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30 septembre 2006

Denis Gaulois (2) : Du côté de la galerne

« Il étoit regardé par ses gens et habitants comme un grand homme, ainsi qu'il l'étoit véritablement de sagesse et de conduite. Il étoit d'une taille des plus avantageuses, ayant six pieds deux pouces de hauteur. De son côté, il aimait beaucoup ses gens ; il ne leur demandait jamais rien, si non de lui aider à chasser dans ses forêts, six fois en l'an, ses bêtes féroces. Il cueilloit des grains en abondance et tiroit du jus de tous les fruits qu'il récoltoit. Ses habitants faisoient comme lui ; il alloit les voir souvent, surtout ceux du canton de Roux, qui est à six traits d'arc de son luant, situé sur une éminence d'un côté où la rivière d'Indre passe ; de l'autre, une belle forêt, abondante en touts choses. Il n'avoit pour toute compagnie avec lui, chaque fois, que quatre siens amis avec leurs arcs, pour faire la chasse. »

Certains ont rapproché ce passage avec la scène de chasse aux lions gravée sur le sarcophage en marbre de saint Ludre, actuellement dans la crypte de l'église Saint-Etienne à Déols.

medium_ludre-lions.jpg

 

« Il avoit déjà cent dix années, lorsqu'une troupe de gens, à lui inconnus, vint dans ses cantons pour les détruire ; mais il fut averti et rassembla ses habitants. Il rencontra ses ennemis près du canton de Déols, où il les occit tous et emporta avec lui un butin qui étoit très-considérable.

C'était une troupe d'Anglois(1), gens pervertis, sans loi ni religion. Il distribua à tous es hanitants tout ce qu'il avoit gagné sur eux, avec bien d'autres monnoies qu'il avoit fait frapper à son nom. »


En note (1), sans que l'on sache s'il s'agit d'un ajout de l'auteur originel ou d'une précision apportée par le Dr Fauconneau-Dufresne, on peut lire cette citation de Grégoire de Tours : « Britanni de Biturica a Gothis expulsi sunt, multis apud dolensum vicum perempti. (Hist. Lib. 2, cap. 18) Ce que François-Dominique Fournier traduit par « Les Bretons furent chassés de Bourges par les Goths, qui en tuèrent un grand nombre prés du bourg de Dol. »


Par Dol il faut entendre Déols : c'est d'ailleurs ce qu'on peut lire sur une traduction « angloise » de l'extrait : « The Britons were expelled from Bourges by the Goths after the killing of many of them at Bourg-de-Deols »


Comme on le voit, le clerc qui a imaginé toute cette histoire avait des lettres : Grégoire de Tours lui était rien moins que familier. A la fantaisie se mêle donc une érudition certaine, qui doit nous inciter à redoubler de vigilance, et à essayer de lire « à plus hault sens », comme le demandait Rabelais pour ses propres oeuvres.

Curieusement, la traduction britannique se trouve dans un ouvrage d'un certain Geoffrey Ashe intitulé "A Certain Very Ancient Book": Traces of an Arthurian Source in Geoffrey of Monmouth's History , Speculum, Vol. 56, No. 2 (Apr., 1981), pp. 301-323 ( malheureusement, il faut un mot de passe pour consulter plus avant ce document appartenant à la Medieval Academy of America). On la retrouve par ailleurs dans une thèse d'Adam Levin, elle, tout à fait accessible, datée de 1994, et nommée King Arthur's Death in Legend, History and Literature.

Je mentionne ces détails parce que ces références au roi Arthur deviennent intéressantes à partir du moment où l'on sait que saint Gildas, personnage par ailleurs historiquement avéré, intervient, dans sa légende, auprès du roi Arthur lorsque la reine Guenièvre se fait enlever par Meleagan : « Il aurait convaincu les deux rois de faire la paix bien que le frère de Gildas ait été tué par Arthur. Il est difficile de savoir si cette anecdote est vraie, étant donné qu'elle date d'un manuscrit du XIIe siècle , mais il est effectivement possible que le roi Arthur ait causé la mort du frère de Saint Gildas, ce qui pourrait expliquer pourquoi il ne figure pas dans la chronique de ce dernier (le De Excidio Britanniae, où Gildas s'adresse à cinq grands rois). »


Qu'il faille chercher dans cette direction bretonne, j'en vois encore un indice dans le passage suivant où, après l'affrontement avec les envahisseurs anglois, survient la canicule :

« Quelque jours après, les chaleurs devinrent si grandes que les animaux des bois venoient par bandes dans ses cantons, où ils causoient un grand dommage. Il fut obligé, par l'avis de ses amis, de faire faire un souterrain près son luant et la chapelle de Saint-Denis, du côté de la galerne, pour s'y loger l'été avec ses animaux et ses domestiques. »(C'est moi qui souligne)


J'ignorais complètement ce que c'était que la galerne. Le net m'apprit rapidement qu'il s'agissait d'un vent de nord-ouest, et je complétai mon instruction avec l'excellent dictionnaire des vents de Jean-Loïc Le Quellec, Par Vents et par Mots, acheté en août sur la foire aux livres d'Angles-sur-l'Anglin. Ce mot apparu vers 1150 est d'origine indéterminée : « On pourrait penser à une racine celtique connotant la fureur et la puissance (voir le gallois gal « fureur », le vieil-iralndais gal de même sens, et d'où peut-être le verbe normand galir, « jeter » qu'on a rapproché de jaillir). La finale en -erne serait à rapprocher de siberne, l'un des noms donnés à la bise. Etymologiquement, le vent de galerne serait alors celui qui « jaillit avec fureur ». Le mot est noté gualerne par Rabelais (Quart Livre, chapitre XLIII) et se trouve à l'origine du breton gwalarn» Un galerneau, poursuit l'auteur, est une « giboulée froide de mars, venant par vent de nord-ouest », dans le Berry et la Sologne.


Denis cherche donc la fraîcheur en plaçant l'ouverture de son souterrain vers la galerne, donc le nord-ouest, autant dire vers la Bretagne. D'où vinrent jadis les moines de Saint-Gildas, fuyant la presqu'île de Rhuys devant les invasions normandes.

 

 




11:15 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Bonjour Robin,
L' "Histoire des rois de Bretagne" de Geoffroy de Monmouth est disponible en français aux Belles Lettres. Quant à la "Partie arthurienne du Roman de Brut"(roman de Robert Wace) on la trouve, en vieux français, chez Klincksieck.
Ce sont les sources véritables avant Chrétien de Troyes. Après on peut spéculer tant qu'on veut mais sur des suppositions.
Par ailleurs, en lançant une demande de prêt inter bibliothèques vous pouvez obtenir des livres inespérés.

Écrit par : Marc Briand | 30 septembre 2006

Vous avez raison, Marc, d'insister sur le rôle des bibliothèques. C'est bien là, et non sur le net, que j'ai découvert la légende de Denis Gaulois. Il y a complémentarité, et non opposition. Le livre reste, à mon sens, irremplaçable.

Écrit par : Robin | 30 septembre 2006

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