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27 octobre 2006

Denis Gaulois (8) : Du prince de Condé

CONDÉ, prudent,

commence une phrase incertaine

    Le profond respect que j'ai pour Votre Majesté...


HENRI l'interrompt, souriant

    Pas de formules. Tu vas voir que nous sommes au-delà des formules. J'aime comme un vieux sot, à fond et sans espoir. C'est une enfant, Condé ! Et moi qui n'ai jamais rien respecté, moi à qui la vue d'un jupon sur une taille souple effaçait de l'esprit jusqu'à la notion du respect, je découvre cette curieuse chose au fond de moi. Et je trouve çela très doux.

Il s'arrête, il tisonne le feu. Condé sent qu'il faut dire quelque chose.

CONDÉ

    Je suis profondément touché de la confiance que Votre Majesté me témoigne.(...)


Jean Anouilh (Vive Henri IV ! ou La Galigaï, La Table Ronde, 2000)



Anouilh met ici en scène, dans cette pièce peu connue, le prince de Condé, futur prince de Déols et de Châteauroux, et le « bon roi » Henri IV qui lui demande d'épouser la très jeune Charlotte de Montmorency dont il est tombé fou amoureux. Il va sans dire que le Vert-Galant espère que le futur mari, auquel on prête peu de goût pour les femmes, lui laissera les coudées franches. Espoir qui sera cruellement déçu, car Condé s'enfuira avec sa belle à l'étranger. Et cela sans tarder, car le mariage aura lieu à Chantilly, propriété de Condé, le 17 mai 1609, et la fuite vers les Pays-Bas espagnols est datée du 29 novembre de la même année. Au printemps 1610, Condé laisse sa femme à Bruxelles et rejoint l'armée espagnole de Lombardie. L'assassinat d'Henri lui permet alors de revenir en France et de devenir tuteur du jeune roi encore mineur, avec les deux autres princes du sang, Conti et Soissons.

Condé, décrit par Michel Carmona comme un « homme plus colérique qu'intelligent », ne tarde pas à s'emporter contre Marie de Médicis, la Régente du royaume, qui lui refuse son soutien dans la polémique qu'il mène en 1614 avec l'évêque de Poitiers, Monseigneur de La Roche-Posay, qui lui a fermé les portes de la ville. Le 14 juillet de la même année, il se rend à Châteauroux pour y rencontrer le vieux Sully qu'il espère gagner à sa cause. C'est la première fois que l'histoire personnelle du prince croise la capitale berrichonne. Ses liens avec le Berry ne vont dès lors cesser de se renforcer : peu après la cérémonie de proclamation officielle de la majorité du Roi, le 2 octobre (Louis XIII atteint l'âge de 13 ans), on convoque les Etats-Généraux, et Condé fait élire comme député de la Noblesse dans le bailliage de Berry Henri de La Châtre, comte de Nançay. Ce qui ne sied absolument pas à la Reine-Mère qui le remplace promptement par un de ses fidèles, Guillaume Pot, seigneur de Rhodes et Grand-Maître des Cérémonies.

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Gisant  de Condé (Gilles Guérin, Musée du Louvre)

 

En 1616, l'affrontement entre Condé et Marie de Médicis prend une tournure dramatique et militaire. Le prince lève une armée contre la Régente, mais, renonçant à attaquer la capitale bien défendue par de nombreuses troupes, il entreprend de la contourner par l'ouest pour rejoindre les escouades du duc de Rohan. Il ne passe la Loire qu'à grand-peine et va s'installer en Berry : « Il choisit de s'établir lui-même à Châteauroux, précise Carmona, tandis que ses forces se dispersent aux alentours. »

La diplomatie va reprendre ses droits et c'est Richelieu lui-même, expressément mandaté par la Reine-Mère, qui va descendre à Bourges s'entretenir avec Condé. L'habile homme parvient à le convaincre de revenir à Paris : le 17 juillet, il quitte brusquement le Berry et fait son apparition le 28 juillet à Bourg-la-Reine, « où son arrivée surprend ses amis ».

« Le 29 juillet 1616, continue Carmona, Condé se rend directement au Louvre et va s'incliner devant la Reine-Mère. Tout le monde note qu'elle lui fait bon visage et que la conversation se déroule sur un ton d'évidente cordialité. Lorsque survient le Roi, celui-ci fait fête au prince et l'embrasse à deux reprises.(...) Une véritable cour commence dès le lendemain à défiler auprès de Condé. Les hommages qui fusent, l'empressement que chacun montre auprès de lui, lui montent à la tête. Même les ambassadeurs se rendent en sa résidence comme s'il était le véritable détenteur du pouvoir. »

Françoise Hildesheimer résume en une phrase la situation de Condé : « Condé, gagné par la diplomatie de Richelieu, approuve ses choix et, se croyant tout-puissant, s'essaie avec arrogance à la direction du Conseil et à l'opposition à Concini, qui se ressaisit du pouvoir en le faisant arrêter le 1er septembre 1616, en dépit de toutes les promesses qui lui ont été prodiguées. » (Op.cit. p. 65)

Il ne sera libéré que le 20 octobre 1619 et ne jouera plus dès lors qu'un rôle mineur dans l'histoire du pays.


Condé, Henri II de Bourbon, faut-il le rappeler, a donc failli s'asseoir sur le trône. Grand Veneur, premier prince du sang, il figurait sur la liste des possibles héritiers de la Couronne, si les fils du Roi venaient à mourir. Son ancrage en Berry, sa volonté de rattachement à Déols forcent la curiosité. Ne s'agissait-il pas de montrer les liens symboliques extrêmement forts qui l'unissaient à un des centres de la géographie sacrée de la terre française ? Notons qu'à cette époque encore, le Roi Très Chrétien était toujours considérée comme personne sacrée et thaumaturge : F. Hildesheimer précise que « Louis XII touche très régulièrement les écrouelles ; ainsi, en 1633, à trois reprises, à Pâques, en la fête du Saint-Sacrement, puis à la Toussaint. » « Vicaire du Christ au royaume de France », il est « l'objet de la part de ses sujets d'une vénération qui va bien au-delà de la simple obéissance civile. De nombreux symboles de la royauté divine lui sont d'ailleurs réservés : rayon de la divinité descendue sur terre, il partage l'usage du dais avec le seul Saint-Sacrement. » (op. cit. p. 80)


La légende de Denis Gaulois a-t-elle été inventée pour la gloire de Condé ? On ne saurait l'affirmer avec certitude, mais tout se passe comme s'il s'était agi de magnifier un lieu sacré, en empruntant à la fois aux sources littéraires connues (Grégoire de Tours) et au légendaire dyonisien développé par la célèbre abbaye royale. La réunion même des deux noms, Denis et Gaulois, se retrouve dans l'historiographie de l'abbaye où saint Denis était présenté comme « l'Apôtre des Gaulois », apostolus Gallorum. Anne Lombard-Jourdan écrit encore que le «  3 juillet 987, Adalbéron sacra Hugues à Reims en qualité de « roi des Gaulois » (rex Gallorum). Est-ce sous ce titre qu'il se fit couronner une seconde fois à Saint-Denis, moins d'un mois après ? » (Montjoie et Saint-Denis !, p. 248)


00:40 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

Bonjour Robin,
La sacralisation de la personne royale tient au fait, selon René Girard, que le roi est une victime émissaire en puissance. La nécropole de St Denis est forcément liée à ce processus, d'une manière ou d'une autre

Écrit par : Marc Briand | 27 octobre 2006

Bonsoir Marc,

René Girard montre en effet qu'à l'origine de la fonction royale, il y a ce fameux meurtre fondateur, cette victime émissaire dont la mise à mort ramène tout à coup le calme dans la communauté déchirée par les tensions engendrées par le jeu du désir métaphysique. Violence exercée contre un innocent, lynchage que les mythes vont camoufler en sacralisant la victime en divinité immortelle. Le roi capétien relève de ce schéma archaïque, mais il ne risque plus rien bien sûr : le mécanisme de la victime émissaire ne fonctionne plus qu'à travers des substitutions symboliques.
Le principe explicatif de René Girard est saisissant. La Violence et le Sacré est un grand livre dont il faut conseiller la lecture à quiconque s'intéresse à la genèse de nos sociétés. Il reste que cette théorie s'appuie essentiellement sur des causalités inter-humaines, culturelles, et elle ne fait aucune part, ou très peu, au milieu écologique, naturel des groupements humains étudiés.
Anne Lombard-Jourdan, qui traite aussi de la royauté, s'appuie, elle, sur le mythe du cerf et du serpent, lié au retour cyclique du renouveau végétal et animal. Sa tentative d'explication apparaît là aussi féconde et éclairante (voir Aux origines de Carnaval)
J'ai l'intuition qu'il est vain de vouloir opposer les deux théories, mais l'articulation entre elles, si l'on admet qu'elle est souhaitable, reste encore à penser.
Bien à vous, Marc

Écrit par : Robin | 29 octobre 2006

Je suis bien d'accord. Cette diversité hétérogène excite notre curiosité et notre volonté de savoir.
Excellente nouvelle pour Neuvy Saint- Sépulcre.

Écrit par : Marc Briand | 30 octobre 2006

Bonjour Robin,

Il se trouve que je croise plutôt fréquemment la figure de Saint Denis ces derniers temps. Simple Coïncidence ? Je n'en sais rien. Mais, comme je suis les épisodes que vous rédigez sur l'aventure de "Denis Gaulois" à travers les âges, j'ai plaisir à vous faire part d'un passage que j'ai lu ce matin au sujet de saint Denis. Je vous livre le passage in extenso :

"Un siècle plus tôt (...) Gérard de Nerval, qui faillit devenir propriétaire d'un carré de vignes à Montmartre, était persuadé dans son rêve viticole, que "Denis, Dionysos en grec, était une sorte de Bacchus ayant possédé trois corps, l'un enterré à Corinthe, un autre à Ratisbonne, le troisième à Montmartre". L'une des étymologies supposées à "Montmartre" est "Mont des Martyrs". Parmi les légendes formées autour de saint Denis, l'une veut que cet évangélisateur des Gaules, mis sur le gril dans la cité, puis décapité dans un autre quartier, soit allé, sa tête sous le bras, laver celle-ci dans une fontaine près de l'actuel Moulin de la Galette."

Ce passage est extrait du dernier livre de Gérard Oberlé intitulé "Itinéraire spiritueux" (Grasset, p. 64). Un joli petit essai sur l'ivresse, dont je vous recommande la lecture, si le temps vous le permet.

Bien cordialement

Jean-Marc

Écrit par : Jean-Marc | 04 novembre 2006

Merci, Jean-Marc, pour la citation de Gérard Oberlé (vous m'avez donné envie de découvrir cet itinéraire spiritueux...).
Sur Denis à Ratisbonne, A. Lombard-Jourdan, encore elle, rappelle que c'est au XIème siècle que les moines de Saint-Emmeran de Ratisbonne prétendirent brusquement posséder le corps du saint : "Ils feignirent de découvrir dans le mur occidental de leur église, lors d'une restauration après un incendie, les ossements de ce saint, qui y auraient été cachés à la fin du IXe siècle." On imagina un récit abracadabrant de vol de reliques par un certain Gislebertus, clerc de l'empereur Arnulf, qui aurait énivré les gardiens de la crypte de Saint-Denis et dérobé les ossements dans deux sacs. Ce qui est surprenant c'est que les moines de Ratisbonne parvinrent à circonvenir le pape Léon IX (1049-1054) qui trancha en leur faveur : il s'agissait ni plus ni moins que de "déposséder l'abbaye de Saint-Denis et la France de leur palladium et de se l'approprier : la force protectrice du saint patron de la France était captée au profit de l'empire germanique."
La polémique, ajoute ALJ, se prolongea jusqu'au XVIIIème siècle : Pascal lui-même y fait allusion dans sa dix-huitième Provinciale.

Écrit par : Robin | 07 novembre 2006

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