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11 juillet 2005

Translatio Graalis

A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles :

« Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)

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Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163)

Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny.

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A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier.

Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants.

A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval :

« C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118)

L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision.
L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin...
(et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...).
Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac.

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Saint Etienne de Muret

Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir.

Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).

02:40 Publié dans Cancer | Lien permanent | Commentaires (0)

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