20 mai 2006
Saint Jean porte la tine
Enfonçons le clou au sujet de Sucellus à Levroux, en versant un dernier élément au dossier. Je rappellerai donc que c'est le 6 mai 1013 que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage. Cette date n'a pas été choisie au hasard, comme on pouvait s'y attendre : c'est la Saint Jean Porte Latine, dite aussi la Petite Saint Jean, qui est célébrée ce jour-là. Or, voici ce que mentionne à cette occasion le site Carmina, que nous commençons à bien connaître :
« Saint Jean est le seul apôtre qui n'ait pas été martyrisé. Cependant, l'empereur Domitien lui fit subir le supplice d'être plongé dans une cuve d'huile bouillante. Mais celle-ci se transforma en bain rafraîchissant. Ce supplice eut lieu près de la porte de Rome menant vers le Latium et appelée ultérieurement porte Latine.
Une fois de plus, le jeu de mot "Porte la tine" fit de saint Jean (le petit) un patron des vignerons et tonneliers puisque les vignerons portent la tine ou la hotte ou la cuve.
Mais il devint aussi patron des ciriers, des imprimeurs et des typographes.On pense que c'est parce que les imprimeurs on commencé à imprimer le latin, mais d'autres pensent que c'est parce que la porte latine s'ouvrait et se refermait comme un livre car ses charnières étaient centrales. D'autres aussi parce que les imprimeurs et les ciriers utilisent des huiles grasses.
Quoi qu'il en soit, la fête fut très populaire dans les milieux de l'imprimerie. En 1953, les typographes d'Orléans ont encore fêté la petite Saint-Jean et ont défilé coiffés d'un gibus.
Saint Jean porte Latine est représenté en portant sa tine. Elle se présente sous forme d'un tonneau attaché à un bâton. L'image est très proche de celle du Dieu Gaulois Sucellus (le bon frappeur) qui est représenté muni d'un maillet double au bout d'un bâton, un côté pour la vie et l'autre pour la mort. En Bretagne, on frappait (légèrement) les moribonds avec un maillet double. Le maillet donne la vie ou la mort, la mort ou la
résurrection. Les Francs-Maçons, lors de la réception d'un postulant, le frappent avec un maillet. Ils le tuent et le ressuscitent. Le maillet possède une fonction temporelle.
Pour saint Jean comme pour Sucellus, il semble que ce maillet soit un tonneau (tine) emmanché, ce qui rapprocherait saint Jean l'Évangéliste de saint Jacques et son bourdon (gourde au sommet d'un bâton) et lui reconnaîtrait son rôle de sommelier divin comme aux noces de Cana.
Tout ce qui est double est toujours d'essence temporelle à l'instar de Janus (janvier) qui a une tête tournée vers l'année passée et une autre vers le temps à venir. Il est, lui, reconnu clairement comme un dieu du temps et des passages... de portes. Tout passage est temporel. »(C'est moi qui souligne.)
Il serait extraordinaire que le 6 mai ait été déterminé dans l'ignorance de la symbolique qu'il représentait. Dois-je encore rappeler que les pélerins venant se faire soigner à Levroux étaient accueillis dans cet hôpital spécial nommé le Porche ? Que Janus (janvier) renvoie également à Capricorne, qui recouvre largement ce mois ? Que Levroux fut étape sur le chemin de Saint-Jacques (ce dont témoigne la fameuse maison de bois, dite Maison Saint-Jacques) ?
Levroux, marche nord de la seigneurie de Déols et du duché d'Aquitaine, est proprement la Porte des Dieux, porte solsticiale, dont René Guénon écrit qu'elle est « située au nord et tournée vers l'est, qui est toujours regardé comme le côté de la lumière et de la vie » (Symboles fondamentaux, p. 241).
Tournée vers l'est, lisons-nous ? Ainsi s'expliquerait que la fête de Saint Silvain soit placée au 22 septembre, c'est-à-dire à l'équinoxe d'automne, que la géographie sacrée désigne par un axe plein est, qui n'est autre que le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre, côté oriental . La figure de Silvain réunit ainsi les deux grands moments cosmiques que sont l'équinoxe et le solstice. D'ailleurs, les ossements du saint furent transportés en 1463 dans une chapelle, située dans le bois de Sully, près de La Celle-Bruère, selon la volonté d'Isabeau de Boulogne, fille de Bertrand, seigneur de Levroux. Or, ces lieux sont placés dans le signe équinoxial de la Balance, où une autre paroisse, Thevet Saint-Julien, a aussi un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre.
Dernier indice décelable de ce jeu d'échos entre solstice et équinoxe : la présence sur le parallèle de Neuvy de la petite commune de Saint-Jeanvrin, dans le Cher. Saint Jeanvrin qui était autrefois tout bonnement dénommé saint Janvier...
Et je m'avise encore qu'à quelques kilomètres de là, sur la route de Châteaumeillant, l'antique Mediolanum, le hameau de Sept Fonds nous évoque la Céphons levrousaine. Hameau situé très exactement sur le méridien reliant Toulx Sainte-Croix, autre montagne polaire, à Mehun-sur-Yèvre.
Et je lis encore, dans les Saints Berrichons de Mgr Villepelet (p. 143), que Jean de Berry donne, en 1383, un doigt de saint Silvain au chapitre de Mehun-sur-Yèvre.
Un doigt, un simple doigt, qui désigne celui qui commanda à la même époque, entre 1387 et 1393, à Jehan d'Arras, le roman de Mélusine...
Photo : Saint Jacques (Collégiale St Silvain)
01:10 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Je me régale à vous lire. Merci.
Écrit par : Jean-Marc | 22 mai 2006
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