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Saint Just et saint Viator

Il me faut revenir sur saint Just. Dans la version berrichonne, saint Just n'est guère qu'un acolyte du grand saint Ursin, et l'on ne connaît pas grand chose de lui, à part qu'ils viennent tous les deux de Lyon pour évangéliser le Berry. Or, à Lyon précisément, un autre saint Just jouit d'une renommée bien plus grande, désignant rien moins qu'un quartier de la ville et une basilique.

J'ai signalé ce fait que Vouillon, qui s'honore, on l'a vu, d'une église Saint-Just, se situe sur l'axe Vatan-Saint-Valentin. Axe des V, ai-je écrit, car passant aussi par Le Grand et le Petit Villiers. Or, il faut noter que l'alignement Vouillon - Saint-Just (Cher) passe aussi par un lieu-dit Villiers. Et nous allons voir que l'hagiographie de saint Just de Lyon renferme un nombre considérable de noms en v. Qu'on en juge sur le texte donné par l'Eglise orthodoxe d'Estonie.

"Saint Just (en latin : Iustus) naquit à Tournon, sur les bords du Rhône, dans la première moitié du IVe siècle. Son père était gouverneur de la province environnante, appelée depuis Vivarais. Lorsque le jeune Just eut atteint l'âge d'étudier, ses parents, qui voulaient lui donner une éducation chrétienne, le mirent sous la conduite de saint Paschasius, archevêque de Vienne, qui fut l'un des plus grands évêques de son temps."

Vivarais, Vienne, deux noms en v sur les six noms propres de ce passage.

 

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Eglise Saint-Just (Auteur : Alorange, Wikipédia)

"Ce dernier eut la satisfaction de voir son jeune disciple croître en sagesse et en vertu. Just fit à son école de si grands progrès dans la prière et dans l'étude des Saintes Ecritures que Claudius, le successeur de saint Paschasius, l'ordonna diacre. Peu de temps après, vers 350, à la suite de la mort de Vérissimus, le siège épiscopal de Lyon étant vacant, saint Just y fut élu malgré les vains efforts qu'il fournit pour se soustraire à cet honneur.(...) Il participa à deux conciles, celui de Valence en 374, puis celui d'Aquilée en 381, ce dernier fut réuni pour condamner l'hérésie arienne. Deux évêques de ce parti, Palladius et Secondianus, appuyés par Justine, femme de l'empereur Valentinien l'Ancien, demandaient un concile général pour revoir ce qui avait déjà été arrêté et défini. "

Vérissimus, Valence, Valentinien l'ancien, trois noms en v sur les neuf du passage (les passages omis ne renferment pas de noms propres).

"Saint Ambroise de Milan s'y opposa, et consentit seulement à la tenue d'un concile provincial. Néanmoins, l'empereur Gratien laissa à d'autres évêques la liberté d'y assister. Ceux des Gaules furent convoqués, mais, ne voulant pas quitter leurs diocèses, ils se contentèrent d'y envoyer trois députés. Saint Just fut l'un d'eux. Il se rendit à Aquilée et fut l'un des trente-deux évêques qui composèrent le concile, que présidait saint Valérien d'Aquilée."

Saint Valérien : un nom en v sur les quatre nouveaux noms de ce passage.

"(...) Une nuit, il partit secrètement de sa demeure accompagné d'un jeune lecteur de son église, nommé Viator. Il prit le chemin d'Arles, puis de Marseille, où il s'embarqua pour l'Egypte.
A peine arrivé, il se retira au désert de Scété en compagnie des saints moines qui peuplaient alors ces solitudes. Il ne révéla ni son nom ni sa dignité, mais, en compagnie de saint Viator son compagnon, il vécut au désert comme un simple moine ignoré de tous
"

Saint Viator est bien sûr le plus bel exemple de nom en v, le plus significatif aussi, car viator est littéralement le voyageur. Lorsque Just meurt le 2 septembre 390, ce fidèle compagnon, inconsolable, le rejoint dans le trépas un mois plus tard. On retrouve curieusement sa trace dans l'histoire de la petite ville de Saint-Amour en Bourgogne, où il est associé à saint Amator (Amour). Selon Robert Faverge, son culte aurait remplacé celui qu'on rendait à l'origine à Mercure : " Mais venons-en au culte de Saint-Viateur. Au second dimanche de Pâques et surtout au second dimanche de Pentecôte, on célébrait autour des ruines de l'Aubépin une fête où au soleil levant on assistait à une grand-messe et l'on en sortait pour danser gaiement sur la pelouse. Des foires s'en suivaient, conservant une forte odeur du Moyen-Age. Des pratiques aussi. On se laissait glisser sur le dos. Les voyageurs invoquaient un saint qu'ils appelaient Garados , mot vulgaire qui signifie guérit-dos mais qui, d'après l'Eglise, n'est autre que Saint-Odon, abbé de Cluny. On ne peut séparer la pensée de cette affluence de voyageurs atteints de maux de reins, de jambes ainsi que de rhumatismes, à la chapelle de Saint-Garados, sans songer au temps où le dieu des voyageurs , Mercure, était aussi l'objet d'un culte dans le pays. Mercure serait devenu Saint-Viateur. Le culte de Mercure le culte de Saint-Viateur."

Je relève que la messe se déroulait au soleil levant, au second dimanche de Pâques ou de Pentecôte, en tout cas au printemps. Or, la fête de saint Just à Lyon se déroule aussi dans les heures de l'avant-aube : " Saint Sidoine Apollinaire qui y avait assisté, raconte que l'on marchait en procession avant le jour, et qu'il y avait une si grande affluence de peuple que l'église ne pouvait le contenir en entier. Un nombre infini de cierges étaient allumés. Pendant l'agrypnie, les psaumes étaient chantés alternativement à deux chœurs par les moines, le clergé et les fidèles. A l'issue de cet office, on se retirait jusqu'à l'heure de Tierce à laquelle on se rassemblait pour la Divine liturgie." Rappelons que l'agrypnie est, dans la liturgie orthodoxe, l'office de vigiles (de veille), et que tierce est la troisième heure, vers neuf heures du matin.

Ceci s'accorde avec l'orientation de l'axe Vouillon - Saint-Just, dirigé vers Saint-Aubin, Primelles et le soleil levant au coeur du printemps.

Et je n'ignore pas, qu'en ce Vendredi Saint où j'ai commencé d'écrire tout ceci, de nombreux chrétiens ont retracé à Jérusalem le chemin de croix du Christ dans la Ville sainte, sur la Via Dolorosa, marquant les 14 stations du calvaire jusqu'à la basilique du Saint-Sépulcre au coeur de la vieille ville.

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03 avril 2010 | Lien permanent | Commentaires (1)

Saint Léonard

J'ai bien peur que ce saint Léonard n'ait jamais existé, ou du moins, si un certain Léonard a vécu, il ne devait guère ressembler à celui dont la Vita sancti Léonardi présente comme un fils de nobles francs, parrainé par le grand Clovis lui-même. A l'origine de cette Vita apparue au XIème se trouvent, semble-t-il, les "créateurs" de la légende de saint Martial : l'évêque de Limoges, Jourdain de Laron, et le chroniqueur Adhémar de Chabannes Celui-ci avait en effet, en 1028, au concile de Limoges, revendiqué la dignité d'apôtre pour saint Martial. « Mais l'intervention d'un moine piémontais, Benoît de Cluses, qui démontra le caractère apocryphe de cette Vie et nia que Martial pût être de quelque façon apôtre du Christ, fit tout échouer : ce fut une profonde humiliation pour Adémar, un grave échec qui le conduisit à élaborer entre 1029 et 1033 tout un dossier de faux, voulant prouver l'apostolicité de Martial. Ce fut pendant cette période qu'il composa ses sermons, œuvre de combat contre ses détracteurs. En 1033, il partit pour la Terre sainte en laissant tous ses manuscrits à l'abbaye de Saint-Martial ; il y mourut l'année suivante. » (Raphaël Richter, thèse de l'Ecole des Chartes, 2003) 

 

 

Qu'un certain ermite Léonard ait existé ou non ne nous importe guère au fond, seul compte le mythe qui s'est développé autour de sa personne. Un bon résumé en est fait sur le site de la ville de Saint Léonard-de-Noblat.
Je vous invite fortement à cliquer sur le lien. 

Nous ne serons pas étonnés d'y retrouver la thématique sacrale, royale qui nous hante depuis que nous avons abordé en terres de Lion (Léonard lui-même, comme Léger, porte le lion, leo, à la racine).



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02 septembre 2005 | Lien permanent

Saints Archanges

29 septembre, fête des Saints Archanges. L'occasion est trop belle de continuer l'enquête sur Saint-Michel-en-Brenne. Faute de temps, je reprends ici in extenso, sans en corriger une ligne, un passage de mon essai de 1989, relatif à la Brenne.

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« Près du château du Bouchet, s'étend le plus vaste des étangs brennous : l'étang de la Mer Rouge, ainsi baptisé, d'après la légende, par le seigneur du Bouchet, au retour d'une croisade en Terre Sainte. Il aurait aussi fait construire la petite chapelle blanche, sise entre les arbres et les eaux, en souvenir d'une apparition de la Vierge dans le creux d'un vieux chêne, alors qu'il recherchait un épervier perdu. Rien n'est gratuit dans cette fable : le vieux chêne est l'arbre cosmique, symbole de la fonction zénithale, polaire, principe moteur de toute vie. Aussi trouvons-nous, à la verticale de la chapelle, la cité de Bélâbre, qui doit son nom au Bel Arbre, peut-être l'arbre de Bel, Bélénos, l'Apollon gaulois, dont les traits seront repris par l'archange Michel, qui signe la paroisse de Saint-Michel-en-Brenne, située au nord du même méridien. Celui-ci survole l'étang de la Gabrière, que la seule chaussée d'une route sépare de son jumeau, l'étang du Gabriau. Font-ils référence à cet autre archange, Gabriel ? Figurent-ils les deux ailes de cet épervier perdu, de cet autre ange, lui déchu, Lucifer, « porte-lumière » ? Mais l'épervier est aussi une sorte de filet pour attraper le poisson, ce qui fait écho au signe tout en servant d'image concrète de la géographie sacrée emprisonnant dans les mailles de sa logique villes, église, châteaux, rivières et sites naturels. L'épervier est enfin ce jeu d'enfant qui consiste en une chaîne toujours grandissante de ses successives captures, illustrant par-là même la contamination initiatique, la sève spirituelle se disséminant dans les canaux du chêne cosmique. Cette cabale phonétique s'enracine en Navarre, à l'horizon de Toulouse : le blason de cette province est de gueules aux chaînes d'or mérellées, chargées en coeur d'une émeraude au naturel. L'émeraude fut, dans le conte, détachée du front de Lucifer, puis taillée dans la forme du Graal pour y recueillir le sang du Christ. A l'horizon de Belâbre est ce village déjà repéré de Luzeret -dérivé de l'ancien français lusier, "porte-lumière" précisément. Par ailleurs, assure Doumayrou, « le sang du supplice est, d'un point de vue païen, la pierre vomie par Saturne, roi déchu, c'est-à-dire le Bétyle. L'origine delphique de ce monument étant perdu, on en ignore la forme première, mais sur les représentations antiques il est toujours semblable à un oeuf prisonnier d'un filet, ou des spires d'un long serpent enroulé. C'est la semence lapidaire enchaînée par la Mérelle (la toile ou les étoilements du filet) où serpente Mélusine, dans un embrassement qui l'emportera de la chute à la régénération.(Géographie sidérale, p. 160-161) » Ce Bétyle ne serait-il pas inscrit, à peine voilé, dans le nom de Béthines -village du proche Poitou, domaine de Mélusine- placée exactement sur l'horizon de Bélâbre ? D'autant plus que l'axe Béthines-chapelle de Notre-Dame de la Mer Rouge aboutit à Sainte-Gemme tout en rasant la ville haute du Blanc, ville sacrée à l'époque gallo-romaine, où se trouvait, selon Jacques Pineau, un « Orgeon », association religieuse s'adonnant au culte de Cybèle, celle qui causa la chute du vieux Saturne."

 

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29 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

De saint Genou à saint Ambroix


L'autre direction cardinale issue de Saint-Genou que je n'ai pas encore exploré est bien sûr le parallèle, l'axe est-ouest balisant l'horizon équinoxial. Si le parcours vers l'ouest ne donne rien de probant, en revanche la visée orientale est particulièrement suggestive.
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 Pour une vision un peu plus large, la carte en PDF

 

 Traversant la Champagne berrichonne et rasant la ville d'Issoudun, elle atteint le village de Saint-Ambroix, à la limite du département du Cher. Quel lien peut-il bien avoir avec Saint-Genou ? C'est en me plongeant dans l'hagiographie du saint avec  le livre toujours aussi précieux de Mgr  Villepelet que je l'ai découvert : il s'agit ni plus ni moins que de la ville de Cahors.

On se souvient que saint Genou avait été évêque de Cahors avant de se rendre en Berry, et qu'il avait eu maille à partir avec le préfet Dioscorus qu'il avait néanmoins fini par convertir. Or, Ambroix, dont la vie est connue selon deux sources dont l'une est un très ancien bréviaire de Bourges, est donné lui aussi comme évêque de Cahors. Cette rencontre n'est assurément pas fortuite, d'autant plus que Saint-Ambroix est un toponyme très rare en France (il n'en existe qu'un autre, dans le Gard).
Villepelet place l'épiscopat d'Ambroix dans la seconde moitié du VIIIe siècle (par déduction, car les deux Vitae ne donnent aucune indication chronologique). Il raconte que désespérant de ses ouailles dont la corruption des moeurs lui semblait irréductible, il se dirigea avec son ami Agrippinus, vers le tombeau des saints Apôtres. C'est donc en revenant de Rome, et après avoir visité à Tours l'église de Saint-Martin, qu'il fait halte quelque temps au village des bords de l'Arnon qu'on nommait alors Ernodurum. Et qui devint donc Saint-Ambroix, car c'est là qu'"il s'endormit dans le Seigneur, au milieu d'octobre, aux environs de l'année 770".
La marque de saint Martin, dont nous avons vu l'extrême importance dans la thématique liée à saint Genou, se retrouve donc ici à Saint-Ambroix. Les alentours même du village recèlent plusieurs indices :

Le village de Saint-Hilaire, située sur la rive gauche de l'Arnon, est limitrophe de Saint-Ambroix et l'on peut voir un bois de Saint-Martin au sud-est, en bordure de département.


Notons enfin, et ce sera tout pour l'instant, que le point médian entre Saint-Genou et Saint-Ambroix est situé sur le lieu-dit Les Chapelles, près de Brion. Rappelons que le mot même de chapelle vient "du latin populaire capella, diminutif de cappa, "manteau à capuchon" (cape, chape), attesté en latin médiéval (679) pour désigner le manteau de saint Martin, relique conservée à la cour des rois francs. Par extension, capella en vint à désigner le trésor des reliques royales et l'oratoire du Palais Royal abritant ce trésor." (Robert, Dictionnaire Historique de la Langue Française, p. 389)

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06 septembre 2007 | Lien permanent

Saint Jean porte la tine

Enfonçons le clou au sujet de Sucellus à Levroux, en versant un dernier élément au dossier. Je rappellerai donc que c'est le 6 mai 1013 que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage. Cette date n'a pas été choisie au hasard, comme on pouvait s'y attendre : c'est la Saint Jean Porte Latine, dite aussi la Petite Saint Jean, qui est célébrée ce jour-là. Or, voici ce que mentionne à cette occasion le site Carmina, que nous commençons à bien connaître :

medium_stjacques-levroux.jpg« Saint Jean est le seul apôtre qui n'ait pas été martyrisé. Cependant, l'empereur Domitien lui fit subir le supplice d'être plongé dans une cuve d'huile bouillante. Mais celle-ci se transforma en bain rafraîchissant. Ce supplice eut lieu près de la porte de Rome menant vers le Latium et appelée ultérieurement porte Latine.

Une fois de plus, le jeu de mot "Porte la tine" fit de saint Jean (le petit) un patron des vignerons et tonneliers puisque les vignerons portent la tine ou la hotte ou la cuve.

Mais il devint aussi patron des ciriers, des imprimeurs et des typographes.On pense que c'est parce que les imprimeurs on commencé à imprimer le latin, mais d'autres pensent que c'est parce que la porte latine s'ouvrait et se refermait comme un livre car ses charnières étaient centrales. D'autres aussi parce que les imprimeurs et les ciriers utilisent des huiles grasses.

Quoi qu'il en soit, la fête fut très populaire dans les milieux de l'imprimerie. En 1953, les typographes d'Orléans ont encore fêté la petite Saint-Jean et ont défilé coiffés d'un gibus.

Saint Jean porte Latine est représenté en portant sa tine. Elle se présente sous forme d'un tonneau attaché à un bâton. L'image est très proche de celle du Dieu Gaulois Sucellus (le bon frappeur) qui est représenté muni d'un maillet double au bout d'un bâton, un côté pour la vie et l'autre pour la mort. En Bretagne, on frappait (légèrement) les moribonds avec un maillet double. Le maillet donne la vie ou la mort, la mort ou la

résurrection. Les Francs-Maçons, lors de la réception d'un postulant, le frappent avec un maillet. Ils le tuent et le ressuscitent. Le maillet possède une fonction temporelle.

Pour saint Jean comme pour Sucellus, il semble que ce maillet soit un tonneau (tine) emmanché, ce qui rapprocherait saint Jean l'Évangéliste de saint Jacques et son bourdon (gourde au sommet d'un bâton) et lui reconnaîtrait son rôle de sommelier divin comme aux noces de Cana.

Tout ce qui est double est toujours d'essence temporelle à l'instar de Janus (janvier) qui a une tête tournée vers l'année passée et une autre vers le temps à venir. Il est, lui, reconnu clairement comme un dieu du temps et des passages... de portes. Tout passage est temporel. »(C'est moi qui souligne.)

Il serait extraordinaire que le 6 mai ait été déterminé dans l'ignorance de la symbolique qu'il représentait. Dois-je encore rappeler que les pélerins venant se faire soigner à Levroux étaient accueillis dans cet hôpital spécial nommé le Porche ? Que Janus (janvier) renvoie également à Capricorne, qui recouvre largement ce mois ? Que Levroux fut étape sur le chemin de Saint-Jacques (ce dont témoigne la fameuse maison de bois, dite Maison Saint-Jacques) ?

Levroux, marche nord de la seigneurie de Déols et du duché d'Aquitaine, est proprement la Porte des Dieux, porte solsticiale, dont René Guénon écrit qu'elle est « située au nord et tournée vers l'est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie » (Symboles fondamentaux, p. 241).

Tournée vers l'est, lisons-nous ? Ainsi s'expliquerait que la fête de Saint Silvain soit placée au 22 septembre, c'est-à-dire à l'équinoxe d'automne, que la géographie sacrée désigne par un axe plein est, qui n'est autre que le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre, côté oriental . La figure de Silvain réunit ainsi les deux grands moments cosmiques que sont l'équinoxe et le solstice. D'ailleurs, les ossements du saint furent transportés en 1463 dans une chapelle, située dans le bois de Sully, près de La Celle-Bruère, selon la volonté d'Isabeau de Boulogne, fille de Bertrand, seigneur de Levroux. Or, ces lieux sont placés dans le signe équinoxial de la Balance, où une autre paroisse, Thevet Saint-Julien, a aussi un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre.

Dernier indice décelable de ce jeu d'échos entre solstice et équinoxe : la présence sur le parallèle de Neuvy de la petite commune de Saint-Jeanvrin, dans le Cher. Saint Jeanvrin qui était autrefois tout bonnement dénommé saint Janvier...

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Et je m'avise encore qu'à quelques kilomètres de là, sur la route de Châteaumeillant, l'antique Mediolanum, le hameau de Sept Fonds nous évoque la Céphons levrousaine. Hameau situé très exactement sur le méridien reliant Toulx Sainte-Croix, autre montagne polaire, à Mehun-sur-Yèvre.

Et je lis encore, dans les Saints Berrichons de Mgr Villepelet (p. 143), que Jean de Berry donne, en 1383, un doigt de saint Silvain au chapitre de Mehun-sur-Yèvre.

Un doigt, un simple doigt, qui désigne celui qui commanda à la même époque, entre 1387 et 1393, à Jehan d'Arras, le roman de Mélusine...

 

Photo : Saint Jacques (Collégiale St Silvain)



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La croix de saint Roch

Saint Roch n'est pas très présent dans la toponymie du département. Dans son livre sur les noms de lieux de l'Indre, Stéphane Gendron ne relève que quatre occurrences  : un moulin sur le Renom dans la commune de Sainte-Cécile (sise au nord-est de Levroux, donc encore en Capricorne), une mention sans précision à La Châtre, une croix dite de Saint-Roch à Lourdoueix Saint-Michel et surtout - apparemment le plus intéressant - une fontaine Saint-Roch à Crozon-sur-Vauvre. Détail crucial, ce beau village encaissé dans sa vallée verdoyante se situe sur l'axe des -Roux, qui joint Levroux à Mortroux en passant par Déols, Châteauroux et Neuvy Saint-Sépulchre.

Jean-Louis Desplaces a consacré plusieurs pages à la fontaine dans son volume 2 du Florilège de l'eau en Berry. Aujourd'hui à sec, elle n'était qu'à une centaine de mètres de l'ancienne église Saint-Germain dont il ne reste aucune trace. Dans la nouvelle église, bâtie sur la colline en 1857, deux statues de saint Roch, l'une en bois, l'autre de plâtre, montrent la pérennité du culte en ces lieux. Il se manifestait par deux processions : la « petite Saint Roch » qui avait lieu en janvier pour les bêtes, « la date, précise J.L. Desplaces, en était fixée par les membres du conseil de fabrique » et « la grande Saint Roch » qui était célébrée le 16 août, jour traditionnel de la fête. Mais déjà, la veille, « dans la soirée du 15, une procession se dirigeait vers l'ancien prieuré ; les fidèles buvaient de l'eau ou en emportaient. Le 16, au matin, la statue de saint Roch était menée à la Croix des Forges, soutenue par quatre porteurs, au chant de « Iste Confessor » sur un air sautillant. » Il est à noter que cette dévotion faisait de l'ombre à l'Assomption, ce dont témoigne l'abbé Doucet, curé avant 1939 : « Tout le monde, le 15 août, manque les offices pour aller pêcher le poisson qui, le lendemain, permettra de tenir le voeu de saint Roch. L'Assomption est blackboulée par le poisson de saint Roch. »

 

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Le tableau de saint Roch à Levroux
(on remarquera qu'il est accompagné de saint Sébastien, qui était invoqué aussi pour la peste)

 

Une autre coutume a disparu dans les années 60, tout comme la petite Saint Roch : le Reinage, qui consistait, au retour de la procession, en une vente aux enchères de la Royauté de saint Roch. « Se présentaient, écrit J.L. Desplaces, ceux qui étaient désireux d'obtenir la bénédiction du saint pour leurs enfants. (...) Roi et Reine n'exerçaient aucune fonction particulière : seule une place d'honneur leur était attribuée, comme nous l'avons dit, à l'office qui suivait. »

Toutes ces pratiques peu orthodoxes s'enracinaient pourtant sur une terre depuis longtemps abreuvée de religion, puisque Crozon est cité dès 1087 en tant que prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier, près de Tours. En 1772, le patronage de la paroisse est encore attribué à l'archevêché de Tours. Or, qui avait fondé Marmoutier, en 372 ? Saint Martin lui-même, lorsqu'il était devenu l'évêque de la ville. Le lien avec Levroux se confirme un peu plus. Notons que c'est à Neuvy, devant l'autel du Saint Sépulcre, et en présence de Richard, l'archevêque de Bourges, que s'effectue la donation du prieuré par le curé Durand.


Un autre réseau est détectable. On aura peut-être remarqué la proximité phonique de Crozon et de Crozant, ce dernier lieu étant lui aussi en relation avec Levroux, de par sa position sur le même méridien. Or, deux autres cités proches se ressemblent aussi par leurs toponymes, à savoir Aigurande et Eguzon (longtemps dénommée Aiguzon). Les axes Aigurande-Eguzon et Crozon-Crozant se croisent très exactement au coeur de la forêt de Grammont, près de Lourdoueix Saint-Michel, où était établi, comme le nom l'indique, un monastère de l'Ordre de Grandmont.

 

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Or, le carrefour le plus proche de ce noeud n'est autre que celui de la Croix de Saint Roch, autour de laquelle, rapporte S. Gendron, la coutume veut que les mariés viennent faire la ronde. Effectivement tout tourne autour de ce pivot forestier. Rappelons aussi que c'est en ce même lieu qu'aboutissait l'axe graalique issu du bois de Fonteny, en Cancer.

 

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Il faut savoir qu'en même temps que Crozon, le curé Durand avait donné l'église Saint-Michel-du-Puy. J.L. Desplaces précise que celle-ci n'a jamais été identifiée. On peut maintenant se demander si elle n' était pas édifiée à Lourdoueix Saint-Michel, antérieurement à l'oratoire cité en 1154, Oratorium Sancti Michaelis, qui a donné son nom au village1. A l'appui de cette hypothèse, on peut noter que le puy signale une hauteur (latin podium), or la Croix de Saint Roch est, avec ses 382 mètres, au point culminant de ce micro-territoire (il faut se rapprocher très sensiblement d'Aigurande pour trouver des hauteurs plus importantes).


Avec cette note qui nous déporte vers le sud du département ( alors que nous n'en avons pas fini, loin de là, avec Levroux) j'observe, comme l'an passé, une pause aquitaine qui me tiendra momentanément éloigné de ce blog. Je vais aller chercher repos et inspiration chez le grand frère, en secteur Verseau du zodiaque toulousain...

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1Curieusement, un des derniers titulaires de la royauté de Saint Roch fut le collège privé de Lourdoueix Saint-Michel (une collectivité pouvait prétendre à ce titre)...

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19 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)

Les saints confluent pour mourir

Refermons la page sur la luxuriante hagiographie vatanaise. J'ai gardé pour terminer, je ne dirais pas le meilleur, mais le plus illustre des saints en rapport avec la modeste cité actuelle. Ne patronne-t-il pas une des plus célèbres églises de la capitale, dont un best-seller récent a encore contribué à exhausser la notoriété ? N'a-t-il pas donné son nom, bien malgré lui d'ailleurs, à tout un style d'art religieux ? Vous l'avez sans doute deviné, il s'agit de saint Sulpice (que nous avons déjà rencontré par ailleurs, mais sans nous attarder).

 

Je ne pense pas que beaucoup de parisiens savent que la tradition le fait naître à Vatan...

Parents illustres, famille de premier rang, premières années à la cour de Bourgogne, les commentateurs insistent sur le voisinage royal de Sulpice (surnommé le Pieux ou le Débonnaire, à cause de la douceur de son caractère). Pourquoi placer le berceau de ce noble rejeton dans ce bourg obscur de Vatan ? Et si, outre le riche symbolisme, on l'a vu, qui s'y attachait, c'était parce que Vatan est à la fois sur le méridien de Neuvy et sur le parallèle de Bourges, dont le siège épiscopal  échut à Sulpice par nomination royale ?

Qui Sulpice choisit-il au terme de son existence pour lui succéder ? Un certain Vulfolède, qui n'est autre que saint Florent, que j'ai maintes fois évoqué (il est bien sûr possible que le même nom recouvre plusieurs personnes, mais c'est justement le nom qui est important) :

"Il quitta volontairement la dignité archiépiscopale et fit subroger à sa place Vulfolade (futur Saint Florent), l'an 642."

(Gaspard Thaumas de la Thaumassière, 1689)

Cette relation à Florent est d'ailleurs marquée sur le sol même du territoire par un axe Saint-Florentin- Vatan qui se prolonge jusqu'à Saint-Florent-sur-Cher.

 

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La méridienne de Saint Sulpice

Saint Sulpice fut inhumé dans le monastère de la Nef qu'il avait lui-même fait édifier, et qui prit son nom plus tard. Ce nom de Nef intrigue : en fait le monastère, « construit à l'ouest de Bourges, au confluent de l'Yèvre et de l'Auron, tirait son nom des barques (navis, nef) qui assuraient le service d'une rive à l'autre. » (Mgr Villepelet, p.  18.) Il est intéressant de noter que certains  saints, et non les moindres,  aiment à mourir près des confluents : ainsi l'illustre saint Martin rend l'âme à Candes Saint-Martin, au confluent de la Vienne et de la Loire.

Le culte du saint archevêque de Bourges fut introduit ensuite à Paris dès le IXème siècle avec le succès que l'on sait.



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17 mars 2006 | Lien permanent

Le Feu de saint Silvain

« Discourez par les sacres bibles: vo' trouverez que de ceulx les prières n'ont iamais esté esconduites, qui ont mediocrité requis. Exemple on petit Zachée, duquel les Musaphiz de S. Ayl près Orleans se ventent avoir le corps & relicques, & le nomment sainct Sylvain. Il soubhaitoit, rien plus, veoir nostre benoist Servateur au tour de Hierusalem. C'estoit chose mediocre & exposée à un chascun. Mais il estoit trop petit, & parmy le peuple ne pouvoit. Il trepigne, il trotigne, il s'efforce, il s'escarte, il monte sus un Sycomore. Le tresbon Dieu congneut sa syncère & mediocre affectation. Se praesenta à sa veue: & feut non seulement de luy veu, mais oultre ce feut ouy, visita sa maison, & benist sa famile. »

Rabelais, Quart Livre (Prologue)

 

Martin n'est pas le seul saint attaché à Levroux, il n'y patronne d'ailleurs aucune église, aucune chapelle, comme si on lui tenait rigueur de son prosélytisme virulent. Plus important pour la cité est saint Silvain, que Sulpice Sévère ne mentionne pas, mais dont un manuscrit daté du VIIIe siècle et conservé à la bibliothèque de Berne, atteste du culte, conjugué à celui de saint Silvestre, dès cette époque. « La charte de fondation du chapitre de 1012 et une autre charte de 1072, précise Jean-Paul Saint-Aubin, donnent saint Silvain comme patron de l'église collégiale et mentionnent que son corps ainsi que ceux de saint Silvestre et d'autres saints y reposent. » (Saint Silvain, in Histoire et archéologie du pays de Levroux (Indre), ouvrage collectif, Levroux, 2003.)

Ce saint Silvain est identifié avec le publicain Zachée de l'Evangile de Luc (comme en témoigne encore Rabelais dans l'extrait placé en exergue). Il est envoyé en Gaule par saint Pierre, en compagnie de saint Silvestre, pour évangéliser le Berry. Mais en chemin, Silvestre meurt. Selon Mgr Villepelet, Silvain le ressuscite immédiatement ; Jean-Paul Saint-Aubin rapporte, lui, qu'il retourne à Rome où saint Pierre lui confie son bâton pastoral avec lequel il ressuscite Silvestre. Ceci rappelle furieusement la légende de saint Martial, qui, de même, ressuscite son compagnon Austriclinien avec le bâton de saint Pierre qu'il est allé rechercher à Rome.

medium_stalle-levroux2.jpgQue ce rapprochement ne soit pas fortuit, nous en avons la preuve avec la Vita prolixior, vie de saint Martial écrite par Adémar de Chabannes vers 1027-1028. Ce moine de Saint-Cybard d'Angoulême et de Saint-Martial de Limoges s'était fait le défenseur acharné de l'apostolicité de saint Martial, premier évêque de Limoges, envoyé selon Grégoire de Tours par le pape au IIIe siècle pour évangéliser cette ville. Il en fit, selon Raphaël Richter, un « contemporain du Christ, présent à la résurrection de Lazare comme à la Cène, ayant reçu comme les autres apôtres l'Esprit saint au jour de la Pentecôte, cousin de saint Pierre et parent du premier martyr, le diacre Etienne. Il s'agissait pour les moines de Saint-Martial de glorifier leur patron, de faire s'accroître la dévotion des fidèles à son égard, afin d'attirer l'argent nécessaire à la construction d'une nouvelle église abbatiale, plus grande, et de contrer la concurrence d'autres saints de cette région, comme saint Front à Périgueux. »

Or le personnage de Zachée apparaît dans la Vita prolixior : « Adémar utilise la légende de l'invention de la sainte Croix par un dénommé Cyriaque ou Judas : celui-ci aurait dévoilé son lieu de conservation à sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin. Il l'aurait, d'après cette légende, connu par son père, Simon, fils de Zachée ; Zachée aurait enterré la Croix pour la soustraire aux Juifs. Zachée est ce riche publicain de Jéricho qui apparaît dans l'Evangile de Luc (19, 1-10). Il est mentionné dans la Vita prolixior comme ayant reçu le baptême en même temps que saint Martial et ses parents. Cette légende fait en outre de Zachée un parent du premier martyr, le diacre Etienne ; or la Vita prolixior affirmant à trois reprises que Martial et Etienne étaient liés par le sang, cette légende de l'invention de la Croix par Judas-Cyriaque sert à Adémar pour suggérer que Zachée est peut-être un parent de Martial, ce qui expliquerait pourquoi il est mentionné dans la Vita. »

 

Cette invention se retrouve dans certaines traditions locales, ainsi le port de Vieux-Soulac aurait servi de point de départ au Ier siècle de plusieurs campagnes d'évangélisation de l'Aquitaine par Zachée, son épouse Véronique et Saint Martial.

 

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Collégiale Saint-Silvain (portail)

 

Mais reprenons le fil de l'histoire berrichonne. Notre Zachée-Silvain et Silvestre arrivent donc à Levroux, où ils convertissent une riche jeune fille, Rodène, fiancée au noble Corusculus. Renonçant au mariage, pour le repousser, Rodène se mutile et se défigure. Silvain la guérit et Corusculus, touché par ce miracle, se convertit à son tour. « Il devient également saint, ajoute Mgr Villepelet, son corps sera transféré plus tard à Déols et honoré sous le nom de saint Courroux (que les hérétiques par dérision appeleront plus tard saint Greluchon. » (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 141.)

Après sa mort, saint Silvain est l'objet d'un culte fervent et l'on vient de loin pour se faire guérir, d'une boiterie, de la lèpre ou surtout de cette maladie précisément appelée le « feu de Saint-Silvain ». Dit encore « feu d'enfer » (nous ne quittons pas le registre infernal qui nous a conduits à Levroux), il désignait une sorte d'érysipèle. « Ceux qui en étaient atteints, écrit Mgr Villepelet, étaient reçus par les chanoines de Levroux, dans un hôpital spécial, appelé le Porche, où ils étaient gardés pendant neuf jours. »

Le même auteur signale qu'aujourd'hui seule la tête de saint Silvain est conservée à Levroux, les autres ossements ayant été transportés au XVIème siècle dans une chapelle proche de La Celle-Bruère, dans le Cher. Cette tête est vénérée le cinquième dimanche après Pâques, qui s'appelle pour cette raison la fête du chef (Rappelons que saint Laurian et saint Clair, saints sans chef, sont fêtés à Vatan le quatrième dimanche après Pâques).

Notons enfin que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé le 6 mai 1013, par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage, Dreux de Buzançais, Gilbert de Brenne, Béraud de Dun, Adelard de Châteaumeillant, Hubert de Barzelle (Hubert, Le Bas-Berry, p.53.) Or, Eudes l'Ancien n'est autre que l'un des fondateurs de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre.




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01 avril 2006 | Lien permanent

La lumière de saint Valentin

Saint Laurian n'était pas le seul saint honoré à Vatan. La collégiale qui avait recueilli ses reliques s'honorait de plusieurs autres saints témoignages, comme le rapporte La Thaumassière dans son Histoire de Berry, au XVIIème siècle : « Dans la même église sont deux anciens tombeaux au-dessus de l'autel, remplis de reliques, une châsse d'argent doré en laquelle est le bras de saint Valentin et du bois de la vraie croix de Notre-Seigneur et un très beau reliquaire qu'ils appellent le Sancta Sanctorum. Personne n'est inhumé dans le choeur de cette église à cause que l'on estime qu'il renferme les cendres de S. Laurian, les reliques de S. Clair, de S. Troyan évêque de Xaintes, de S. Simplice confesseur, S. Valentin martyr, S. Léonard abbé, Ste Montaine vierge, de tous lesquels l'on fait fêtes particulières et celle de leur patron le 4 de juillet par chacun an. »

Il importe d'examiner de près cette liste de saints : ce saint Valentin, dont l'église prétendait donc posséder un bras, a été lui aussi, comme Laurian, décapité. Sur les cinq saint Valentin connus, deux sont des évêques, c'est d'ailleurs ainsi qu'il est représenté dans le livre de Philippe Walter. Notons que le village de Saint-Valentin, célèbre pour sa fête des amoureux le 14 février, est situé non loin de Vatan, sur les rives de la Tournemine qui arrose ensuite le château de Frapesle, près d'Issoudun, où séjourna Balzac1 , chez son amie Zulma Carraud.

 

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« Un même rite, remarque Ph. Walter, se retrouve dans le contexte de Carnaval et dans la légende de saint Valentin : la mise à mort par décapitation d'une figure divine. Ce rite de décapitation, qui renvoie à une pratique cultuelle par ailleurs bien connue des Celtes, se retrouve dans le Rig Véda associé à une divinité qui porte le nom fort explicite de Karna. Ce dieu hindou subit une décapitation rituelle et cet acte se trouve inscrit dans le temps des saisons comme s'il devait en expliquer le cycle infini (...) Dans le folklore médiéval et contemporain, Carnaval se termine avec la mort du roi géant que l'on sacrifie sur un bûcher au soir de mardi gras.» (Mythologie Chrétienne, op.cit. pp. 88-89.)

Ce n'est pas un hasard, selon lui, si la fête de saint Valentin est situé un 14 février, en pleine période carnavalesque, et si l'élément val du nom du saint se retrouve dans le mot Carnaval.

En tout cas, si l'on examine le récit du martyre de Valentin, on y retrouve la thématique de la lumière qui était clairement apparue, si je puis dire, à l'issue de ma note précédente :

« Le faible Claude, craignant des troubles, abandonna le martyr, qui eut à subir un autre interrogatoire devant un nouveau juge:
"Comment, lui dit celui-ci, peux-tu dire que Jésus-Christ est la vraie lumière?
-- Il n'est pas seulement la vraie lumière, mais l'unique lumière, dit Valentin.
-- S'il en est ainsi, rends la vue à ma petite fille adoptive, aveugle depuis deux ans; je croirai en Jésus-Christ, et je ferai tout ce que tu voudras."

L'enfant fut amenée; le prêtre, lui mettant la main sur les yeux, fit cette prière:
"O Jésus-Christ, qui êtes la vraie lumière, éclairez cette aveugle."

A ces paroles, l'aveugle voit; le juge Astérius, avec toute sa famille, confesse Jésus-Christ et reçoit bientôt le baptême. L'empereur, averti de ces merveilles, aurait bien voulu fermer les yeux sur les conversions nouvelles; mais la crainte lui fit trahir sa conscience et le sentiment de la justice; Valentin et les autres chrétiens furent livrés aux supplices et allèrent recevoir au Ciel la récompense de leur courage, en l'année 268. »

Mais parmi tous les saints cités par La Thaumassière, il en est un dont l'histoire va confirmer d'éclatante manière la force de la thématique lumineuse, un saint dont Romain Guignard relève que la dévotion prit, à une époque indéterminable, un « développement curieux qui en vint à éclipser la dévotion à saint Laurian lui-même. Nous voulons parler de saint CLAIR. » (op.cit. p.32.)

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1Il emprunta ce nom pour désigner le château de Valesnes, du Lys dans la Vallée. Il n'y a pas loin de Valesnes à Valentin...

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01 mars 2006 | Lien permanent

Saint Marcel et Dionysos

Les légendes des deux saints Marcel, le parisien et le berrichon, sont dissemblables sous bien des aspects, cependant on a vu qu'elles possèdent au moins un point commun : le miracle renouvelé des noces de Cana, avec la transformation de l'eau en vin. Un miracle dont on ne perçoit guère la nécessité au vu des événements qui suivront. Aucune relation directe, aucune causalité ne semblent pouvoir être établies. Cependant, cette récurrence interroge et me conduit à faire une hypothèse : une autre divinité se cache là-dessous, par-delà l'allure christologique relevée par Jacques le Goff.

Et c'est rien moins que le pape lui-même, Joseph Ratzinger - Benoît XVI, qui nous donne la réponse. Dans un passage de son livre Jésus de Nazareth, cité par Philippe Sollers dans Guerres secrètes : "La recherche en histoire des religions évoque volontiers, comme pendant préchrétien de l'histoire de Cana, le mythe de Dionysos, du dieu qui aurait découvert la vigne et qui passe également pour avoir transformé l'eau en vin, un événement mythique qui a été célébré de façon liturgique.(...)Comme [...] Le Seigneur a donné le pain et le vin comme les supports de la Nouvelle Alliance, il n’est certes pas interdit de penser [...] et de voir transparaître dans l’histoire de Cana le mystère du Logos et de sa liturgie cosmique, dans laquelle le mythe de Dionysos est complètement transformé tout en étant conduit à sa vérité cachée. »1

Autrement dit, l'hagiographie témoignerait d'une évangélisation consistant à se substituer à un culte dionysiaque. Marcel, vicaire du Christ, incarne cette nouvelle figure autour de laquelle se constituera la communauté chrétienne. Il emprunte néanmoins à son modèle antique quelques traits bien caractéristiques. Je m'explique : ce n'est certainement pas un hasard si Marcel, le Marcel d'Argenton, est décrit comme un adolescent de quinze ans. En effet, Dionysos, est souvent représenté en jeune garçon, c'est à cet âge que commencent ses ennuis avec Héra : "Devenu adolescent, Dionysos est, à son tour, victime d’Héra qui le frappe de mania. Sauvé par Rhéa, sa grand-mère paternelle, Dionysos entame alors un long vagabondage, ayant des difficultés à se faire accepter dans toutes les cités où il aborde. Venu d’ailleurs, il est considéré comme un dieu dangereux qui apporte, en même temps que la vigne, ivresse et désordre."

 

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Dionysos jeune couronné de lierre et de sarments de vigne, tenant un thyrse (disparu) dans la main gauche et un canthare dans la main droite. Marbre de Luni avec des traces de dorure, œuvre romaine du IIe siècle ap. J.-C. Provenance : sanctuaire du Janicule.© Marie-Lan Nguyen / Wikimedia Commons

Et souvenons-nous que le préteur de la ville qui livre Marcel au supplice se nomme Héracle, un nom bien proche de celui d'Héra. Enfin, je me suis longtemps demandé pourquoi Marcel était secondé d'Anastase. Quel sens donner à ce compagnonnage ? Or, le mot est grec et signifie tout simplement résurrection (anastasis).L'église du Saint-Sépulcre de Jérusalem est aussi la Basilique de la Résurrection (en grec : Ναός της Αναστάσεως). Que saint Anastase périsse à Saint-Marcel, sur l'axe équinoxial de Neuvy Saint-Sépulchre, est pleinement justifié symboliquement.

Dionysos lui-même est déjà un ressuscité : sa mère Sémélé étant morte foudroyée pour avoir contemplé Zeus, son divin amant, au grand jour, celui-ci extrait l'enfant du ventre maternel et le coud dans sa cuisse. Le voici donc deux fois né. Dans  une version orphique du mythe élaborée sans doute dès le VIe siècle, Dionysos enfant est démembré, bouilli et rôti par les Titans puis reconstitué et ramené à la vie. Notons encore que sa tante est Ino, qui n'est autre que Leucothéa, la déesse blanche."Or Ino-Leucothéa, écrit Corinne Bonnet, entretient avec Dionysos un rapport très étroit. Elle est la nourrice par excellence du jeune dieu et fut donc considérée, dès l'Antiquité, comme le prototype et le modèle de la Ménade frappée par la mania. Elle était logiquement mêlée à certains rites d'initiation qui marquaient l'entrée des jeunes garçons dans la puberté et Théocrite l'associe explicitement aux orgia de Dionysos."

Revenons maintenant à la légende : Marcel martyrisé obtient tout de même de ses persécuteurs d'être conduit à l'entrée du sanctuaire. Là, il ordonne à Apollon de sortir, ce que fait celui-ci, comme un diable tonnant et fumant, disparaissant dans un nuage de soufre. Ici seraient donc confrontés Apollon et Dionysos, autrement dit les deux forces fondamentales que Nietzsche désigne comme sources de l'art et de la tragédie grecque. Opposition à son tour dépassée par l'advenue du christianisme, ce qui fait écrire à René Girard, dans Achever Clausewitz, que « Nietzsche n’a pas voulu voir que le Christ avait pris, une fois pour toutes, la place de Dionysos, à la fois assumé et transformé l’héritage grec. »

Qu'en un seul lieu - ce Saint-Marcel héritier de l'antique Argentomagus, fiché sur l'axe de tous les commencements, sur cette flèche vernale du premier temps de l'année -, se conjuguent autant de valeurs et de figures à la fois archaïques et toujours contemporaines, ne laisse pas de m'émerveiller.



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03 février 2010 | Lien permanent | Commentaires (1)

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