29 mars 2006
Du village lépreux
Levroux, dans la direction des Abymes, symbolise le lieu d'en bas d'où il importe de sauver les âmes.
Dans la Vie de saint Martin rédigée par son disciple Sulpice Sévère au début du Vème siècle, il est dit que l'évêque de Tours est passé par là vers 386, lors de l'une de ses innombrables campagnes pastorales. La ville, désignée comme vicus leprosus, "village lépreux", est païenne et s'honore d'un sanctuaire remarquable, templum opulentissum, aussi Martin lui applique-t-il sa méthode habituelle : destruction des idoles et conversion de la population. A en croire ce site, ce ne fut pas si simple : les Levrousains de l'époque étaient de vrais suppôts de Satan :
« Quand Martin perçoit une résistance exceptionnelle, de la part des païens, à ses efforts d'évangélisation, il a recours à son arme préférée, la pénitence. Se revêtant de la haire à même la peau, il se couvre de cendres, prie et jeûne pendant trois jours. Il convertit ainsi le village de Levroux, en Berri, dont les habitants se sont enrichis par des pratiques occultes maléfiques. Au bout des trois jours, des anges lui ordonnent de retourner à ce lieu d'abomination. Les habitants y sont comme paralysés. Martin détruit leur temple et les idoles. Revenus de leur engourdissement, les païens reconnaissent dans ces événements un signe du Ciel et deviennent chrétiens. » (C'est moi qui souligne.)
Une autre vie du saint écrite beaucoup plus tard, au XIIIème siècle, par un certain Péan Gatineau, ajoute que Martin allait chaque année en pélerinage à Grabatot ou Gabatum et qu'il y avait guéri un lépreux, ce pourquoi la ville serait devenue Levroux.
Les étymologistes ne s'attardent guère sur l'étymologie de Grabatot, « nom inventé pour donner à Levroux une origine plus ancienne que celle proposée par Sulpice Sévère » (rapporté par S. Gendron). Il est pourtant intéressant de rapprocher ce nom de celui de grabat, qui « est un emprunt (1190), d'abord sous la forme grabatum (1050), variante du latin grabatus « mauvais lit », du grec krabbatos, « petit lit bas », qui n'est pas un mot hellénique, mais un emprunt occidental, sans doute macédo-illyrien. » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert, p.906.) Il faut noter aussi que le dérivé grabataire désigne à l'origine un « sectaire qui n'accepte le baptême que sur son lit de mort. ». Nous restons bien ici dans la thématique du déni de religion, de la bassesse afférente qui se traduit symboliquement par la position basse et la mauvaiseté du lit. Le grabataire, le lépreux sont figures du pécheur que le saint homme amène à la rédemption. Le salut de l'homme, aux yeux des clercs, passe d'abord par sa victoire sur le paganisme, véritable lèpre de l'âme.
Maintenant, si l'on joint Levroux à Neuvy Saint-Sépulchre, on traverse Châteauroux, puis la forêt du même nom, et si l'on poursuit au-delà de l'omphalos, on tombe à proximité de Mortroux, près de La Forêt-du-Temple. Que nous disent tous ces toponymes en -roux ? Le roux ne symbolise-t-il pas « le feu impur, qui brûle sous la terre, le feu de l'Enfer, c'est une couleur chthonienne. » (Dictionnaire des Symboles, art. Roux, p. 833.)
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Commentaires
Bonsoir Robin,
En ce qui concerne Levroux, on peut rajouter que la ville se situe sur le méridien de Crozant.
Ayant étudié la partie Nord de ce méridien, j'avais noté pour Levroux le résumé suivant des recherches effectuées, je vous le livre tel que :
"Levroux (Indre) : La ville existe depuis 600 avant JC. Elle s’appelait alors Kraeg. Puis ville romaine célèbre pour ses découvertes archéologiques s’appelant Gabatum. Au moyen-Age, la ville s’appelle Vicus leprosus, nom dû à la présence de lépreux, peut-être en lien avec l’histoire des saints locaux. En effet, Rodène, fille d’un patricien romain, fiancée à l’officier Corrusculus, le quitte pour suivre Sylvain et Sylvestre à Gabatum (Saint Sylvain est patron de Levroux et a évangélisé la région). Pousuivie par son fiancé, elle se défigure en se mutilant le visage. Sylvain la guérit (où l’on retrouve l’action sur la peau ?!) et Corrusculus, ému par cette action et le miracle effectué par Sylvain se convertit. On peut encore voir à Levroux une fontaine Sainte Rodène. Levroux est toujours connu pour son travail du cuir et le dernier artisan fabriquant des parchemins (toujours la peau !). Le Château de Levroux, qui domine la vallée de la Céphons (Céphée ?!) existe au moins depuis 990, mais a été reconstruit au XIII° par André de Chauvigny, re-reconstruit au XIV° par Bertrand de la Tour d’Auvergne et a appartenu à Catherine de Médicis. L’église Saint Sylvain, construite sur un temple romain, a été rebâti à l’époque gothique entre 1218 et 1280 par les chanoines (un collège de chanoine a été fondé en 1012 par Eudes de Déols). A noter qu’une chapelle de la Vierge a été construite par Jean Cœur, fils de Jacques !, chanoine de Levroux puis archevêque de Bourges. Enfin Levroux fait partie d’un chemin de Saint Jacques."
Si cela peut vous aider dans vos recherches !
Cordialement
Écrit par : Marc Lebeau | 29 mars 2006
Merci, Marc, pour ces précisions. En revanche, je ne sais quelles furent vos sources, mais quelques éléments sont manifestement faux. Je puis vous l'affirmer avec une certaine certitude car je suis en possession des plus récents travaux sérieux sur Levroux, où une recherche archéologique intense a lieu depuis des années et n'est d'ailleurs pas terminée.
Ainsi est-il hasardeux de dire que la ville existe depuis 600 av. J.C. La plus ancienne trace d'habitation, hors le paléolithique, remonte à la période de La Tène, avec un village artisanal dans l'actuel quartier des Arènes, daté du IIème siècle av. J.C. Le nom de Kraeg est totalement fantaisiste. Vicus Leprosus est la plus ancienne mention de la cité. J'ai dit dans la note ce qu'il fallait penser de Gabatum.
La Céphons vient de Sept-Fons. Ceci dit, la déformation du nom n'est peut-être pas fortuite. La proximité de Céphée est intrigante : alpha et gamma de Céphée furent en effet étoiles polaires voici 21000 et 19000 ans avant notre ère.
http://www.astro-rennes.com/constellations/cephee.php
Rien n'indique par ailleurs que la collégiale Saint-Sylvain soit bâtie sur l'emplacement d'un temple romain. Le temple dont parle Sulpice Sévère n'a, à ma connaissance, pas encore été repéré, .
Je vais revenir bientôt sur saint Sylvain. Ce sera l'objet de la prochaine note.
L'exacte position de Levroux sur le méridien de Crozant mérite examen également.
Encore merci.
Bien à vous
Écrit par : Robin | 30 mars 2006
Bonsoir Robin,
Je n'ai pu retrouver où j'ai pêché l'information sur Kraeg. Tout cela remonte déjà à quelques mois et j'ai alors visité pas mal de sites sans toutefois noter systématiquement les références...
Toutes les villes n'ont pas la chance de bénéficier, malheureusement, de recherches archéologiques sérieuses. On doit alors s'en tenir, jusqu'à plus ample informé, de ce que l'on peut appeler "le fonds légendaire" !
Merci de ces précisions et rectifications.
Bien à vous
Écrit par : Marc Lebeau | 31 mars 2006
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