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20 avril 2010

Enfiler des perles

"Enfiler des perles est un léger mouvement répétitif du bras duquel n'est pas exempte l'attente que le cours du temps s'interrompe et que surgisse l'événement."

Jean-Pierre Le Goff, Le cachet de la poste, p. 99.

1. Après avoir longtemps piétiné devant l'obstacle, comme perdu devant la matière profuse que j'avais moi-même rassemblée, je me suis enfin avancé dans l'ouvrage : le livre qui doit rendre compte de ces cinq années de blog prend enfin figure et me voici en ce début de printemps à la tête d'une petite centaine de pages. A vue de nez, me voici à peu près au tiers du chemin à parcourir. Je m'aperçois aussi en passant que bon nombre de liens hypertextes dont j'ai parsemé ma prose sont à l'heure actuelle bel et bien morts et trépassés. Les ressources vers lesquels ces liens conduisaient ne sont pas toujours disparues pour autant : simplement, les pages ont parfois évolué, l'arborescence des sites a été bouleversée. Le web ne cesse de fluctuer, de se métamorphoser, de s'anéantir en partie et de se recomposer ailleurs, comme un de ces monstres qui hantent l'univers de Miyazaki.

2. Ajouté dans ma liste Chemins de traverse la Petite Librairie des Champs. La poésie est au bout du sentier, et la mer n'est jamais loin. Allez y respirer de temps à autre les parfums du sud. C'est par Sebald que j'ai rencontré Sylvie Durbec, ici même virtuellement, avant de le faire de vive voix à Mers-sur-Indre, le mois dernier. Un lieu nous est commun : Douadic, que j'ai évoqué en ces pages, et dont je n'ai peut-être pas assez dit qu'il était aussi lieu de mémoire tragique, avec ce camp de transit qu'il accueillit pendant la seconde guerre mondiale.

« II,     DOUADIC 
Écrire sur un lieu disparu 
dont ne reste que terre nue 
et des ronces 
une stèle 
un peu triste 
c’est étrange et un peu encore 
comment dire une manière de ne pas dire 
ou bien de trop Enfin personne ne sait 
exactement où finit 
et commence 
un lieu  
comme celui-là »

Extrait de PRENDRE place, une écriture de Brenne, Collodion, 2010.


vouillon.jpg

Eglise de Vouillon (hélas fermée, le jour où j'y suis allé)

3. J'ai dû rendre à la médiathèque le livre de Jean-Pierre Le Goff. J'en ai photocopié auparavant toutes les pages qui font mention d'un site berrichon, cela fait un beau recueil. J'ai l'intention de consacrer une note à chacun des chapitres concernés, en me rendant si possible sur les lieux désignés. Une sorte d'inventaire berrichon des lieux legoffiens. J'ai d'autant plus de volonté d'accomplir cette sorte de pélerinage que j'ai appris récemment, de la bouche de quelqu'un qui l'a connu, et qui reçut plusieurs de ces missives que le poète adressait à ses amis, que Jean-Pierre Le Goff était hélas très malade. Ce qui sincèrement m'attrista. Je ne cherche pas, je l'ai dit, à contacter les auteurs que je cite ici : je laisse oeuvrer le seul hasard, comptant sur sa malice. Mais aujourd'hui je sais que le hasard ne me servira pas, qu'il n'est pas même d'attente possible. J'irai donc sur les traces de JPLG, ce sera mon hommage à lui rendu.

J'ai découvert en ces mêmes temps le grand poète libanais Salah Stétié, à travers un très beau volume chez Bouquins, En un lieu de brûlure. Et, pour en explorer les arcanes, j'ai lu aussi le volume que lui consacre Marc-Henri Arfeux dans Poètes d'aujourd'hui, chez Seghers. Or j'y trouvai ce commentaire, qui m'a bien fait sourire :

"Dans une époque où le nom même de l'Etre, celui du sens et de l'essence sont devenus objets de répulsion, de dérision et finalement d'une étrange amnésie, Salah Stétié ose dire que seule une poésie prenant appui sur les grandes interrogations fondamentales est susceptible d'éclairer la condition des hommes et de nous prémunir contre ces maladies mortelles que sont les certitudes sans horizon, les cynismes affamés, les divertissements de littérateurs enfilant des perles d'insignifiance, ou l'abandon blasé à l'esclavage de l'immédiat." (p. 13 ; c'est moi qui souligne)

Paradoxalement, je pense que Jean-Pierre Le Goff échappe à ce constat - que j'approuve par ailleurs. Parce que son enfilage de perles n'est pas métaphorique. Ce fut un véritable geste du bras et non une abstraction, un geste à la fois dérisoire et métaphysique. Relire ce qu'il dit de l'attente, sur cette interruption toujours possible du cours du temps, de cette irruption de l'événement qui me fait penser à la passante baudelairienne, cette fugitive beauté dont le regard le fit soudainement renaître.

03 avril 2010

Saint Just et saint Viator

Il me faut revenir sur saint Just. Dans la version berrichonne, saint Just n'est guère qu'un acolyte du grand saint Ursin, et l'on ne connaît pas grand chose de lui, à part qu'ils viennent tous les deux de Lyon pour évangéliser le Berry. Or, à Lyon précisément, un autre saint Just jouit d'une renommée bien plus grande, désignant rien moins qu'un quartier de la ville et une basilique.

J'ai signalé ce fait que Vouillon, qui s'honore, on l'a vu, d'une église Saint-Just, se situe sur l'axe Vatan-Saint-Valentin. Axe des V, ai-je écrit, car passant aussi par Le Grand et le Petit Villiers. Or, il faut noter que l'alignement Vouillon - Saint-Just (Cher) passe aussi par un lieu-dit Villiers. Et nous allons voir que l'hagiographie de saint Just de Lyon renferme un nombre considérable de noms en v. Qu'on en juge sur le texte donné par l'Eglise orthodoxe d'Estonie.

"Saint Just (en latin : Iustus) naquit à Tournon, sur les bords du Rhône, dans la première moitié du IVe siècle. Son père était gouverneur de la province environnante, appelée depuis Vivarais. Lorsque le jeune Just eut atteint l'âge d'étudier, ses parents, qui voulaient lui donner une éducation chrétienne, le mirent sous la conduite de saint Paschasius, archevêque de Vienne, qui fut l'un des plus grands évêques de son temps."

Vivarais, Vienne, deux noms en v sur les six noms propres de ce passage.

 

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Eglise Saint-Just (Auteur : Alorange, Wikipédia)

"Ce dernier eut la satisfaction de voir son jeune disciple croître en sagesse et en vertu. Just fit à son école de si grands progrès dans la prière et dans l'étude des Saintes Ecritures que Claudius, le successeur de saint Paschasius, l'ordonna diacre. Peu de temps après, vers 350, à la suite de la mort de Vérissimus, le siège épiscopal de Lyon étant vacant, saint Just y fut élu malgré les vains efforts qu'il fournit pour se soustraire à cet honneur.(...) Il participa à deux conciles, celui de Valence en 374, puis celui d'Aquilée en 381, ce dernier fut réuni pour condamner l'hérésie arienne. Deux évêques de ce parti, Palladius et Secondianus, appuyés par Justine, femme de l'empereur Valentinien l'Ancien, demandaient un concile général pour revoir ce qui avait déjà été arrêté et défini. "

Vérissimus, Valence, Valentinien l'ancien, trois noms en v sur les neuf du passage (les passages omis ne renferment pas de noms propres).

"Saint Ambroise de Milan s'y opposa, et consentit seulement à la tenue d'un concile provincial. Néanmoins, l'empereur Gratien laissa à d'autres évêques la liberté d'y assister. Ceux des Gaules furent convoqués, mais, ne voulant pas quitter leurs diocèses, ils se contentèrent d'y envoyer trois députés. Saint Just fut l'un d'eux. Il se rendit à Aquilée et fut l'un des trente-deux évêques qui composèrent le concile, que présidait saint Valérien d'Aquilée."

Saint Valérien : un nom en v sur les quatre nouveaux noms de ce passage.

"(...) Une nuit, il partit secrètement de sa demeure accompagné d'un jeune lecteur de son église, nommé Viator. Il prit le chemin d'Arles, puis de Marseille, où il s'embarqua pour l'Egypte.
A peine arrivé, il se retira au désert de Scété en compagnie des saints moines qui peuplaient alors ces solitudes. Il ne révéla ni son nom ni sa dignité, mais, en compagnie de saint Viator son compagnon, il vécut au désert comme un simple moine ignoré de tous
"

Saint Viator est bien sûr le plus bel exemple de nom en v, le plus significatif aussi, car viator est littéralement le voyageur. Lorsque Just meurt le 2 septembre 390, ce fidèle compagnon, inconsolable, le rejoint dans le trépas un mois plus tard. On retrouve curieusement sa trace dans l'histoire de la petite ville de Saint-Amour en Bourgogne, où il est associé à saint Amator (Amour). Selon Robert Faverge, son culte aurait remplacé celui qu'on rendait à l'origine à Mercure : " Mais venons-en au culte de Saint-Viateur. Au second dimanche de Pâques et surtout au second dimanche de Pentecôte, on célébrait autour des ruines de l'Aubépin une fête où au soleil levant on assistait à une grand-messe et l'on en sortait pour danser gaiement sur la pelouse. Des foires s'en suivaient, conservant une forte odeur du Moyen-Age. Des pratiques aussi. On se laissait glisser sur le dos. Les voyageurs invoquaient un saint qu'ils appelaient Garados , mot vulgaire qui signifie guérit-dos mais qui, d'après l'Eglise, n'est autre que Saint-Odon, abbé de Cluny. On ne peut séparer la pensée de cette affluence de voyageurs atteints de maux de reins, de jambes ainsi que de rhumatismes, à la chapelle de Saint-Garados, sans songer au temps où le dieu des voyageurs , Mercure, était aussi l'objet d'un culte dans le pays. Mercure serait devenu Saint-Viateur. Le culte de Mercure le culte de Saint-Viateur."

Je relève que la messe se déroulait au soleil levant, au second dimanche de Pâques ou de Pentecôte, en tout cas au printemps. Or, la fête de saint Just à Lyon se déroule aussi dans les heures de l'avant-aube : " Saint Sidoine Apollinaire qui y avait assisté, raconte que l'on marchait en procession avant le jour, et qu'il y avait une si grande affluence de peuple que l'église ne pouvait le contenir en entier. Un nombre infini de cierges étaient allumés. Pendant l'agrypnie, les psaumes étaient chantés alternativement à deux chœurs par les moines, le clergé et les fidèles. A l'issue de cet office, on se retirait jusqu'à l'heure de Tierce à laquelle on se rassemblait pour la Divine liturgie." Rappelons que l'agrypnie est, dans la liturgie orthodoxe, l'office de vigiles (de veille), et que tierce est la troisième heure, vers neuf heures du matin.

Ceci s'accorde avec l'orientation de l'axe Vouillon - Saint-Just, dirigé vers Saint-Aubin, Primelles et le soleil levant au coeur du printemps.

Et je n'ignore pas, qu'en ce Vendredi Saint où j'ai commencé d'écrire tout ceci, de nombreux chrétiens ont retracé à Jérusalem le chemin de croix du Christ dans la Ville sainte, sur la Via Dolorosa, marquant les 14 stations du calvaire jusqu'à la basilique du Saint-Sépulcre au coeur de la vieille ville.