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06 octobre 2006

Denis Gaulois (4) : Bois sans pousser feuilles

Après avoir affronté les Anglois et la canicule, Denis Gaulois se voit infliger l'année suivante une nouvelle épreuve :

Il avoit cent onze ans. En ce temps-là, les terres de ses cantons vinrent stériles, bois sans pousser feuilles. Les habitants mouroient faute de vivres. Il leur donna grande partie de ses grains qu'il avoit cueillis, pour les faire subsister. Il étoit fort étonné ; mais il le fut davantage, lorsque les animaux de ses forêts ne trouvant plus de quoi vivre, firent un tel ravage dans ses cantons malgré le secours de ses habitants qu'il conduisoit pour les détruire, que, tout bien armés qu'ils étoient, ils manquoient à tout dévorer, hommes, femmes, bestiaux....

Une nouvelle fois les animaux sauvages sortent du bois et Denis a bien du mal ici à les contenir. Cette stérilité qui frappe ces cantons nous remet en mémoire les mythes de fécondité, la terre gaste entrevue avec l'étude de Vatan.

 Ce bois sans feuilles nous évoque également l'Homme sauvage, l'Homme à l'écot des demeures philosophales (on lira avec profit le récent article d'Archer consacré à cette figure représentée sur le poteau cornier du manoir de la Salamandre à Lisieux).

 

medium_Homme-sauvage.jpg

Et voilà que Denis Gaulois se trouve fort dépourvu. Tel Job sur son tas de fumier, il s'interroge sur le soutien céleste :

« Denis Gaulois croyoit pour lors que Dieu ne le connaissoit plus. Il dit à ses habitants : J'ai fait mon devoir comme j'ai cru devoir le faire et je vous ai dit de faire comme moi ; les moines n'ont jamais manqué dans mes chapelles ; s'il y a quelques uns d'entre eux qui n'aient pas fait leur devoir, qu'ils me le disent ; mais comme aucun ne lui répondit, si non que de lui dire : Nous avons suivi ce que vous nous avez ordonné ; pour lors il ne savoit que penser ; il poussoit de longs soupirs vers le ciel à chaque moment et demandoit à Dieu du secours. »

Le secours vient peu après d'un « homme qu'il ne connaissoit point, qui lui dit : Père, vous êtes en peine ; les animaux vous font la guerre ; c'est que Dieu veut vous donner un successeur ; il est à Bourges ; il a beaucoup de monde avec lui ; c'est un grand chasseur ; il se nomme Léocade ; il faut le demander.- Il résolut d'y aller lui-même avec deux de ses amis. Il monta sur un de ses animaux qu'il avoit apprivoisés, et laissa les autres à la garde de ses gens. » (C'est moi qui souligne)

C'est encore à Grégoire de Tours que le conteur a emprunté : Léocade est cité dans Historia Francorum, L. I, ch.XXXI et De gloria confessorum, ch. XCII. Donné comme un des premiers sénateurs des Gaules, il aurait accordé à des chrétiens venus le voir à Lyon sa maison de Bourges afin qu'elle soit transformée en église. Converti lui-même, « il voulut être inhumé, écrit Mgr Villepelet, dans un sarcophage de pierre, tout près du tombeau en marbre de son fils saint Ludre, dans la crypte de Déols. »


Un sceau1 du Chapitre de Bourges, daté du XIIIe siècle, représente saint Léocade : « Le Chapitre de Bourges considérait en effet Léocade comme son fondateur ou du moins son grand bienfaiteur. La figure, dit M. Hubert2, ne cessera de grandir avec les siècles : le sénateur devient un personnage fabuleux qui aurait possédé toute une partie de la Gaule au sud de la Loire et les diverses puissances qui essaient au XIIe siècle de jouer un rôle politique vont se réclamer de lui à des titres divers ; les moines de saint Martial, pour prouver qu'ils en étaient eux aussi les héritiers, vont même créer la légende de sainte Valérie. »


Il est frappant de constater que cinq siècles plus tard l'on continue de se réclamer de Léocade. Mieux, la relation entre Léocade et Limoges, terre d'élection de saint Martial, se retrouve finalement dans le rapport très étroit de Condé et de la famille Laubépine, dont on a vu l'autre jour qu'elle avait charge épiscopale à Limoges, avant que de faire construire hôtel à Bourges.

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1A propos de sceau, il faut préciser que la charge de Chancelier du Roi consiste en tout premier lieu à garder les sceaux de France. Un article du Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers nous apprend que Charles de Laubépine, alors marquis de Châteauneuf, commandeur & chancelier de l'ordre du Saint - Esprit, conseiller d'état & finances,a reçu les sceaux en 1632. Qu'il n'a gardé que peu de temps car le « 25 Février 1633, le sieur de la Vrilliere, secrétaire des commandemens, eut ordre du roi d'aller retirer les sceaux des mains de M. de Châteauneuf, lequel remit aussi - tôt le coffre où étoient les sceaux » . Ce qui veut dire incidemment qu'en 1610, à la découverte de la légende, Charles de Laubépine est encore loin d'être chancelier...

2Mgr Villepelet désigne ici Eugène Hubert, auteur du Dictionnaire historique, géographique et statistique de l'Indre, Paris, 1889.

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02 octobre 2006

Denis Gaulois (3) : Et moi je fais ce que je veux d'elles

«  Il étoit beau de voir la conduite des susdits animaux ; comme ils entroient et sortoient dudit caveau pour aller pâturer et faire ce qu'ils avoient besoin, et comment le bonhomme les rappeloit. L'on a vu, disoit-il, les bêtes se dévorer entre elles et manger les hommes, et moi je fais ce que je veux d'elles. »


Il y aura donc bientôt quatre cents ans, le 2 octobre 1610, l'on découvrait donc la légende de Denis Gaulois sous un autel de l'église de Déols. Le docteur Fauconneau-Dufresne ne précise pas quelle église, ni ne donne de précisions sur la nature du document, son aspect, son état de conservation. Etrange découverte : par le plus singulier des hasards, le chancelier du roi, Charles de Laubépine, est présent (il est spécifié qu'il fait inventorier la légende séance tenante). Au fait, qui est le roi à cette date ? Henri IV a été assassiné par Ravaillac quelques mois plus tôt, le 14 mai précisément. La veille, Marie de Médicis avait été enfin sacrée reine de France à Saint-Denis par le cardinal François de Joyeuse. Un couronnement que le bon roi Henri avait longtemps repoussé. Louis XIII n'ayant que neuf ans, c'est donc Marie de Médicis qui assure la régence. Y a-t-il un lien entre ces événements et la découverte de la légende ? Quelques indices tendent à le croire.

medium_Marie_de_medicis.jpg
Marie de Médicis en costume de sacre, peint par François Pourbus en 1610
 
 

Onze ans plus tard, nous avons vu que le prieur claustral délivrait une copie notariée et dûment certifiée au prince de Condé, devenu duc de Châteauroux et prince de Déols. Or, Condé n'est pas n'importe qui dans le royaume.

Henri II de Bourbon-Condé n' était rien moins que Premier Prince du sang, Grand Veneur et Grand Louvetier du royaume. Elevé par Henri IV lui-même - son père ayant été assassiné et sa mère emprisonnée - mariée ensuite à la trop belle Charlotte de Montmorency que son mentor poursuivait de ses assiduités, il avait dû s'exiler à Bruxelles. La mort de Henri lui permet de revenir en France. Embastillé en 1615, il est libéré quelques années plus tard par Louis XIII. Et en 1621, on lui remet donc les clés de Châteauroux et de Déols, en même temps que la copie certifiée de la légende. Pourquoi une telle mise en scène ? Ce qui nous apparaît comme une aimable fantaisie a très certainement son importance symbolique : n'y a-t-il pas comme un air de famille entre ce Denis Gaulois, éleveur de bêtes féroces, grand chasseur, dompteur émérite, et ce Grand Veneur et Grand Louvetier de prince de Condé ?


Nous retrouvons par ailleurs la trace de Charles de Laubépine à Bourges, où sa famille avait acquis en 1552 le palais Jacques Coeur.

« A cette époque, peut-on lire sur le site des Amis de Jacques Coeur, le frère de Claude de Laubépine, évêque de Limoges fait construire un hôtel qui prend comme nom Hôtel de Limoges, aujourd'hui disparu. De 1629 à 1636, le prince de Condé et son frère le prince de Conti habiteront respectivement le palais de Jacques Cœur et l'hôtel de Limoges. »

Comme par hasard, Condé vient loger chez Laubépine. 

Or, nous allons bientôt voir l'importance de Bourges dans la légende déoloise.

Pour en finir aujourd'hui, regardons la date : 2 octobre. C'est la saint Léger. Dont j'ai déjà montré ailleurs la corrélation très forte avec saint Denis. Un seul exemple : lors de la translation du corps de saint Léger, le cortège s'arrête à Ingrandes dans la Vienne :

« Ingrandes apparaît comme le lieu de plusieurs miracles dans le récit de la translation des cendres de saint Léger, depuis l'endroit de son supplice jusqu'à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), en 683. Le cortège qui accompagnait les cendres du saint comprenait de nombreux mendiants et infirmes ; il s'arrêta quelque temps à Ingrandes. L'évêque de Poitiers leur avait fait porter des vivres, mais en quantité insuffisante. Une nouvelle multiplication des pains vint à bout de la disette. Des guérisons miraculeuses furent également rapportées : celles d'un boiteux, d'un paralytique, d'un jeune aveugle, d'une femme aux mains tordues... »

Or, le même site du diocèse de Poitiers précise que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »



 

23:05 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (3)

01 octobre 2006

Paris ne finit jamais

Entracte dans le feuilleton Denis Gaulois. Ceux qui me lisent régulièrement savent que je tire deux fils distincts sur ce site, l'un est bien entendu l'enquête autour de la géographie sacrée du Bas-Berry et ses alentours, l'autre est cette interrogation sur les coïncidences qui vient sporadiquement s'intercaler dans le cours de mes investigations zodiacales. Ces deux fils ne cessent d'ailleurs de se croiser, formant un brin qu'il serait bien artificiel de démêler. C'est comme une de ces pièces de théâtre élizabéthaines avec ses deux intrigues : la principale et la secondaire qui se dénouent ensemble au final. Sauf que le final ici n'est pas de mise...

medium_villa-matas.jpgCe préambule pour dire qu'au même moment où je m'évertuais à pénétrer cette obscure légende déoloise en poursuivant ma lecture de Montjoie et saint Denis !, je me suis offert le luxe d'une digression dans l'univers romanesque de l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas. Je dis bien luxe, car cette initiative n'avait rien de raisonnable : le temps me manque déjà pour venir à bout des lectures entamées et je me rajoute une nouvelle dose d'imprimé. Cela, on en conviendra aisément, frise l'inconséquence... Pour venir à bout des scrupules qui naturellement me tenaillent (« Finis donc déjà ce que tu as commencé, tu verras bien après »), je me donne d' « excellents » prétextes : Villa-Matas, dont je n'ai lu jusqu'à présent que des extraits et quelques articles de revue, est un écrivain qui fait lui aussi la part belle aux coïncidences (avec une savante ironie qui est, semble-t-il, sa marque de fabrique et qui fait se demander toujours si ce qu'il raconte est, comme l'on dit trivialement, du lard ou du cochon). Par ailleurs, le livre de lui que j'ai choisi se nomme  Paris ne finit jamais, ce qui fait écho à l'étude d'Anne Lombard-Jourdan dont il est dit (quatrième de couverture) qu'elle « éclaire ainsi de façon décisive les causes profondes de la primauté de l'abbaye royale de Saint-Denis et de la singularité et de l'ascendant de Paris capitale. » Ce livre se tenait donc dans le droit fil de mes deux problématiques (allons-y pour le mot pédant) exposées au-dessus.

Quel est l'argument du livre ? Quatrième de couverture encore : « A l'occasion d'une conférence qu'il doit donner à Barcelone, un écrivain revient sur ses années de bohême et d'apprentissage littéraire à Paris. Sous la figure tutélaire d'Ernest Hemingway, il dit son amour pour cette ville à travers les souvenirs de ses premiers pas dans l'écriture. »

Bon, là-dessus, j'achète ce matin le Journal du Dimanche et voici qu'en dernière page du supplément Paris-Ile de France, je tombe sur un grand article de l'écrivain américain Jérôme Charyn, intitulé Le grand Paris de Hemingway. C'est une promenade jalonnée par les différents lieux parisiens marqués par le passage de « Papa », promenade où Charyn ne se prive pas d'égratigner le mythe à l'occasion.

Ainsi évoque-t-il la rencontre avec Scott Fitzgerald en 1925, au Dingo Bar, dans le 14ème : « A l'époque, l'auteur de Gatsby le Magnifique est idolâtré dans le monde entier. Mais il reconnaît tout de suite le talent de Hemingway. Et semble même impressionné par le jeune écrivain. Il l'aide d'ailleurs à faire publier Le soleil se lève aussi, le roman qui fait de lui une star.

C'est le début d'une amitié. Même si lors de cette première rencontre Scott pose des questions indiscrètes sur la sexualité de Hem' et finit la soirée ivre mort. Hemingway s'amuse à noter que, quand Scott est assis au bar, ses jambes sont si courtes qu'elles ne touchent pas le sol. Comme à son habitude, il ne peut s'empêcher de se moquer de la personne qu'il encense. »

Or, la page sur laquelle j'avais arrêté ma lecture du livre, la page 54, relatait précisément cette rencontre de 1925 entre Fitzgerald et Hemingway : « Ce fut le début d'une amitié qui commença sur un bon rythme et finit très mal. Paris est une fête raconte que, quelques jours après cette première rencontre , ils partirent tous les deux en train pour Lyon afin de récupérer la voiture décapotable que l'écrivain à succès y avait abandonnée, l'un l'écrivain très riche, brillant et déjà très célèbre (Scott Fitzgerald), et l'autre, un peu plus jeune et encore un débutant (Hemingway), un écrivain sans argent, avide de triompher et content d'avoir fait la connaissance de cette grande étoile de la littérature. »

Il faut savoir que lorsque j'ai commencé à prendre note quasi systématiquement des coïncidences (en février 1991, dans un cahier Clairefontaine à couverture rose), la première page mentionnait déjà Hemingway, à travers une de ses nouvelles intitulée Une très courte histoire.

Cette histoire-ci promet en revanche d'être très longue...