22 avril 2005
La corne du Bélier
"La carte du monde imaginable n'est tracée que dans les songes. " Charles Nodier (Rêveries), cité par Gaston Bachelard.
De retour ici, je vois bien que je ne tiendrai pas ma feuille de route. J'avais imaginé de déployer cette étude de géographie zodiacale au fil des mois et des signes traversés, ce pourquoi j'avais ouvert ce blog le jour de l'équinoxe de printemps. Mais le Taureau pointe son mufle alors que je suis loin d'en avoir terminé avec le Bélier. La bête est plus longue à tondre que prévu et il me faut donc renoncer, au moins provisoirement, à l'adéquation du zodiaque terrestre et du zodiaque temporel, à la synchronie des parcours. Ici le chemin s'invente au fur et à mesure de la marche, et aux voies directes nous nous réserverons toujours le droit de préférer les chemins de traverse. Disons qu'il est des retards et des détours qui ne sont pas forcément des pertes de temps.
J'en étais resté à Luzeret, ce petit village au sud d'Argenton qui s' honorait d'un Saint Vivien, évêque de Saintes bien mystérieux. En fait, ce n'est pas le seul lien existant sur la commune avec la Saintonge puisque en aval de la Sonne, la petite rivière qui arrose Luzeret, on trouve les vestiges de l'ancienne abbaye de Loudieu (de loco dei, à l'origine, c'est-à-dire le lieu Dieu ). Or celle-ci relevait de l'abbaye de Fontdouce, sise en Charente-Maritime. Les deux édifices sont pareillement situées dans un vallon, près d'une source (à la Loudieu, elle est même réputée miraculeuse : elle guérirait les maux d'yeux), à l'instar de la plupart des abbayes cisterciennes (d'ailleurs, le pape Alexandre III, dans une bulle du 31 décembre 1163, ordonnera aux religieux de suivre la règle de Cîteaux). Fondée en 1111, Fontdouce s'était développée grâce à Aliénor d'Aquitaine dont les dons avaient permis la construction d'un second monastère de style gothique. La souveraine serait d'ailleurs figurée par une tête tricéphale à quatre yeux qui regardent dans trois directions.
Il semble a priori hasardeux de rapprocher le nom de la rivière, la Sonne, du nom allemand du soleil, mais les influences tudesques sont-elles si rares dans notre langue ? Remarquons que le fondateur de Fontdouce n'est autre que le dénommé Wilhelm de Conchamp , seigneur de Taillebourg ( Wilhelm est le pendant germanique de Guillaume). Repensant à nos Wisigoths, nous observerons aussi que la forme gothique du soleil est sunno.
D'ailleurs, selon le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert, 1992), le latin classique sol "appartient à une famille de mots indoeuropéens désignant le soleil, affectant des formes diverses qui impliquent une racine avec alternance l-n dans la flexion ; sol proviendrait d'une forme ◦swol- ; le grec hêlios (→hélio-) d'un ◦sawelios."
La racine grecque, nous la retrouvons dans le mythe même de Chrysomallos, le bélier ailé à la toison d'or, en la personne de Hêllé, la lumineuse, fille d'Athamas, roi d'Orchomène. Voyant son pays dévasté par la sécheresse et la famine, cet Athamas envoya à Delphes des députés pour consulter l'oracle d'Apollon. Soudoyés par Ino, la seconde épouse d'Athamas, qui haïssait les enfants du premier lit, Hêllé et son frère Phrixos (le bouclé), ils déclarèrent que leur sacrifice était nécessaire à l'apaisement des dieux. Le brave bélier, qui avait eu vent du complot, emporta alors les deux enfants dans les airs. Mais l'une de ses cornes se brisa et la jeune fille tomba dans la mer, qu'on nomma dès lors Hellespont, aujourd'hui le détroit des Dardanelles. Parvenus en Colchide, Chrysomallos ordonna à Phrixos de l'immoler puis il monta au ciel où il devint le premier signe du zodiaque. Sa toison d'or fut alors cachée par Phrixos dans un bois consacré à Arès (maître traditionnel du signe) et devint l'objet de la quête des Argonautes menés par Jason.
"The Sacrifice of Phrixos and Helle"
Lucanian Red Figure Nestoris C4th BC
Cambridge, Harvard University Art Museums 1960.367
J'aime à croire que c'est pour porter souvenir du bris de la corne de Chrysomallos que l'alignement Luzeret - Neuvy Saint-Sépulchre passe par Malicornay, ancienne place forte et paroisse dépendant, comme Luzeret d'ailleurs, de l'abbaye de Déols (mais je note aussi qu'un étang Malicorne existe au nord du village, à quelques kilomètres, au milieu des bois).
L'astrologue Jean-Pierre Nicola propose une interprétation du mythe qui n'est pas sans intérêt :
"La Fable exalte la jeunesse... votre jeunesse. Elle oppose le divin au terrestre. Les enfants de Néphélé sont les fruits des nuages et du vent (Athamas est fils d’Eole, dieu du vent)... Une belle-mère calculatrice veut les supprimer pour que ses propres enfants, créatures terrestres, héritent du pouvoir temporel. Ses calculs sont mauvais. " En effet, Athamas, instruit plus tard des visées d'Ino, tua leur fils Léarchos dans une crise de folie.
La jeunesse, les enfants, je les retrouve encore, liés à cet élément aquatique décidément omniprésent, en relisant Le florilège de l'eau en Berry, de Jean-Louis Desplaces (2ème volume, Buzançais, 1981) : j' avais oublié qu'outre l'église, la paroisse de Luzeret abrite une fontaine Saint-Vivien. Situé à 60 mètres au sud de l'édifice religieux, sur les bords de la Sonne, elle était le but d'une procession le 28 août. On invoquait alors Saint-Vivien pour la fièvre des enfants : le rituel consistait en trois tours d' église et la palpation d'une des deux statues en plâtre du saint.
Maintenant si nous prolongeons l'axe Luzeret-Neuvy vers le sud, nous atteignons le village de Liglet, qui forme avec le village de Lignac et le hameau de Lignat un autre alignement (le terme ne convient-il pas parfaitement ici ?) loin d'être anodin. A suivre, bien entendu.
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