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Au retour de l'Arcture

« Courage donc! si le sol est de terre glaise, que dès les premiers mois de l'année de forts taureaux le retournent et que l'été poudreux cuise les mottes exposées aux rayons du soleil; mais si le sol est peu fécond, il suffira d'y tracer, juste au retour de l'Arcture, un mince sillon (...)»

(Virgile, Géorgiques, livre 1)

Au point de vue mythologique, le signe de la Vierge est donc lié aux aventures de la déesse Déméter (la Cérès latine). Fille de Cronos et de Rhéa, elle est avant tout la déesse du Blé et de la Moisson. Sa fille Perséphone (Proserpine) fut enlevée par Hadès (Pluton) alors qu'elle cueillait des fleurs dans la plaine d'Eleusis. Déméter, qui avait entendu le cri de détresse poussé par sa fille, erra sur la terre pendant neuf jours et neuf nuits à la recherche de l'auteur du rapt. Au dixième jour, Hélios, pris de pitié, lui révéla le nom du ravisseur. Alors, dans sa colère, la déesse refusa de regagner l'Olympe tant que sa fille ne lui serait pas rendue. Finalement, grâce à l'intervention de Zeus, un compromis intervint : Perséphone vivrait avec sa mère six mois de l'année et les six autres mois elle les passerait en compagnie de son infernal époux. « A la première période de la vie annuelle de Perséphone, explique Joël Schmidt, correspond le printemps, les jeunes pousses qui, comme la déesse, sortent de la terre sous la protection de Déméter ; à la seconde période, l'époque des semailles de l'automne,des grains de blé enfouis dans la terre, comme Perséphone retournant au séjour des morts. » (Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, p. 94, Larousse, 1965)

On trouve encore à Eleusis les ruines du sanctuaire de Déméter et Perséphone ; c'est là qu'étaient célébrés les fameux mystères d'Eleusis. Une des cérémonies exalte le symbolisme du blé : « Au cours d'un drame mystique, commémorant l'union de Déméter avec Zeus, un grain de blé était présenté comme une hostie dans l'ostensoir, et contemplé en silence. C'était la scène de l'époptie, ou de la contemplation. A travers ce grain de blé, les époptes honoraient Déméter, la déesse de la fécondité et l'initiatrice aux mystères de la vie. » (Dict. des Symboles, art. Blé, p. 128)

La géographie sacrée du monde grec ne fait que confirmer ces visées symboliques : Eleusis se situe sur la direction 0° Vierge de la roue zodiacale centrée sur Delphes. Cet axe est fondamental : outre Eleusis, il relie Délos, Prasiai (d'où partaient une fois par an les théories sacrées à destination de Délos), Agra (où se situaient les petits mystères de Déo), l'Acropole et Delphes. Et il constitue, selon Jean Richer , la direction « polaire » d'un système propre à l'Attique : « Ainsi les lieux où se déroulaient les grands et les petits mystères, précise-t-il, étaient sur l'axe solsticial de l'Attique tandis que leurs dates étaient celles des équinoxes. Si bien que les quatre moments essentiels de l'année solaire se trouvaient désignés par un axe unique. » (Géographie sacrée du Monde Grec, p.88). En effet, les mystères d'Eleusis étaient célébrés lors de l'équinoxe d'automne. Date, on l'a dit, analogue pour le pélerinage de Vaudouan, où l'on a eu soin de recouvrir l'ancienne détermination astrale par une détermination liturgique.

Nous allons voir à la proche ville de La Châtre, où la statue de la légende avait fait un bref séjour, un autre témoignage remarquable du culte de la fécondité.




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14 octobre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

La Dame de la Font-Chancela

L'investigation sur les fontaines initiée en Vierge nous a conduits, on l'a vu, à dépasser le cadre strict de la zone lui étant dévolue, sans pour autant renoncer à cette rigueur profonde présidant à l'élaboration de la géographie sacrée. Simplement les secteurs zodiacaux ne sont pas étanches, sévèrement cloisonnés, séparés les uns des autres comme si chacun était une entité distincte et indépendante : chaque signe, nous avertit Alexandre Ruperti, résonne d'une manière ou d'une autre à tous les autres signes (La Géométrie du Ciel, I, avec Marief Cavaignac, Rocher, 1987, p. 53). Aussi certaines configurations comme celle que nous venons d'étudier se développent-elles sur le zodiaque tout entier, car les thèmes qui les sous-tendent dépassent le seul moment représenté par un signe particulier.

Mais s'il s'agit de désigner simplement un moment particulier, une période bien déterminée, les indices internes au signe sont suffisants. Ainsi en Balance, non loin de Lourouer Saint-Laurent, à Thevet Saint-Julien, se déroule tous les ans un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre, c'est-à-dire le dimanche suivant l'équinoxe d'automne. Même date à la Celle-Bruère, près de Meillant, dans le Cher, qui conserve le tombeau du saint (sur la vie légendée de celui-ci, lié à l'origine à la cité de Levroux dans le Capricorne, nous reviendrons plus longuement lors de l'étude de ce signe).

 

D'autres villages des environs de La Châtre sont également riches de références à l'équinoxe : à Lacs, encore en Vierge mais très proche de l'axe équinoxial, on rapporte qu'autrefois les jeunes filles, aux approches de l'équinoxe, cueillaient dans les prés des primevères pour en faire des bouquets qu'elles jetaient en l'air en direction du soleil, pour s'attirer ses bienfaits. Il s'agit évidemment là de l'équinoxe de printemps. Plus significative encore est la légende de la Font-Chancela, recueillie par Laisnel de La Salle :

 

« Dans la paroisse de Lacs, quelques vieilles filandières parlent encore de la Dame de la Font-Chancela, qui avait coutume de prendre ses ébats par les beaux clairs de lune, dans un pré qui avoisine la fontaine de ce nom et qui, pour cette raison, est appelé le pré à la dame. Elle était douée d'une incomparable beauté. Un seigneur des environs qui était tombé amoureux, parvint plusieurs fois à l'enlever mais à peine l'avait-il placée sur son cheval pour l'emporter à son manoir, qu'elle lui fondait entre les bras et lui laissait, par tout le corps, une impression de froid si profonde et si persistante que toute flamme amoureuse s'éteignait à l'instant dans son coeur et qu'il en avait pour une année avant de songer à un nouvel enlèvement. » (Traditions Populaires Comparées, in Revue du Berry, 1864, p, 307-308).


« Il s'git vraisemblablement d'un mythe en rapport avec le cycle des saisons (...) », explique B, Rochet-Lucas, qui relate aussi la légende. Cet enlèvement évoque bien sûr celui de Perséphone par Hadès, mais son échec renouvelé chaque année illustre le moment décisif et fugace de l'équinoxe, où les nuits sont égales aux jours en durée. Equilibre précaire puisque les nuits ne tardent pas à l'emporter, laissant le froid automnal s'installer en maître. La Dame ne serait autre que la Vénus Aphrodite de Balance, déesse de la beauté idéale, tandis que ces vieilles filandières dont Laisnel de la Salle a recueilli la mémoire ne sont pas sans nous rappeler les Fileuses de Crozant, en Taureau, signe également sous la maîtrise de Vénus.

Ce combat du jour et la nuit, de ce qui croît et de ce qui diminue, « était symbolisé, nous dit Jean Richer, par la lutte dramatique de l'Aigle qui monte vers le soleil et du Serpent qui rampe dans l'ombre. En fait la meilleure représentation de cette période de l'année montre le Serpent redressant la tête, car c'est lui qui triomphe alors. » (Géographie Sacrée du Monde Grec, op. cit. p. 155). Au nord de La Châtre, se hissant au-dessus de l'axe équinoxial, voici donc Montgivray, à l'origine Maugivray, la mauvaise guivre, autrement dit la vipère. Quant à l'Aigle, peut-on en voir un rappel dans les trois alérions d'azur du blason d'Issoudun (armes reprises à la famille de La Trémoille), cette ville se situant en Sagittaire, au plein nord de Montgivray ?

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31 octobre 2005 | Lien permanent

Le rouet d'Omphale

 Il est dans l'atrium, le beau rouet d'ivoire.
La roue agile est blanche, et la quenouille est noire ;
La quenouille est d'ébène incrusté de lapis.
Il est dans l'atrium sur un riche tapis. (...)

 Victor Hugo (Le rouet d'Omphale, in Les Contemplations)

 

On se souvient peut-être que le lieu-dit le plus proche du centre géométrique de la roue de Phalier était le hameau du Rouet. Au-delà de l'évident  symbolisme circulaire, je me suis interrogé sur une éventuelle particularité de l'objet "rouet", susceptible d'apporter une plus-value de sens à la simple roue définie par la géométrie. Une banale recherche sur le Net me fit rapidement rencontrer Omphale au rouet, le poème symphonique de Camille Saint-Saëns,  et surtout le poème éponyme de Victor Hugo. Ce grand connaisseur de la mythologie grecque, y brode sur la légende d' Hercule contraint, après  avoir violé les lois de l'hospitalité,  à être vendu par Hermès comme esclave. Il est acheté par Omphale, la reine de Lydie et accomplit à son service quelques travaux secondaires (entre autres, capture des Cercopes d'Ephèse qui l'empêchaient de dormir en se transformant en mouches à viande - un épisode cocasse que je vous recommande ; mise à mort d'un serpent gigantesque qui terrorisait la région), mais ce séjour est surtout célèbre par l'inversion des rôles qu'aurait exigé Omphale :  "Tandis qu'Omphale, écrit le poète Lucien, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Hercule, habillé en femme, vêtu d'une robe de pourpre, travaillait à des ouvrages de laine, et souffrait qu'Omphale lui donnât quelquefois de petits soufflets avec sa pantoufle. » Cette représentation a fait florès chez de nombreux peintres, ainsi chez Rubens notre héros, quenouille en main, se fait tirer l'oreille par une Omphale mutine et, comme lui, court vêtue :

 

Avant Rubens, le flamand Bartholomeus Spranger (1546-1611) avait déjà porté très loin cette inversion des valeurs :

"Hercule et Omphale (peinture sur cuivre, v. 1585) est représentatif de l'œuvre pragoise de Spranger : il y traite un sujet mythologique avec un humour malicieux (présent dans le regard narquois et complice d'Omphale, l'attitude gauche du héros désarmé et travesti, et dans le geste railleur de l'indiscrète servante) et y élabore -selon les termes de l'historien d'Art A. Pinelli- un "double oxymoron croisé", c'est-à-dire un échange paradoxal de propriétés entre contraires, résultant non seulement du contraste évident entre le corps sombre et musclé d'Hercule d'une part et la silhouette gracieuse et diaphane de la princesse de Lydie d'autre part, mais aussi de l'inversion des attributs et des rôles effectuée aux dépens du demi-dieu."

Dans une autre version de la légende, ce serait le dieu Pan, rudoyé par Hercule, qui aurait propagé pour s'en venger la version du dieu efféminé - Pan, dieu phallique, tardivement identifié à Priape.


On retrouve le travestissement féminin dans le cortège des Dyonisiaques, où, après  les Bacchantes et les Phallophores, venaient, selon Jacques-Antoine Dulaure les Ithyphalles : "Ils étaient, suivant Hesichius, vêtus d’une robe de femme. Athénée les présente la tête couronnée, les mains couvertes de gants sur lesquels des fleurs étaient peintes, portant une tunique blanche et l’amict tarentin, à demi vêtus, et, par leurs gestes et leur contenance, contrefaisant les ivrognes. C’étaient surtout les ithyphalles qui chantaient les chants phalliques et qui poussaient ces exclamations, eithé me ityphallé !"

 Il faut maintenant savoir que  la capitale de la Lydie d'Omphale n'est autre que Sardes, et que cette ville, située à la latitude de Delphes,  est considérée par Jean Richer comme le centre zodiacal de l'Anatolie. Il cite à ce sujet Marie Delcourt, auteur d'un ouvrage sur l'oracle de Delphes : "La parenté du nom nous engage, après avoir parlé de l' omphalos, à dire un mot de cette Omphalequi obligea Héraclès à se vêtir en femme et à filer à ses pieds. Omphale porte le nom du cordon natal, qui est pour chaque homme, sa destinée même. Le rite des vêtements échangés figure dans les initiations et la bi-sexualité est souvent associé à un processus d'immortalisation. Entre la vieille pierre delphique et la reine de Lydie, il y a sûrement plus qu'une simple assonance."

Or, Richer relève que Lampsaque, dont Priape, on l'a vu, est le dieu tutélaire, est situé sur la ligne 0° Verseau de ce système zodiacal : "De très nombreuses monnaies de cette ville datant d'environ 500 ans av. J.-C. portent un protomé de cheval ailé, c'est-à-dire Pégase, dont nous avons montré que c'est un symbole du Verseau" (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p. 62).

Tout cela est bien beau mais, me dira-t-on fort justement, le père Hugo ne commettait-il pas un sérieux anachronisme en introduisant un rouet à la cour d'Omphale ? Assurément, puisque la première représentation d'un rouet est chinoise et ne date que de 1270... Cela ne signifie pas que le rouet ne soit pas une invention plus ancienne, mais enfin, s'il avait été en usage chez les Grecs, nous en aurions bien évidemment des preuves iconographiques et littéraires. Il reste que le fuseau, dont le rouet est un perfectionnement, possède des valences semblables, ainsi peut-on lire dans le Dictionnaire des Symboles (p. 471) que le fuseau "tourne d'un mouvement uniforme et entraîne la rotation de l'ensemble cosmique. Il indique une sorte d'automatisme dans le système planétaire : la loi de l'éternel retour." Le fuseau apparaît aux  mains des Moires, préfigurant les Parques romaines,  qui accompagnent les mortels et les dieux au moment de leur naissance et de leur mort. Ce motif fréquent dans l'iconographie funéraire antique se retrouve également dans certaines représentations paléochrétiennes,  mais aussi chez Léonard de Vinci avec La Madone aux fuseaux (1501).


Le fuseau préfigure la croix et symbolise évidemment le destin sacrificiel de Jésus. De sa main gauche, Marie entoure l'enfant avec tendresse, mais sa main droite reste suspendue : elle ne peut s'opposer à la destinée (à noter que cette toile, volée dans un château écossais en 2003, a récemment été retrouvée à Glasgow )

Adrien de Barral, dans la Revue du Centre, en 1886, montre que la tradition perdure en Berry d'associer la quenouille au mariage et au baptême, sous les auspices de la Vierge Marie : « Dans une partie du Berry — entre autres, aux environs de Bourges, —vous pouvez voir, dans la chapelle de la sainte Vierge, huit ou dix quenouilles, exposées et rangées sur une espèce de portemanteau en bois. Ces quenouilles ont leur manche brodé (sic) au couteau, historié et enjolivé de dessins variés, de zigzags, de branches de feuillages et de fleurs en saillie. En haut, l'étoupe est emmaillotée de rubans de différentes couleurs, dont les bouts pendent tout autour ... Voici quel en est l'usage : après chaque baptême, on remet une de ces quenouilles à la marraine ; elle l'emporte chez elle, file le chanvre, puis elle refait la quenouille, en y mettant d'autre étoupe et en l'habillant de nouveau. Ordinairement, on renouvelle aussi le manche ; c'est le parrain qui façonne le nouveau bâton, en mettant tous ses soins et tout son goût d'artiste à cette délicate besogne. La marraine alors rapporte aux marguilliers la nouvelle quenouille et leur remet aussi son peloton de fil : ce fil est destiné à être transformé par le tisserand en linge pour l'église.
 Les mariées ont aussi leur quenouille. Le dimanche qui suit le mariage, le sacristain, où un fabricien, vient, pendant la grand'messe, remettre à la nouvelle épousée sa quenouille. Elle fait la même chose que la marraine, et le marié confectionne également un nouveau manche festonné. »

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02 décembre 2007 | Lien permanent

Denis Gaulois (12) : De l'influence des druides

Tentons de résumer : l'analyse de la tradition (reprise dans la légende de Denis Gaulois) faisant remonter l'établissement des chrétiens à Bourges à un certain Léocade a fait émerger une constellation symbolique exaltant la blancheur et la lumière, en relation avec Leucade, haut-lieu de la géographie sacrée du monde grec (Jean Richer, 1967). Ce fait qui ne m'est apparu que lors de ma dernière  recherche  me porte à une nouvelle hypothèse au sujet de la généalogie des systèmes symboliques : en effet, jusque-là, j'avais tendance à penser qu'une première géographie sacrée celtique, non géométrisée, principalement organisée autour des rivières (Bouzanne, Arnon) avait précédé la géographie sacrée zodiacale, avec ses douze signes et son omphalos basé à Neuvy Saint-Sépulchre.


 

medium_brunaux.jpgOr, il ne me semble plus impossible que déjà, à l'époque gauloise, une géographie sacrée zodiacale similaire à celle qui existait en Grèce ait pu être élaborée. La lecture, elle aussi toute récente du livre de Jean-Louis Brunaux, Les Druides, sous-titré Des philosophes chez les barbares (Seuil, 2006), me conforte dans cette vue. L'auteur, archéologue et chercheur au CNRS, y procède à une relecture critique des rares documents écrits que nous possédons sur les Druides. Et c'est peu dire que, bousculant les conceptions pseudo-ésotériques qui foisonnent encore de nos jours, il renouvelle très largement la vision que nous avions de ces énigmatiques personnages. Mettant en évidence les liens étroits qu'ils auraient eu avec les Pythagoriciens grecs, il montre que, plus que des prêtres et des devins, les druides auraient été avant tout des philosophes et des savants :

« C'est, à coup sûr, dans le domaine de la science proprement dit qu'ils se sont imposé comme des êtres supérieurs et surtout comme les rouages indispensables au bon fonctionnement des communautés auxquelles ils appartenaient. Leur domaine de prédilection, en tout cas celui qui remonte le plus loin dans le temps, est l'astronomie avec toutes ses applications à la vie quotidienne. Elle est la seule science dont les auteurs anciens nous apprennent tout à fait explicitement qu'elle était non seulement régulièrement pratiquée par eux, mais qu'elle était l'une de leurs préoccupations primordiales : « Les druides dissertent abondamment sur les astres et leur mouvement, sur la grandeur de l'univers et sur celle de la terre [...] et ils transmettent ces connaissances à la jeunesse. » Comme l'exprime avec précision, quoique sous une forme ramassée, cette phrase de César, l'observation du ciel et des astres entrait dans une série de spéculations plus vastes qui comprenaient aussi des interrogations sur la nature et la forme de la terre et plus largement encore de tout l'univers. En cela, ils ne différaient guère des premiers penseurs grecs, les Présocratiques puis les Pythagoriciens, pour lesquels l'astronomie était à la fois un domaine de recherche propre et un instrument pour comprendre des phénomènes plus généraux (la nature et l'origine de la matière) ou particuliers (la nature et la forme de l'astre sur lequel nous vivons, la géographie de la Terre).(p. 260) » (C'est moi qui souligne)


A l'époque de la conquête romaine, Jean-Louis Brunaux montre que les druides avaient déjà perdu une grande partie de leur pouvoir sur la société celtique (le seul druide mentionné nommément dans la Guerre des Gaules, l'éduen Diviciac, ne correspond lui-même plus vraiment à la définition canonique du druide), mais il fait remonter très haut dans le temps leur emprise : ainsi considère-t-il que les druides, « depuis le Ve siècle av. J.-C., et peut-être sous l'influence des courants d'idées pythagoriciens, étaient devenus des maîtres de la géométrie. (p. 263) »

Géométrie et astronomie trouvaient leurs applications les plus cruciales en matière de culte :

« Depuis les temps les plus anciens, les hommes étaient persuadés que, pour rendre efficaces les cérémonies religieuses, il fallait les mettre en accord avec l'univers et ses éléments les plus proches des hommes, le ciel et les astres. Sacrifices, offrandes, banquets se déroulaient à des dates déterminées par la révolution du soleil, celle de la lune et la position de quelques étoiles. L'établissement de quelques lieux de culte fixes, destinés à durer toujours, nécessité un plus grand respect encore de l'harmonie entre les créations des hommes sur la terre et l'univers immédiat. On orienta les enceintes vers le soleil levant en se basant sur des événements remarquables comme le solstice. Parfois on procéda même à des doubles orientations, de l'enceinte tout d'abord dont chaque côté fait face à un point cardinal, ensuite de l'autel et du porche d'entrée dont l'alignement est aussi celui du solstice d'été. Cette mise en place des éléments architecturaux en fonction de réalités célestes nécessitait force calculs et de réelles capacités en géométrie.(p. 261) » (C'est moi qui souligne)


Bourges et Déols n'ont-ils pas été de ces lieux sacrés, accordés aux conjonctures célestes, dont toute trace des sanctuaires celtiques a sans doute disparu, mais dont le souvenir a été préservé dans les légendes, orales tout d'abord, puis partiellement transcrites, par exemple dans les écrits de Grégoire de Tours, jusqu'à cet ultime témoignage voilé par la fantaisie qu'est la fable de Denis Gaulois ?



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30 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (11)

Denis Gaulois (11) : Léocade et la lumière

GUIDO : Je pensais que vous voulussiez donner jusques à Saint-Denis et parler de frère Jérôme, qui cherchait la pierre à casser les oeufs.

ALAIN : Qu'est-ce à dire ?

VIVÈS : Vous le saurez tantôt. Ce moine, pour le dire plus gaiement, cherchait la pierre philosophale et était parisien – et de fait, j'ai été en beaucoup de lieux et plages du monde habitable philosophique, et je ne vis jamais en aucun endroit tant de Parisiens qu'à Paris. (...)

Béroalde de Verville (Le Moyen de parvenir, Folio Gallimard, p. 91)


« Ursin, écrit Mgr Villepelet, fut ordonné évêque par les disciples des Apôtres, qui l'envoyèrent dans les Gaules ; il atteignit bientôt la ville des Bituriges, où il prêcha aux habitants Jésus-Christ Notre-Seigneur, salut du monde. » Grégoire de Tours n'en dit pas plus sur le rôle d'Ursin dans le devenir de la communauté qu'il fonde. En effet, s'il déclare que les nouveaux convertis cherchent une maison pour établir leur église, il ne précise pas qu' Ursin mène cette quête. Quête qui, devant l'obstruction des sénateurs et autres grands personnages de la ville restant « très attachés au culte des faux dieux », conduit ces pauvres gens jusqu'à Lyon où réside Léocade, le premier sénateur des Gaules. Contre toute attente – l'homme étant encore païen – il donne sa maison de Bourges, refusant même les trois cents pièces d'or et le plat d'argent que les chrétiens lui proposent en échange, plus précisément, n'en prenant que trois, « par déférence ». Peu après, il abjure l'idolâtrie « où il était encore plongé » et se fait baptiser avec son fils Ludre. Son palais devient église, qu'on enrichit des reliques de saint Etienne. Grégoire de Tours ne reparle d'Ursin que pour signaler qu'à sa mort « son corps fut enseveli près de la ville, dans un champ où, quelques siècles plus tard, il fut retrouvé dans un état de parfaite conservation. »

Mgr Villepelet considère que bien que Grégoire de Tours ait écrit environ trois siècles après les faits, on peut néanmoins accepter son témoignage comme digne de foi ( au contraire des Acta Sancta Ursini, selon lesquels saint Ursin aurait été un des soixante-douze disciples de Jésus, peut-être même Nathanaël, et aurait même assisté à la Cène). Je suis bien sûr plus sceptique. Avec trois cents pièces d'or, les chrétiens ne pouvaient-ils acheter ou faire bâtir une église ? Comment pouvaient-ils espérer être même reçus par un haut dignitaire encore fidèle à la religion romaine ? Improbable voyage, improbable conversion que nul événement ne provoque. Ne faut-il pas plutôt lire ce passage de Grégoire de Tours comme un mythe justifiable d'une interprétation symbolique ?

Je m'interroge tout d'abord sur ce nom : Léocade. Quelle en est l'étymologie ? Et bien Léocade, si l'on en croit ce site, renvoie à Leukada, autrement dit Leucade, nom d'une île de l'archipel des Ioniennes, sur la côte occidentale de la Grèce. Or, j'ai déjà traité de Leucade en une précédente note sur Henri de Monfreid. Qu'on me permette de me citer un peu longuement :

« "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer." (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37). Jean Richer cite le géographe grec Strabon qui signale que, de son temps, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade. "Des plumes étaient collées sur son corps et on l'attachait même à des volatiles vivantes pour ralentir sa chute. Il était gracié s'il sortait vivant de l'eau."

De même, dans la roue zodiacale centrée sur Sardes, en Anatolie, la localité située à la latitude de Sardes se nomme Leuca. Un autre cap du même nom, à la pointe sud-est de la Calabre, au Promontoire Iapygium Sallentinum, "semble avoir été considéré, au moins à un certain moment, comme une sorte de relais jouant le même rôle symbolique que Leucade et avoir donc été mis en relation avec le point vernal."(Géographie Sacrée dans le Monde Romain, Guy Trédaniel, 1985, p.66). Le nom même de Leucade est apparenté à celui de la blancheur (leukè) et de la Lumière (lycos). » 


Que Léocade soit issu de Lyon n'est sans doute pas non plus sans signification : l'antique Lugdunum tiendrait son nom « de Lug, dieu suprême de la mythologie celtique, auquel un autel aurait été consacré sur l'actuelle colline de Fourvière, et du mot dun (" forteresse ", " colline "). On avance aussi le terme lukos qui signifie " le corbeau ", animal annonciateur de la présence de Lug, dans la mythologie. Une autre théorie sur le nom de la ville avance que le mot lug pourrait avoir le même sens que le mot latin lux (lumière). Le nom de la ville signifierait ainsi "Colline éclairée". Les deux interprétations ne sont d'ailleurs pas très éloignées, Lug étant une divinité solaire et de la lumière... » (Article Wikipedia corroboré, par exemple, par cette page du blog Accord-Philo

 

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Que le fils de Léocade se nomme Ludre est un autre indice remarquable : Ludre est en effet la traduction populaire du latin Lusor, où la racine lux se laisse lire avec évidence. En occitan existe encore le mot lusor qui signifie lueur : L'alba es la primièra lusor del jorn que pareis a l'asuèlh, just al moment quand lo solelh es en vam de se levar (L'aube est la première lueur du jour qui paraît à l'horizon, juste au moment où le soleil est sur le point de se lever). 

C'est dans le juste prolongement de ce symbolisme de la lumière naissante que la tradition rapporte que saint Ludre mourut encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Il n'est jusqu'à son sépulcre à Déols à n'être pas sans raison en marbre de Paros : cette pierre, dont on usa pour la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace, étant d'une blancheur éclatante.


Énée se tenait droit, resplendissant dans la claire lumière ;

il avait le visage et les épaules d'un dieu ; car sa mère en personne  

avait insufflé à son fils une chevelure magnifique, l'éclat vermeil

de la jeunesse et elle avait empli ses yeux d'une grâce charmante :

comme lorsque des mains artistes rehaussent la beauté de l'ivoire,

ou lorsque l'argent ou le marbre de Paros se parent d'or.

Enéide (1, 588-593) 


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25 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le buis et le net

Il faudra un jour réfléchir un peu plus profondément sur l'étrange relation qui lie la géographie sacrée - ce réseau d'autrefois que je me plais parfois à nommer pour moi-même l'Archéo-réseau - et l'internet, ce réseau de réseaux qui a bouleversé et continue de bouleverser la culture et l'économie de notre temps. Bien sûr la géographie sacrée n'a pas émergé avec l'internet ; Jean Richer, Guy-René Doumayrou, pour en citer les principaux découvreurs, n'ont utilisé que leur immense érudition pour jeter les bases d'un examen renouvelé des rapports que les anciens  avait noués avec leur milieu naturel et social. Poursuivant leurs recherches sur un petit coin de cette planète, je me suis moi aussi fondé dans un premier temps sur mes seules lectures. La publication de mes investigations sur le net, sous la forme du présent  blog, se voulait avant tout une tentative de partage. Or, j'ai très vite constaté que l'expérience débordait très largement ce cadre très étroit de la seule transcription de l'existant. Sans doute, chaque fois que j'avais repris le travail autour du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre, la nouvelle mouture avait gagné en épaisseur, de nouvelles connections s'étaient imposées et des horizons nouveaux s'étaient déployés. Mais ce qui était nouveau avec le net, c'était l'ampleur de ces révisions. A tel point que trois ans plus tard, je n'en ai pas fini avec une étude qui devait à l'origine être terminée en un an. Si en elle-même la géographie sacrée n'avait guère d'existence sur la toile - et c'était bien une des raisons qui me poussaient aussi à l'investir - la richesse documentaire sur les sites étudiés, sur le légendaire, l'hagiographie, le folklore populaire... me poussèrent souvent vers des prolongements inattendus. La sérendipité était reine et me conduisit bien des fois sur de nouvelles pistes. Ajoutez à cela la qualité des commentaires de quelques lecteurs peu nombreux mais fidèles, qui influèrent également sur la marche de l'entreprise.

197883562.jpg


Donnons un nouvel exemple de cette ouverture que donne le net, dans le cadre de cette étude entamée autour du grand carré au buis.
Cette figure définissant naturellement deux grandes croix, celle des diagonales et celle des médianes, je recherchai par googlage les résultats de l'association des mots-clés croix et buis.

Or, le second résultat me dirigea tout droit vers une étude parue dans la revue Aquitania en 1997-1998 sur un entrepôt du 1er siècle avant J.C. situé à La Croix du Buis, à Arnac-la-Poste en Haute-Vienne.

Le troisième résultat avait également un lien avec le même site, à travers une étude parue dans la même revue, appartenant à un auteur différent, J.P. Guillaumet. En voici le résumé :
"Un monument à quatre faces humaines a été découvert sur le site laténien de la Croix du Buis, en Haute-Vienne. Il s'agit d'un quadrifons dont on connaît quelques autres exemplaires datés de la protohistoire récente, l'un provenant d'Espagne (Puentedeume, La Coruña), l'autre de la commune de Thiant, dans le département du Nord, et le troisième du Titelberg, au Luxembourg. Ce thème est inconnu dans la mythologie celtique. L'oeuvre d'Arnac-la-Poste semble être liée à des cultes domestiques et date de la charnière entre période celtique et période gallo-romaine."

Sur cette sculpture, on en apprend un peu plus grâce à l'article de José GOMEZ de SOTO et Pierre-Yves MILCENT sur "La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale""En Limousin, de l’enclos fossoyé de La Croix du Buis à Arnac-la-Poste (Haute-Vienne) proviennent des fragments de protomés de bovidés en terre cuite et une sculpture à quatre visages en grès (Toledo i Mur 1997 ; Guillaumet 1997). Ces visages – l’un a été détruit – sont portés par de longs cous, leurs yeux sont largement ouverts en amande, les chevelures en mèches se réunissaient au sommet de la sculpture en formant un motif disparu, peut-être une sorte de chignon. La fréquentation de l’enclos de la Tène D à la période augustéenne rend la datation de ces diverses œuvres légèrement imprécise. Le site avait été interprété comme un entrepôt stockant du vin d’Italie. M. Poux (2000, 226 sq.) propose d’identifier l’enclos comme un lieu de banquet et un de ses deux bâtiments comme une salle analogue aux hestiatoria du monde greco-romain, hypothèse qui nous paraît plus recevable et rend mieux compte de la présence en ces lieux de ces éléments sculptés exceptionnels, inconnus à la même époque ailleurs dans la région."


Sur les hestiatoria, on pourra lire, toujours sur le net, cette présentation de Karim Mahdjoub.

Récapitulons : nous voilà en présence d'une sculpture décrite comme exceptionnelle, unique dans la région, avec un thème inconnu dans la mythologie celtique (ce monument à quatre faces humaines me fait bien sûr penser à la colonne de Souvigny, avec ses quatre faces sculptées en bas-relief).


Maintenant arrêtons-nous sur le lieu : où donc est située La Croix du Buis ? Où donc est situé Arnac-la-Poste ? Haute-Vienne, avons-nous lu, mais, plus précisément, cette petite commune (qui, soit dit en passant, en août 2006, a organisé les 4es Rencontres des communes de France au nom burlesque[1] organisée par l'association des communes de France aux noms burlesques et chantants.) se trouve à 46° 16′ 39″ Nord et  1° 22′ 29″ Est. Autrement dit à environ dix kilomètres seulement du sommet sud-ouest du carré au buis, très près de ce Saint-Georges des Landes que j'évoquais dans la note précédente.

 


Cette Croix-du-Buis qui aurait pu se situer a priori n'importe où en France se trouve donc dans le no man's land que constitue la lisière du carré au buis.

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Au milieu du chemin

Or, que l'Autonne espanche son usure,
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict egale avec les jours egaux,
Et que les jours ne sont ne froids ne chaux
(...)

Ronsard (Epître d'Automne)


La Vierge du zodiaque toulousain abrite la région du Minervois. « Minerve, nous rappelle G.R. Doumayrou, étant l'antique vierge olympienne que ses pouvoirs égalaient au maître des cieux. » (Géographie Sidérale, p. 104) Or, le secteur Vierge du zodiaque centré sur Rome renferme la localité de Castrum Minervae sur la côte de Calabre (Jean Richer, Géographie sacrée dans le monde romain, Trédaniel, p.146). Au reste, elle est aussi située dans la Vierge d'un système centré sur Cumes. Son importance mythique est attestée par Denys d'Halicarnasse (I, 51,3) :

« Le plus grand nombre des navires d'Énée jetèrent l'ancre au promontoire de Iapygia et les autres en un endroit nommé d'après Minerve où il se trouva qu'Énée lui-même mit pour la première fois le pied en Italie. »

Les pélerins qui partaient de La Châtre – en somme, notre Castrum Minervae berrichon – en direction du Mont Saint-Michel ne manquaient pas, à ce qu'il paraît, de faire halte à Notre-Dame de Vaudouan, près de Briantes. Isolée en pleine campagne, une chapelle reconstruite au 19ème siècle, aussi vaste qu'une église de village, témoigne encore du prestige du lieu, qui se fonde sur la découverte le 25 mars 1013, jour de la fête de l'Annonciation, par une jeune fille de la région, d'une statue en bois de la Vierge à l'Enfant (lui-même tenant dans ses mains une colombe), flottant sur les eaux d'une source. Portée à l'église de Briantes, puis à la chapelle des Religieux de Saint-Germain de La Châtre, la statue chaque fois disparaît et est retrouvée le lendemain dans l'eau de la source. Devant cette obstination, où l'on voit très vite une intention de la Vierge de demeurer en ces lieux champêtres, on décide d'édifier une chapelle. « Peut-être la Sainte-Vierge indiquait-elle par son insistance, écrit le Docteur J.J. Meunier, auteur en 1959 d'une pieuse monographie sur Vaudouan, qu'elle voulait purifier par sa présence ce lieu qui avait du être jadis le témoin des faux-cultes druidiques et barbares. »

Le seigneur du Virolan qui possédait la terre la donne sans délai et l'on commence à creuser les fondations. Las, l'eau les envahit. On creuse un peu plus haut sur un talus voisin sans plus de succès. Dépité, le maître-maçon jette son marteau dans les airs.

« Miracle encore, poursuit le bon docteur Meunier : un tourbillon emporta le marteau jusqu'à 500 pas et il alla choir dans une clairière éloignée où on le chercha vainement jusqu'à ce que qu'une génisse blanche que personne n'avait remarquée se mit à mugir d'une manière inaccoutumée. On se rendit auprès d'elle et, à ses pieds, on retrouva l'outil. Puis la génisse disparut sans que l'on comprit par où elle était passée. »

Évidemment, on choisit de bâtir à cet endroit précis, à 800 mètres de la fontaine. On met six mois à élever l'édifice qui est béni au mois de septembre « en présence d'un extraordinaire concours de clercs et de laïques. » C'est encore aujourd'hui en septembre, le deuxième dimanche après la Nativité de Marie, qu'on célèbre la fête et que se déroule le pélerinage de Notre-Dame de Vaudouan. La fête du 22 septembre 1912 fut particulièrement remarquable puisqu'elle fut présidée par Mgr Dubois, archevêque de Bourges, venu honorer les cinquante années de pastorat de l'abbé Semelet qui avait entrepris la reconstruction de la chapelle. Plusieurs milliers de pélerins assistaient à la cérémonie, et pas moins de quarante prêtres étaient présents. C'est dire l'importance symbolique du lieu à cette époque encore. Un certain Villebanois pouvait écrire en 1679 : « ainsi je croy, sans dessein de charger, qu'il n'y a point de dévotion de Notre-Dame en France plus grande que celle de Vaudouan. »

Sans dessein de charger non plus, remarquons tout de même que, du 25 mars à la fin septembre, nous avons cheminé d'équinoxe à équinoxe, de Bélier à Balance. Sous le couvert du culte marial, se dissimulent les vieilles déterminations zodiacales.

Je suis arrivé moi aussi, en cet équinoxe d'automne, au milieu du chemin. Un peu en retard sur le calendrier, je ne suis pas encore prêt à aborder Balance. Vierge et Lion, très riches, m'ont demandé plus de temps que prévu. Pensez que j'avais cinq articles en réserve pour Vierge, d'après mon étude de 1989, et que, suite aux digressions champenoises, je commence seulement le deuxième avec Vaudouan...

C'est l'occasion aussi pour moi de remercier les lecteurs fidèles et les commentateurs inspirés qui me donnent désir et énergie de persévérer.

Merci à Marc et à LKL, good fellows, pour leurs aimables phrases.

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23 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Saint Christophe, Pantagruel et Gargantua

« Gargantua en son aage de quattre cens quattre vingtz quarante & quattre ans engendra son fils Pantagruel de sa femme nommée Badebec fille du Roy des Amaurotes en Utopie, laquelle mourut de mal d'enfant: car il estoit si grand & si lourd, qu'il ne put venir à lumiere, sans ainsi suffocquer la mere. Mais pour entendre pleinement la cause et raison de son nom qui luy fut baillé en baptesme: Vous noterez que celle année il y avoit une si grand seicheresse en tout le pays de Affricque, pour ce qu'il y avoit passé plus de xxxvi. moys sans pluye, avec chaleur de soleil si vehesmente, que toute la terre en estoit aride. Et ne fut point au temps de Helye plus eschauffée que fut pour lors. »

(Rabelais, Pantagruel, Ch.2)

Le bon géant saint Christophe aurait-il quelque chose à voir avec Pantagruel ? C'est ce que suggère Rémi Schultz dans un passionnant article sur la gématrie rabelaisienne, en citant lui-même Claude Gaignebet et son livre paru en 1986, A plus hault sens,, chez Maisonneuve et Larose : « L’une des thèses les plus ambitieuses sur l’œuvre de Rabelais est celle de C. Gaignebet, dont une hypothèse fondamentale est la naissance de Pantagruel le 25 Juillet, jour de la St Jacques et de la St Christophe, seul saint géant, indiquée selon lui par une accumulation de signes. »

Pantagruel naît, on l'a vu, en période de canicule (latin, canicula). C'est le lieu de rappeler que ce nom est issu du latin canis, chien, et que Sirius, la plus belle étoile de la constellation du Grand Chien, annonçait l'été dans l'Egypte ancienne. Or, saint Christophe était parfois représenté avec une tête de chien, « notamment, signale Anne Lombard-Jourdan, sur les icônes byzantines. »1 Par ailleurs, la légende précise qu'il vient du pays de Chanaan (quelle que soit la véritable étymologie du nom, on ne peut s'empêcher d'y lire la racine canis).

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Saint Christophe Cynocéphale
Musée byzantin, Athènes

Plus largement, c'est non seulement avec Pantagruel mais aussi avec Gargantua que Christophe présente des accointances certaines, comme G. Bertin l'a remarqué :

« Dans le Maine et Loire, notons un culte à saint Christophe du Bois et saint Christophe de la Couperie. A Saumur, on admirait autrefois une statue de St Christophe de 7m de haut en l'église St Pierre du marais, détruite en 1793. D'une façon générale, sa statue avait tendance à grandir au porche des églises, 28 pieds à paris, 29 à Auxerre, 36 à Strasbourg. A Chacé, la Pierre fiche (ou peulvan) serait un grain de sable tombé de l'un des sabots de St Christophe lorsqu'il les secoua en mettant le pied dans la prairie, le lien avec Gargantua est ici évident. A Angers, le passeur géant surveillait le passage à la Porte Chapelière en tête des ponts. Il présidait à la Bonne Mort . On le voit aussi au Lion d 'Angers.

Le plus célèbre de ses pèlerinages est à Saint Christophe du Jajolet, dans l'Orne, au croisement de deux itinéraires de deux chemins montais, Paris-Le Mont Saint Michel et Orléans-Le Mont, sa chapelle est établie près de la mare de Grogny, creusée par Gargantua, lorsque le géant voulut faire la butte funéraire du Hou. »

Dans la même région de l'Ouest, le village de Bouzillé s'honore d'une truculente histoire : la butte sur laquelle il est bâti serait l'oeuvre de Gargantua : il aurait mis ainsi un terme à la dispute des habitants de Liré et de Saint-Florent-le-Vieil, qui se déchiraient sur la question de savoir lequel des deux bourgs était situé à égale distance de Nantes et d'Angers. Posant le pied gauche sur Saint-Pierre de Nantes et le droit sur Saint-Maurice d'Angers, rabattant son haut-de-chausses, il aurait déposé un étron de belle facture au mitan des deux localités. « Bouze y est ! » aurait crié la foule.

Or, sur un forum de la Société de Mythologie Française de septembre 2003, Guillaume Oudaer, étudiant en histoire à Lille 3, signale que cette anecdote a trouvé un écho dans ses propres recherches, lesquelles portaient sur la bataille de Mag Tured entre les Tuatha Dé Danann (les dieux celtiques irlandais) et les Fomoires ("les géants démoniaques") :

« En effet, dans ce texte, on nous dit que le Dagda (auquel l'article mythologique sur Gargantua propose une possible assimilation) aurait été amené, après une altercation ayant une consonance grotesque que l'on retrouve dans les aventures de Gargantua, à déverser en un lieu le contenu de ses intestins, le postérieur enfoncé dans la Terre, comme dans un sillon.
A mon humble avis, ce motif qui semble à la fois commun à l'Irlande et à la France et que l'on retrouve chez deux personnages forts semblables est un argument qui va dans le sens d'une identification de Gargantua à un avatar de l'équivalent gaulois du Dagda irlandais.
»

Cette dernière précision nous permet en quelque sorte de boucler la boucle : une chaîne symbolique relie avec une cohérence difficilement contestable différentes figures de géant, à savoir le Dagda, saint Christophe, Pantagruel et Gargantua.

En guise de conclusion provisoire, je m'avise maintenant que le site même de l'Arnon convient merveilleusement à la thématique développée jusqu'ici : ces gorges, dont l'entrée est somme toute gardée par le Jupiter de Saint-Christophe-le-Chaudry, font référence étymologiquement au latin populaire gorga, variante du bas latin gurga « gosier » (Vième siècle), du latin classique gurges « tourbillon d'eau », « gouffre, abîme », et, au sens figuré, « gosier ». Rappelons que c'est là, selon Rabelais, l'origine du nom Gargantua :

« Le bonhomme Grantgousier beuvant, et se rigollant avecques les aultres entendit le cris horrible que son filz avoit faict entrant en lumière de ce monde, quand il brasmoit demandant à boyre/ à boyre/ à boyre/ dont il dist, que grant tu as, supple le gousier. Ce que oyans les assistans, dirent que vrayment il debvoit avoir par ce le nom Gargantua, puis que telle avoyt esté la première parole de son père à sa nativité, à l'imitation et exemple des anciens Hebreux. A quoy fut condescendu par icelluy, & pleut tresbien à sa mère. Et pour l'appaiser, luy donnèrent à boyre à tirelarigot, et feut porté sus les fonts, et là baptisé, comme est la coustume des bons christians. »(Gargantua, ch. 6)

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1Elle renvoie en note à Pierre Saintyves, Saint Christophe, successeur d'Anubis, d'Hermès et d'Héraclès, Paris, 1936, p.55 et à Henri Gaidoz, « Saint Christophe à tête de chien en Irlande et en Russie », Mémoires de la Société nationale des Antiquaires de France, t.76, 1924, pp.192-218, ill.

D'autre part, Jean Richer, dans son livre Iconologie et Tradition (Guy Trédaniel, 1984), consacre une section de chapitre à saint Christophe Cynocéphale (pp. 212-213). La quatrième de couverture est d'ailleurs illustrée par la reproduction de l'icône du Musée byzantin d'Athènes.

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13 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

Le chien de Crémieu

Je voudrais finir l'examen du thème du chien avec une curiosité relevée il y a plus de vingt ans par Marc Lebeau, fidèle lecteur du site et commentateur régulier (j'avais offert à Marc de relater lui-même sa découverte, mais il a décliné la proposition, s'en remettant à votre serviteur, à ses risques et périls... ceci dit, il pourra toujours apporter en commentaires les précisions qu'il jugera utiles...). Je dois avouer que je n'ai pas tout de suite été convaincu par ce qu'il avançait, et même encore aujourd'hui, il me reste des doutes. Cependant, il me semble intéressant de passer outre et de présenter à un plus large public ce que Marc appelle le géoglyphe du chien de Crémieu, en l'occurence une vaste figure de chien émergeant des lignes du relief de cette région proche de Lyon.

 

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Chien de Crémieu (contour souligné)

Sur une carte IGN au 1/100000ème, le chien apparaît avec plus de netteté que sur la carte routière où son tracé est souligné. Les parties les plus marquées sont la partie Est, qui suit la vallée du Rhône, et la partie Nord-Ouest, constituée des falaises du secteur de Larina (elles surplombent la plaine et la centrale nucléaire du Bugey). La partie Sud-Ouest est, elle, formée de reliefs plus adoucis, séparés de la plaine environnante par une zone d'anciens marécages drainés (ces marécages apparaisssent avec clarté sur la carte de Cassini de cette région). Ensuite, la partie Sud, la moins prégnante, est cependant indiquée par une vallée peu profonde mais bien réelle, celle de la Bourbre, qui « sépare assez nettement, je le cite (courriel personnel), ce qui appartient plutôt à l'ensemble de l'Ile Crémieu, de ce qui appartient à l'Isère proprement dite (on change de »pays »). Cet axe ancien de circulation et de développement se lit également par les divers réseaux, routes et train, sans compter les villes, bourgs et bourgades. » Enfin, « l'oeil » du chien « est très nettement marqué par un ensemble de petites reculées proches de Crémieu. »

 

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Cette tête de chien est en elle-même identifiable. Selon Marc, la seule race qui corresponde à cette silhouette est le chien dit « Lévrier des Pharaons », chien maltais, des plus anciens, qui doit son nom à sa ressemblance avec Anubis, le Dieu des Morts égyptien. Et il importe de préciser qu'il ne connaissait pas du tout cette race de chiens avant de découvrir le géoglyphe.

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Anubis


Autre détail significatif : trois chapelles dédiées à Saint-Roch, saint que l'on représente généralement accompagnémedium_saint_roch.jpg d'un chien, sont très exactement alignées dans le cadre donné par le géoglyphe. Il s'agit des chapelles de La Balme, de Courtenay et de La Tour du Pin. Selon Marc, elles représentent l'alignement des étoiles Muliphen, Sirius et Mizar de la constellation du Grand Chien (Canis Major). Les proportions des distances entre les différentes chapelles correspondraient exactement aux proportions entre les étoiles correspondantes.

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Une chapelle dédiée à Saint-Canis1 se trouve même au-dessus du hameau de Rix, riverain du Rhône, sur la commune de Lhuis !


Enfin, signalons à l'extrémité septentrionale de la tête, à Saint-Sorlin en Bugey, l'existence d'une fresque de Saint-Christophe, datée du début du XVIème siècle.


Selon Marc, tout zodiaque géographique a son chien, autrement dit son gardien du seuil. « Situé en dehors des constellations zodiacales, à côté d'Orion, le chasseur céleste, la constellation du Grand Chien (Canis Major) se situe entre les signes des Gémeaux et du Cancer. » Ayant repris depuis plusieurs années l'hypothèse d'un certain Pierre Plantard sur un autre zodiaque2 centré sur Bourges, (en en modifiant sensiblement l'ordonnancement), le géoglyphe du chien se trouverait justement placé entre Gémeaux et Cancer.


Tout ceci est bien sûr à discuter. Le chien n'est pas le seul gardien possible : Jean Richer indique, par exemple, dans Iconologie et Tradition, le sphinx comme gardien de l'occident et le griffon comme gardien du nord. Il reste que cette figure émergée des cartes est assez stupéfiante pour nous interroger. La géologie se plierait-elle au désir secret des hommes ? La nature a-t-elle sciemment oeuvré pour dessiner cette forme ? J'inclinerais plutôt à reprendre ce qu'écrivait Guy-René Doumayrou sur la partition astrologique du pays toulousain, à savoir qu'elle « a dû se faire au prix d'observations séculaires, intégrant peu à peu les coïncidences orographiques et tirant même profit des accidents de l'histoire, réduite de la sorte au rôle d'ornement. » (Géographie Sidérale, op. cit. pp. 49-50.)




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1S'agit-il du saint irlandais du VIème siècle, Canice, Kenneth, Cainnic (les graphies sont diverses), qui donne son nom à la ville de Kilkenny ainsi qu'à sa cathédrale du XIIIème siècle ?

2Ce zodiaque est de nature très différente de celui de Neuvy dont je m'occupe : c'est un zodiaque sidéral, avec treize secteurs de tailles différentes, parfois même se chevauchant, épousant le dessin des constellations. Il s'étendrait sur tout le territoire de la France.

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27 décembre 2005 | Lien permanent

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