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26 décembre 2010

L'alouette et le buis

Simone, ma grand-mère, est morte. Elle était âgée de 95 ans, les souffrances avaient été vives et nombreuses ces dernières années, et ce départ est plutôt pour elle un soulagement. N'y voyant et n'y entendant plus que très mal, ne pouvant plus se déplacer seule, elle avait à peu près perdu le goût de vivre. Depuis 2002, où elle était allée vivre chez l'un de ses fils, je ne lui apportais plus ces livres en gros caractères de la bibliothèque d e La Châtre où j'avais pris spécialement pour elle un abonnement. Avant cette date, pendant des années, je l'avais alimentée de littérature régionale, celle qu'elle préférait, car elle avait souvent pour thème les campagnes et les destins paysans, histoires du seul monde qu'elle ait jamais connu. Car, en  presque un siècle d'existence, je ne pense pas qu'elle se soit souvent aventurée au-delà même des limites de sa commune et de son hameau. Et pourtant, sa destinée fut marquée et ô combien par les charivaris du monde, le bruit et la fureur de ce terrible vingtième siècle.

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Née donc le 10 octobre 1915, elle ne connaîtra pas son père, emporté très vite par la guerre. Et comme sa mère n'était pas mariée, elle ne connaîtra pas plus le père et la mère de son père, et ce sont ses grands-parents maternels qui pratiquement l'élevèrent. Elle se marie jeune, en 1933, avec Lucien, mon grand-père, rencontré, m'a-t-elle raconté, alors qu'ils menaient tous deux, sur un chemin, des boeufs et des vaches. En 1940, Lucien est fait prisonnier. Il ne reviendra qu'en mai 45. Pendant cinq longues années, Simone élevera seule trois petits enfants, dont l'aîné est mon père.

A Bouesse, dans la petite église, eurent lieu vendredi les obsèques. Ses sept enfants étaient là, ainsi que bon nombre de petits et arrière-petits enfants. Juste avant l'office, la tante qui s'est occupée d'elle jusqu'au dernier moment me demanda si j'avais prévu de dire quelque chose. J' y avais pensé, certes, mais je ne m'estimais pas plus légitime qu'un autre pour prononcer quelques mots d'hommage, et je n'avais donc rien préparé. Cependant, personne n'ayant rien préparé non plus, sauf des lectures d'évangile, je me sentis autorisé et même presque contraint à me lancer : elle ne pouvait pas partir sans que quelques paroles ne lui soient spécialement dédiées, sans que sa mémoire ne fût évoquée, de façon simple et concrète. Je sentais que je devais être la voix de tous ceux qui étaient cet après-midi rassemblés.

Dehors la neige tourbillonnait devant les anges, placées là pour les fêtes, qui gardaient la porte de l'église, et le froid intense rappela à ma propre mère celui qui sévissait il y avait tout juste 50 ans, dans cette même église, à l'occasion d'un événement qui n'était autre que mon baptême. Pour être exact, c'était le jour de Noël, mais le jeune prêtre rappela que la messe d'enterrement devait être célébrée de bon matin le lendemain même de ces funérailles : c'est donc exactement 50 ans, jour pour jour, qui séparent mon baptême et le dernier au revoir à ma grand-mère. Et je ne pouvais pas ne pas songer à cet article écrit ici-même pour mes 50 ans, où la neige et la guerre de 14 avaient bonne place déjà. Et, à cette date, rien ne laissait augurer de la rapide dégradation de santé de Simone.

Et les échos à la géographie sacrée dans les bornes mêmes de son existence ne sont pas niables : née dans la commune voisine de Malicornay, au lieu-dit l'Alouette, et décédée à La Verrerie, commune de Bouesse, elle est allée symboliquement de Bélier à Poissons, du premier au douzième signe du zodiaque. Il y aurait beaucoup à dire sur l'alouette, oiseau sacré des Gaulois, dont les ailes ornaient les casques d'une légion gallo-romaine fondée par César. L'alouette qui chante dès le matin exalte les valeurs du premier signe de printemps : « Son envol dans la claire lumière du matin évoque l'ardeur d'un élan juvénile, la ferveur, la joie manifeste de la vie. », note le Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont, 1982, p. 25).

Née le 10 octobre, elle est Balance, l'autre signe équinoxial, mais sa mort le 21 décembre la rattache au solstice.

Et je rappelerai que Bouesse est placée presque au centre du carré barlong de Saint-Genou, le carré sacré du buis, découvert en 2008.

 

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La diagonale SO-NO prend Bouesse et Malicornay dans sa visée. C'est sur la route de Buxières d'Aillac, l'autre village portant le buis dans son étymologie , que se situe le petit cimetière où nous accompagnâmes, à travers la bourrasque neigeuse, Simone pour son dernier voyage. C'est le lieu de rappeler aussi que le buis est, de par sa longévité, symbole d'immortalité et de la résurrection du Christ.

De l' alouette au buis, de la naissance au terme, que la vie de mon aïeule s'inscrive ainsi avec tant de précision sur les lignes de force d'une géographie symbolique immémoriale me laisse comme étonné et perplexe. Quelles places accordées respectivement à la détermination et à la liberté ? Que penser au fond de cette nouvelle énigme ? De cet intime tissage de nos destins ?