05 décembre 2005
La vallée de l'Arnon (2)
A mi-parcours des gorges de l'Arnon, nous croisons la grand-route de Montluçon, qui a dû reprendre grosso modo le tracé de l'antique voie qui menait d'Argentomagus à Néris-les-Bains, via Mediolanum. A cet endroit a été édifiée la cité de Culan, dont le visiteur peut encore admirer le superbe château féodal qui a conservé jusqu'à nos jours ses hourds de bois. Penchons-nous sur ce toponyme de Culan.
On le trouve en effet dans la mythologie irlandaise, lié de façon essentielle à l'un des héros les plus importants des scéla, à savoir Cuchulainn, le premier acteur de la Tain Bo Cualnge ou « Razzia des Vaches de Cooley » : « Ce récit décrit longuement ses combats singuliers dans la défense de la frontière d'Ulster contre les quatre provinces d'Irlande coalisées sous la direction de la reine Medb. » (Les Druides, op.cit. p. 376). Or, que signifie Cuchulainn ? Eh bien, cela signifie « Chien de Culann », Culann étant un forgeron d'Ulster dont Cuchulainn, alors nommé Sétanta (set, « chemin »), a tué le chien de garde (ou de combat), réalisant par là son premier exploit d'enfance.
Ceci étant établi, il est facile de repérer dans les scéla une relation forte entre Cuchulainn et l'Autre Monde, le sid mis en évidence avec Sidiailles : le héros, comme bien d'autres héros irlandais, présente une double paternité divine et terrestre (dans son cas, elle est même quadruple), en effet, il est fils de Lug et d'Eithne, mais sa « naissance terrestre est le résultat de la cohabitation du dieu roi Conchobar et de sa soeur Deichtire lors d'un voyage dans le Sid. » (Les Druides, p.376). Par ailleurs, Conchobar est aussi le nom d'une rivière dans laquelle le roi s'est baigné lors de sa naissance.
C'est au sortir des gorges que nous relevons un troisième indice troublant, avec la présence du village de Saint-Christophe-le-Chaudry. Cette dénomination n'est pas innocente : tout le monde sait – pour avoir lu au moins les aventures d'Astérix et sa potion magique concoctée par le druide Panoramix – que le chaudron est un symbole celtique primordial. Symbole qui est lié à l'eau plus qu'au feu, assez paradoxalement :
« La majorité des chaudrons mythiques et magiques des traditions celtiques (leur rôle est analogue dans les autres mythologies indo-européennes) ont été trouvés au fond de l'Océan ou des lacs. Le chaudron miraculeux de la tradition irlandaise, Murios, tire son nom de muir, la mer. La force magique réside dans l'eau ; les chaudrons, les marmites, les calices sont des récipients de cette force magique, souvent symbolisée par une liqueur divine, ambroisie ou eau vive ; ils confèrent l'immortalité ou la jeunesse éternelle, transforment celui qui les possède (ou qui s'y plonge) en héros ou en dieu. » (Mircea Eliade, Traité d'Histoire des Religions).
Le Dictionnaire des Symboles n'hésite pas à écrire que le chaudron peut être considéré à juste titre comme « l'ancêtre et le prototype du Saint-Graal ». Il est l'un des trois attributs du dieu irlandais Dagda. C'est un chaudron d'abondance contenant « non seulement la nourriture matérielle de tous les hommes de la terre, mais toutes les connaissances de tout ordre » (pp.216-217). Il est dit que personne ne le quitte sans être rassasié. C'est aussi un chaudron de résurrection où l'on jette les morts et d'où ils ressortent bien vivants.
Le Dagda n'apparaît pas comme tel dans le panthéon gaulois, mais Ch.J. Guyonvarc'h l'identifie au Jupiter romain :
« Jupiter-Dagda est le dieu bon ou « dieu-druide », maître des éléments (eau, air, terre, feu), dieu des contrats et de l'amitié, mais aussi, parce qu'il est druide, dieu guerrier. Il a pour attribut le chaudron et pour arme la massue. Ses correspondants gaulois sont Sucellus et Taranis. » (Textes Mythologiques Irlandais, I, p.98).
Or, il a été retrouvé, précisément à Saint-Christophe-le-Chaudry, une statue de Jupiter, associé à un petit personnage anguipède.
Le chaudron revêt aussi parfois un rôle sacrificiel : « Le roi déchu s'y noie en même temps qu'on incendie son palais, lors de la dernière fête de Samain de son règne (...). En Gaule, les témoignages tardifs des Scholies Bernoises (IXè siècle), recopiant presque certainement des sources antérieures perdues, mentionnent un semicupium dans lequel on noyait rituellement un homme en hommage à Teutatès. » En face de Saint-Christophe-le-Chaudry, sur la rive gauche de l'Arnon, flanqué sur la hauteur, le petit village de Reigny évoque bien sûr le regnum latin, terme issu de rex, le roi, qui a la même origine que le rix gaulois ou le raj sanscrit.
Le roi Conchobar, qui s'est présenté à nous comme le lien unissant Sidiailles à Culan, autrement dit le Sid à Cuchulainn, sert aussi de trait d'union entre ces lieux et Saint-Christophe-le-Chaudry, s'il faut en croire encore une fois Ch. J. Guyonvarc'h, qui explique que la mythologie celtique se caractérise par une interpénétration constante entre le monde des héros et le monde des dieux :
« Le monde mythique des Celtes est fait d'inlassables répétitions que ne masquent pas complètement des changements de dénomination : le Dagda se répète dans le roi Conchobar... » (La Civilisation Celtique, avec F. Le Roux, Ogam-Celticum, p. 109).
23:10 Publié dans Scorpion | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
mais qu'est-ce ??!!...
j'étais là cahin caha, cherchant des infos sur les sept sphères de Ostia Antica, et je tombe sur cet excellent site. un travail magnifique, dense .
bravo, je reviens dés que possible,
virgolide
Écrit par : virgolide | 06 décembre 2005
Bonsoir Robin
Quelques réflexions que me suggère votre texte, toujours aussi inspiré !
Vous parlez tout d’abord de la « Razzia des vaches de Cooley ». On est ici en secteur Scorpion, opposé au Taureau, les vaches y sont donc « invitées » par mimétisme symétrique !
Ensuite vous parlez du Chien de Culann en mentionnant qu’il s’agit d’un chien de garde. Je ne peux ici m’empêcher de penser immédiatement à Cerbère, le gardien des enfers qui y a d’autant plus sa place que Pluton le Riche, Roi des enfers, seigneur et maître de Cerbère est également (pour la plupart des astrologues) en domicile dans ce signe du scorpion. Signalons qu’aux enfers grecs, on trouve également l’eau du Scorpion, matérialisée par le fleuve Styx qui y mène.
Toujours en ce qui concerne le Chien, mentionnons que, en ce qui concerne les constellations et la mythologie, il se situe près de l’axe des solstices, entre Cancer et Gémeaux, mais est souvent rattaché au Chasseur Orion, avec le petit Chien et accompagnent tous deux le chasseur dans ses expéditions cynégétiques. Orion, situé en secteur Taureau, meurt de la vengeance d’une déesse et d’une piqûre du Scorpion. Quand Orion se couche, donc meurt sur l’horizon, le Scorpion, à l’opposé, se lève pour hanter la nuit.
Enfin, le chaudron celtique me fait penser à la « Mer d’airain » du temple de Salomon (cf. I Rois 7.23 à 7.26), réalisée en bronze par Hiram de Tyr, vaste cupule de bronze, pouvant contenir 80 000 litres d’eau qui servaient de réserve pour les cérémonies de purification, nous dit en note la Bible TOB. Cette « Mer », placée sur le côté droit de la « Maison », vers le Sud-Est (secteur Taureau ?, si le Bélier est à l'Est !), était décorée avec des coloquintes, cucurbitacées dont la fête se situe en Scorpion, ainsi que vous l’avez déjà noté, et reposait sur douze bœufs !, montrant ainsi et encore une liaison Scorpion/Taureau !
Je ne peux donc que souligner ici la grande cohérence symbolique de votre texte.
Écrit par : Marc LEBEAU | 06 décembre 2005
Merci, Marc, pour toutes les précisions que vous donnez, mais je me dois, en toute rigueur, d'apporter un bémol à cette cohérence symbolique que vous soulignez. Car le lecteur attentif ne manquera pas de s'apercevoir, pour peu qu'il se réfère aux cartes de la région, que cette partie de la vallée de l'Arnon que j'explore n'est pas du tout située en secteur Scorpion, mais en secteur Vierge. Je n'ai placé cette étude en Scorpion que parce qu'elle dérive de celle de Bourges, capitale des gaulois Bituriges, située en Scorpion du zodiaque neuvicien. La géographie sacrée biturige est, à mon avis, antérieure à la géographie sacrée zodiacale : c'est un système symbolique plus ancien qui va être largement repris, réinvesti, par les fondateurs de Neuvy Saint-Sépulchre.
Nous touchons là une des difficultés majeures de notre exercice : alors que le symbolisme nous porte à multiplier les liens entre les divers témoignages textuels, épigraphiques, architecturaux, etc., il importe de ne pas confondre les époques et de respecter des lignes de rupture entre celles-ci. Il y a continuité entre les traditions, mais aussi ce passage de témoin s'accompagne toujours d'une réorganisation et certaines grilles de lecture nouvelles ne peuvent valablement correspondre aux systèmes antérieurs. Je ne suis pas sûr d'être très clair...
Un autre exemple : vous parlez, Marc, de cette fête des cucurbitacées placée en Scorpion. Il est vrai que j'ai mentionné la fête, éminemment sympathique, des potirons de Tranzault. Mais, dans ma note, c'était purement anecdotique et cela n'avait pas de sens particulier dans la géographie sacrée du site. Cette fête est une création récente, et l'on ne peut pas s'en servir comme d'un indice pertinent. Alors bien sûr, il y a ces coïncidences que je me plais aussi à détecter... Disons que je préfère encore les tenir à distance de l'étude de géographie sacrée proprement dite...
C'est un équilibre difficile à tenir, mais j'ai très peur du syncrétisme, et de la confusion des époques. On a trop tendance parfois à rapprocher des symboles éloignés dans le temps et dans l'espace. Ces rapprochements sont parfois légitimes, mais pas toujours, me semble-t-il.
Je suis gêné d'apporter ces nuances, quand vous me faites la grâce d'appuyer mes propos. Et peut-être que je me trompe, après tout ?
Écrit par : Robin | 06 décembre 2005
Bonsoir Robin,
Autant pour moi, mais c'est vrai que je connais guère cette région : j'y suis passé en "coup de vent", il y a longtemps !
Ne soyez donc pas géné. Il faut en effet dans ces domaines autant, sinon plus que dans d'autres, observer une certaine rigueur voire une rigueur certaine !
Ceci dit, les remarques que je faisais portaient sur le symbolisme de certaines mentions que vous aviez faites, "déconnectées", pour ainsi dire du secteur concernée.
Seule exception, celle du chaudron de Chaudry où là effectivement, à mon sens, et en suivant d'ailleurs ce que vous en avez vous-même dit ainsi que certaines remarques de Colette, il y a non concordance entre le symbolisme relevé et le secteur. Vos remarques sur les "distorsions" historiques des systèmes succesifs mis en place au cours des siècles visent-elles à répondre à ce fait ?
Dernier point sur les cucurbitacées ! Certes la fête hallowinienne en est récente et d'importation anglo-saxone (Quoi..que, comme aurait dit Devos, j'ai lu quelque part qu'en fait, l'origine en serait continentale avant de franchir le Channel et l'Atlantique pour nous revenir comme un boomerang plusieurs siècles plus tard). Ceci dit, s'ils sont utilisés à cet effet début novembre, c'est que comme les chrysanthème, il s'agit de leur saison de maturité et, fête récente ou pas, ils restent des "fruits" de saison !
Écrit par : Marc LEBEAU | 07 décembre 2005
Exact pour les cucurbitacées ce qui nous ramène bien à la terre et au présent ... même si ce fruit est "déliré"et cadeau pour l'hiver.
Écrit par : colette | 08 décembre 2005
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