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12 août 2011

Compostelle

Il faut que je parle de Compostelle. Certes, j'en ai déjà parlé ici et là, mais jamais je n'y ai consacré une note complète. Pourquoi aujourd'hui ? Tout simplement parce que Compostelle n'a cessé d'apparaître dans mes lectures tout dernièrement, et que j'ai vite fait d'interpréter la récurrence d'un événement comme un signe, ce qui est certainement très abusif mais, pour ainsi dire, c'est plus fort que moi. Signe de quoi ? en plus je n'en sais rien. Si j'écris cette note, c'est sans doute un peu pour essayer de le savoir.

Commençons par le commencement. A l'espace Leclerc Culture de Châteauroux, début juillet, je vois dans le présentoir des nouveautés en poche En avant, route ! d'Alix de Saint-André. Je sais qu'elle y raconte ses trois pélerinages à Compostelle, mais finalement, malgré l'envie que j'en ai, je n'achète pas le volume. Deux semaines plus tard, sur la côte aquitaine, j'ai la bonne surprise de le retrouver dans le chalet de nos vacances (c'est mon beau-père qui en a fait l'achat, inutile de préciser que je ne lui en ai nullement parlé). Je le dévore en deux jours, car c'est un livre très agréable, plein d'humour, qui ne cherche pas à donner la leçon ou à administrer un message. Alix de Saint-André est croyante, mais ne fait pas de prosélytisme ; elle ne se fait pas de cadeaux (elle effectue son second voyage parce qu'elle a la sensation d'avoir raté le premier, par égoïsme), et accorde une grande place à ses compagnons du camino.

"Le troisième, je l’ai vraiment fait pour moi, j’ai fait ce qu’on appelait au Moyen Âge le « vrai chemin », qui consiste à partir de chez soi. Donc, je suis partie de Saint-Hilaire-Saint-Florent, Maine-et-Loire, pour aller jusqu’au bout de la terre, à Finisterre. Parce que le pèlerinage ne se termine pas au tombeau de l’Apôtre, mais trois jours plus tard au bord de la mer, où l’on brûle symboliquement un vieux vêtement au coucher du soleil : on dépouille le vieil homme pour devenir un homme nouveau."

De retour en Berry, j'emprunte à la médiathèque plusieurs ouvrages dont La carte de Guido, sous-titré Un pélerinage européen, de Kenneth White. Poète, écrivain, essayiste, je l'avais découvert il y a longtemps à travers les Lettres de Gourgounel, où il relatait son séjour en 1966 dans un images?q=tbn:ANd9GcRuFEPlNJriS86jnGFgkQ6GNmrqNqqhoR9DzA6r0nOM1rhQ-FRiwApetit hameau ardéchois. Un livre qui m'avait, comme beaucoup d'autres, enthousiasmé à l'époque. J'ai ensuite longtemps suivi son parcours, puis je l'ai un peu perdu de vue, car il m'a semblé que quelque chose commençait à tourner en rond chez le géopoéticien (c'est ainsi qu'il se désigne parfois). Ce dernier ouvrage en donne à mon sens une nouvelle preuve : composé à partir des multiples voyages de l'auteur en différentes parties de l'Europe, il ne parvient guère à nous éclairer sur le sens même, la figure, les perspectives de cette Europe. Il s'applique souvent à rapporter des conversations entendues ici et là, comme s'il voulait restituer un peu de l'air du temps, mais il ne parvient guère à leur donner vie - et cela manque souvent cruellement d'empathie. Moins érudite, Alix de Saint-André parvient beaucoup mieux à dessiner des portraits d'hommes et de femmes, en cernant de près leurs désirs, leurs motivations, leurs blessures, aussi en deviennent-ils attachants, au lieu que Kenneth White reste dans une distance qui nous prive de l'humain.

Ainsi de cet homme rencontré dans un petit village de Galice, un afrikaner qui en était lui à son quatrième pélerinage : parti cette fois de Séville, il comptait marcher jusqu'au cap Finisterre. Extrait :

"Vous connaissez le cap Finisterre, demanda-t-il.

"Non", répondis-je, ce qui n'était pas vrai car, vu mon attirance pour les finisterres en général, j'y étais allé des années auparavant, mais je sentais qu'il voulait m'apprendre quelque chose, alors je l'ai laissé parler.

"C'est du latin. Ça signifie "la fin de la terre". Pas la fin du monde, comme dans l'Apocalypse, mais la fin des terres.

- D'accord.

- C'est comme Compostela. C'est aussi du latin? Campus stella, "le champ des étoiles"."

Je ne lui ai pas dit que cette étymologie était contestée, ni que son latin n'était pas fameux. Je me suis contenté d'un "Je vois"." (p. 88-89)

J'ai préféré, à cette posture légèrement condescendante, l'attitude de l'auteur d'un autre livre emprunté le même jour, Jean-Louis Hue et son Apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Les trois derniers chapitres sont consacrés à Compostelle (ce que je ne savais pas en l'empruntant), et la dernière page au cap Finisterre où, "blottis dans les niches de la falaise, les pélerins attendent que le soleil couchant s'ensevelisse dans la mer." "Le Finisterre, poursuit-il, marque la symbolique frontière d'une vieille vie qui s'achève et d'une autre qui naît. De ce face-à-face avec l'immensité de l'Océan, les pélerins reviendront métamorphosés. Ils seront comme des hommes neufs."

Les pélerins peut-être, mais pas Jean-Louis Hue : "Je n'avais pas envie de rentrer. Et pas davantage l'ambition de devenir un homme neuf. L'idée d'en avoir fini me laissait désemparé." Les dernières lignes sont malgré tout pleines d'optimisme : "Je sais que demain d'autres chemins s'ouvriront à moi. Rien ne pourra me priver d'une liberté que j'ai mis des siècles à conquérir. J'ai enfin appris à marcher."

Un quatrième écho compostellan me fut donné à entendre. Une autre recherche, distincte, me conduisit à réouvrir ce merveilleux livre d'Olivier Clément*, Anachroniques (Desclée de Brouwer, 1990), et, si je n'y trouvais point ce que j'étais censé y trouver (une référence à Léon Chestov), j'y redécouvris le chapitre qu'il écrivit sur Compostelle "ou : saint Occident."

Le mystère de Saint-Jacques de Compostelle, en effet, c'est le mystère de l'Occident. La Galice est le finistère le plus occidental de l'Europe, le seul où se soit fixé l'un des lieux saints de la chrétienté. Ici la terre s'enfonce dans l'océan, le désigne, lieu de l'ouverture et de l'aventure. Dans le ciel nocturne, la voie lactée dessine le "chemin de Saint-Jacques", et sa contemplation transforme les pélerins en rois-mages s'apportant en offrande. "Mille et mille étoiles font de saint Jacques le chemin", dit un texte du XVIe siècle. Et Compostelle veut dire "le champ de l'étoile", l'étoile de Bethléem brillant comme un phare à l'extrême de l'Occident, pour les aventuriers qui, sur l'océan, reprendront l'injonction du pélerinage, ultreia, "toujours plus loin". (p. 301)

573px-Chemins-Saint-Jacques-PM-en-France_fr.svg.png

Carte  : Wikipedia

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*La note où, en 2009, j'évoquais Olivier Clément, débutait avec Vézelay, qui n'est autre qu'un des points de départ vers Compostelle. La Voie de Vézelay, aussi dénommée Via lemovicensis, est celle qui passe par Déols et Neuvy Saint-Sépulchre.

Commentaires

Bonjour Robin, St Jacques de Compostelle était aussi dans mes pensées. Un de mes fils séjourne près du Puy en Velay et nous avons évoqué la via Podiensis.
Entre Déols et Neuvy, nous avions fait un détour par Vicq, cela vaut le coup.
Voici un lien pour illustrer les nombreuses et merveilleuses étapes de ces voies françaises :
http://www.romanes.com/

Écrit par : Marc Briand | 14 août 2011

Bonjour Marc,
En effet, Vic (qui a perdu son q récemment), est magnifique. Les fresques sont de toute beauté et j'invite chacun à faire comme vous le détour. Je regrette de n'en avoir pas vraiment parlé encore, mais c'est l'un de ces lieux d'importance qui sont pour l'instant toujours restés à l'écart de mes investigations. Mais je ne désespère pas...

Écrit par : Robin | 14 août 2011

Bonjour
Aujourd'hui je chine dans votre site.
J'ai découvert votre site il y a quelques années en faisant une recherche "Villesalem"
J'ai découvert l'existence de ce prieuré il y a une douzaine d'années car il m'arrive de séjourner à La Roche-Posay (86).
Depuis que je suis tombé dans le chaudron magique de la trilogie de Henri Vincenot, j'ai du mal à en sortir. La symbolique de l'architecture romane me tiraille.
La lecture notamment de cette trilogie puis d'autres ouvrages de Louis Charpentier m'ont permis de faire de belles découvertes en terme de rapprochement de toponymies locales avec des lieux sacrés.
Puisque le sujet du présent article est Compostelle, il m'est apparu un rapprochement singulier au sujet de cette ville. En observant la carte de la partie Nord de l'Espagne située à coté de notre table, un soir alors que je séjournait à l'IBIS de Saint-Dié-des-Vosges. J'ai découvert l'existence d'une ville nommée Lugos comme par hasard située à l'Est de Compostelle.
Lug était le dieu celte de la lumière, du soleil et, comme par hasard, le soleil qui va éclairer Compostelle se lève justement à l'Est, par Lugos...
A la suite de cette découverte, le hasard m'a fait découvrir que l'édifice roman de Mont-devant-Sassey (55, à 120km de chez moi) était collé à une microtoponymie locale calquée sur celle de Compostelle.
A Mont-devant-Sassey, c'est le petit village de Lion-devant-Dun (Lugdunum) qui joue ce rôle.
J'ai fait le saut un matin d'équinoxe pour vérifier ce que je présentais, c'était gagné! Le chevet octogonal indique que l'édifice est bien orienté à l'équinoxe.
La symbolique architecturale de Notre-Dame de Mont est très parlante pour qui sait ou a appris à la lire.
Ce secteur du nord meusien est aussi riche d'une toponymie templière pour être situé près de Dun-sur-Meuse et avoir appartenu au Duc d'Apremont (Apremont-la-Forêt, près de Saint Mihiel 55) protecteur-donateur au Temple.

Écrit par : Jean | 02 novembre 2011

Merci, Jean, pour ces découvertes. Je ne connais pas du tout la région que vous évoquez, mais elle semble riche de symbolisme elle aussi. Du point de vue du facteur de coïncidences, votre commentaire me réjouit parce qu'hier au soir je travaillais sur la version livre papier de cette étude (une rude tâche qui est encore loin d'être achevée), et que j'écrivais, très précisément, au sujet de Lugdunum, cité d'origine de Léocade, dans la légende de Denis Gaulois.
Puisse Lug continuer à me donner sa lumière !

Écrit par : Robin | 02 novembre 2011

Bonjour Robin
J'ignore si vous avez été initié comme moi a la symbolique romane mais le parcour qui m'a permis ces révélations et découvertes a été le suivant.
Pour "la mise en bouche ou plutôt en condition, un collègue ingénieur m'avait mis entre les mains le roman autobiographique de Henri Vincenot "La Billebaude" La lecture des soixante première page m'a parue ardue. J'ai cependant eu le courage de passer ce seuil! C'est là que le début de l'aventure a commencé...
Le même collègue m'a ensuite proposé la lecture du "Pape des escargots" Une plaisanterie qui permet néanmoins d'apprendre des nouvelles choses.
L'apothéose est venue avec la lecture de "Les étoiles de Compostelle" Là, je me suis mis dans la peau de Jehan le Tonnerre au point d'être allé à La Bussière-sur-Ouche dans le coin de Dijon. J'avais à l'époque un beau-frère militaire à la base de chasse de Dijon-Longvic.
Je dois dire que j'ai été un peu déçu pas ce que j'ai retrouvé de l'abbaye que j'avais construite au Moyen-âge mais bon, l'imaginaire dû à la lecture était plus fort que la réalité du XXème siècle!
Par la suite j'ai lu plusieurs ouvrages de Louis Charpentier (un bien nommé...) aux éditions Robert Lafont dont notamment "Les mystères Templiers", "Les mystères de la cathédrale de Chartres"
La lecture de ces ouvrages m'a permis entre autres pas mal de découvertes au point de passer pour un illuminé auprès de la semble t-il pieuse association de sauvegarde de Notre-Dame de Mont-devant-Sassey avec laquelle j'avais pris contact pour essayer d'aborder la symbolique de l'édifice qu'ils avaient à coeur de conserver. Ils ont dû me prendre pour le diable? Ils s'accrochaient à l'Histoire officielle sans pouvoir sortir de cette ornière intellectuelle.
Pour de nombreux croyants,le sujet reste trop souvent tabou.
Le portail sud d'entrée de N.D de Mont (55) est décoré d'un statuaire similaire à celui de la cathédrale de Reims (51) D'après certains ouvrages ésotériques qui abordent le problème tellurique des sites romans les plus intéressants il semblerait que N-D de Mont et N-D de Reims soient réunies parce que construites sur un même courant tellurique?

Écrit par : Jean | 03 novembre 2011

Bonsoir Jean,
Sur la symbolique romane, il me semble important de ne pas s'en tenir aux seuls ouvrages ésotériques. Les livres de la regrettée collection Zodiaque renferment, par exemple, des trésors qui aident à la compréhension de ces merveilles que sont les églises romanes.

Écrit par : Robin | 06 novembre 2011

Bonjour Robin
J'ai effectivement eu dans les mains un bouquin des éditions du Zodiaque (de l'Abbaye de la Pierre-qui-vire) "La symbolique de l'architecture romane" (si mes souvenirs sont bons) qui donnait quelques significations intéressantes comme la compréhension de la position géométrique des tours de clocher par rapport aux positions du soleil au moment des solstices. Par contre d'autres explications ne m'ont pas convaincues.
Au fait "la Pierre-qui-Vire" est déja tout un symbole, y compris sont lieu d'implantation du coté de Saint-Benoît-sur-Loire il me semble?
Ma culture du symbolisme et de l'ésotérisme de l'architecture romane m'a permis tant de découvertes qu'il m'est difficile à présent de renoncer à ma vision des choses.
Le celtisme (certains diront néoceltisme) est empreint d'une symbolique d'universalité de l'Humanité et d'un état de conscience humaine matérialisé au travers de l'architecture du Temple roman.
Ainsi, le Temple roman au travers de la symbolique qu'il porte est vaisseau spatial. Il se déplace dans l'univers attaché à la Terre-Mère et reliée au cosmos par sa symbolique architecturale.

Écrit par : jean | 08 novembre 2011

Concernant le lieu d'implantation de "La Pierre-qui-Vire", je me suis un peu fourgué. C'est dans l'Yonne.
Reste néanmoins qu'il s'agit d'une abbaye bénédictine, donc de Saint Benoît!

Écrit par : Jean | 09 novembre 2011

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