13 août 2005
Sanctus Leodegarius
« Le nom dit la vérité de la personne, permet de retracer son histoire, annonce ce que sera son avenir. La symbolique du nom propre joue ainsi un rôle considérable dans la littérature et dans l'hagiographie. Nommer est toujours un acte extrêmement fort, parce que le nom entretient des rapports étroits avec le destin de celui qui le porte. C'est le nom qui donne sens à sa vie. Bien des saints, par exemple, doivent leur vita, leur passion, leur iconographie,leur patronage ou leurs vertus à leur seul nom. »
(Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Seuil, 2004, p. 16)
Sanctus Leodegarius, c'est saint Léger en latin. La racine leo, lion, est au départ du nom. Mais fi du latin, La Vie de saint Léger (seconde moitié du Xème siècle), inspiré d'écrits monastiques, est un des premiers textes de la langue française, en strophes de six vers octosyllabiques assonancés.
Léger naît au début du VIIème siècle ; sa famille, installée aux confins de la Bourgogne et de l'Alsace, envoie le jeune homme auprès de son oncle Didon, évêque de Poitiers. Archidiacre peu après l'âge de 20 ans, il est désigné pour reprendre la charge de l'abbé de Saint-Maixent qui venait de mourir. « L 'abbaye de Saint-Maixent, précise Pierre Riché, était construite autour de la cellule de saint Maxence, un saint contemporain de Clovis. Grégoire de Tours raconte que les guerriers de Clovis, lorsqu'ils étaient allés combattre le roi wisigoth Alaric en 507, avaient, à la suite d'un miracle, épargné cette abbaye. » (Histoire des Saints, tome IV, p. 197, Hachette, 1986). Léger reste là six ans puis, sa réputation ayant gagné la cour, la reine Bathilde l'appelle auprès d'elle.
Le maire du palais, Ebroïn, le fait ensuite nommer, en 663, évêque d'Autun. Léger s'installe dans la cathédrale, située dans la partie fortifiée de la ville, au sud de ce qui avait été Augustodunum, la ville romaine, et qui demeurait une étape importante sur la grande route de Lyon à Boulogne. Il entreprend là de grands travaux d'urbanisme et légifère en faveur de l'Eglise et des pauvres. Il devient aussi le porte-parole des aristocrates bourguignons en lutte avec Ebroïn, qui souhaite restaurer l'unité du royaume divisé en deux parties depuis la mort de Dagobert, en 639. Léger parvient même à le faire enfermer au monastère de Luxeuil. Conseiller ensuite du roi Chilpéric II, il s'aliène son appui dans une affaire de justice et se retrouve exilé lui aussi à Luxeuil. « L'assassinat de Chilpéric et l'évasion des deux prisonniers, poursuit Pierre Riché, relancent les tractations. Ebroïn finit par l'emporter ; les dernières années de Léger ne sont qu'un long supplice. Affreusement torturé, il meurt décapité en 678 ou 679. » Il devient tout naturellement un martyr ; à l'instar des frères Aymon dressés contre Charlemagne, sa lutte contre le pouvoir politique central fait de lui un personnage populaire : « Le nom même du saint a contribué à sa gloire posthume, puisqu'il passe pour alléger les obèses, et pour donner un pied léger à ceux qui ont des difficultés à marcher »(op. cit. p.196). Belle illustration de la remarque de Michel Pastoureau citée plus haut.
Or, il s'avère que ce destin tourmenté suit les voies de la géographie sacrée et peut pratiquement être résumé par une grande loxodromie (Robert : courbe suivie par un navire lorsqu'il coupe les méridiens sous un même angle) issue de la cathédrale d'Autun. Elle se dirige au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx.
Ce grand axe symbolique a sa correspondance historico-légendaire avec l'assemblée de Pâques 681 au palais royal, où l'évêque de Poitiers, Ansoald, et celui d'Autun, Hermenaire, réclamèrent tous deux l'honneur de ramener dans leur diocèse la dépouille du saint, tandis que l'évêque d'Arras (ville où il avait été mis à mort) le revendiquait au prétexte que des miracles avaient déjà eu lieu sur sa tombe. On en appela à un jugement de Dieu pour attribuer le trophée. « Après trois jours de jeûne et de prières, on écrivit les noms des trois évêques sur trois billets qu'on déposa sur l'autel. Le lendemain, un clerc tira au hasard celui sur lequel était inscrit le nom d'Ansoald de Poitiers.» (op. cit. p. 201).
Le saint fit donc retour aux lieux mêmes de son initiation. Le récit de la translation, d'Artois en Poitou, est en lui-même chargé d'enseignement.
00:40 Publié dans Lion | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
On retrouve encore cette oeillade vers Bibracte ou du moins vers la Bourgogne -
Me vient une question quand on parle de Bourgogne plutôt que de Morvan par ex. où se trouve la différence?
Sans doute et cela va dans votre sens le découpage d'un territoire par le politique et la mise en nom de cette "hacherie" n'est pas banale au fond .Il est vrai que maintenant le langage est dépecé de toute spiritualité et les choix lexicaux sont +tôt laids . Je vis en Rhône-Alpes et vous? d'autres en PACA - mon Dieu, que c'est laid .
Parfois, au coeur même de cette laideur on est soudain saisi par des noms de lieux étonnants "Part-Dieu" "Gorge de Loup"
Vous avez raison d'annoncer le développement sur St Léger par la citation de Michel Pastoureau (et pour le coup on mesure toute la lourdeur du nom, c'est amusant de dire ça à la St Léger à la volette ).
Il y a aussi un St Léger près de Roanne, ville de mon enfance- Peut-être que le but n'est pas d'amener tous les Sts léger de France.
Je connais Paray le Monial et Autun, qui sont près de Lyon où j'habite et on y sent de la force vraiment.
Je n'arrive pas à lire le nom de la ville qui est à l'interstice de la X.
Merci encore pour cette "balade" dans l'espace et le temps .
A bientôt
Écrit par : colette | 13 août 2005
Sans doute, Colette, cette ville que vous ne pouvez déchiffrer est Montjouan. Ce n'est pas une ville d'ailleurs, plutôt un simple hameau, mais le nom "Montjouan" est important : j'y reviendrai bientôt.
Je ne pense pas qu'il faille forcément opposer le politique et le spirituel, il faut plutôt repenser l'articulation entre les deux instances, en sachant que de tout temps elle fut complexe. Je songe par exemple à Robert d'Arbrissel, dans ses rapports avec le duc d'Aquitaine, le seigneur le plus puissant de son époque : l'implantation des monastères de l'ordre de Fontevrault ne ressort pas de la seule spiritualité. Et ce n'est pas un exemple isolé.
Tout ceci mérite des développements plus amples.
Au plaisir de vous lire encore bientôt.
Écrit par : Robin | 15 août 2005
en vérité, ami, et dans l'amour du crhist, rien n'est profane. Cela n'est pas complexe du tout, c'est même le plus simple, l'essentiel, caché aux ignorants, Dieu Merci !
Aucun monastère ne fut bâti seulement d'un point de vue spirituel, car cela est une entreprise humaine. La connaissance historique n'est pas du domaine de la bonne nouvelle. Au plaisir de prier, à bientôt.
Écrit par : rené | 17 août 2005
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