01 avril 2005
En suivant la Mage
"Le devenir poussait en avant chaque saison comme un revenir vers sa plus grande force, vers sa sève fécondante. Le temps avait un but : c'était ce que la langue française appelle de façon merveilleuse le printemps. Les Romains l'appelaient ver et s'ils dirent primum tempus, ce fut pour marquer le premier temps - le temps fort selon le temps. Le premier temps est l'origine temporelle. Le printemps est la phanie elle-même." Pascal Quignard (Sur le jadis, p.32)
Les jardiniers d'Argenton venaient à la chapelle de Verneuil déposer des fleurs en l'honneur de leur saint patron, suivant en cela le parallèle ombilical, cette ligne équinoxiale qui sépare l'hiver du printemps, le signe des Poissons de celui du Bélier. Mais on peut suivre aussi la voie des eaux : le ruisseau qui s'écoule de la fontaine Saint-Fiacre rejoint celui de la Mage qui se jette lui-même dans la Creuse, au coeur du vieux quartier Saint-Etienne, à Argenton.
Le moine limousin Yrieix y passe lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, et décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. Il faut dire que celle-ci avait une source encore proche : la ville gallo-romaine d'Argentomagus, abandonnée à la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Persistance du paganisme que n'avait pas endigué la fondation probable d'un édifice chrétien implanté au-dessus d'un bâtiment antique et qui allait devenir l'actuelle église Saint-Etienne (une vieille histoire que cette lutte du païen et du chrétien, puisque cette même église, désaffectée, abritait voici encore peu de temps une école maternelle publique...).
Selon Maurice de Laugardière (L'Eglise de Bourges avant Charlemagne, Paris-Bourges, 1951), cette implantation d'église faisait partie d'un vaste projet de l'archevêché de Bourges de construire un réseau de succursales de la cathédrale en différents lieux du diocèse. "En effet, écrit Armelle Querrien (in Argenton-sur-Creuse à la croisée de ses chemins, Editions du C-H-A, 2001), la répartition des églises Saint-Etienne, églises qui ont le même patron que la cathédrale de Bourges, quadrille le territoire du diocèse et coïncide avec les agglomérations protohistoriques et gallo-romaines et avec les grands carrefours routiers antiques. Ce réseau serait postérieur au décret de Valentinien III de 435 ordonnant de détruire les derniers temples païens et antérieur à 470 et aux persécutions des Wisigoths, adeptes de l'arianisme. L'église d'Argenton aurait donc été bâtie avant le passage de saint Yrieix. Elle a essaimé en trois lieux proches dont l'église a le même patron, Tendu, Bouesse et Velles, et peut-être plus loin, à Crozant, Eguzon et Cuzion."
Il apparaît ainsi, et nous ne cesserons pas d'en découvrir de nouveaux exemples, que l'édification de la géographie sacrée se confond largement avec l'histoire de la sainteté chrétienne et de l'évangélisation des campagnes.
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