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17 mars 2009

Saint Maur, Pigalle et Galifront

 

Déols, inspiratrice du triangle brennou, nous ne faisons là que vérifier encore une fois le rôle primordial de l'abbaye dans la construction de la géographie sacrée médiévale. L'axe Déols-Le Blanc (Ville Haute) semble confirmer la relation étroite entre les deux cités. Examinons-le attentivement.

 

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L'axe Déols-Le Blanc (cliquer pour afficher toute la carte)

Si nous partons de Déols, nous allons tout d'abord suivre le cours de l'Indre, en rasant le quartier Saint-Christophe, jusqu'au village de Saint-Maur. Passé celui-ci, l'axe abandonne la rivière et pique vers la Brenne en traversant la forêt de Saint-Maur ; il atteint ensuite avec une très grande précision le village de Méobecq, où Dagobert, on l'a vu, avait prétendûment fondé l'abbaye. Au-delà du Blanc, il est jalonné par Ingrandes, la Fines antique, à la limite des cités biturige et pictone (et situé sur l'axe équinoxial neuvicien) avant de se ficher à Saint-Savin, la prestigieuse abbaye déjà désignée par une diagonale du carré de Pouligny.

Il faut noter que cet axe passe à proximité de trois lieux-dits nommés le Tertre : Le Tertre Boulu, le Tertre Mondon et le Tertre des Petits-Champs, ainsi que d'un autre lieu-dit Le Perron, que l'on retrouve dans l'étude d'Anne Lombard-Jourdan sur saint Denis :

« (...) à proximité et sans doute sur le flanc même de la Montjoie du Lendit, existait un « Perron » (...). Ce genre de tumulus avec pierre plate date de l'âge du bronze ou de Halstatt, c'est-à-dire entre 1200 et 800 environ avant notre ère. Grâce au respect qu'il inspira aux ethnies successives, le Perron traversa les siècles et il est encore bien attesté au Moyen Age.

L'auteur de Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle, après s'être réclamé de ses sources san-dyonisiennes, raconte comment Charlemagne répartit, à son retour d'Espagne, les reliques conquises sur les Sarrasins. Ce partage solennel, opéré devant une foule immense, a lieu au « Perron du Lendit » :

«  A Saint Denis en France fu li tresors portés ;

Au perron, au Lendi, fu parti et donnés.

Pour les saintes reliques dont vous après orés,

Par chou est il encore li Lendis appelés. » (op. cit. p. 51)

Tout se passe comme si ces tertres, petites éminences sur le plat pays brennou, servaient de relais au grand rayon déolois. Le nom même de Méobecq, assez obscur, viendrait peut-être, selon Dauzat, d'un élément gaulois, mello, colline.

 

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Mais l'indice le plus éclairant est sans doute Saint-Maur. Ce saint inconnu ailleurs dans l'Indre (il n'est pas cité par Mgr Villepelet au rang des saints berrichons) rime bien sûr richement avec la Maure de la légende des Bons Saints. Les deux visées primordiales à partir du Blanc, Tours et Déols, portent la même symbolique de l'ombre.

En effet, « Maur, comme l'explique Pascal Duplessis, est le patron des charbonniers et des chaudronniers, lesquels ont en commun la couleur noire que leur confère leur activité. Ce choix s'explique très certainement par l'étymologie du nom de Maur : mauricus désignant un habitant de Mauritanie, noir de peau. »

Le même auteur montre dans une riche étude le lien étroit entre saint Maur et Gargantua : « Dans l'est du département [Maine-et-Loire], trois des dix prieurés ayant appartenu à l'abbaye de Saint-Maur sont en relation avec Gargantua : le Voide et les dégaillochées du géant, Faveraye et le Palet de Gargantua aux Noyers, Blaison et le Caquin de Gargantua à Gohier. Au-dessus de Glanfeuil, un chemin dit de Courgain relie l'abbaye au Thoureil et au village néolithique. Enfin, un épisode contenu dans la vita du Pseudo-Fauste nous apprend que Benoît, aurait donné à son disciple Maur, à l'occasion du départ de celui-ci pour la Gaule, "un fragment du manteau qui avait été déposé dans la grotte vénérable du Mont Gargan, si célèbre par l'apparition de saint Michel" (Dom Chamard). » Le géant qui persécutait l'abbaye avait pour nom Pigalle : "...Merlin luy donna encores huyct jours d'espace pource qu'il avoit oubliée sa grant jument [...], et d'aultre part vouloit revenir par dessus la rivière de Loyre pour tuer deux grans geans lesquelz faisoient grant mal au pays d'Anjou, dont l'ung estoit à Sainct Mor sur Loire et l'autre estoit près Angiers, celuy de Saint Mor estoit nommé Pigalle, et celuy d'Angiers estoit nommé Amaurry, quant Gargantua fut audit S. Mor Pigalle estoit jà mort et enterré, et luy fut monstrée la tumbe où de present l'en veoit encores sa fosse..." (Les Croniques admirables du puissant Roy Gargantua, début du XVIe siècle)

Ce Pigalle, par sa racine GAL, est parent du Galifront brennou, reconnu comme avatar de Gargantua. Les tertres rencontrés le long de l'axe déolois seraient en somme analogues aux dépattures de Gargantua, aux tumulus funéraires du néolithique. Les moines du Bourg-Dieu ont ici certainement cherché à christianiser une très ancienne mythologie, bien ancrée dans les usages rituels des habitants de cette campagne.