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14 mars 2008

Buxus sempervirens

Un mois d'absence... Qu'on veuille bien m'en excuser : le flux souvent tendu de la vie professionnelle et familiale ne laisse pas toujours le temps de sacrifier à nos passions inactuelles... Pour se consoler, on finit par se dire que cela peut bien attendre. Que cela a attendu parfois deux millénaires pour être remis en lumière. Qu'est-ce que quelques jours de plus à demeurer dans l'ombre ? Bon, je m'y remets tout de même, sans que je puisse promettre qu'il n'y aura pas d'autre interruption d'importance. Ce sera toujours ça de pris sur l'obscur...


A la vérité, j'avais bien encore deux ou trois petites choses à signaler sur les environs du Diou de l'Allier: cette abbaye de Sept-Fons qui rappelait si furieusement la Céphons levrousaine, ce Puy saint-Ambroise de haute présence celtique qui évoquait si fortement lui aussi notre Saint-Ambroix berrichon... Mais gardons cela pour une visite ultérieure ; assez dérivé en terre bourbonnaise, revenons à la figure essentielle, à savoir ce carré barlong défini par le  parallèle de Saint-Genou - Saint-Ambroix, les méridiens de ces deux localités et le parallèle de Bazelat, en Creuse.
L'examen des diagonales de ce carré va nous livrer une clé d'interprétation fondamentale.

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A première vue, cependant, rien de sensationnel ne se laisse voir : bien sûr, la diagonale NO-SE rase Saint-Denis de Jouhet et Neuvy Saint-Sépulchre, mais cela n'est pas suffisant pour emporter notre conviction. Le centre du carré ne tombe même pas sur un site habité. Le bourg le plus proche est Buxières-d'Aillac, dont je n'ai jamais encore parlé ici, bourg sans éclat particulier. J'étais donc dubitatif jusqu'à ce que je m'avise que l'autre diagonale, NE-SO, traversait très exactement le village de Bouesse (cher à mon coeur car ma grand-mère habite encore la commune et que, soit dit en passant, j'y fus baptisé). Or, quel est donc le point commun, étymologiquement parlant, entre ces deux villages distants seulement d'une poignée de kilomètres ?

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Réponse : le buis. Buxières d'Aillac est attesté en 1163 comme Ecclesia de Buxeriis, tandis que Bouesse, en ce même XIIème siècle, apparaît comme Villa de Boesses, que Stéphane Gendron interprète comme Buxea (terra), "(terre)à buis".
"Buis, explique-t-il,  est issu du latin buxus, arbuste d'un vert foncé luisant qui fournit un bois à sculpter très dur, orne les jardins, les cimetières. (...) Le buis est également le bois sacré des crois dites "buissières" (par exemple la croix Boissi). Une croix boissière est attestée en 1558 près de l'abbaye de Fontgombault : "le préau auquel est le cimetière de La Croix Boicière joignant le fossé de l'abbaye" (ANDRIEU 1699 [1558]). On remarquera que de nombreux toponymes sont associés à des vestiges gallo-romains (...)"(Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 161)
Pierre Goudot, dans son bel ouvrage Microtoponymie rurale et Histoire locale dans une frange entre occitan et français : la Combraille (eh oui, c'est le titre exact), publié en 2004 (Cercle d'Archéologie de Montluçon), confirme cette association : "Dans la mythologie grecque, le buis toujours vert (buxus sempervirens) était consacré à Cybèle ; dans le monde chrétien il est devenu le symbole de la résurrection du Christ et de la renaissance de la vie ; rares étaient les habitations qui n'en possédaient pas un pied ; quelques villages lui doivent leur nom et le buis peut être révélateur de sites habités disparus, notamment gallo-romains tardifs." (p. 159)

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Le Buis, qui peut vivre jusqu'à six cents ans,  était un symbole d'immortalité. Il semble justifié de le retrouver au coeur d'une figure sacrée de vaste dimension, dont on a vu qu'elle épousait les formes mêmes de la divinité. Maintenant s'agit-il d'une coïncidence isolée ou bien pouvons-nous repérer d'autres occurrences du buis dans cette topographie du carré de Saint-Genou ?


Il suffit de parcourir le parallèle de Bazelat, déterminé bien avant d'avoir décelé ce thème du buis : il est jalonné très exactement par deux lieux-dits La Bussière.
Et la diagonale de Bouesse passe aussi par le hameau de Buxerolle, près d'Ardentes, De Buxerolis en 1422.
Si la médiane horizontale du carré ne nous livre aucun indice, en revanche la médiane verticale est balisée, au nord,  par le Buxerioux (qui désigne maintenant la zone industrielle de Châteauroux) et, au sud, par le hameau du Buis, près de Lourdoueix Saint-Michel.
On nous objectera que Buis et ses dérivés sont termes fréquents dans l'Indre (43 mentions au total, incluant pièces de champ, et bois). Il reste que la présence double au centre de la figure et  sa récurrence sur les axes principaux ne me paraissent  pas fortuites.
Je n'y avais pas songé auparavant, en me relançant dans l'entreprise, mais il ne me déplaît pas d'écrire cette note à quelques jours de la fête des Rameaux, marquée par la tradition du buis béni.

Commentaires

Bonjour Robin,
Peu de chercheurs s'impliquent dans leur sujet; pourtant, quoi de plus objectif ?

Écrit par : Marc Briand | 17 mars 2008

Bonjour Marc,
Mon père est né et a passé son enfance à Bouesse. Fils de paysan, il a travaillé dès 14 ans comme ouvrier agricole dans la région. C'est dire s'il connaît bien les terres d'ici. Quand, dimanche dernier, je lui ai appris l'étymologie de Bouesse et de Buxières, il a été quelque peu surpris. Le buis n'est pas particulièrement caractéristique de ces deux communes situées dans la queue de Brenne. Cela me conforte dans mon hypothèse : la raison du nommage de ces lieux n'est pas à prendre dans la nature de la végétation, mais dans la volonté d'inscription symbolique. Le buis comme marqueur sacré.
Mon père a ajouté qu'il aurait plutôt pensé à Badecon-le-Pin, où le buis est abondant sur les rives de la Creuse. Amusant, car il ne pouvait savoir que Badecon est très précisément placé sur la diagonale du carré sacré.
Voilà ce qu'objectivement je pouvais préciser pour l'instant...

Écrit par : Robin | 19 mars 2008

Bonjour Robin,
Tout cela ne peut qu'aboutir à une publication. Je suis convaincu que vous explorez une voie très féconde.

Écrit par : Marc Briand | 20 mars 2008

Merci Marc, j'y songe, j'y songe...

Écrit par : Robin | 20 mars 2008

bonjour,
votre article m'intrigue.
je résume comment j'en suis arrivée à le lire. un jour alors que je prenait des notes, un ami qui me regardait m'a fait la remarque que j'écrivais sur la diagonale du carré sacré. alors que je fais des recherches pour comprendre ce qu'il a voulu dire, je tombe sur votre étude où le carré sacré semble être un lieu précis. je m'interroge donc sur quel liens faire entre ces deux expériences. si par hasard vous pourriez m'orienter...
merci de vos recherches et de votre réponse.
cordialement.
Clio

Écrit par : Clio | 25 mars 2010

Bonjour Clio,

Je ne refuse pas de vous "orienter", mais il faudrait que vous soyez plus précise sur la nature même de ce que vous appelez votre expérience. De quelles notes voulez-vous parler ? De quel lieu sur la diagonale du carré s'agit-il ? Par ailleurs, le carré est moins un lieu qu'un espace, que j'ai balisé avec précision, je pense.
Au plaisir de vous lire,

Robin

Écrit par : Robin | 25 mars 2010

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