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18 août 2010

Fortis imaginatio generat casum

Le facteur de coïncidences sonne souvent plusieurs fois. Fait qui s'est vérifié encore aujourd'hui. Suite au commentaire que m'avait laissé Sylvie Durbec sur mon dernier billet, je suis retourné sur La Petite Librairie des Champs, et j'ai cliqué sur le lien de Karlatone, intitulé Una fuerte imaginación hace que las cosas sucedan, daté du 14 août 2010. Il s'agissait indubitablement de cette amie mexicaine dont elle me parlait dans le commentaire, mais sans me donner ses coordonnées précises.

J'ai lu* ce texte passionnant à maints égards, qui ne craint pas d'attribuer à Montaigne la création du concept de hasard objectif (azar objetivo). Entendons bien que si le terme en est bel et bien créé par André Breton, Karlatone (Karla Olivera) voit l'ébauche de l'idée chez Montaigne. Cette filiation intellectuelle n'a, à ma connaissance,  jamais été relevée, et je ne m'attarderai pas ici à en discuter la pertinence. Je veux juste verser un élément de plus à ce dossier du hasard objectif (si l'on veut bien garder pour l'instant ce concept sous la main) tel qu'il s'est présenté à moi, une fois de plus, avec la récurrence de la même citation de saint Luc, dans un journal de Julien Green acheté à Angles sur Anglin et dans un livre de pensées fragmentées nommé Etincelles.

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Au début de l'article, Karla cite Enrique Vila-Matas : "En las primeras páginas de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas (EVM) advierte “Fortis imaginatio generat casum, es decir, una fuerte imaginación generó el acontecimiento, que decían los clérigos en tiempos de Montaigne.”"** Il se trouve tout de suite qu'Enrique Vila-Matas est l'un de ces écrivains de la coïncidence dont j'ai déjà eu l'heur de parler. Il se trouve encore que ce livre-là, Doctor Pasavento, je l'ai lu (et je suis encore loin d'avoir tout exploré de l'oeuvre du catalan), mais j'avoue que j'avais complètement oublié ce début à la tour de Montaigne, et a fortiori la devise. Il se trouve enfin que je l'avais acheté, comme Ce qui reste de jour, à Angles sur Anglin, le 14 août 2007, trois ans donc jour pour jour avant la parution de l'article de Karla (dont je n'aurais sans doute jamais pris connaissance sans le commentaire de Sylvie).

Est-ce ma (puissante ?) imagination qui a engendré cet événement (qui ne bouleversera pas la face du monde, j'en conviens) et provoqué cette nouvelle coïncidence ? J'ai plutôt l'impression d'une confluence des imaginaires ; d'une rencontre polarisée par un lieu, un moment, un thème ; d'un rendez-vous impromptu auquel nul ne s'attendait. Aucune intention, aucune image au départ, juste l'attention à ce qui survient, à ce qui tombe, oui, comme un coup de dés, improbable et lumineux.

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* Merci à Stéphanie, qui a établi la traduction intégrale de l'article. J'ai dit que je lisais l'espagnol, mais de terribles lacunes de vocabulaire m'en obscurcissaient ici et là le sens.

** Dans les premières pages de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas avertit : « Fortis imagination generat casum, autrement dit une forte imagination engendre l'évènement,  disaient les clercs au temps de Montaigne ».

16 août 2010

Ce qui reste de jour

Dans la seule vraie librairie qui reste à Châteauroux, portant le beau nom d'Arcanes, j'ai découvert la semaine dernière Etincelles III, un livre écrit par François Cassingena-Trévedy, un moine de Ligugé. Je n'en avais jamais entendu parler, ni du livre, ni de l'auteur, mais il m'a suffi d'ouvrir le volume et de lire quelques lignes pour aussitôt avoir la certitude que ce livre-là, il me le fallait, il correspondait à ce que j'avais besoin de lire à cette époque-ci. Ce sont fragments, aphorismes, pensées, consignées au fil des saisons et des repères de l'année liturgique, en une langue somptueuse, chargée de poésie. La Bible, les Evangiles y sont sans cesse interrogés, examinés, médités, sans que cela rebute l'agnostique que je continue d'être. Je ne saisis pas tout, je l'avoue, et bien des passages me restent obscurs, mais j'avance tout de même chaque jour, à tâtons souvent, dans ces Etincelles qui méritent si bien leur nom, car elles ne cessent d'illuminer la nuit où nous errons.

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Il se trouve que l'évangile le plus cité par l'auteur est celui de saint Luc. Ce qui m'a donné envie de le, je n'ose dire relire, car il me semble que je ne l'avais jusque-là pas vraiment lu, et pourtant, en décembre 2000, je l'avais acheté en une autre librairie aujourd'hui disparue, dans la collection éditée par Le serpent à Plumes et Mille et Une Nuits, sous la forme d'un petit opus à dix francs préfacé par Linda Lê.

Là-dessus, hier, je me rends comme chaque année à Angles-sur-Anglin pour la Foire du Livre. Chaque fois, c'est la chasse au trésor, et j'y chargeai ma besace entre autres de Dhôtel, Gracq, Dickinson, et puis, en dernier lieu, d'un volume du Journal de Julien Green, Ce qui reste de jour, 1966-1972. J'avais acheté il y a longtemps, chez un bouquiniste de  Dijon, le volume précédent, Vers l'invisible, et voici que la suite me faisait signe, d'autant plus que la citation en exergue, qui donne son sens au titre, est tirée de saint Luc : "Reste avec nous, car il se fait tard, et déjà le jour baisse." (XXIV, 29)

Le soir-même, je reprends là où je l'avais abandonnée la lecture de François Cassingena-Trévidy. Or je tombe immédiatement sur le fragment suivant :

"Ils le pressèrent en disant : Reste avec nous, car il se fait tard, et déjà le jour baisse..." (Luc, 24,29) - Ils lui demandaient à demi-mot de les protéger contre l'offensive, contre l'invasion des ténèbres qu'ils secrétaient eux-mêmes comme une humeur maligne. L'homme, l'homme tout seul se fait tellement d'ombre à lui-même ! (p. 138)

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