27 mars 2009
Le feu secret du Saint-Fleuret
A l'heure où nous découvrîmes la stèle de Sauzelles, au coeur de l'après-midi, le soleil avait basculé depuis longtemps de l'autre côté de la falaise. Un couple d'habitants du hameau, qui nous avait indiqué le bon chemin, nous avait prévenus : il valait mieux venir de bon matin. J'ai regretté d'avoir oublié la boussole que je m'étais promis d'emmener, mais il était clair que seuls les rayons matutinaux pouvaient illuminer le monument. On a un aperçu de ce que ça doit donner avec une photo d'Hellio et Van Ingen*, deux excellents photographes naturalistes qui hantent la Brenne depuis des décennies. Néanmoins j'aimerais m'en assurer par moi-même et je me suis promis de revenir par ici aux alentours du 1er mai.
Pourquoi le 1er mai ? Tout simplement, rappelons-le, parce que c'est la date où l'on allait autrefois implorer le bon saint Fleuret. Il fallait s'y rendre avant le lever du soleil. Il me faut absolument vérifier si, à cette époque, le monument jouit d'une lumière particulière. A voir donc.
En tout cas, cette attention au soleil levant n'est pas anodine. Pour Anne Lombard-Jourdan, « tout nous porte à croire que les Gaulois adoraient le « soleil croissant », le soleil levant", et elle montre que la fleur de lis des rois de France n'est autre que l'héritière d'un ancien symbole solaire, qu'elle décrit comme « composé d'une croix à branches égales, dont le bras supérieur se divisait pour retomber à droite et à gauche sous forme d'une double courbe (geminae cristae). (...) Il évoquait le soleil à son lever, au moment où il croît. » (Fleur de lis et oriflamme, Presses du CNRS, 1991, p.87)
Le 1er mai, c'est aussi une date importante dans le festiaire celtique puisque c'est la date de Beltaine, la troisième des quatre grandes fêtes annuelles :
« Beltaine, « feu de Bel » est, au 1er mai, la fête du feu et des maîtres du feu et des éléments atmosphériques, les druides. Fête sacerdotale par excellence, elle indique le début de la saison claire et aussi le commencement de l'activité guerrière. Il n'y a pas d'équivalence continentale attestée mais, dans toute l'Europe, y compris l'ancien domaine celtique, le folklore de mai est immense et varié. C'est surtout celui qui a été le plus difficilement christianisé. » (Françoise Le Roux, Christian-J Guyonvarc'h, La société celtique, Ouest-France, p. 168)
La christianisation, on devine ici qu'elle a passé par l'invention de ce bon saint Fleuret qui a dû prendre la place d'une divinité solaire, peut-être Bélénos ou un avatar de celui-ci. Et de même qu'on allumait à Beltaine deux grands bûchers entre lesquels devait passer le bétail pour les préserver de la maladie, on a attribué au saint "vétérinaire" le pouvoir de protéger les troupeaux. A Estaing, comme à Sauzelles, saint Fleuret est clairement le protecteur des bestiaux. « Le culte, écrit Jean Delmas, attirait certaines années, le jour de la fête, plus de deux cents éleveurs du Nord-Aveyron et du Cantal. » Par la prière à saint Fleuret, les prêtres bénissent encore le pain, la fouace et le sel apportés par ces éleveurs. Le sel, distribué au retour du pélerinage, est sensé protéger et guérir les animaux de la ferme.
Les trois fleurs de lis d'or sur le blason d'Estaing nous apparaissent maintenant comme un indice supplémentaire de la perpétuation sous d'autres formes d'un ancien culte solaire.
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* Je ne peux que conseiller leur très beau Terre de Brenne, avec des textes de Maurice Soutif.
23:47 Publié dans Poissons | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : saint fleuret, estaing, beltaine, fleur de lis, anne lombard-jourdan
Commentaires
Bonjour,
ceci peut vous intéresser au sujet de Fleuret : Flora (Flore) était fêtée à Rome entre le 28 avril et le 3 mai donc en même temps que Beltaine. J'ai étudié un peu l'Île d'Yeu ou était chantée une chanson nommant sainte Barbe et sainte Flore (ailleurs c'est sainte Fleur) toutes deux associées à un végétal (joubarbe, et aubépine : épine de mai) sensé protéger de la foudre : le feu du ciel, attribut de Jupiter (parfois honoré comme Sôtêr : Sauveur comme Saint-Sauveur sur cette île) (nonagones.info/généralités/points particuliers)
Bonsoir
Rupert Rideec
Écrit par : rupert rideec | 03 janvier 2010
Merci pour ce renseignement, Rupert.
J'en profite pour ajouter votre site, riche et élégant, à ma liste de Résonances. Votre hypothèse n'est pas la mienne, mais le lecteur curieux ne peut qu'y trouver matière à réflexion.
Écrit par : Robin | 04 janvier 2010
Dear Mr. Rideec,
On another site of yours you featured an illustration of two dogs and a crown, in association with Saint Guinefort. On the illustration is the Latin, "Prius Scire Quam Credere."
"First to know - how - to believe" is the translation I find, but that is literal, and I'm not sure what it means.
Can you help me?
It is easiest to write me directly if you wish to respond: mary@marymac.com
Thank you,
Mary
Écrit par : Mary McDonald-Lewis | 22 décembre 2010
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