03 avril 2010
Saint Just et saint Viator
Il me faut revenir sur saint Just. Dans la version berrichonne, saint Just n'est guère qu'un acolyte du grand saint Ursin, et l'on ne connaît pas grand chose de lui, à part qu'ils viennent tous les deux de Lyon pour évangéliser le Berry. Or, à Lyon précisément, un autre saint Just jouit d'une renommée bien plus grande, désignant rien moins qu'un quartier de la ville et une basilique.
J'ai signalé ce fait que Vouillon, qui s'honore, on l'a vu, d'une église Saint-Just, se situe sur l'axe Vatan-Saint-Valentin. Axe des V, ai-je écrit, car passant aussi par Le Grand et le Petit Villiers. Or, il faut noter que l'alignement Vouillon - Saint-Just (Cher) passe aussi par un lieu-dit Villiers. Et nous allons voir que l'hagiographie de saint Just de Lyon renferme un nombre considérable de noms en v. Qu'on en juge sur le texte donné par l'Eglise orthodoxe d'Estonie.
"Saint Just (en latin : Iustus) naquit à Tournon, sur les bords du Rhône, dans la première moitié du IVe siècle. Son père était gouverneur de la province environnante, appelée depuis Vivarais. Lorsque le jeune Just eut atteint l'âge d'étudier, ses parents, qui voulaient lui donner une éducation chrétienne, le mirent sous la conduite de saint Paschasius, archevêque de Vienne, qui fut l'un des plus grands évêques de son temps."
Vivarais, Vienne, deux noms en v sur les six noms propres de ce passage.
Eglise Saint-Just (Auteur : Alorange, Wikipédia)
"Ce dernier eut la satisfaction de voir son jeune disciple croître en sagesse et en vertu. Just fit à son école de si grands progrès dans la prière et dans l'étude des Saintes Ecritures que Claudius, le successeur de saint Paschasius, l'ordonna diacre. Peu de temps après, vers 350, à la suite de la mort de Vérissimus, le siège épiscopal de Lyon étant vacant, saint Just y fut élu malgré les vains efforts qu'il fournit pour se soustraire à cet honneur.(...) Il participa à deux conciles, celui de Valence en 374, puis celui d'Aquilée en 381, ce dernier fut réuni pour condamner l'hérésie arienne. Deux évêques de ce parti, Palladius et Secondianus, appuyés par Justine, femme de l'empereur Valentinien l'Ancien, demandaient un concile général pour revoir ce qui avait déjà été arrêté et défini. "
Vérissimus, Valence, Valentinien l'ancien, trois noms en v sur les neuf du passage (les passages omis ne renferment pas de noms propres).
"Saint Ambroise de Milan s'y opposa, et consentit seulement à la tenue d'un concile provincial. Néanmoins, l'empereur Gratien laissa à d'autres évêques la liberté d'y assister. Ceux des Gaules furent convoqués, mais, ne voulant pas quitter leurs diocèses, ils se contentèrent d'y envoyer trois députés. Saint Just fut l'un d'eux. Il se rendit à Aquilée et fut l'un des trente-deux évêques qui composèrent le concile, que présidait saint Valérien d'Aquilée."
Saint Valérien : un nom en v sur les quatre nouveaux noms de ce passage.
"(...) Une nuit, il partit secrètement de sa demeure accompagné d'un jeune lecteur de son église, nommé Viator. Il prit le chemin d'Arles, puis de Marseille, où il s'embarqua pour l'Egypte.
A peine arrivé, il se retira au désert de Scété en compagnie des saints moines qui peuplaient alors ces solitudes. Il ne révéla ni son nom ni sa dignité, mais, en compagnie de saint Viator son compagnon, il vécut au désert comme un simple moine ignoré de tous"
Saint Viator est bien sûr le plus bel exemple de nom en v, le plus significatif aussi, car viator est littéralement le voyageur. Lorsque Just meurt le 2 septembre 390, ce fidèle compagnon, inconsolable, le rejoint dans le trépas un mois plus tard. On retrouve curieusement sa trace dans l'histoire de la petite ville de Saint-Amour en Bourgogne, où il est associé à saint Amator (Amour). Selon Robert Faverge, son culte aurait remplacé celui qu'on rendait à l'origine à Mercure : " Mais venons-en au culte de Saint-Viateur. Au second dimanche de Pâques et surtout au second dimanche de Pentecôte, on célébrait autour des ruines de l'Aubépin une fête où au soleil levant on assistait à une grand-messe et l'on en sortait pour danser gaiement sur la pelouse. Des foires s'en suivaient, conservant une forte odeur du Moyen-Age. Des pratiques aussi. On se laissait glisser sur le dos. Les voyageurs invoquaient un saint qu'ils appelaient Garados , mot vulgaire qui signifie guérit-dos mais qui, d'après l'Eglise, n'est autre que Saint-Odon, abbé de Cluny. On ne peut séparer la pensée de cette affluence de voyageurs atteints de maux de reins, de jambes ainsi que de rhumatismes, à la chapelle de Saint-Garados, sans songer au temps où le dieu des voyageurs , Mercure, était aussi l'objet d'un culte dans le pays. Mercure serait devenu Saint-Viateur. Le culte de Mercure le culte de Saint-Viateur."
Je relève que la messe se déroulait au soleil levant, au second dimanche de Pâques ou de Pentecôte, en tout cas au printemps. Or, la fête de saint Just à Lyon se déroule aussi dans les heures de l'avant-aube : " Saint Sidoine Apollinaire qui y avait assisté, raconte que l'on marchait en procession avant le jour, et qu'il y avait une si grande affluence de peuple que l'église ne pouvait le contenir en entier. Un nombre infini de cierges étaient allumés. Pendant l'agrypnie, les psaumes étaient chantés alternativement à deux chœurs par les moines, le clergé et les fidèles. A l'issue de cet office, on se retirait jusqu'à l'heure de Tierce à laquelle on se rassemblait pour la Divine liturgie." Rappelons que l'agrypnie est, dans la liturgie orthodoxe, l'office de vigiles (de veille), et que tierce est la troisième heure, vers neuf heures du matin.
Ceci s'accorde avec l'orientation de l'axe Vouillon - Saint-Just, dirigé vers Saint-Aubin, Primelles et le soleil levant au coeur du printemps.
Et je n'ignore pas, qu'en ce Vendredi Saint où j'ai commencé d'écrire tout ceci, de nombreux chrétiens ont retracé à Jérusalem le chemin de croix du Christ dans la Ville sainte, sur la Via Dolorosa, marquant les 14 stations du calvaire jusqu'à la basilique du Saint-Sépulcre au coeur de la vieille ville.
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24 mars 2010
Le triangle de Saint-Just
Bien avant Jean-Pierre Le Goff, Vouillon reçut, selon l'abbé Jacquet, curé du village au début du XXème siècle, la visite d'un certain saint Just. Lequel trouva la mort sur la voie romaine qui conduisait à Bourges, aussi l'église lui fut-elle dédiée. L'abbé rapportait là une tradition locale qui décalquait en réalité l'histoire de saint Just telle qu'elle est contée dans les Acta Sancti Ursini, autrement dit le récit de la vie de saint Ursin. Nous avons souvent évoqué ce dernier, en particulier à l'occasion de l'étude de la légende de Denis Gaulois.
J'en reviens encore à cet excellent Jean Villepelet, monseigneur Jean et son livre si précieux Les Saints Berrichons. Que nous apprend-il ? Et bien que le Bienheureux Just, compagnon et disciple du grand Ursin, envoyé de Lyon à Bourges pour porter la bonne parole aux habitants du Berry, tomba en chemin gravement malade et mourut saintement, à neuf milles de la ville de Bourges, près des bords de l'Auron. "Affligé par ce trépas, poursuit-il, Ursin rendit pourtant grâces à Dieu et à cet endroit même donna à son compagnon une sépulture honorable. Au VIème siècle, le corps du saint confesseur fut transporté dans l'église qui, après avoir été primitivement élevée en l'honneur du martyr saint Symphorien, prit dans la suite le nom de Saint-Ursin, lorsque les reliques du premier apôtre du Berry y furent elles-mêmes transférées." (p.98)
Sur le tympan du portail sud de la cathédrale de Bourges, on voit le pape bénir Just et Ursin qui ont reçu mission d'évangéliser notre païenne contrée. Mgr Villepelet signale aussi en note que le village de Saint-Just, dans le canton de Levet, revendique l'honneur d'avoir été le lieu de sa mort et de sa sépulture privée. Or, l'axe Vouillon - Saint-Just ne semble pas anodin : orienté au nord-est, donc dans la position du soleil levant en période printanière, il est jalonné par Saint-Aubin et Primelles (où saint Firmin d'Amiens séjourna quelque temps) - et l'on sait que Prime est une prière de l'office divin, correspondant à la première heure du jour, vers 7h00 du matin.
Considérons à présent les axes Saint-Just - Bourges et Vouillon - Bourges. On constate qu'ils sont perpendiculaires. Le premier épouse pratiquement la route nationale 76 qui traverse en droite ligne le plateau de la Septaine, tandis que le second se confond presque avec la Chaussée de César, nom donné aux vestiges de la voie romaine qui reliait Argentomagus à Avaricum. Il passe d'ailleurs par Saint-Ambroix, dont nous avons vu l'importance lors de la mise en lumière du carré buissé.
Pour voir la carte avec un format plus large : triangle_saint-just.pdf
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