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06 novembre 2006

Denis Gaulois (9) : Sur la trace de Gildas

J'ai emprunté récemment à la médiathèque un ouvrage intitulé Saint-Gildas, de la Bretagne au Berry, sous-titré encore L'épopée des moines. Paru en décembre 2003 aux Editions Lancosme Multimédia, écrit par Gilles Guillemain et illustré par Jeannine Abrioux, il a, je cite la quatrième de couverture, "été conçu dans l'esprit d'attirer l'attention de nos contemporains sur une page d'histoire de Châteauroux, à l'époque où une abbaye était érigée sur les bords de l'Indre, aujourd'hui devenue le quartier Saint-Christophe." Ce livre,  est-il précisé au final, est "un guide parfait pour ceux qui recherchent  des traces de l'abbaye et de l'Histoire d'une civilisation, notre civilisation." Pierre Plateau, archevêque émérite de Bourges, vante dans sa préface ce "beau travail" où "les auteurs ont eu à coeur de faire revivre cette merveilleuse histoire de Saint Gildas." Il ajoute qu'ils "ont distingué avec honnêteté ce qui relève de la légende populaire et ce qui relève de la grande histoire de notre pays."


  Fort bien. Il reste qu'à la lecture du "guide parfait", on demeure plus que perplexe devant cette tentative de reconstitution de la vie de saint Gildas et du voyage des moines bretons jusqu'en terre déoloise. Certes, on nous a prévenus que ce n'était pas véritablement une biographie de la vie de saint Gildas, que la manière était "particulièrement épurée, quelque peu romancée, en survolant les faits"...
Qu'on en juge par le seul extrait suivant, bien significatif du style employé : " Dans la contrée d'Arecluta, baignée par le fleuve Clyde, le jeune breton [Gildas] regarde sa patrie, blessée par une kyrielle de conflits, panser ses plaies. La pluie quasi permanente nettoie les souillures infligées aux pierres, à la terre, aux rivières." Le dérèglement climatique, apparemment,  ne date pas d'hier.

Ceci resterait bénin si l'auteur ne se mêlait pas d'adjoindre à sa narration du périple des moines des notations tout à fait incongrues : ainsi, lors de l'arrivée à Déols du cortège mené par l'abbé Dahoc, on apprend qu'outre les saintes reliques de Gildas les moines détiennent rien moins que "le précieux calice dont Jésus-Christ s'est servi lors de  la sainte Cène." Autrement dit le Saint Graal ! "Le seigneur de Déols est sidéré par cette révélation particulièrement effarante". Le lecteur un peu averti également, car enfin la scène est censée avoir lieu en 922, or le Graal n'apparaît dans la littérature qu'au XIIème siècle, avec Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, et il faut attendre Robert de Boron, au XIIIème siècle, pour identifier ce Graal au calice de la Cène.

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Saint-Gildas

Contrairement à ce qu'annonce Mgr Plateau, on démêle donc mal ce qui relève du légendaire de ce qui appartient à l'histoire proprement dite. Mais survolons à notre tour plusieurs siècles et venons-en à l'époque qui nous occupe en ce moment : les deux abbayes de Déols et de Saint-Gildas, qui se sont semble-t-il développées en bonne harmonie, vont connaître une fin également similaire, "devenues la proie du prince de Bourbon, Henri II de Condé, apparenté à la famille royale, qui, convoitant leurs immenses richesses profite de la vente des possessions des seigneurs de Châteauroux pour acquérir leur comté."
 
En 1612, Condé achète effectivement ces terres berrichonnes, qu'il obtiendra d'élever à la dignité de duché-pairie en 1627. Notre livre lui prête de sombres desseins : "Le projet du prince de Condé est rapidement mis à exécution pour obtenir la sécularisation des deux abbayes. Il entreprend les démarches auprès du roi et du pape qu'il fourvoie. Il allègue, pour cela, l'incurie des religieux qu'il accuse de ne plus respecter les austères principes de la règle de saint Benoît. L'autorité des abbés gênait surtout celle du prince mécréant(1). La sécularisation, en 1622, et la dispersion des moines, sonnent la curée du monastère. L'enceinte fortifiée est envahie et détruite. Les édifices abandonnés fournissent des matériaux qui servent à construire les maisons du faubourg Saint-Christophe. Il ne reste rien de l'église abbatiale."

Sur la destruction des abbayes de Déols et de Saint-Gildas, l'auteur ne se trompe malheureusement pas : la sécularisation accélère un mouvement de démantèlement qui avait commencé avec les pillages et les incendies pendant les guerres de Religion. Il cite à cet égard le poète Jean Lauron (1560-1615 ou 1620), bailli de Saint-Gildas et garde du sceau de Châteauroux qui se désole ainsi dans un poème adressé au prieur de Saint-Gildas :

Temple que nos aïeux Ebbes Léocade Roux,
Avaient bâti doué d'honneur et de richesse,
Qui voisine le ciel de superbe hautesse,
Qu'êtes-vous devenus ? Hélas où êtes-vous ? (...)

Gilles Guillemain a beau jeu de se gausser en rappelant que Léocade "n'a rien à voir avec la construction de l'abbaye Saint-Gildas puisqu'il est mort au IIIème siècle..." Ce qui est plus intéressant c'est de voir ici le patronyme Roux, qui désigne un canton dans la légende de Denis Gaulois. Pour Guillemain, et on le suivra sur ce point, il "s'agit sans doute d'un pluriel utilisé -et pourquoi pas puisqu'on dénomme la ville, à cette époque, Château-Roux - pour qualifier les "Raoul" qui se sont succédé."

Par ailleurs, Jean Lauron avait rédigé en 1595 l'épitaphe de Jean d'Aumont, maréchal de France, compagnon d'armes  de Henri IV,  chevalier de  l'ordre du Saint-Esprit,  comte de Châteauroux,  qui avait choisi pour lieu de sa sépulture l'église des Cordeliers de cette même ville.

"L'imager pourroit bien figurer son Image
En ce tableau icy, et rapporter ses traits,
Mais pour représenter ses gestes et hauts faits,
Il faudroit voir, Passant, l'Histoire de cet âge,
Là tu verras d'AUMONT, d'ardeur et de courage
Foudroyer l'Espagnol par belliqueux effets,
Tu verras les Ligueurs furtifs et déffaits,
Embrasser ses genoux, luy venir faire hommage.
Ivry vit sa valeur, Arques son exercice,
Le feu Roy vit à Tours son fidèle service,
La Bourgogne a tremblé sous son juste courroux,
Le Breton à poings liez secondoit coup à coup,
Quand au bras il reçut à Camper un grand coup,
Qui mit son âme au Ciel, son corps à Château-roux.
Celuy qui pour la vie et bien de sa Patrie,
A cent fois exposé et les biens et la vie,
Celuy qui pour la France à sa vie cent fois
Exposé à la mort, sans vie tu le vois;
Son corps repose icy, et sa fameuse gloire
Burinée se voit sur l'Autel de la mémoire."

 Or, ce Jean d'Aumont, si l'on en croit cette page web qui relate son histoire , était aussi nommé le Franc Gaulois.

Rêvons un court instant : et si Jean Lauron était le véritable auteur de la légende de Denis Gaulois ? Légende inventée à l'origine pour exalter Jean d'Aumont mais récupérée de façon opportune par Condé, pour servir ses projets ?

___________________________________________

(1) Ce soi-disant mécréant n'hésite pourtant pas à nommer lui-même des prêtres sur  les paroisses qui lui appartiennent, si l'on en croit ce document ancien vendu à cette adresse.

 

00:20 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (8)

Commentaires

Étant "tombée" sur ce blog par hasard, je tiens à vous en remercier. Que de pistes à suivre !

Écrit par : Léah | 06 novembre 2006

Bonsoir Robin,

Certes, certes, votre remarque sur cette mention du Graal est pleine de bon sens et de pertinence, cependant savez-vous pourquoi ce Graal, qui vient un peu comme un cheveu sur la soupe (du moins d'après les extraits que vous en donnez), apparaît ainsi dans ce livre sur "Saint Glidas, de la Bretagne au Berry" ? Avez-vous une idée de l'intention des auteurs ou d'éventuelles pistes qu'ils auraient suivies ?

En vous remerciant du suspens de cette enquête à travers les siècles et les seigneurs de Déols !

Écrit par : Marc Lebeau | 07 novembre 2006

Il n'y a pas de hasard, ou peut-être n'est-il pas ce que l'on croit... Quoi qu'il en soit, bienvenue ici, Léah.

>Marc : J'ai bien peur que cette mention du Graal ne relève que de la méconnaissance du mythe... Il s'agissait ici d'enjoliver la romance. La source, même pas indiquée dans la bibliographie finale, juste mentionnée en passant dans une note de bas de page, semble être le livre de l'abbé Luco sur Saint-Gildas de Rhuys, que vous connaissez peut-être :(http://www.galerie-ancetres.com/index.php?module=pagesetter&func=viewpub&tid=28&pid=1201)
Merci de me suivre encore dans ce dédale déolois.

Écrit par : Robin | 07 novembre 2006

Bonjour Robin,
Petites précisions à propos du Graal:
Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes est une tentative de récupération chrétienne d'anciens thèmes celtes avec la fortune que l'on sait.
Joseph d'Arimathie recueille le sang de Jésus entre la descente de Croix et la mise au Tombeau, d'après la légende.
La Cène, Pessah pour les Juifs, commémore la sortie d'Egypte. C'est un repas familial ou entre amis qui commence par le Seder, rite aucours duquel le Peuple Juif se souvient de la captivité et fête sa libération. On dispose sur la table, pour accompagner le récit, une coupe de vin, des galettes de pain azime, des herbes amères avec du vinaigre, des fruits sucrés, de l'agneau, etc.
Ce sont des herbes amères trempées dans du vinaigre que Jésus tend à Juda quand on lui demande qui va le livrer. Mais là je m'écarte du sujet...
Je vous recommande le dernier livre de Philippe Walter sur Tristan et Yseut.

Écrit par : Marc Briand | 08 novembre 2006

Non Robin, je n'ai pas lu ce livre, ayant hésité sur place entre celui-ci et celui plus général sur Rhuys et Sarzeau ! Je crois que finalement, je vais le commander ...
Ceci dit, je n'ai pas souvenance dans les différents documents que j'ai consultés et les légendes sur Gildas d'avoir vu aucune mention sur ce Graal ! D'où mon étonnement lors de la lecture de votre article.

Écrit par : Marc Lebeau | 08 novembre 2006

Correction de ma remarque précédente !

Sur le seul livre que je n'avais pas eu le temps de lire encore (Rhuys, chronique d'une presqu'île, de Yvon Mauffret, ed. J.Thébert, 1990), j'ai trouvé une mention, certes très succincte, à cet évènement décrit dans Saint Gildas, de la Bretagne au Berry. Il y est dit :

"Daoc, Abbé de Rhuys prend aussi la décision de partir (à cause de l'arrivée des normands). Après avoir enterré sous le maître-autel de l'église huit des principaux ossements de Gildas, il rassemble sa troupe. Il emporte pourtant le chef du Saint, ainsi que son bâton et son livre d'évangile. Prend-il aussi le calice du Graal ainsi que l'affirme la légende ?
En tout cas les précieuse archives du monastère disparaîtront à jamais dans la débâcle."

Voilà, c'est tout !

Écrit par : Marc Lebeau | 08 novembre 2006

Merci pour ces précisions, Marc. Votre dernière remarque laisse bien supposer que l'ajout du Graal est postérieur à l'histoire de la fuite. Une nouvelle légende a été édifiée autour du Saint Vaisseau qu'on s'est approprié sans vergogne. D'ailleurs, on n'explique pas pourquoi le Graal aurait été à Rhuys et on ne sait pas si il y est revenu en même temps que le chef de Gildas.
Si ça se trouve, il est toujours à Déols...
(Plaisanterie : je précise parce que j'ai peur que certains prennent ça au sérieux...)

Écrit par : Robin | 08 novembre 2006

Pour approfondir le pourquoi de cette liaison Graal/Gildas, je pense que cette légende de l'apport du Graal par Gildas a été encouragée par les trois faits suivants :

- il était contemporain du Roi Arthur, qui aurait d'ailleurs tué son frère, ce qui, disent les éxégètes de Gildas, explique pourquoi il n'en parle pas dans ses écrits ;
- il a passé quelques temps à Glastonbury, une des stations légendaires de ce "sacré" vase ;
- le fameux barde Taliésin, dont l'existence serait d'ailleurs aussi brumeuse que les pays celtes qu'il a fréquentés, aurait passé quelques temps auprès de Gildas dans son monastère de Rhuys...

Trois raisons qui pourraient expliquer la naissance de cette légende.

En attente de vous lire à nouveau, Robin.

Amicalement

Écrit par : Marc Lebeau | 13 décembre 2006

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