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Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes

"Le tonneau, c'est un peu le berceau de notre humanité, ce que révèle si justement Gascar dans Les sources : "Lorsque, au début des temps, des hommes ont commencé à donner un profil infléchi au bois, ils ont formé un des premiers signes de leur accord avec le monde... Qu'on veuille, en courbant des lattes et en les ajustant les unes aux autres, construire une barque, un tonneau ou le bâti de la voûte d'une église, c'est toujours une part du monde qu'on enferme dans la forme protectrice d'un berceau."

Jean-Claude Pirotte (Expédition nocturne autour de ma cave, coll, Ecrivins, Stock, 2006)

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Près de cinq cents ans après la publication de Gargantua, Brisepaille, ce petit hameau près de Saint-Genou d'où est originaire la vieille accoucheuse de Gargamelle, existe toujours. Si Rabelais connaissait si bien la région, c'est qu'il y séjournait parfois, rendant visite à son ami Antoine de Tranchelion, abbé de Saint-Genou, qu'il se plaît d'ailleurs à citer dans un autre chapitre du livre, où cinq pélerins de Saint-Genou sont interrogés :

« Dont este vous, vous aultres pauvres hayres?

 - De Sainct Genou, dirent ilz.

 - Et comment (dist le moyne) se porte l'abbé Tranchelion , le bon beuveur ? Et les moynes, quelle chere font ilz ? Le cor Dieu ! ilz biscotent voz femmes, ce pendent que estes en romivage !

 - Hin, hen ! (dist Lasdaller) je n'ay pas peur de la mienne, car qui la verra de jour ne se rompera jà le col pour l'aller visiter la nuict."

Notons qu'avec ce qualificatif de bon beuveur décerné à Tranchelion,  nous ne quittons pas la  thématique de la beuverie.

Mais examinons maintenant l'hagiographie de ce saint très rare dans la toponymie française qu'est saint Genou, et pour cela reportons-nous une nouvelle fois au livre si précieux (et lui aussi bien rare) de Mgr Jean Villepelet, Les Saints Berrichons (Tardy, deuxième édition, 1963). On y apprend qu'une Vita Sancti Genulphi, rédigée au XIe siècle, fait de ce saint un Romain, envoyé de Rome par Sixte II avec son père, saint Genit, pour évangéliser la Gaule. Dans une version ultérieure, Genit est un simple compagnon de Genou. Veut-on masquer cette trop simple évidence : Genit géniteur de Genou, lui-même portant en germe la génération ? En tout cas, Le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert) indique que  le nom de genou dans les langues indo-européennes (latin, grec, langues indo-iraniennes) " est sans doute à rapprocher de la racine *gne-, *gen(e)- naître (latin gignere, grec gignesthai) selon l’usage ancien de faire reconnaître le nouveau-né en le mettant sur les genoux de son père ».

Entre parenthèses, cela ne rend que plus cohérent le choix de Rabelais de faire naître Gargantua par l'entremise d'une native de Saint-Genou.

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Eglise de Saint-Genou 
                                                                            

Selon la tradition, Genou aurait vécu très saintement  et accompli quantité de miracles en un lieu appelé autrefois Celle-des-Démons, et identifié aujourd'hui avec la commune de Selles Saint-Denis, près de Salbris, en Sologne. En effet, le village se nommait autrefois Selles Saint-Genou, une fontaine et une chapelle portant encore son nom (Genoulph).

Il semblerait que les reliques du saint aient été transportées à Saint-Genou à la création du monastère au IXe siècle (cette translation aurait eu lieu un 10 juin, fixant ainsi la date de la fête de saint Genou, dont la mort serait survenue le 17 janvier).

Selles-sur-Nahon, une commune proche de Saint-Genou, était auparavant identifiée comme le Cella supra Nahonem de la Vita. "Saelles" en 1222, elle se nomme au XVIIè Celle-Saint-Genou, mais est appelée aussi, de par la légende, Celle-le-Diable ou Selles-le-Démon. Il est dit que saint Genou et saint Genit y construisirent une église dédiée à saint Pierre où ils furent ensevelis. Il existait aussi un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Genou. Le Nahon désigne aussi bien l'affluent du Fouzon que celui de la Sauldre, à Selles Saint-Denis.

Par curiosité et réflexe quasi professionnel, j'ai tracé  l'alignement Selles Saint-Denis - Saint-Genou : or, il  passe à proximité de Selles-sur-Nahon. L'insistance sur le diable ou les démons laisse penser que le culte de saint Genou a certainement remplacé une dévotion païenne très ancienne, probablement liée à une source sacrée, source guérisseuse. Saint Genou lui-même apparaît comme un saint guérisseur, du "feu d'enfer" tout d'abord, puis des gouttes (les gouttes désignant d'ailleurs en berrichon des sources). C'est bien sur cette attribution que Genou est une nouvelle fois citée dans le Gargantua, tout de suite après une autre vieille connaissance :

O (dist Grandgouzier) les faulx prophetes vo' annoncent telz abuz. Blasphement ilz en ceste faczon les iustes & sainctz de dieu, qu'ilz les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains. Comme Homere escript que la peste fut mise en l'oust des Gregoys par Apollo. Et comme les Poetes faignent un grand tas de Veioves & dieux malfaisans. Ainsi preschoit à Sinays un Caphart, que sainct Antoine mettoit le feu es iambes, & sainct Eutrope, faisoit les hydropicques/ & saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes. (C'est moi qui souligne).

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Mesurer le monde à Saint-Denis

434371250.jpgLu récemment le livre passionnant de l'historien américain Ken Alder, Mesurer le monde, l'incroyable histoire de l'invention du mètre, qui vient  de paraître en poche, chez Flammarion, dans la collection Champs (fraîchement relookée). Il y relate, avec un art du récit digne des meilleurs romanciers, l'épopée tour à tour comique et tragique des deux astronomes mandatés en 1792 par l'Académie des sciences pour mesurer la portion d'arc du méridien de Paris, opération devant servir à déterminer la longueur du mètre défini comme la dix-millionième partie de la distance qui sépare le Pôle Nord de l'Equateur. En pleine Révolution, alors que le pays est menacé par les puissances étrangères coalisées, l'entreprise est bien sûr hautement risquée. Parti pour sept mois mesurer la partie sud du méridien, de Barcelone à Rodez, Pierre François Antoine Méchain ne rentrera que sept ans plus tard, miné par une erreur qu'il dissimulera jusqu'au bout (et qui conduira à établir un mètre trop court de 0,2 millimètre...). De son côté, Jean-Baptiste Joseph Delambre, chargé de la portion Dunkerque-Rodez, connaîtra dès les premières stations de son périple les pires difficultés. A la recherche de points élevés pour réaliser ses triangulations, il se rend à Saint-Denis dont la basilique constitue un site idéal pour l'opération. Arrêté à un barrage, il est conduit sur la grand-place de la ville où les gardes se vantent d'avoir capturé des suspects qui se dirigeaient vers la frontière avec du matériel d'espionnage. Dans les malles de cuir, quatorze lettres portant le sceau royal sont découvertes et Delambre est contraint de s'expliquer devant une foule hostile. Il décachète et lit plusieurs lettres, qui se révèlent inoffensives, puis on le somme de dire à quoi servent ses instruments.  Et Delambre de se lancer dans une vaste explication sur la nécessité d'unifier le système de poids et mesures (un seul exemple édifiant : à Saint-Denis la pinte est un tiers moins remplie qu'à Paris) et de prendre comme étalon une mesure tirée de la Terre elle-même. Ce cours de géodésie improvisé ne connut guère la faveur du public, ce que Delambre raconta lui-même :

L'auditoire était très nombreux : les premiers rangs entendaient sans comprendre ; les autres, plus éloignés, entendaient moins et ne voyaient rien. L'impatience et les murmures commençaient ; quelques voix proposaient un de ces moyens expéditifs si fort en usage dans ces temps, et qui tranchaient toutes les difficultés, mettaient fin à tous les doutes.

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Jean-Baptiste Joseph Delambre
 

Delambre ne doit son salut qu'à l'intervention du procureur-syndic qui met les scellés sur les voitures et contraint l'astronome et son assistant à passer la nuit dans un fauteuil de la salle communale de Saint-Denis. "Plus tard, écrit Ken Alder, dans la soirée du 7 septembre 1792, l'Assemblée législative adopta un décret  qui faisait de Delambre et Méchain les envoyés officiels du gouvernement du peuple et qui ordonnait aux autorités locales de les aider au cours de leur périple. L'expédition autorisée par le roi était devenue la mission du peuple. Dès que le décret fut publié, Lefrançais l'apporta à Delambre, et, ensemble, ils l'apportèrent à la séance du conseil municipal du dimanche matin pour faire lever les scellés apposés sur leurs voitures et continuer leur mission. Le même soir, les moines bénédictins dirent leur dernière messe, après plus de mille ans de prières ininterrompues dans la plus prestigieuse abbaye du royaume." (p.74)

La basilique de Saint-Denis ne serait d'ailleurs pas celle que nous connaissons encore aujourd'hui si la science n'était pas venue à son secours en temps opportun. Les patriotes, en effet, avaient dans l'idée d'abattre le clocher à coups de canon, et la municipalité était sur le point de les autoriser lorsque la Commission des poids et mesures intervint. "La tour, déclara-t-elle, était d'une importance capitale pour la mesure de l'arc de méridien sur son axe Dunkerque-Barcelone. En considération de cette "grande utilité" pour la détermination des nouvelles mesures de la République et pour la triangulation du territoire, comme pour la réalisation d'autres objectifs géographiques, le conseil serait avisé  de laisser la tour intacte et de se contenter de faire disparaître les crucifix et les fleurs de lys qui offensaient les bons patriotes de Saint-Denis."(p.77)

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26 avril 2008 | Lien permanent | Commentaires (7)

Le Zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre

Résumons : le python poitevin sorti du limon picton s'enroule autour d'un axe Est-Ouest qui a déjà ramassé sur son passage Ingrandes, Argenton-sur-Creuse et la petite chapelle de Verneuil. Hypothèse : cet axe Est-Ouest est la ligne vernale, équinoxiale, d'un système symbolique basé sur la projection du ciel sur la terre et donc la partition d'un territoire en douze secteurs correspondant aux douze signes du zodiaque. Cet axe est la ligne 0° Bélier du système et s'origine à Neuvy Saint-Sépulchre, dans l'Indre. Un bas-relief représentant une vouivre, autre figuration du serpent fabuleux, se dresse, solitaire, sur le parement extérieur de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre, édifiée entre 1034 et 1049 à l'imitation du Saint Sépulcre de Jérusalem.

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La singularité de ce monument n'avait pas échappé à Guy-René Doumayrou qui, dans sa Géographie Sidérale, avait noté qu'il était posé sur un cercle de onze colonnes : "Ce symbolisme unidécimal est d'autant plus surprenant qu'il s'appuie sur un nombre à peu près unanimement considéré comme néfaste dans la tradition occidentale. C'est le nombre des Apôtres après la trahison de Judas, le retour d'une singularité venant détruire la perfection du dénaire, bref le désordre." Ceci est juste, mais nous savons maintenant ce que nous devons penser de l'avènement d'une telle figure : le désordre n'est qu'un moment de la crise rituelle, le passage obligé vers l' ordre nouveau. Doumayrou ne se contentait pas de relever une bizarrerie symbolique, il plaçait Neuvy au sein d' une figure de vaste dimension dont l'origine se trouvait être le château de Montségur, le haut-lieu cathare.
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Sur l'axe de symétrie vertical, les centres des deux triangles sont marqués "non au point de rencontre géométrique des autres hauteurs, mais très exactement, de part et d'autre du segment Saintes-Feurs, au sommet de triangles construits sur la division par Onze, à Beaulieu-sur-Dordogne au sud, et à Neuvy saint-Sépulchre au Nord." Le même nombre onze se retrouve à Beaulieu où le grand porche méridional de l'abbatiale bénédictine, "assez semblable à celui de Moissac, s'orne au tympan d'une fourmillante scène du Jugement posée sur un double registre d'animaux fabuleux. Or, sur le registre inférieur, ces animaux évoluent en avant d'un décor composé de Onze rosaces tangentes, très nettement ciselées." Ce n'était pas tout : Neuvy prenait place également, toujours selon Doumayrou, dans un autre triangle sidéral dépassant de loin le seul espace des pays d'Oc.
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"Le village de Syren, au solstice d'hiver de Luxembourg (c'est-à-dire du Château-Lumière), le seuil d'Outre Monde de Sein sur la bais des Trépassés, et le belvédère de Planès, s'inscrivent aux sommets d'un exact triangle équilatéral dont le côté Nord passe par le Mont-Saint-Michel. La bissectrice issue de Planès passe par Vaour, celle qui vient de Syren traverse Saintes (où Jehan d'Arras situe les derniers chantiers de Mélusine) et celle qui part de Sein s'appuie sur Neuvy Saint-Sépulchre, Lyon, se pose à Gargano, autre Mont Saint-Michel situé dans l'ergot de la botte italienne, et prototype de la montagne normande, pour enfin s'accrocher à Delphes." (c'est moi qui souligne) Nous retrouvons donc le grand omphalos grec, où Apollon défit le Python mythique. Mais il y a une autre figure mythique, citée ici en passant par Doumayrou dans ce dernier extrait, qui doit nous interroger : Mélusine, la fée à la queue de serpent. Ne serait-elle pas un avatar de notre créature ophidienne ? Liée intimement au Poitou et à la famille des Lusignan, son inscription dans la géographie sacrée ne semble pas là encore relever du hasard.

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11 avril 2005 | Lien permanent | Commentaires (4)

Où l'on retrouve Saint Léonard

L'une des particularités de Lourouer Saint-Laurent était, nous l'avons vu, de mettre en scène des saints peu familiers de la terre berrichonne, à savoir les saints limousins Pardoux et Goussaud. Le triangle de l'eau, dont Lourouer est l'un des pôles, nous a conduits vers cette province à travers l'examen du méridien d'un autre pôle : Lourdoueix Saint-Pierre. Limousin, pays des ermites et des prédicateurs, pays d'origine de l'orfèvre Eloi, où encore aujourd'hui se perpétuent des dévotions évanouies partout ailleurs, comme les fameuses ostensions septennales, où l'on ouvre châsses et tombeaux pour en extraire les reliques et les porter en procession dans les rues.« Tous, est-il écrit sur le site du diocèse de Limoges, personnalités civiles, religieuses ou militaires, mais surtout le « peuple limousin », sont invités à se mettre en route à la suite de leurs saints pour implorer le ciel. Il y a dans cette manifestation rencontre de l’Église et de la cité par l’intermédiaire des saints, rencontre du ciel et de la terre. »

Léonard est l'un de ces grands saints limousins. J'ai longuement évoqué sa légende en arpentant les terres de Lion. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'a pas déclenché la même ferveur en Berry. Jean-Louis Desplaces signale qu'une seule fontaine lui est consacrée. Encore une fois c'est une rareté qui doit nous interpeller, cet « hapax » sacral a visiblement quelque chose à nous dire. Il suffit d'examiner sa situation. En effet, la fontaine Saint-Léonard repérée par Desplaces se trouve au hameau de Trisset, sur la commune de Tranzault. Hameau très précisément localisé sur la base du triangle de l'eau, à savoir l'axe Lourouer-Mosnay.

 

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 Fontaine Saint-Léonard

La fontaine est près de la dernière maison du village. « Elle se présente sous la forme d'un puits de 80 cm de hauteur et 1 m de diamètre. Une statue de 40 cm décapitée semble bien figurer un moine, son vêtement est plissé ; il porte medium_leonard-trisset.jpgune corde à sa ceinture. » Jean-Louis Desplaces affirme ensuite qu'on serait venu autrefois en procession à la fontaine, saint Léonard ayant été considéré comme le patron des vieux garçons qui le priaient à Tranzault d'abréger leur célibat. Par ailleurs, une chapelle, dont aucune trace ne subsiste, aurait existé à Trisset. Sainte Geneviève y aurait été honorée.

Sainte Geneviève qui est également la patronne secondaire, avec sainte Solange, de la paroisse de Tranzault, dont le titulaire est saint Pierre. Détail qui me paraît essentiel : Desplaces écrit que la paroisse était sous le patronage du roi. Encore une rareté qui mérite examen : on saisit mal à quel titre cet humble village, qui n'abritait qu'un prieuré dépendant de Déols, méritait un si noble rattachement. Il n'est pas sans doute pas indifférent à cet égard que Tranzault soit situé sur le grand axe Neuvy-Bourges (mais je me réserve de revenir plus amplement sur ce point dans l'étude de Scorpion). Et je rappelerai aussi que Léonard est le premier saint de la Couronne de France, selon les termes du R.P. Bernardin, prieur des Carmes Déchaussés de Limoges, en 1673.

 

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Fontaine Sainte-Geneviève
(mais la statue est celle de sainte solange)

Il n'est pas anodin non plus que ce soit sainte Geneviève qui soit honorée ici. On sait son lien légendaire avec Paris. Une autre fontaine lui est consacrée, route de Neuvy justement, « à 250 mètres de l'église à vol d'oiseau ». Là aussi, une procession était organisée, qui n'a plus cours de nos jours. Un curé signale encore une guérison miraculeuse en 1933, mais cela n'a pas suffi à enrayer le déclin des pratiques.

Aujourd'hui Tranzault est moins connu pour ses fontaines que pour sa foire aux potirons et légumes rares, créée en 1987, et qui a toujours lieu le second dimanche d'octobre. C'est la fête colorée du cucurbitacée, la grande nouba des citrouilles.

 

 

 

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09 novembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Saint-Marcel, de la Creuse à la Bièvre

C'est une vieille histoire. L'histoire du médecin d'un petit village, passionné d'archéologie, qui emmène le dimanche deux hommes pour fouiller avec lui le plateau des Mersans, à Saint-Marcel.

L'un de ces hommes est mon grand-père paternel, Lucien, tout petit paysan sur la commune de Bouesse.

Le médecin est Jacques Allain, pionnier d'Argentomagus, qui payait alors sur ses fonds propres ses deux compagnons de fouilles.

Vieille histoire : j'écris aujourd'hui sur Argentomagus, que mon aïeul, dans les années 60, a donc contribué à faire renaître. Le clavier et la souris ont remplacé la truelle et la pioche. Etrange continuité, et je songe qu'un hasard malicieux voulut que l'antique cité, placée sous l'égide de la blancheur et de l'éclat (étant à Neuvy Saint-Sépulchre ce que Leucade était à Delphes), fut mise au jour par un qui portait aussi la lumière dans son prénom...  Lucien...

Et l'autre, je tiens cela de mon père, je ne l'invente pas, se nommait Blanchard...

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Eglise de Saint-Marcel (Photo : Jean Faucheux)

Il me faut m'attarder sur ce site, car il se trouve que je n'ai pas parlé non plus comme il le fallait de Saint-Marcel, la cité qui a succédé à Argentomagus, s'établissant un peu plus au nord-ouest, laissant la cité s'édifiant plus bas dans la vallée reprendre le nom d'Argentomagus, du moins son premier élément. Reportons-nous à la vie du saint telle qu'elle est narrée sur le site du musée :

"Le récit légendaire du double martyr de saint-Marcel et de saint Anastase est la première manifestation de l'évangélisation d'Argentomagus. La venue de ces deux apôtres de la foi chrétienne est traditionnellement placée au milieu du IIIe s., sous le règne de l'empereur Dèce (248-251).

D'après la légende, Marcel n'avait que 15 ans tandis qu'Anastase était parvenu à l'âge mûr. Venant de Rome et se dirigeant vers Toulouse, les deux missionnaires s'arrêtèrent dans une maison du faubourg d'Argentomagus. Là, Marcel accomplit un premier prodige en rendant la santé à un misérable enfant sourd, aveugle, muet et boiteux de surcroît... Puis, renouvelant le miracle des Noces de Cana, il transforma l'eau en vin au grand émerveillement du voisinage assemblé.

Instruit de l'effervescence qui agita le quartier après ces deux miracles, Héracle, le préteur de la ville, fit bientôt comparaître le thaumaturge et son compagnon et les somma d'abjurer leur foi.

Irrité par leur refus de sacrifier Apollon, Hercule et Diane, les divinités vénérées dans le temple, Héracle livra Marcel au supplice du chevalet puis du gril sur des braises ardentes. L'adolescent supporta toutes ces épreuves avant de demander à être conduit à l'entrée du sanctuaire. Là, devant une foule considérable, Marcel ordonna à Apollon de sortir du temple. La divinité s'exécuta et, poussant un long rugissement, s'évanouit dans un nuage de soufre. Alors le saint pénétra dans le temple. Aussitôt les statues des idoles tombent de leur piédestal et viennent se briser à ses pieds.

Après avoir été une nouvelle fois livré au supplice, Marcel fut jeté dans un cachot, le saint fut peu après décapité non sans avoir prophétisé. La tradition prétend en effet que Marcel fut martyrisé et inhumé à l'emplacement de l'église actuelle. Quant à son compagnon, il fut mis à mort sur le chevalet au lieu-dit le clos Saint-Anastase, aujourd'hui le Champ de l'Image.

Quoiqu'il en soit, l'archéologie, ne nous est d'aucun secours puisque jamais ici, le moindre symbole chrétien n'a été observé sur des objets gallo-romains."


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Saint Marcel et le dragon

Châteauroux, BM, ms. 002

Bréviaire à l'usage de Paris

Cette légende montre bien en creux la difficulté que l'église rencontra pour éradiquer les cultes païens qui devaient être ici très prégnants. J'avais en 2005 déjà signalé le passage à Argenton du moine Yrieix, lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, lequel décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. C'était donc plus de trois siècles après le martyre supposé de Marcel... Les clercs qui rédigèrent la vie de Marcel n'hésitent pas à prêter vie aux divinités du temple, pour mieux les réduire en cendres par la suite, mais cette naïveté est bien sûr gênante pour les chrétiens d'aujourd'hui, et Mgr Villepelet qui recense Marcel et Anastase dans la liste des Saints Berrichons (1) juge "raisonnable et prudent de traiter ce document comme le témoin de traditions anciennes", sans accorder foi à tous les détails. Il est significatif quant à notre propos de voir que c'est Apollon qui est au premier chef concerné par l'appel de Marcel. C'est lui qui obéit à l'ordre du saint et part en fumée. non sans avoir poussé un long rugissement de bête blessée.

Ceci n'est pas sans faire penser à un autre saint Marcel, celui de Paris, qui vint à bout du dragon de la Bièvre. Jacques Le Goff lui a consacré une étude tout à fait passionnante. S'il ne fut pas martyrisé, il a au moins un autre point commun avec notre Marcel berrichon, c'est le miracle renouvelé des noces de Cana : "Le second miracle (Vita, VI), écrit J. Le Goff, qui revêt déjà une allure christologique, mais qui rappelle un des premiers miracles du Christ avant l'apostolat décisif de ses dernières années, le miracle des noces de Cana, se produit quand, Marcel puisant de l'eau dans la Seine pour permettre à son évêque de se laver les mains, cette eau se change en vin et enfle de volume au point de permettre à l'évêque de donner la communion à tout le peuple présent ; son auteur devient diacre."(2)

Ce saint Marcel, devenu lui-même évêque de Paris,  patronna sainte Geneviève. Or, celle-ci a été mise en relation par Anne Lombard-Jourdan, avec la déesse grecque Leucothéa, que nous avons évoquée au billet précédent.

Recoupements troublants. Lutèce-Argentomagus, mêmes constellations symboliques ? Il va falloir aller y voir de plus près.

____________________

(1) Mgr Jean Villepelet,  Les Saints Berichons, Tardy, 1963, p. 114-115.

(2) Jacques Le Goff, Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age, Saint Marcel de Paris et le dragon, repris dans Pour un autre Moyen Age, Quarto, Gallimard, 1999, p. 230.

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15 décembre 2009 | Lien permanent | Commentaires (10)

De sancto Ursino

"Ursinus, envoyé par les disciples des apôtres, fut le premier évêque de Bourges. En ces temps d’ignorance on l’ensevelit avec tout le monde dans le cimetière. Ce peuple ne comprenait pas encore qu’il faut vénérer les prêtres de Dieu. Sous l’épiscopat de Probianus (552-568), un nommé Augustus, qui avait fait partie de la maison de Désidératus, autre évêque de Bourges (545-550), et qui après avoir fondé un oratoire de Saint-Martin à Brives, avait été appelé à gouverner l’église de Saint-Symphorien de Bourges, eut, en même temps que saint Germanus évêque de Paris, une vision d’Ursinus qui leur indiqua lui-même où son cadavre était enseveli."

 

(Grégoire de Tours, Livre des Miracles, 7, LXXX)

 

 

Presque un mois de retard sur le calendrier. Ce n'est pas la première fois. Nous allons sortir de Scorpion au moment même où j'aborde enfin les terres de l'Arthropode, où le véritable aiguillon du secteur n'est autre que Bourges. Mais avant de plonger dans les profondeurs de son histoire, remarquons l'adéquation du festiaire liturgique avec le zodiaque neuvicien : la fête de tous les saints du diocèse de Bourges est en effet placée le 7 novembre, donc sous le signe du Scorpion. A cette date sont réunis dans une même commémoration tous les saints qui n'ont pu avoir au cours de l'année liturgique une fête spéciale, soit, indique Mgr Villepelet, « en raison de la pénurie de documents historiques les concernant, soit parce qu'ils n'appartiennent au Berry que d'une manière assez accidentelle. » (Les Saints Berrichons, op. cit. p. 168). La liste est longue : saint Genès, saint Firmin, saint Victorin, saint Satur, sainte Fauste, les saints Opion et Bezant, saint Gaultier, saint Odon, les saints Lié, Léonard, Séverin et Vulfin, et tous ceux « dont les noms, quoiqu'ils nous soient inconnus, sont inscrits dans le livre de vie. »

Le saint le plus prestigieux du diocèse, saint Ursin, a aussi sa fête dans le Scorpion. Elle est fixée au 9 novembre. Considéré comme l'apôtre du Berry, il aurait fait construire la première église de la ville de Bourges à la suite de la conversion de Léocade, premier sénateur des Gaules, sanctifié lui aussi et fêté le 23 novembre. Le fils de Léocade, Ludre, baptisé par saint Ursin lui-même, serait mort, selon la tradition, encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Il est fêté le 16 novembre. Or, Doumayrou écrit dans son étude du système toulousain, après une description de Taureau : « Quant à son opposé, Scorpion, signe d'eau et de mort, plus précisément : de la transformation radicale (mort), ou fermentation réorganisatrice (eau), c'est-à-dire de l'épreuve initiatique fondamentale dont le résultat sera l'albification (attesté par la robe blanche des initiés), le pays en est l'Albigeois, pays de l'Aube d'une vie nouvelle. » (Géographie Sidérale, p. 62).

 

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Sarcophage de saint Ludre, en marbre de Paros
 

La crypte de l'église Saint-Etienne de Déols conserve le sarcophage gallo-romain du début du IVème siècle, qui a contenu les restes de saint Ludre. « Ce sarcophage, précise Mgr Villepelet, reproduit sur l'une de ses faces des scènes de chasse au sanglier, à l'ours, au lion, au cerf : motifs fréquents de décoration à cette époque, dont s'inspirera plus tard la porte romane de la Collégiale Saint-Ursin de Bourges. »

Déols et Bourges, les deux inspiratrices de la géographie zodiacale du Berry, montrent déjà à travers ces échos leur compagnonnage essentiel.


 

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21 novembre 2005 | Lien permanent

Denis Gaulois (17) : Déols, Cahors et le chaos

"Avant que de retourner à Bourges, le patriarche Ursin recommanda au père gaulois de penser souvent à la loi de Dieu ; il lui répondit qu'il ne l'oublieroit jamais.

Le même jour, au soir, Denis gaulois fut à l'oraison ; étant à genoux, les bras croisés, il mourut après l'oraison. Le religieux voulut lui parler, mais il fut surpris de voir son seigneur mort. Il en avertit Léocade qui vint avec sa famille et ses gens ; il le fit enterrer dans le même endroit. Il fut fort regretté de tous les habitants de ses cantons.

Léocade, Ludre et ses gens eurent bien de la peine à contenir les animaux du défunt : ils pleuroient leur maître et vouloient entrer dans la chapelle.

Léocade fut héritier de tous les biens de Denis Gaulois ; mais il ne garda pas longtemps les animaux, qui moururent bientôt après leur maître."

Le retour d'Ursin à Bourges coïncide donc avec la mort presque subite de Denis Gaulois : ces deux personnages patriarcaux sont comme des avatars de cette antique divinité  désigné aussi comme l'Homme Sauvage, celui qui vit au milieu des animaux. La douleur de ceux-ci au trépas de Denis, leurs pleurs et leur décès rapide après celui de leur maître, montrent encore une fois le lien viscéral, organique qui les reliaient. Ursin, l'ours (ursus) désigne une nouvelle fois la direction boréale.
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De ce tropisme, on peut voir une dernière illustration avec le tympan du Christ de Déols, dont quelques fragments sont conservés au Musée de Châteauroux. Selon Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, 1970, p. 201), il évoque "plus spécialement le Christ du tympan de Cahors." Or Cahors est situé au Nord géographique de Toulouse, l'autre grand centre zodiacal héritier des omphaloi égéens. Le tympan lui-même de cette cathédrale Saint-Etienne est celui du portail Nord.

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Le socle sur lequel repose le Christ de Déols est porté par deux animaux : le lion et le dragon. "Cette représentation des symboles de l'Antéchrist et du Diable suivant Honorius d'Autun, poursuit Jean Favière, fréquente dans la sculpture gothique, est unique dans l'iconographie des portails romans."

Est-ce là encore un écho à Cahors, que Doumayrou rattache au chaos primordial ? "Ce nom, ainsi que celui du Quercy, vient des celtes Cadurques, avec le souvenir des racines grecques cha, s'entrouvrir (d'où vient chaos) et chad, prendre, saisir, caractérisant l'avidité bien connue de cette gueule d'enfer qu'est le chaos." (Géographie sidérale, p.168)

Cette représentation répond en tout cas, sur le territoire berrichon, à la présence en bas de l'axe Cancer-Capricorne, des villages de Mortroux, Moutier-Malcard, Malval, Châtelus-Malvaleix, qui tous portent la marque d'un symbolisme "maléficié". Malval, la "vallée mauvaise", est ainsi l'exact opposé de la montagne céleste que figure  le pôle déolois.

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18 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Denis Gaulois (13) : 7 J 17

Aux Archives Départementales, j'ai trouvé copie de la légende de Denis Gaulois. Le manuscrit faisait partie du lot 7 J 17 : il ne paie pas de mine. Rédigé - à ce qu'on peut lire en préambule- par le prieur Jean Devineau,  à la demande de son altesse sérénissime le Prince de Condé, il ne se présente pas en effet comme un acte prestigieux, objet de soins particuliers : l'écriture s'y dégrade considérablement au fil des pages, les ratures et les corrections y sont nombreuses, mais peut-être s'agit-il d'une simple copie d'un document plus officiel ? C'est d'ailleurs en tant que copie qu'il est répertorié aux Archives. Impossible d'en savoir plus pour l'instant : je l'ai déjà dit, cette légende n'a guère mobilisé l'attention des historiens et érudits locaux, qui ont sans doute été désarçonnés par la fantaisie d'un texte dont le statut reste improbable, n'étant manifestement ni légende populaire, ni chronique historique un tantinet crédible.

C'était donc un beau moment d'émotion que de relire sous l'encre priorale les épisodes de la vie de Denis, mais je dois confesser que ça ne m'a guère fait progresser dans la réflexion. Nous allons donc reprendre l'histoire là où je l'ai laissée fin novembre, avec l'arrivée de Denis à Bourges et sa rencontre avec le patriarche Ursin. Léocade fait alors son entrée :

medium_CHAVANGE150.JPG"Le patriarche fit venir Léocade, qui promit de suivre le père Gaulois ; mais, après sa mort, il vouloit avoir ses biens ; il lui dit : Je le veux, mais il faut vous faire baptizer. - Il fit refus, disant : Je n'ai quitté mon pays pour cela. -Cependant le patriarche et le bon vieillard le firent consentir, et en passèrent acte que Léocade apporta lui-même aux habitants de ces cantons, pour leur faire voir qu'il avoit reçu le sacrement de baptême avec son fils Ludre et sa famille, tous des mains du patriarche Ursin, en l'église de saint Etienne. Avant que de partir, Léocade fut nommé gouverneur de la Gaule, en présence du seigneur Gaulois, qui y consentit. Ils firent leurs adieux au patriarche, qui, en les quittant, leur dit : Dieu soit avec vous ; ne vous quittez pas ; ne vous lassez point de bâtir des temples ; secourez les affligés. - Ils partirent ensuite et prirent leur route vers le canton de Déols."

Nous assistons ici à un sacré marché qui n'a rien de mystique: Léocade met ses compétences de chasseur au service du vieux Gaulois mais exige ses biens en retour après trépas (qui ne saurait bien tarder logiquement vu l'âge canonique du héros). Revendication somme toute colossale. Réponse de Denis : d'accord mais après baptême. Refus tout d'abord du Nemrod avec cette réplique qui ne manque pas de sel : Je n'ai quitté mon pays pour cela.
Notons bien qu'il ne dit pas : Je ne quitterai pas mon pays pour cela. Non, il emploie le passé, or à aucun endroit de la légende, il n'a été dit  que Léocade a quitté son pays, il a toujours été donné comme vivant à Bourges. L'auteur du texte commet une légère incohérence qui révèle en creux la source scripturaire qui n'est autre que Grégoire de Tours, où Léocade quitte en effet sa ville de Lyon pour celle de Bourges. Finalement, il accepte le baptême, après forcing des deux ancêtres. Mais, pour être plus sûr, il est nommé gouverneur de la Gaule "avant que de partir"... Fin de la transaction.

Il est intéressant maintenant de scruter les détails où l'auteur innove par rapport à la source : ainsi Léocade est donné, on l'a dit, comme un chasseur, quand Grégoire de Tours ne le désigne que comme un haut dignitaire romain. Pourquoi un chasseur ?

Sur le  site Apemutam (Archéologie musicale médiévale), dans un article sur le cor de chasse  roman, il est écrit que  "Dans la sculpture romane, la chasse constitue une prédicationpour montrer la poursuite du bien et du mal, les Etapes de la vie du Chrétien, les Ages de la vie." Et devinez quel est l'exemple qui en est aussitôt donné : "Le tympan de Saint-Ursin de Bourges représente le temps de la vie du Chrétien avec les travaux des mois, la chasse aux tempéraments représentés par divers animaux (âne, sanglier, cerf), les Ages de la vie avec les arbres figurés en différentes saisons, comme sur les sarcophages romains de Déols, de Reims et sur la frise romaine remployée sur le mur extérieur de la cathédrale du Puy. La chasse à l'épieu aurait suffi pour exprimer l'activité cynégétique, mais on remarque que le sculpteur a placé un cor dans la bouche du cavalier." (C'est moi qui souligne.)

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Fragment du tympan de Saint-Ursin


" Grégoire de Tours raconte la terrible colère du roi Gontran à la suite du vol du cor qui lui servait à rassembler ses chiens et à mettre en fuite  les troupeaux de cerfs "aux cornes arborescentes". Il jeta dans les fers beaucoup de gens à cause de cette perte." Anne Lombard-Jourdan qui rapporte cette anecdote (Aux origines de Carnaval, p.94) non seulement s'est longuement penchée sur la valeur rituelle de la chasse, mais a consacré quelques paragraphes de première importance au tympan de Saint-Ursin de Bourges. Examen d'iceux au prochain épisode.

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03 janvier 2007 | Lien permanent | Commentaires (1)

Denis Gaulois (11) : Léocade et la lumière

GUIDO : Je pensais que vous voulussiez donner jusques à Saint-Denis et parler de frère Jérôme, qui cherchait la pierre à casser les oeufs.

ALAIN : Qu'est-ce à dire ?

VIVÈS : Vous le saurez tantôt. Ce moine, pour le dire plus gaiement, cherchait la pierre philosophale et était parisien – et de fait, j'ai été en beaucoup de lieux et plages du monde habitable philosophique, et je ne vis jamais en aucun endroit tant de Parisiens qu'à Paris. (...)

Béroalde de Verville (Le Moyen de parvenir, Folio Gallimard, p. 91)


« Ursin, écrit Mgr Villepelet, fut ordonné évêque par les disciples des Apôtres, qui l'envoyèrent dans les Gaules ; il atteignit bientôt la ville des Bituriges, où il prêcha aux habitants Jésus-Christ Notre-Seigneur, salut du monde. » Grégoire de Tours n'en dit pas plus sur le rôle d'Ursin dans le devenir de la communauté qu'il fonde. En effet, s'il déclare que les nouveaux convertis cherchent une maison pour établir leur église, il ne précise pas qu' Ursin mène cette quête. Quête qui, devant l'obstruction des sénateurs et autres grands personnages de la ville restant « très attachés au culte des faux dieux », conduit ces pauvres gens jusqu'à Lyon où réside Léocade, le premier sénateur des Gaules. Contre toute attente – l'homme étant encore païen – il donne sa maison de Bourges, refusant même les trois cents pièces d'or et le plat d'argent que les chrétiens lui proposent en échange, plus précisément, n'en prenant que trois, « par déférence ». Peu après, il abjure l'idolâtrie « où il était encore plongé » et se fait baptiser avec son fils Ludre. Son palais devient église, qu'on enrichit des reliques de saint Etienne. Grégoire de Tours ne reparle d'Ursin que pour signaler qu'à sa mort « son corps fut enseveli près de la ville, dans un champ où, quelques siècles plus tard, il fut retrouvé dans un état de parfaite conservation. »

Mgr Villepelet considère que bien que Grégoire de Tours ait écrit environ trois siècles après les faits, on peut néanmoins accepter son témoignage comme digne de foi ( au contraire des Acta Sancta Ursini, selon lesquels saint Ursin aurait été un des soixante-douze disciples de Jésus, peut-être même Nathanaël, et aurait même assisté à la Cène). Je suis bien sûr plus sceptique. Avec trois cents pièces d'or, les chrétiens ne pouvaient-ils acheter ou faire bâtir une église ? Comment pouvaient-ils espérer être même reçus par un haut dignitaire encore fidèle à la religion romaine ? Improbable voyage, improbable conversion que nul événement ne provoque. Ne faut-il pas plutôt lire ce passage de Grégoire de Tours comme un mythe justifiable d'une interprétation symbolique ?

Je m'interroge tout d'abord sur ce nom : Léocade. Quelle en est l'étymologie ? Et bien Léocade, si l'on en croit ce site, renvoie à Leukada, autrement dit Leucade, nom d'une île de l'archipel des Ioniennes, sur la côte occidentale de la Grèce. Or, j'ai déjà traité de Leucade en une précédente note sur Henri de Monfreid. Qu'on me permette de me citer un peu longuement :

« "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer." (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37). Jean Richer cite le géographe grec Strabon qui signale que, de son temps, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade. "Des plumes étaient collées sur son corps et on l'attachait même à des volatiles vivantes pour ralentir sa chute. Il était gracié s'il sortait vivant de l'eau."

De même, dans la roue zodiacale centrée sur Sardes, en Anatolie, la localité située à la latitude de Sardes se nomme Leuca. Un autre cap du même nom, à la pointe sud-est de la Calabre, au Promontoire Iapygium Sallentinum, "semble avoir été considéré, au moins à un certain moment, comme une sorte de relais jouant le même rôle symbolique que Leucade et avoir donc été mis en relation avec le point vernal."(Géographie Sacrée dans le Monde Romain, Guy Trédaniel, 1985, p.66). Le nom même de Leucade est apparenté à celui de la blancheur (leukè) et de la Lumière (lycos). » 


Que Léocade soit issu de Lyon n'est sans doute pas non plus sans signification : l'antique Lugdunum tiendrait son nom « de Lug, dieu suprême de la mythologie celtique, auquel un autel aurait été consacré sur l'actuelle colline de Fourvière, et du mot dun (" forteresse ", " colline "). On avance aussi le terme lukos qui signifie " le corbeau ", animal annonciateur de la présence de Lug, dans la mythologie. Une autre théorie sur le nom de la ville avance que le mot lug pourrait avoir le même sens que le mot latin lux (lumière). Le nom de la ville signifierait ainsi "Colline éclairée". Les deux interprétations ne sont d'ailleurs pas très éloignées, Lug étant une divinité solaire et de la lumière... » (Article Wikipedia corroboré, par exemple, par cette page du blog Accord-Philo

 

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Que le fils de Léocade se nomme Ludre est un autre indice remarquable : Ludre est en effet la traduction populaire du latin Lusor, où la racine lux se laisse lire avec évidence. En occitan existe encore le mot lusor qui signifie lueur : L'alba es la primièra lusor del jorn que pareis a l'asuèlh, just al moment quand lo solelh es en vam de se levar (L'aube est la première lueur du jour qui paraît à l'horizon, juste au moment où le soleil est sur le point de se lever). 

C'est dans le juste prolongement de ce symbolisme de la lumière naissante que la tradition rapporte que saint Ludre mourut encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Il n'est jusqu'à son sépulcre à Déols à n'être pas sans raison en marbre de Paros : cette pierre, dont on usa pour la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace, étant d'une blancheur éclatante.


Énée se tenait droit, resplendissant dans la claire lumière ;

il avait le visage et les épaules d'un dieu ; car sa mère en personne  

avait insufflé à son fils une chevelure magnifique, l'éclat vermeil

de la jeunesse et elle avait empli ses yeux d'une grâce charmante :

comme lorsque des mains artistes rehaussent la beauté de l'ivoire,

ou lorsque l'argent ou le marbre de Paros se parent d'or.

Enéide (1, 588-593) 


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25 novembre 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)

Vita Martini (4) : De Mars Condatis à sainte Gemme

La mort d'un saint n'est jamais anodine. Le lieu, la date, les circonstances portent un enseignement. Que le jour de cette mort soit devenu chaque fois jour de fête doit nous avertir sur le sens profond de la fête, dont nous avons à peu près perdu aujourd'hui la valeur sacrificielle qui s'y attachait. La mort de Martin ne déroge pas à l'usage. Examinons-la en détail.

Tout d'abord, elle n'a pas lieu à Tours, siège de son évêché, mais à Candes, une petite ville située, comme son nom étymologiquement l'indique (gaulois condate, confluent), à la rencontre des eaux de la Loire et de la Vienne. D'emblée, nous retrouvons la symbolique des flux mêlés qui s'est imposée dès le début de l'étude de Verseau. Les confluents sont toujours des lieux particulièrement sacrés dans toutes les mythologies, et une étude de la Société de Mythologie Française montre que "Le mot condate semble avoir gardé une charge religieuse spécifique et la proportion élevée de patronages dévolus à saint Martin pourrait être un indice de la christianisation du Mars celtique appelé parfois Condatis".

 

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Fronton du porche de l'église de Candes Saint-Martin


La raison officielle de la venue de Martin  à Candes est toutefois l'apaisement d' une querelle entre les clercs de l'endroit. Le devoir accompli, ses forces l'abandonnent et il est reçu le 8 novembre 397 "dans le sein d'Abraham". Le corps du saint va alors être l'objet d'une âpre lutte entre Tourangeaux et Poitevins  de Ligugé, accourus dès la rumeur de trépas prochain,  qui tous le revendiquent. Les Tourangeaux sont les plus malins car ils réussissent, selon les dires de Grégoire de Tours (Sulpice Sévère ne souffle mot du larcin), à escamoter nuitamment la sainte dépouille par une fenêtre et à la transporter jusqu'à Tours en remontant la Loire. Les obsèques  ont lieu le 11 novembre, jour  donc de la Saint-Martin.

"Selon la légende, est-il dit sur le site de saintmartindetours.eu, les Tourangeaux embarquèrent la dépouille du saint évêque dans la lumière et les chants ; tout au long de la remontée de la Loire du bateau funéraire, et plus particulièrement au lieu dit "le Port d'Ablevois" (Alba via - la voie blanche) à la Chapelle Blanche (Capella alba), aujourd'hui appelée La Chapelle-sur-Loire, les buissons des rives se couvrirent de fleurs blanches. C'est de là que vient l'expression "l'Été de la Saint Martin"."

Une semblable translation par voie fluviale a eu lieu, on le sait,  pour saint Genou, dont le corps fut  transporté de Palluau à Saint-Genou en suivant le cours de l'Indre (très court trajet d'ailleurs, dont on voit mal la nécessité matérielle, mais c'est le symbole qui importe bien sûr).


Mgr Villepelet place la fête de saint Genou au 20 juin (d'autres sources la placent au 17 janvier, comme celle de saint Sulpice). D'autres saints  sont fêtés bien sûr ce jour-là. Parmi eux, une certaine sainte Gemme, martyre en 109, jeune lusitanienne d'une grande beauté  ayant fui en Aquitaine la vindicte de son père, lequel voulait lui faire abjurer sa foi chrétienne.


Comme par hasard, le village de Sainte-Gemme (la commune s'honore aussi d'un dolmen dit de la Pierre-Saint-Martin) se place  exactement sur le méridien sud de Saint-Genou.

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27 juin 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

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