04 février 2011
Demi-tour 2.0 et Astérios Polyp
Hier, je me rends à la médiathèque Equinoxe. Comme je me dirige vers l'espace BD, un ami m'interpelle, et nous discutons un moment autour de la table des nouveautés. C'est au beau milieu de cette discussion que j'aperçois, devant moi, la couverture rouge de Demi-tour 2.0. L'album, que j'espérais trouver ici sans en avoir aucune certitude (il aurait pu aussi être emprunté) était donc sous mes yeux, comme s'il n'attendait que moi. Je trouvai ce signe de bon augure. Il fallait décidément que je me penche sur les ressemblances, qui m'étaient très vite apparues, avec le roman graphique de David Mazzuchelli, Astérios Polyp.
Première découverte : Frédéric Boilet est né le 16 janvier 1960. Donc la même année que Mazzuchelli et moi-même. Tous les trois, nous avons eu 50 ans l'année dernière.
Avant de s'intéresser à l'histoire proprement dite, penchons-nous tout d'abord sur le travail de la couleur, où l'on va constater une approche très similaire chez les deux créateurs. Mais il faudrait plutôt dire trois, car Boilet a fait appel pour la colorisation à Emmanuel Guibert. "C'est lui, explique-t-il, qui a proposé d'attribuer une couleur à chaque personnage. Au début, je crois qu'il avait proposé de reconstituer le drapeau français, le bleu pour la fille, le rouge pour le garçon, et le blanc entre les deux. Mais ça n'a pas dû convenir, et la dominante des scènes avec Joachim a finalement été le jaune, le rouge devenant la couleur commune aux deux personnages."
Propos confirmés par Guibert sur le propre site de F. Boilet : "L'idée d'attribuer une couleur à chaque personnage m'est venue tout de suite : le bleu pour Miryam, qui apparaît pour la première fois dans la pénombre d'une chambre d'hôtel, et le jaune pour Joachim assis dès la première page dans un compartiment de train. Or, le jaune et le rouge forment une harmonie traditionnellement affectée aux trains français. Le rouge est donc la valeur commune aux deux personnages, dont les couleurs vont fusionner aux moments-clés de leur histoire pour finalement s'échanger dans les dernières planches. Demi-tour repose sur une palette extrêmement réduite, mais j'aime beaucoup travailler de cette manière. Peut-être parce que je vis à Paris, où l'on a plutôt affaire à une grisaille colorée. »
Or, je l'ai dit, ce traitement de la couleur se retrouve presque à l'identique chez le dessinateur américain, comme l'explique l'auteur de l'excellent blog MysteryComics, dont je citerai ici abondamment l'analyse : "Mazzucchelli n'utilise que trois couleurs en tout et pour tout dans tout le livre : le bleu (cyan), le rouge (magenta) et le jaune. Trois couleurs primaires mais qui correspondent à chaque fois à un concept précis : le bleu et le rouge évoquent le passé d'Asterios et d'Hana, le jaune tout ce qui se passe après l'incendie du domicile d'Asterios."
L'idée du drapeau français est figurée dans une aquarelle de la postface de la nouvelle édition : le bleu et le rouge y sont en opposition. Opposition que l'on peut retrouver dans plusieurs planches de Mazzuchelli, par exemple dans la scène du cocktail où Astérios Polyp, l'architecte "de papier"(aucun de ses projets n'ayant conduit à une construction) rencontre Hana, la discrète sculptrice.
Là où Mazzuchelli innove, c'est dans le traitement graphique des personnages. Non seulement ils sont d'une couleur différente (cependant on voit que les couleurs s'interpénètrent au fil du temps de la conversation, montrant ainsi le rapprochement des individualités), mais ils sont dessinés très différemment (de même les autres invités du cocktail).
Dans cette même médiathèque j'avais emprunté Astérios Polyp (avant de l'acheter un peu plus tard, totalement conquis par cette oeuvre), en même temps qu'un CD de Mona Heftre (recueil de chansons de Rezvani), dont le titre m'apparut, après lecture de la bande dessinée, comme un écho à celle-ci :
D'autant plus que les chansons de cet album sont essentiellement des chansons d'amour, comme le souligne Serge Rezvani dans sa préface datée de janvier 2000 : « Pour la plupart, d'ailleurs, ces chansons sont un peu comme le journal chanté de ma vie avec elle, la femme de ma vie. Elles nous disent. Elles disent l'émoi de la première rencontre ; l'émoi de se découvrir et d'avoir le privilège de vivre ensemble. »
Amour qui est bien aussi le thème commun des deux bandes dessinées que nous étudions.
Autre coïncidence forte : l'héroïne principale se trouve être, dans les deux ouvrages, une japonaise. Chez Boilet, elle s'appelle Misato, et Hana chez Mazzuchelli. Deux prénoms dont on apprend, chaque fois au cours d'un dialogue avec les protagonistes masculins, qu'ils ont une signification : Hana voulant dire "fleur" et Misato "profond pays natal". Par ailleurs, l'une - Misato- a la double nationalité car elle est née en France, et l'autre - Hana - est issue d'une japonaise et d'un américain d'origine allemande. Dualité encore perceptible donc dans les origines.
Et qu'on repère également dans l'histoire du nom Polyp. Le père d'Astérios, Eugenios, d'origine grecque, a immigré en 1919 (tiens, 19 redoublé), et c'est un employé d'Ellis Island, quelque peu exaspéré, qui a abrégé son patronyme de moitié, n'en gardant que les cinq premières lettres. Il se marie avec une certaine Aglia Olio qui accouche le 22 juin 1950 de deux jumeaux, après 33 heures d'un travail douloureux. 22, 33, deux jumeaux (dont l'un, Ignazio, meurt), est-il nécessaire d'insister sur la prééminence du motif duel ?
Mystery Comics résume ainsi le livre : "Il est devenu professeur dans une université et lorsque le récit débute, un soir d'orage, alors qu'il est seul et triste dans son appartement, la foudre s'abat sur l'immeuble où il réside et déclenche un incendie.
01:12 Publié dans Le Facteur de coïncidences | Lien permanent | Commentaires (3)