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21 janvier 2006

Le voyage alchimique (1)

De cet axe Cluis-Neuvy-Bourges, vecteur occulte qui sous-tend l'architecture du sanctuaire neuvicien, et de ses prolongements dans l'espace berrichon, risquons maintenant une lecture proprement alchimique. Cette traversée des terres sera interprétée comme un long voyage où les lieux rencontrés marquent les étapes de réalisation de l'Oeuvre. Ceci dit, ô lecteur féru de l'Art d'Hermès, sois indulgent et miséricordieux envers le néophyte que nous sommes, notre érudition n'est pas sans faille et notre prétention sans doute bien grande. Nul maître n'a dicté nos écrits, nul cénacle secret n'en porte le récit. Si tout ceci est poésie et fantasmagorie, divagation de songe-creux, fariboles et coquecigrues, le mal, si je ne m'abuse, n'est au fond pas bien grand...


Tout part de Cluis, car, de par son nom même (attesté en Closis dans plusieurs actes médiévaux) indiquant la clôture, la cité représente l'instrument de la quête alchimique occidentale : le livre, le traité, dont « la composition complexe, explique René Alleau (art. Alchimie, Encyclopaedia Universalis, I), et, surtout, l'énergie subtile et l'influence spirituelle dont il est chargé en font à la fois un véhicule « hermétiquement clos » et un message substitué magiquement à la présence même du maître. »

 

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Portail de Saint-Paxent (Cluis)

Le livre fermé est donc le symbole même de la Matière Première sur laquelle l'alchimiste va travailler. Tous ses efforts ne visent qu'à un seul but : ouvrir ce livre, c'est-à-dire en extraire le principe vital qui y est enfermé, la quintessence, la « substantifique moelle » dont parlait Rabelais. « Les sages, précise Fulcanelli1, ont appelé leur matière Liber, le livre, parce que sa texture cristalline et lamelleuse est formée de feuillets superposés comme les pages d'un livre. » (Les Demeures Philosophales, I, p. 296, Pauvert, 1964). Le célèbre adepte Nicolas Flamel se munit en son voyage allégorique vers Saint-Jacques de Compostelle du mystérieux manuscrit hiéroglyphique d'Abraham le Juif.

Adoptant la même symbolique, de Cluis nous allons nous rendre à Neuvy Saint-Sépulchre, dont nous savons déjà qu'elle était une éminente étape sur le chemin de Saint-Jacques. Pour ce faire, nous emprunterons la route de Châteauroux. Au sortir de Cluis, nous passerons au lieu-dit Ragon, qui dissimule à peine par son aphérèse le Dragon primordial, monstre noir couvert d'écailles et fort malodorant, qui se cache « es cavernes de la terre » et qui n'est qu'une des multiples appelations de cette Matière Première dont le nom vulgaire est soigneusement éludé. La route nous conduira ensuite aux Loges de Bonavois, à la lisière du bois de Bonavois : il nous est simplement confirmé, sans mystère excessif, que nous sommes bien sur la « bonne voie ». Animé de cette certitude, nous pourrons plus aisément traverser la forêt, qui est la représentation naturelle du Labyrinthe symbolisant les épreuves rencontrées par l'Adepte : « Donc, en cette mesme façon, écrit Nicolas Flamel, je me mis en chemin et tant fis que j'arrivais à Montjoye et puis à Saint-Jacques, où, avec une grande dévotion, j'accomplis mon voeu. » Nous retrouvons ici ce terme de Montjoie qui a souvent croisé notre périple zodiacal : « C'est l'indice de l'étape bénie, développe Fulcanelli, longtemps attendue, longtemps espérée, où le livre est enfin ouvert, le mont joyeux à la cime duquel brille l'astre hermétique. La matière a subi une première préparation, le vulgaire vif-argent s'est mué en hydrargyre philosophique, mais nous n'y apprendrons rien de plus. La route suivie est sciemment tenue secrète. » (op.cit. p. 440-441).

 

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Saint Michel affrontant le dragon (image BnF)

Toujours est-il que nous voici parvenus au pied de la rotonde, sur le mur de laquelle court, nous l'avons vu, le serpent fabuleux, le dragon ailé. Hiéroglyphes du principe alchimique primordial, de ce Mercure des Sages (qui n'a bien sûr que peu à voir avec le mercure de la chimie moderne), véritable moteur du Grand Oeuvre, car « il le commence, l'entretient, le perfectionne et l'achève. (...) C'est lui, poursuit Fulcanelli, le cercle mystique dont le soufre, embryon du mercure, marque le point central autour duquel il accomplit sa rotation » (op. cit. II, p. 282)... et dont la rotonde est bien sûr la merveilleuse expresssion architecturale. En alchimie, le sépulcre est d'ailleurs le nom donné à l'Oeuf philosophique, la cornue de verre ou de cristal où s'effectue la conjonction des principes opposés, soufre et mercure, le premier, sec et igné, de nature fixe et mâle, le second, froid et humide, de nature femelle et volatile.

Entrons maintenant dans la rotonde par la magnifique porte Nord.

(A suivre)

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1Le célèbre alchimiste, dont l'identité véritable est encore une énigme, doit certainement son nom à la cabale phonétique Vulcain-Hélios, le Feu du Soleil – Vulcain étant, on le sait, l'équivalent latin d'Héphaïstos.

00:30 Publié dans Omphalos | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

Passionnant! Comme je le confessai un jour à LKL, j'ai longtemps habité dans une ville où gît le sépulcre de celui qu'on crut un temps pouvoir être Fulcanelli : Jean-Julien Champagne; hier d'ailleurs de retour sur le sol familial j'ai même précisément manqué de peu aller la visiter, même si semble-t'il cette piste a été abandonne depuis longtemps, comme celle de Camille Flammarion, au profit d'un scientifique féru d'Alchimie, du nom de Violette...
J'attends la suite avec impatience.
Bien à vous Robin.

Écrit par : OrnithOrynque | 23 janvier 2006

Merci, OO, j'apprends aussi, grâce à vous, l'existence de ce Violette (je ne m'étais jamais vraiment inquiété, je m'en aperçois, de l'identité véritable de Fulcanelli). Il se trouve que c'est aussi le prénom de ma plus jeune fille, qui vient de fêter son premier anniversaire le 14 janvier. Belle coïncidence, encore une fois.

Écrit par : Robin | 23 janvier 2006

Bonsoir,

Toujours "épaté" par votre érudition et vos connaissances !

En ce qui concerne l'identité de Fulcanelli, il semble que l'hypothèse Violette (Jules Violle en fait) soit fortement discutée, cf. notamment les sites suivants :
http://hdelboy.club.fr/symb_dir_prim.html (aller à 3 les principes)
http://stephane.barillet.neuf.fr/fulcanelli.htm
Le mystère demeure donc !

Marc LEBEAU

Écrit par : Marc Lebeau | 27 janvier 2006

Les commentaires sont fermés.