassini, publiée en 1815, elle ne mentionne aucun prieuré Saint-Denis. Il sera bien bon celui (ou celle) qui me donnera des informations précises sur l'histoire de ce Vaux pictave décidément bien fuyant.

Il reste que la localisation de Vaux près d'Ingrandes montre bien encore une fois, s'il en était besoin, l'intrication serrée entre les deux saints martyrs Léger et Denis. L'histoire de l'abbaye dyonisienne et celle de l'évêque déchiré entre les pouvoirs de son époque ne cessent de corréler. Toutes les deux ont en commun d'interroger la fonction royale. J'ai la nette impression que notre réflexion sur celle-ci ne fait que commencer.


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Léger et le roi Chilpéric

P.S : Un site rassemble tous les Saint-Léger de France, de Suisse et de Belgique. J'y ai puisé nombre d'informations. Merci aux concepteurs du site, que l'on peut consulter ici.


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26 août 2005 | Lien permanent

Rodène la rhodanienne

De Nantosuelta à Mélusine, en passant par le Chaperon Rouge, Rodène affiche une belle diversité de dénominations. Il reste qu'aucune de ses hypostases, si je puis dire, ne présente une ressemblance phonétique avec la sainte de Levroux. Le site Carmina assimile son nom au languedocien rondina, de rondinar, qui signifie ronchonner (la sainte serait parfois désignée comme sainte Ronchonne).

Explorons une autre piste : le nom qui m'a tout de suite paru le plus proche de Rodène, c'est celui du Rhône, en latin Rodanus. Dans l'hypothèse d'une identification Rodène-Silvain à Nantosuelta-Sucellus, il faut noter que le culte de ce couple divin est particulièrement dense dans les régions proches du fleuve, comme en atteste cet extrait de Lambrechts, cité par J.J. Hatt :

« Si nous jetons un coup d'oeil sur la carte de répartition géograhique du dieu au maillet, nous voyons que son culte se répartit en trois groupes : l'embouchure de la vallée du Rhône, le Rhône supérieur et la vallée de la Saône, surtout le pays héduen, enfin un troisième groupe, beaucoup moins important, dans le Nord-Est de la Gaule, surtout en pays médiomatrique. L'on peut affirmer que la région du Rhône et de la Saône doit être considérée comme le lieu d'origine du culte du dieu au maillet. » (Contribution à l'étude des dieux celtiques, p. 115.)

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Collégiale Saint-Silvain (portail sud)
 
Quelle est maintenant l'étymologie de Rodanus ? Aucun auteur ne le rattache à rondinar : c'est que, comme la plupart des noms de rivière, il est certainement très ancien, peut-être même antérieur à l'occupation celtique. Le site http://crehangec.free.fr/rivos.htm écrit que Rodanus vient de renos (couler) ou rod (rivière), même racine + danu (hardi, fier), sans préciser l'origine de ces étymons. Sur un forum discutant de l'étymologie du fleuve, on peut lire aussi ceci :

 

« (...) l'autre explication serait qu'il vient d'un terme hydronymique prélatin dan précédé d'un terme gaulois ro fort cours d'eau. En fait le rho orthographié avec l'h viendrait d'un snobisme des Latins qui ont assimilé ce son à la lettre grecque exprimant la violence. »

Fort cours d'eau, rivière hardie, désignent en tout cas indubitablement le Rhône comme un fleuve impétueux, proche du torrent qu'il était en amont du lac Léman. Le Rhin, qui est proche étymologiquement, était aussi un fleuve sauvage : « Son cours était autrefois si impétueux et imprévisible qu'aucune grande ville ne s'est installée à sa proximité immédiate. » Or, on a vu que Nantosuelta tenait l'origine du premier élément de son nom dans le gaulois nantos, vallée, torrent (d'ailleurs le savoyard nant désigne encore de nos jours un torrent).

De même, la tribu celte qui occupait le Valais, autrement dit la haute vallée du Rhône, se nommait les Nantuates (elle a aussi donné son nom à la ville de Nantua).




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