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L'alphabet des arbres

L'ancien français leigne (issu du latin lignum) désignait le bois, et sans doute faut-il le tenir pour l'origine commune de Liglet, Lignac et Lignat. Faut-il y voir maintenant une allusion au bois sacré où fut déposée la Toison d'Or ? Remarquons que l' alignement désigne le village de Béthines, qui est situé également sur le parallèle de Luzeret. Or, à la racine de ce toponyme se trouve Beth, le bouleau, premier de la liste dans l'alphabet des arbres, ainsi que je le découvris pour la première fois dans La Déesse Blanche, le livre du grand poète anglais Robert Graves (Editions du Rocher, 1979). Lui-même avait trouvé mention du Beth-Luis-Nion ou alphabet des arbres dans l'Ogygie de Roderick O'Flaherty, qui le présentait " comme une authentique relique du druidisme transmise oralement jusqu'à nous à travers les siècles. On s'en serait servi, ajoute Graves, jusqu'à une époque récente, uniquement pour des usages divinatoires. Il consiste en cinq voyelles et treize consonnes. Chaque lettre tire son nom de l'arbre ou de l'arbuste dont elle est l'initiale." Quoiqu'il en soit de l'origine druidique ou non de cet alphabet des arbres, comment ne pas être frappé de découvrir que sur le même parallèle de Luzeret, dans une quasi symétrie avec Béthines, surgit la vieille cité de Cluis, qui renferme donc en son nom Luis, le sorbier, second arbre de l'alphabet ? Cluis, qui plus est cité de Boson, le seigneur fondateur de Neuvy Saint-Sépulchre. Comment ne pas s'interroger sur la présence, toujours sur le même parallèle, de Bélâbre, cité en 1372 comme "Chastel de Belarbre, sis en Guyenne" ? Ce Belarbre, nous le lirons comme l'arbre de Bel, ou Bélénos, l'Apollon gaulois, dont la nature est parfaitement cohérente avec ce qui a été développé jusqu'ici : "Belenus, honoré en Illyrie et en Italie du Nord plus souvent qu'en Gaule porte un nom celtique qui peut désigner l'éclat du soleil qui voit tout et guérit." (Paul-Marie Duval, Les dieux de la Gaule, Payot, 1976) Mentionnons encore l'hypothèse d'Edward Davies rapportée par Graves, selon laquelle "le Beth-Luis-Nion aurait été ainsi nommé parce que BLN sont les consonnes-racines de Belin, le dieu celtique de l'année solaire." Belin, qui en ancien français désigne le bélier.

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23 avril 2005 | Lien permanent

Phalères

Si l'on réfute le grec phallos (et non phallus) comme origine du nom Phalier, on ne se sort pas pour autant du grec avec Phalerius, car ce dernier terme nous renvoie à deux autres mots héllènes:
  • Phalères : qui désigne la rade qui servit de port à Athènes au VIe siècle, avant la construction du Pirée.
  • ta phalara (en latin phalerae) : "Plaques rondes d'or, d'argent ou d'autres métaux, sur lesquelles étaient gravée ou ciselée quelque figure en relief ; ainsi la tête d'un dieu, l'image d'un roi ou d'un empereur, ou quelque emblème ; des pendants, en forme de croissants ou de larmes, y étaient souvent attachés. Les personnes de distinction en portaient sur la poitrine, comme ornement ; c'était pour les soldats une décoration militaire que décernaient leurs chefs, et quelquefois elles servaient de harnais de luxe pour les chevaux (Liv. IX, 46 ; Sil. Ital. XV, 255 ; Virg. Aen. IX, 359 ; V, 310 ; Claud. IV, Cons. Honor. 549)." Anthony Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques.
Le phaleratus désignait celui qui portait des phalères.

Stèle funéraire de l'aquilifer Cnaeus Musius,
décoré de deux torques et neuf phalères
Ier s. après JC
Landesmuseum, Mainz (Allemagne), 2002

© Agnès Vinas

L'origine de ces phalères n'est pourtant pas romaine. Comme en bien d'autres domaines, les Romains ont emprunté, dans ce cas particulier, semble-t-il aux Etrusques. Mais les Celtes eux aussi connaissaient les phalères, à tel point que Vincent Jauvert, présentant un travail sur l'Est au temps des Gaulois, peut écrire que "le plus époustouflant de l’art celtique, ce sont peut-être les phalères, les petites pièces rondes en fer ou en bronze de quelques centimètres de diamètre qui décoraient les chars des guerriers ou les harnachements de leurs chevaux. Celle que nous présentons ici date du ive siècle av. J.-C. et a été découverte dans la tombe d’un riche militaire à Cuperly, dans la Marne. L’organisation parfaite du décor surprend. Selon les spécialistes, tout a été préparé au compas. Cette harmonie aurait-elle une signification particulière? Certaines de ces phalères ont été récemment étudiées par des mathématiciens intrigués par la forme géométrique de leur décor. Ils ont conclu que les Gaulois étaient probablement des adeptes de la cosmogonie du grec Pythagore! Incroyable, par Toutatis!" (C'est moi qui souligne.)

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Cette interprétation est corroborée par l'archéologue Jean-Louis Brunaux, dont j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le livre récent sur les Druides, lors d'un entretien avec François Dufay, pour le journal Le Point :

"Vous-même, n'avez-vous pas tendance à faire des druides des « philosophes » à la grecque égarés chez les Barbares ?

Non. Comme celle des présocratiques, la philosophie druidique est un savoir universel incluant la métaphysique, les mathématiques, l'astronomie, la botanique, la géographie, la géologie... Loin d'être des magiciens répandant la superstition, ces intellectuels cherchent les causes premières des choses, sous forme d'une pensée qui commence à revendiquer sa rationalité.

Vraiment ?

Quand on voit le calendrier trouvé à Coligny, dans l'Ain, datant du Ier siècle, héritage de leur savoir astronomique, ou des créations artistiques comme certaines phalères au décor géométrique d'une complexité inouïe, on n'est plus dans le domaine des tâtonnements, mais bien de travaux fondés sur des calculs, des mesures, des expériences
." (C'est moi qui souligne.)

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Comment ne pas faire de  rapport entre ces phalères, rondes et géométriquement complexes, et le cercle défini par le triangle de saint Phalier ? Tout se passe comme si on avait tracé au sol une gigantesque phalère. Y a-t-il une  divinité celtique  cachée derrière tout cela ?


Si l'on reprend les qualités attribuées à saint Phalier, il nous faudrait donc une figure liée aux orages, capable de les maîtriser, éventuellement escortée de chiens, en rapport également avec les eaux (fontaine Saint-Phalier du pélerinage chabriote, ruisseau dit de Saint-Phalier alimentant la Céphons à Levroux) : une figure simultanément céleste et chthonienne (la statue de Phalier repose dans la crypte de l'église de Chabris). Jean-Louis Desplaces cite un article du journal de l'Indre de 1834 qui rappelle que les fidèles avaient habitude de déposer les enfants malades dans le tombeau du saint :
"C'est dans une petite chapelle souterraine et fort obscure, située derrière le maître-autel, que l'on va particulièrement implorer l'assistance du saint. Au fond de cette chapelle est la statue de saint Phalier et dans un réduit, plus bas encore, est un sarcophage en pierre, dont la forme annonce qu'il peut dater du Vè siècle : c'est dans ce sarcophage qu'on dépose les enfants malades et languissants... L'analogie du nom avec celui de l'emblème de la fécondité ne peut être l'effet du hasard."
(Cité par J.L. Desplaces, Florilège de l'eau en Berry, 3ème volume, 1986, p. 61.)

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Cette figure -inutile de prolonger le suspense - nous l'avons déjà rencontrée : c'est celle de Sucellus, le dieu au maillet, que l'on peut aussi rattacher au Silvain latin et au Jupiter gaulois Taranis dont l'attribut principal est la roue. Sucellus, déjà vu à Levroux, et qu'il n'est donc pas très étonnant de retrouver tout près de là sous la forme de saint Phalier, s'affirme décidément comme le grand dieu du nord de l'Indre. Sa christianisation sous les formes diverses de Silvain et de Phalier dut être longue et complexe.

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Le Châtelet (Hte-Marne).

Jupiter-Taranis à la roue, au foudre et aux éclairs


Devons-nous maintenant abandonner résolument l'hypothèse phallique du nom de Phalier (on s'est aperçu en passant qu'en 1834, cette analogie semblait aller de soi) ?
Pas si sûr...

(A suivre)

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15 octobre 2007 | Lien permanent

La vallée de l'Arnon (2)

A mi-parcours des gorges de l'Arnon, nous croisons la grand-route de Montluçon, qui a dû reprendre grosso modo le tracé de l'antique voie qui menait d'Argentomagus à Néris-les-Bains, via Mediolanum. A cet endroit a été édifiée la cité de Culan, dont le visiteur peut encore admirer le superbe château féodal qui a conservé jusqu'à nos jours ses hourds de bois. Penchons-nous sur ce toponyme de Culan.

On le trouve en effet dans la mythologie irlandaise, lié de façon essentielle à l'un des héros les plus importants des scéla, à savoir Cuchulainn, le premier acteur de la Tain Bo Cualnge ou « Razzia des Vaches de Cooley » : « Ce récit décrit longuement ses combats singuliers dans la défense de la frontière d'Ulster contre les quatre provinces d'Irlande coalisées sous la direction de la reine Medb. » (Les Druides, op.cit. p. 376). Or, que signifie Cuchulainn ? Eh bien, cela signifie « Chien de Culann », Culann étant un forgeron d'Ulster dont Cuchulainn, alors nommé Sétanta (set, « chemin »), a tué le chien de garde (ou de combat), réalisant par là son premier exploit d'enfance.

Ceci étant établi, il est facile de repérer dans les scéla une relation forte entre Cuchulainn et l'Autre Monde, le sid mis en évidence avec Sidiailles : le héros, comme bien d'autres héros irlandais, présente une double paternité divine et terrestre (dans son cas, elle est même quadruple), en effet, il est fils de Lug et d'Eithne, mais sa « naissance terrestre est le résultat de la cohabitation du dieu roi Conchobar et de sa soeur Deichtire lors d'un voyage dans le Sid. » (Les Druides, p.376). Par ailleurs, Conchobar est aussi le nom d'une rivière dans laquelle le roi s'est baigné lors de sa naissance.

 

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C'est au sortir des gorges que nous relevons un troisième indice troublant, avec la présence du village de Saint-Christophe-le-Chaudry. Cette dénomination n'est pas innocente : tout le monde sait – pour avoir lu au moins les aventures d'Astérix et sa potion magique concoctée par le druide Panoramix – que le chaudron est un symbole celtique primordial. Symbole qui est lié à l'eau plus qu'au feu, assez paradoxalement :

« La majorité des chaudrons mythiques et magiques des traditions celtiques (leur rôle est analogue dans les autres mythologies indo-européennes) ont été trouvés au fond de l'Océan ou des lacs. Le chaudron miraculeux de la tradition irlandaise, Murios, tire son nom de muir, la mer. La force magique réside dans l'eau ; les chaudrons, les marmites, les calices sont des récipients de cette force magique, souvent symbolisée par une liqueur divine, ambroisie ou eau vive ; ils confèrent l'immortalité ou la jeunesse éternelle, transforment celui qui les possède (ou qui s'y plonge) en héros ou en dieu. » (Mircea Eliade, Traité d'Histoire des Religions).

Le Dictionnaire des Symboles n'hésite pas à écrire que le chaudron peut être considéré à juste titre comme « l'ancêtre et le prototype du Saint-Graal ». Il est l'un des trois attributs du dieu irlandais Dagda. C'est un chaudron d'abondance contenant « non seulement la nourriture matérielle de tous les hommes de la terre, mais toutes les connaissances de tout ordre » (pp.216-217). Il est dit que personne ne le quitte sans être rassasié. C'est aussi un chaudron de résurrection où l'on jette les morts et d'où ils ressortent bien vivants.

Le Dagda n'apparaît pas comme tel dans le panthéon gaulois, mais Ch.J. Guyonvarc'h l'identifie au Jupiter romain :

« Jupiter-Dagda est le dieu bon ou « dieu-druide », maître des éléments (eau, air, terre, feu), dieu des contrats et de l'amitié, mais aussi, parce qu'il est druide, dieu guerrier. Il a pour attribut le chaudron et pour arme la massue. Ses correspondants gaulois sont Sucellus et Taranis. » (Textes Mythologiques Irlandais, I, p.98).

Or, il a été retrouvé, précisément à Saint-Christophe-le-Chaudry,  une statue de Jupiter, associé à un petit personnage anguipède.

 

 

 Jupiter
(hôtel Cujas, Musée du Berry, Bourges)

Le chaudron revêt aussi parfois un rôle sacrificiel : « Le roi déchu s'y noie en même temps qu'on incendie son palais, lors de la dernière fête de Samain de son règne (...). En Gaule, les témoignages tardifs des Scholies Bernoises (IXè siècle), recopiant presque certainement des sources antérieures perdues, mentionnent un semicupium dans lequel on noyait rituellement un homme en hommage à Teutatès. » En face de Saint-Christophe-le-Chaudry, sur la rive gauche de l'Arnon, flanqué sur la hauteur, le petit village de Reigny évoque bien sûr le regnum latin, terme issu de rex, le roi, qui a la même origine que le rix gaulois ou le raj sanscrit.

Le roi Conchobar, qui s'est présenté à nous comme le lien unissant Sidiailles à Culan, autrement dit le Sid à Cuchulainn, sert aussi de trait d'union entre ces lieux et Saint-Christophe-le-Chaudry, s'il faut en croire encore une fois Ch. J. Guyonvarc'h, qui explique que la mythologie celtique se caractérise par une interpénétration constante entre le monde des héros et le monde des dieux :

« Le monde mythique des Celtes est fait d'inlassables répétitions que ne masquent pas complètement des changements de dénomination : le Dagda se répète dans le roi Conchobar... » (La Civilisation Celtique, avec F. Le Roux, Ogam-Celticum, p. 109).



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05 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (5)

Encore plus fort avec saint Guinefort

Plus fort que le saint à tête de chien, le saint à corps de chien, le saint chien... Oui, après le très connu saint Christophe, évoquons le très singulier saint Guinefort ou Généfort, également appelé le saint lévrier. Jean - Claude Schmitt lui a consacré un livre (cité en note dans l'article du 7 décembre), d'après ce document exceptionnel qu'est le rapport du dominicain Etienne de Bourbon qui prêchait dans les Dombes dans la première moitié du XIIIème siècle. L'inquisiteur apprend en confession que les femmes du pays amènent leurs enfants chétifs à saint Guinefort, lequel – à son grand scandale – se révèle être un lévrier... Le chien aurait tué un énorme serpent qui menaçait l'enfant de son maître, mais celui-ci, un seigneur de la contrée, abusé par le berceau renversé et le sang sur la gueule du chien, l'aurait trucidé d'un coup d'épée. S'apercevant ensuite de sa méprise, il aurait jeté le cadavre du chien dans un puits et planté quelques arbres autour pour garder mémoire de l'événement. Le château aurait ensuite été détruit par volonté divine. Que cette légende soit tirée de faits réels, comme l'affirme ce site, est hautement improbable, car on la retrouve dans de nombreux pays, jusqu'en Inde. « Dans une version du pays de Galles, peut-on lire sur cet autre site, le prince Llewellyn avait un lévrier nommé Gellert ou Cylart. C'est la même histoire, mais dès que le prince réalisa son erreur, il fut prit d'un tel chagrin qu'il érigea un monument de reconnaissance au chien et donna le nom du lévrier au lieu où il le fit enterrer. Dans cette histoire celui qui attaque l'enfant n'est pas un serpent mais un loup. »

Par ailleurs, saint Guinefort n'est pas l'apanage des Dombes ; son culte est attesté une quarantaine de fois en France et en Italie du nord. Et la plus ancienne mention de son existence, nous la trouvons, tenez-vous bien, à Bourges, en 1075... Dans une charte donnée, entre 1073 et 1078, en faveur de la Collégiale Saint-Ursin de Bourges. Ce document « atteste, écrit Anne Lombard-Jourdan, la présence du corps de Guinefort qui y est confirmé à plusieurs reprises. Il n'est pas indifférent que le corps de ce saint ait été conservé à l'église Saint-Ursin dont le portail offrait une iconographie cynégétique et calendaire très particulière. Il était honoré en Berry le 25, le 26 ou le 27 gévrier et à Sens le 26 février, donc en période de Carnaval. » (Aux sources de Carnaval, op.cit. p. 206).

 

 

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 Cernunnos (Pilier des Nautes, Paris)

La thèse d'Anne Lombard-Jourdan, pour la résumer bien sommairement, c'est que Carnaval, qui est la fête païenne la plus célébrée dans le monde chrétien, illustre le mythe fondateur du combat du cerf et du serpent, auquel elle rattache le dieu-cerf gaulois Cernunnos, dont Gargantua ne serait qu'un avatar, « récupéré par Rabelais, sur le mode parodique, dit Jacques Le Goff en sa préface au livre, dans les traditions gauloises orales qui affleurent dans la culture populaire auquel il s'abreuve. » Grand cerf qui devient l'ancêtre mythique des rois de France, dont le cerf volant devient l'emblème à la fin du XIVème siècle.

L'étymologie de Guinefort ( formé à partir du verbe guiner, dont le sens paraît être « frapper »), permet aussi de le rapprocher du dieu gaulois : « Guinefort serait donc l'exacte traduction, en parler roman, du nom gaulois de Sucellus, « celui qui frappe fort », épithète par lequel on désignait « le dieu au maillet », substitut de Cernunnos. » (p. 207).

Anne Lombard-Jourdan se demande si le chien n'a pas pris la place occupée par le cerf dans le mythe, le culte de Sucellus-Cernunnos ayant été fréquemment constaté dans l'est de la France et tout spécialement dans cette vallée du Rhône, la statuaire romaine le représentant d'ailleurs souvent en compagnie d'un chien. « Si l'inquisiteur jugea les rites encore pratiqués dans le secret de la forêt assez répréhensibles pour s'employer à les ruiner, c'est qu'ils avaient un fort relent de paganisme. Il joua le grand jeu : exhumation des « reliques du chien », destruction du bosquet sacré (lucum), prédication en plein air sur le lieu même, exhortations aux paysans rassemblés de cesser leurs pratiques coupables, interdiction faite par les seigneurs du lieu d'y jamais revenir. Et tout cela apparemment sans grand succès. Le lieu de culte garda son mystère et une vieille femme devait servir de guide. Mais les mères continuèrent de s'y rendre. » (p.208). Jean-Claude Schmitt montre bien dans son livre que le culte s'est perpétué jusqu'au début du XXème siècle.

Un paragraphe plus loin, nous ne serons pas surpris de voir l'historienne évoquer le Dagda irlandais, le « dieu bon », appelé également Eochaid Ollathair, c'est-à-dire « Père de tous » ou « Père suprême ». « Comme l'a établi M.-L. Sjoestedt, ce dieu n'est pas bon moralement, mais « bon à tout ». Il est à la fois guerrier, magicien, technicien. Il est omniscient et omnipuissant. Il a le prestige d'un dieu ancien. Il traîne une massue « qui tue d'un côté et ressuscite de l'autre » et possède un chaudron « que nul ne quitte non repu ». On a souligné les analogies existant entre ce dieu et le Cernunnos-Sucellus des Gaules. Leurs attributs sont voisins : massue et chaudron de l'un et maillet et corne d'abondance de l'autre. Le Dagda s'unit à la femme de Nechtan (Neptune ?), Boann, éponyme de la rivière sacrée d'Irlande (la Boyne), à la façon dont Sucellus s'allie à Nantosuelta, « la rivière brillante ». » (p.208).


La transition est dès lors toute trouvée qui va nous permettre de passer des rives de l'Arnon à celles de la Bouzanne. J'ai déjà évoqué cette rivière à plusieurs reprises, mais il importe maintenant de la découvrir dans l'intégralité de son cours avant de la replacer dans le cadre plus général de la géographie sacrée biturige envisagée dans sa globalité et de s'interroger sur les liens unissant les deux systèmes symboliques fluviaux.






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18 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (6)

En lisant Jean-Pierre Le Goff (1)

le goff.jpg J'aime que des inconnus me suggèrent une piste à explorer. C'est ainsi qu'un certain Thierry, dans un récent commentaire, m'aiguillait sur l'oeuvre de Jean-Pierre Le Goff. Une amie, Fernande B. pour en pas la citer, alias Isidore Bonaventure, m'avait parlé de lui lors d'un vernissage à Equinoxe, mais je n'avais pas cherché alors à en savoir plus. Le rappel de Thierry me persuada de le faire, et c'est ainsi que je me mis en quête dans cette même médiathèque d'Equinoxe de quelque volume legoffien. Or, elle n'en regorge pas. "Le cachet de la poste", seul opus disponible, n'était plus en rayonnage et je dus en demander le retrait au magasin.

Bonne surprise : le livre avait été édité dans cette belle collection de L'arbalète chez Gallimard, dont je possède quelques précieux exemplaires (Jacques Darras et Jacques Rebotier). C'est d'ailleurs à croire que la maison est sous la coupe d'une confrérie de Jacques puisque c'est un autre Jacques (Réda) qui préface le livre de Jean-Pierre Le Goff. Je ne tardai pas à me jeter dans sa lecture. J'appris bientôt que la principale activité de l'auteur consistait à enfiler des perles. Mais pas n'importe comment, pas n'importe où et pas n'importe quand. Bref, c'est plein d'humour mais n'était-ce pas un peu gratuit ?

Et puis seconde surprise, de taille : dans la feuille volante (c'est ainsi que JPLG baptise ses petits textes qui furent autant d'envois postaux) intitulée La voie des céphalophores, où il évoque saint Denis et la ligne Amiens-Saint-Denis-Bourges relevée par Henri Dontenville, voici qu'il évoque celui-là même sans qui ce blog n'eût point existé :

"Guy-René Doumayrou me fit remarquer que cette ligne se confondait avec celle que je traçais sur la carte de France, lors d'une recherche précédente, pour figurer le fil d'un gigantesque fil à plomb."

Doumayrou, auteur introuvable, si peu cité par mes contemporains, apparaissant soudain comme un interlocuteur de JPLG : je n'en revenais pas. (A suivre)

 

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11 mars 2010 | Lien permanent | Commentaires (2)

Signum Leonis Signum Arietis

Après ces détours par la Bourgogne et le Poitou, retour sur nos terres de Berry et de Marche, en ce secteur du Lion dominé par la haute présence de Toulx Sainte-Croix. Le « rex animalium », le roi des animaux, y incarne la puissance souveraine et la force noble, la magnificence des étés et le feu rayonnant. « Pleine flamme de vie », déclare l'astrologue André Barbault. Aussi ne faut-il pas s'étonner de rencontrer dans cette zone un Lusignat, à quelques kilomètres au sud de Toulx, et un hameau dit Lusignan, près de Saint-Denis-de-Jouhet, faisant écho tous les deux au Lusignan de Bélier où triomphe le feu initial. Cette résonance entre les deux signes de feu a trouvé sa plus belle expression artistique dans un marbre conservé à Toulouse, au Musée des Augustins :

 

 

Deux femmes tiennent dans leurs bras l'une un lion, l'autre un bélier. Signum Leonis Signum Arietis, lit-on de chaque côté des têtes. Cette oeuvre datée du premier quart du XIIème siècle reste énigmatique pour les historiens : « Cette sculpture, dont les étrangetés n'ont pas fini d'intriguer, a fait l'objet de plusieurs interprétations, mais aucune de ses explications n'est satisfaisante. » (Corpus des inscriptions de la France Médiévale, 7, ville de Toulouse, CNRS, Paris, 1982, p. 61) « Le pied nu et le pied chaussé de chacune des deux femmes, lit-on un peu plus loin, constituent une figuration qu'offrent plusieurs bas-reliefs antiques. Cette représentation connue de la parthénogenèse, traduit également une démarche religieuse. Ainsi dans l'Enéide, Didon s'approche des autels un pied dépouillé de ses bandelettes, la robe dénouée, pour prendre à témoin avant de mourir les dieux et les constellations qui sont au courant de son destin. »

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Suicide de Didon
Bibliothèque Nationale de France
Français 60 fol. 148
Paris, XIVe s.


C'est maintenant vers Saint-Denis-de-Jouhet que nous allons diriger nos regards.

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21 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (7)

Alignements sylvestres

Si l'on parcourt le  méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize,  traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".

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Un seul village indrien, Sougé,  présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune  proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).

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Un axe perpendiculaire à  cet alignement  Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.

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07 juillet 2007 | Lien permanent

Jeanne et Jean

L'union des amants est, dans le principe, la même que celle des deux Creuse : « On a vu, dit Jacques Lacarrière, combien le langage anthropomorphique que nous continuons d'employer à propos de l'eau - « l'eau qui chante », « fondre en larmes » - révèle à notre insu les antiques associations entre l'eau et la vie. Aussi, en voyant deux fleuves « mêler leurs eaux » ou « entremêler leurs bras », les poètes antiques pensèrent-ils naturellement à un entrelacement amoureux. Aimer, pour un fleuve, cela consiste précisément à se jeter dans les « bras » d'un autre fleuve. Les confluents sont des lieux de conjonction amoureuse* et « les eaux mêlées » le symbole de l'union absolue. Le fleuve, en effet, possède le privilège de pouvoir s'unir si complètement à sa partenaire aquatique qu'il est ensuite impossible de distinguer les deux conjoints. » (En suivant les dieux, Philippe Lebaud, 1984, p. 100) A l'intérieur de notre secteur Gémeaux, le dernier écho perceptible de cette symbolique émane du Mas Saint-Jean, sur une hauteur boisée près de Dun-le-Palestel, où une petite chapelle, « dont les origines remontent peut-être au XIe siècle, aurait reçu au XIVe siècle la visite de Jeanne d'Arc, accompagnée par Jean de Brosse. Aucun texte ne confirme, ni n'infirme cette légende. Pourquoi ne pas la croire, apprécier le charme du lieu, et contempler le superbe panorama où le Berry apparaît dans le lointain ? » (Gilles Rossignol, Guide de la Creuse, La Manufacture, 1985, p. 85) Sage décision. En fait, il ne s 'agit pas de prêter foi ou non à la légende, mais bien plutôt de déceler le sens qu'elle renferme, et qui est ici on ne peut plus clair : Jeanne et Jean rééditent en filigrane nos couples mythiques. De plus, la situation élevée du lieu a permis l'érection d'un alignement significatif.

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Vers le sud-est, il se dirige sur Puyjean et le Puy de Gaudy, près de Guéret, qui culmine à 651 mètres, ancien oppidum gaulois aux murailles vitrifiées. Des restes de chapelle et une nécropole témoignent de sa fonction religieuse au Moyen Age. Son nom même (du latin gaudium, joie) l'assimile à une montjoie, c'est-à-dire un lieu souvent marqué d'un cairn, d'où les pèlerins ont le grand bonheur d' apercevoir le sanctuaire qui a motivé leur long voyage. Vers le nord-ouest, l'axe passe à Dunet, Dun-le-Palestel (dunum, hauteur fortifiée), pour aboutir aux hameaux de Vaussujean et Lagouttejean. Difficile d'invoquer le hasard, d'autant plus que la carte IGN utilisée pour cette recherche (Dun-le-Palestel, 1/50000) ne mentionne aucun autre lieu « Jean » sur le territoire qu'elle recouvre. La Saint-Jean d'été marque l'apogée de la lumière. Le soleil va maintenant se coucher chaque jour un peu plus vers le sud-ouest. La nuit relève la tête : elle ne domine pas encore en durée, mais elle croît chaque jour, insensiblement tout d'abord. Nous sommes parvenus sous le signe de Cancer. *C'est moi qui souligne.

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05 juillet 2005 | Lien permanent

Les textes mythologiques irlandais

De leur mythologie, les Gaulois ne nous ont rien laissé, ou presque. La transmission des connaissances était exclusivement orale. On connaissait l'écriture, mais son usage était prohibé, par exemple, pour tout ce qui concernait l'histoire et la généalogie, matières particulièrement prisées par les Celtes. Elle n'avait droit de cité que dans cette activité que l'on considérait comme toute profane : le commerce. Donc pas d'écriture, pas de texte, et surtout pas de texte mythologique. Comment échapper à ce constat d'impuissance ? Est-ce même possible ?

Pour sortir de l'impasse, je propose de faire confluer deux axes d'observation parfaitement établis, indépendamment l'un de l'autre.

1°- L'espace celte est un espace sacré non limité au seul sanctuaire. Celui-ci représente un pôle de condensation, mais le dehors n'est pas abandonné au seul profane : le sacré est partout présent dans le paysage avec toutefois des prédilections pour tout ce qui concerne le bois et les eaux :

medium_sedelle1bis.jpg« Chaque rivière, chaque étang était divinisé et l'ensemble du pays était le théâtre d'une mythologie propre à la tribu. (...) l'espace s'organise selon une géographie où chaque phénomène naturel est consacré, qu'il soit la résidence d'un esprit, le lieu d'un rite ou le théâtre d'une scène mythologique. » (Jean-Louis Brunaux, op. cit. p. 8 et 12).

On peut donc affirmer qu'une véritable géographie sacrée a été élaborée par les Celtes, et ce qu'il est important de souligner, c'est que si cette géographie sacrée a été étendue à l'ensemble du territoire de la tribu (pagus) ou du peuple (civitas), alors les lieux porteurs de sacré ont dû être nombreux et bien disséminés.

2°- Il existe au moins un pays qui a su conserver l'essentiel de sa mythologie celtique : c'est l'Irlande. Ce sauvetage est la conséquence à première vue paradoxale de la christianisation. Alors que, sur le continent, la lutte fut longue et tenace contre les survivances du paganisme, les moines irlandais ont préservé l'héritage des ancêtres, qui eux aussi n'ont jamais écrit, en insérant les épisodes mythiques proprement insulaires dans l'histoire biblique qu'ils avaient en charge de transcrire. Ce qui vaut aux celtisants un problème de discrimination des deux traditions imbriquées, problème secondaire pour le philologue, ainsi que le confesse Christian J. Guyonvarc'h :

« Il nous en coûte le menu travail de démêler quelques généalogies hébraïques ou pharaoniques, de laisser sur la berme une étymologie analogique du nom des Fir Bolg, ou autres broutilles de ce genre. Est-ce payer cher la fixation écrite des scéla, ainsi sauvés du néant et de l'oubli dans notre civilisation matérialiste et despiritualisée ? Nous aurions de la peine à le croire. » (Textes Mythologiques Irlandais, I, Celticum, 11/1, 1980).

Les scéla sont les textes irlandais, non conçus à l'origine pour l'écriture et seulement fixations d'un récit oral qui leur préexiste. La question que je pose maintenant est celle-ci : ne peut-on faire appel à ces scèla pour retrouver quelques témoignages supplémentaires de la mythologie gauloise, et en particulier biturige, mythologie liée à sa géographie sacrée ? On a déjà vu la parenté fondamentale de conception dans le rôle cosmique de la royauté. On a déjà observé que le monde celtique n'avait d'autre unité qu'une unité spirituelle assumée par le druidisme. Allons plus loin et montrons que certains toponymes, jusqu'ici laissés dans l'ombre, recèlent un sens quand ils sont mis à la lumière des textes mythologiques irlandais.

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27 novembre 2005 | Lien permanent

De la Brenne comme abîme

C'est aujourd'hui que, bloqué à la maison à cause de la grippe, je reçois enfin Evocations de l'esprit des lieux, l'ouvrage de Guy-René Doumayrou que j'ai commandé sur le net voici quinze jours. Je l'ai déjà dit, jusque là je n'avais connaissance de ce livre que par le site néerlandais Kunstgeografie. Et c'est donc avec beaucoup d'émotion que j'ai déchiré l'enveloppe cartonnée qui l'entourait. Après un rapide survol de l'ensemble, je me suis bien sûr immédiatement reporté aux pages sur la Brenne, que je citais naguère : "Plus fort encore, la Brenne est au centre d'un triangle des Gaules dont les sommets sont Sein, Planès et Syren en Luxembourg. Très exactement, c'est un étang, dit du Bois-Secret, qui constitue le centre très précis de cette vaste géométrie."
Voici la dite figure, empruntée à Kunstgeografie (qui reproduit celle du livre) :

triangle-gaules.jpg


Et le commentaire de Doumayrou sur la Brenne :


"Les trois hauteurs d'un triangle équilatéral se croisent en un point qui en est le centre de gravité. C'est le lieu privilégié de l'action concertée  des trois forces agissantes, le réel ombilic de la Gaule géosymbolique, l'abîme (page 188) où le corps primitif s'écroule dans la confusion des éléments nourriciers de l'étoile. C'est l'équivalent exact du "puisard central" des habitations anciennes (page 73), autour duquel tournait, comme un petit monde, toute l'activité domestique, correspondant, sur un autre registre rituel, à la crypte ou à l'autel des sanctuaires. C'est un vide hanté par l'esprit impérissable du mort tutélaire, allégorique de ce "rien dans quoi gît tout", fusée fine du moyeu de la roue et ordonnateur des révolutions. C'est l'espace informel de tous les possibles, que n'admet aucune particularisation et les présage toutes, l'invivable foyer de la vie." (page 216)

L'abîme, nous apprend la page 188 à laquelle nous renvoie Doumayrou (mais nous ne l'ignorions pas), désigne en héraldique le centre de l'écu, aussi appelé coeur. "Cet abîme, à Toulouse, était matérialisée par la plaine marécageuse où se perdit le trésor de Delphes, au nord de la cité." Trésor dérobé selon les récits sans doute mythiques par les gaulois Volques sous la conduite de Brennus. Bizarrement, Doumayrou ne fait pas de rapprochement avec le nom même de la Brenne, qui pourtant proviendrait du gaulois "brenno", marécageux, boueux (Dottin, 1920, cité par Stéphane Gendron).

sunset-brenne.jpg


Mais reprenons le fil du commentaire de Doumayrou : "On peut le reconnaître encore de nos jours : il se présente comme un territoire déshérité, situé entre Berry et Poitou, la Brenne. Plat pays de bosquets et d'étangs où, en dépit des tentatives de mise en valeur analogues à celles  qui trouvèrent quelque succès en Sologne, l'on a dû renoncer à toute forme d'exploitation agricole, hormis un peu d'élevage. [Ici Doumayrou force un peu le trait, voir le site du parc de la Brenne, mais il est vrai que les sols pauvres de la Brenne ne permettent guère qu'une agriculture extensive ; longtemps  insalubre et ravagée par la fièvre jaune, la région était très isolée et ne disposait même pas de routes la traversant dans toute sa longueur] Les oiseaux et les poissons continuent d'y déployer une exubérance qui peut faire croire à l'inépuisable générosité de la Mère Nature, encore que, comme partout désormais, la clotûre de fil de fer y insinue méticuleusement ses réseaux excessifs. Le centre du triangle se repère sans difficulté sur la carte. Il erre sur le terrain  à la surface d'un plan d'eau appelé, comme pour dissiper tout scepticisme, l'Etang du Bois-Secret : c'est probablement "l'abîme de la végétativité informelle". Un autre, plus au sud, se nomme l'étang de la Mer Rouge, afin que nul ne puisse mettre en doute l'allusion à l'Art d'Hermès."

A l'appui de cette assertion, il cite l'alchimiste allemand Michel Maïer (1568-1622) dans son ouvrage Atalanta Fugiens, Emblème XXXI : "C'est la Mer Rouge qui est sujette au Tropique du Cancer, dans laquelle il n'est pas sûr aux navires chargés ou entourés de fer de naviguer à cause que dans son fond il y a une grande quantité de pierre d'aimant."

La traduction me semble confuse, par rapport à celle donnée par le site Hdelboy.club : "Veut-on savoir ce qu’est cette mer ? Je réponds qu’il s’agit de la mer Erythrée ou mer Rouge, située sous le Tropique du Cancer. Le fond de cette mer contient en abondance des pierres magnétiques ; aussi la traversée en est-elle dangereuse pour les navires dont la charpente est consolidée à l’aide de fer, ou qui sont chargés de ce métal, car ils pourraient facilement être entraînés au fond par le pouvoir de l’aimant."

Bon, il reste que selon les traditions locales rapportées par Chantal de la Véronne (La Brenne, histoire et traditions, Tours, 1971, 2ème édition), le nom de Mer Rouge aurait été donné à l'étang du Bouchet (plus vaste étang brennou) par le seigneur du lieu, Aimery Sénebaud, en souvenir des Croisades, où il aurait partagé la captivité de Saint Louis. Doit-on trancher en faveur d'une des deux hypothèses ? Je ne le pense pas, elles recouvrent certainement un semblable humus symbolique. On a déjà vu  le pélerinage se présenter  comme l'image de la pratique alchimique, du cheminement vers l'Oeuvre. Et ne trouve-t-on pas ici, dans les deux histoires, référence commune à un roi ? L'emblème de Maïer qui correspond au texte cité est en effet celui-ci :

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précédé du texte suivant :

Rex natans in mari, clamans altâ voce ; Qui me eripiet, ingens praemium habebit.

(Le Roi nageant dans la mer crie d’une voix forte : Qui me sauvera obtiendra une récompense merveilleuse)




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01 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (2)

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