19 septembre 2005
Echappée : Jacques Lacarrière
"Un village aux confins des collines, à la rencontre des vallées, au concile des forêts, voici le lieu où je vis depuis bientôt dix ans. Voici le paysage que j'ai chaque jour sous les yeux : collines, vallées, forêts. Ces trois éléments se répètent, changeant depuis des siècles selon le hasard des jachères et des remembrements mais toujours associés en cette trinité. S'il fallait dessiner leur mouvance à travers l'histoire, on s'apercevrait que ces trois éléments n'ont cessé de se déplacer, de s'opposer différemment sans jamais perdre pour autant leur séculaire relation. Un peu comme L'image dans le tapis d'Henry James. Le parcours insensible des jours, le filigrane des labours où se lit la narration d'un paysage, voilà ce qui sans cesse se fait et se défait autour de moi. Comme ces constellations, si stables en apparence mais qui n'ont cessé, depuis les temps préhistoriques, d'être dessins changeants d'étoiles. Il y a plus de cent mille ans la Grande Ourse avait vraiment l'apparence d'une ourse. Aujourd'hui, les distances entre ses étoiles ont changé et elle est devenue cette grande marmite qui désigne le nord, une figure strictement ménagère bien à l'image de notre temps. Dans cent mille ans, à force d'étirer ses étoiles, elle nous apparaîtra comme un long ruban ou un ver tortueux. Mais faut-il se soucier des dessins et des desseins de notre ciel dans cent mille ans ? Pourtant, si tant est que la nuit porte vraiment conseil, elle me suggère par ces figures la joie de l'inutile, autrement dit de l'essentiel. "
Journal (Octobre 1978) in Errances (Christian Pirot, 1983)
Jacques Lacarrière nous a quittés samedi, il avait 79 ans.
22:15 Publié dans Echappées | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.