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19 janvier 2011

Retour sur Jean-Pierre Le Goff

Je ne visite pas de manière systématique les sites qui sont sur ma liste de liens. Je clique au hasard des envies, poussé par une curiosité erratique qui ne cherche guère à expliquer ce qui la meut. Hier j'ai ainsi ouvert sans raison particulière le lien qui mène à Quaternité, un des blogs de Rémi Schultz, grand facteur de coïncidences. Je tombe donc sur son dernier article, publié le 1. 1. 11., Arisu n'est plus ici. Les premières lignes m'ont saisi immédiatement : « Une récente coïncidence m'invite à consacrer ce premier billet de 2011 à Jean-Pierre Le Goff, à plusieurs reprises évoqué sur mes pages pour les aventures partagées ensemble. Hélas Jean-Pierre n'est plus totalement parmi nous depuis trois ans, atteint de la terrible maladie d'Alzheimer. Depuis 2008 ses nombreux amis ne reçoivent plus ses courriers, invitations à d'étranges interventions motivées par les méandres de l'insatiable curiosité de Jean-Pierre, éternel émerveillé des coïncidences tissant ce monde. »

Dois-je rappeler que j'ai découvert l'an dernier Jean-Pierre Le Goff et que j'ai entrepris de revenir sur les traces de ses pérégrinations berrichonnes : « J'ai dû rendre à la médiathèque le livre de Jean-Pierre Le Goff. J'en ai photocopié auparavant toutes les pages qui font mention d'un site berrichon, cela fait un beau recueil. J'ai l'intention de consacrer une note à chacun des chapitres concernés, en me rendant si possible sur les lieux désignés. Une sorte d'inventaire berrichon des lieux legoffiens. J'ai d'autant plus de volonté d'accomplir cette sorte de pélerinage que j'ai appris récemment, de la bouche de quelqu'un qui l'a connu, et qui reçut plusieurs de ces missives que le poète adressait à ses amis, que Jean-Pierre Le Goff était hélas très malade. Ce qui sincèrement m'attrista. Je ne cherche pas, je l'ai dit, à contacter les auteurs que je cite ici : je laisse oeuvrer le seul hasard, comptant sur sa malice. Mais aujourd'hui je sais que le hasard ne me servira pas, qu'il n'est pas même d'attente possible. J'irai donc sur les traces de JPLG, ce sera mon hommage à lui rendu. »

Je dois avouer maintenant que cette entreprise n'a pas beaucoup avancé, qu'elle est même au point mort. Mais je n'y ai pas renoncé et cette nouvelle rencontre m'aiguillonne, je compte bien un jour ou l'autre aller voir la pierre à sexe de Pouligny Saint-Pierre, prochaine étape de cet intinéraire legoffien.

 

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Revenons à Rémi Schultz : dans son article il décrit comment JPLG est devenu, sous le nom d'Arisu, l'un des personnages de l'album de BD, Demi-tour , de Frédéric Boilet et Benoît Peeters. Album dont Rémi a eu connaissance par un autre de ses amis : « Lorsque Bruno Duval, ami de longue date de Jean-Pierre, m'a appris la parution de Demi-tour 2.0, où Le Goff était devenu Arisu, j'ai instantanément pensé à son intérêt pour le carré Iuras, anagramme d'Arisu, et à Römer/Rohmer, pseudonyme du réalisateur du Rayon Vert, constituant selon ses dires une anagramme. »

Je ne peux reprendre ici tout le cheminement foisonnant de Rémi Schultz, qui nous offre un vrai tourbillon de coincidences, et je vais tout de suite à ce qui fait directement écho, en dehors de la référence à JPLG, à mes propres circuits symboliques : « Je dois donc à Bruno Duval de m'avoir fait connaître en 2001 le premier Demi-tour, puis le second très récemment. Je l'ai vu en décembre à Paris où je lui ai fait part d'une info concernant sa date de naissance à laquelle il prête une signification essentielle, le 17 février : Marie-Louise von Franz, considérée comme la continuatrice de Jung, est morte le 17 février 1998.
Bruno m'a annoncé en retour la parution de Demi-tour 2.0, avec ses compléments où les auteurs parlaient de Jean-Pierre Le Goff, mais aussi de lui-même. C'est que l'album était paru en février 97, et qu'un ami genevois le lui avait offert pour son 50e anniversaire, sans savoir qu'il connaissait le Le Goff y apparaissant. »

Evidemment, ce 50e anniversaire ne peut manquer de m'interpeller, moi qui vient juste de le dépasser et qui en a donné un écho sur ce site. Il se trouve que ce nombre de 50 fait sens aussi pour Rémi Schultz : « J'hésite à annoncer à mon (demi-)tour que j'ai vu moi aussi des signes me concernant dans Demi-tour, ce dont j'ai parlé en 2001 dans la revue Pan de la Pansémiotique, mais ces "signes" se sont renforcés avec la nouvelle version et ma récente perspective jungienne.
D'abord cette histoire de 50-50 à Dijon entre deux trains. Depuis notre installation en Provence en 1984, je vais plusieurs fois par an à Paris, et j'ai évité le plus longtemps possible le TGV, avec un voyage durant toute la journée s'achevant par le train 5050 partant de Lyon et arrivant à Paris vers 19:37. Puis il a fallu prendre un autre train à Lyon, correspondance à Dijon avec le 5050, et enfin la SNCF semble s'être ingéniée à supprimer toute possibilité de rallier Paris depuis Digne dans la journée sans TGV.
Je regrette ces longs trajets dans des wagons parfois déserts, propices à la méditation, et je me rappelle notamment que c'est dans le 5050 que j'ai en 1994 fait la découverte essentielle sur le vers de Virgile Ducite ab urbe domum..., future trame de mon unique roman Sous les pans du bizarre, publié en novembre 2000 peu après mes 50 ans (je suis né en 50). »

 

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Cette incursion dans la bande dessinée m'incite maintenant à mentionner une autre piste que j'ai tu jusqu'à présent, une autre résonance à ma cinquantaine que j'avais consigné dans mes carnets privés : « J'en ai reçu une autre manifestation, un peu après midi, dans ma voiture, alors que j'écoutais France-Culture en me rendant à La Châtre. L'émission tournait autour de la bande dessinée, il était question de David Mazzuchelli, dont le roman graphique Asterios Polyp vient d'être édité par Casterman. Chef d'oeuvre, assurent certains. Le fait est que l'histoire est celle d'un homme de cinquante ans qui va brutalement changer de vie. Extrait de la présentation de Casterman :

 

Fils d’immigrant, Asterios Polyp est l’archétype du brillant universitaire américain de la côte est. Un intellectuel plein de charme et d’assurance, tour à tour cynique, séducteur ou arrogant. Mais le personnage social sophistiqué qu’Astérios s’est composé avec soin va voler en éclats par une nuit d’orage, alors qu’il vient d’avoir cinquante ans. Jeté à la rue par l’incendie accidentel de son appartement, Asterios bouleversé part au hasard d’un bus Greyhound, comme s’il larguait soudain les amarres de toute une vie…

L'oeuvre n'est pas bien sûr sans référence autobiographique, puisque David Mazzuchelli est né à Rhode Island le 21 septembre 1960, donc la même année que moi (qui suis né le 28 novembre). »

Entre les deux albums,  Demi-tour 2.0   et Astérios Polyp, j'entrevois maintenant d'autres relations et points communs.  Ce sera pour un prochain billet.

29 novembre 2010

Cinquante ans

La perspective d'avoir cinquante ans ne m'a jamais plu. Trente, quarante ont été des bornes effacées sans problème ; soixante et soixante-dix ne m'ont jamais fait peur (mais qu'en sera-t-il quand elles seront concrètes, si tant est, bien sûr, que je les atteigne ? ). Cinquante, seul, ne m'a jamais tenté, comme si le nombre était affecté d' une sorte de bâtardise, un entre-deux peu ragoûtant entre la jeunesse, dont on ne saurait plus se prévaloir, et la vieillesse, à laquelle on ne saurait encore appartenir. Temps annoncé du déclin, de la force qui décroît, de la santé qui vacille, des idées qui se sclérosent, du pouvoir exécré qui guette. Temps réputé des crises, des démons de midi, des bilans doux-amers, des ruptures sauvages et des veules renoncements.

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Mais temps de cadeaux aussi, comme autant de présents pour congédier le passé et conjurer l'avenir. Parmi eux, en premier lieu, un voyage - court – à Paris, avant la date rituelle parce que ce n'était pas possible autrement, pour assister au dernier spectacle du Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, Les Naufragés du Fol Espoir.

Première fois que je me rendais là, train, métro, navette, au bout de la ligne 1. Installé au premier rang, des couvertures sur les genoux, distribués par la troupe, à cause d'un courant d'air frais passant au ras de la scène. Histoire folle d'un tournage de cinéma muet dans le grenier d'une guinguette, à l'aube de la guerre de 14-18. Film inspiré d'un obscur roman de Jules Verne, naufrage d'un navire près de la Terre de Feu, la banquise, la tempête, la neige, l'utopie, la mort. Quatre heures d'éblouissement.

Je reviens le soir même. Retrouve mes ouailles, en Berry, et puis, plus tard, trois recueils de poésie où je butine certains soirs, toujours avant minuit, Alors c'est Reverdy, Bonnefoy, Roubaud. En premier, Reverdy, Plupart du temps, I, 1915 -1922. Tiens, c'est la même époque. Et le poème qui se présente à moi (je lis sans jamais déroger à l'ordre voulu par le poète, c'est si systématique que j'ai maintenant des doutes sur ce terme de butinage, mais bon, passons), ce poème est le premier de La lucarne ovale, daté de 1916. Poème justifié, sans titre :

 

En ce temps-là le charbon

était devenu aussi précieux

et rare que des pépites d'or

et j'écrivais dans un grenier

où la neige, en tombant par

les fentes du toit, devenait

bleue.

 

Ces vers faisaient formidablement écho à l'histoire des Naufragés, ce grenier où pénétrait la neige c'était celui de la guinguette où la neige descendait du plafond par un jeu de guindes et de poulies, était jetée par les assistants devant les ventilateurs, tandis que les toiles peintes déployées à l'arrière-plan figuraient l'immensité australe.

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Quant à l' or , il tient aussi une place cruciale dans le récit puisque c'est lui, objet de toutes les convoitises, qui va faire sombrer l'utopie des Naufragés.

Et je m'avise aujourd'hui que Reverdy, dont le tome 1 des Oeuvres Complètes est sorti dans une nouvelle édition en mars 2010 chez Flammarion, est mort en 1960, année donc de ma naissance, alors qu'il « était arrivé à Paris à 21 ans, seul et sans appuis, en 1910. » Comptez : cela fait cinquante ans.

Ce n'est pas fini : la même nuit, je me replongeai dans La dernière leçon, le récit de Noëlle Chatelet sur la mort volontaire de sa mère. Petit livre acheté récemment à Nohant, à l'occasion de la remise du prix George Sand du carnet de voyage réel ou imaginaire, où l'écrivain était présidente du jury. Je l'avais commencé avant de partir à Paris et voici que je tombai sur cette page 101 :

Le jour même de mes cinquante ans, il y a neuf ans, tu es arrivée, dans notre maison où l'on fêtait l'événement, bien avant tout le monde, en pleins préparatifs :

« Il est juste que j'arrive la première, as-tu dit en plaisantant. Je ne suis pas une invitée ! Je suis ta mère et puis je suis quand même pour quelque chose dans tout cela, non ? »

Tu t'es assise un moment pour reprendre ton souffle (tes quatre-vingt quatre ans pesaient lourds déjà) et puis tu as sorti de ton sac un petit paquet ficelé. C'était le pendentif. »

Ce bijou est un très original pendentif des années trente que Noëlle Chatelet admirait depuis toujours au cou de sa mère, et qu'elle lui avait déjà promis de lui donner :

« C'est trop, maman... Je ne veux pas... Je ne pourrai pas le porter... »

Non. Pas avant. Pas avant que tu sois partie. J'avais retenue la leçon. Tu ne pouvais pas être tout à la fois vivante réellement et morte symboliquement, n'est-ce pas ? Le bijou t'appartenait puisque tu étais venue pour fêter le premier jour de mes jours. Pourtant, j'ai senti que refuser ce cadeau n'était pas non plus possible, que sa suprême valeur tenait dans le fait que c'était toi-même qui me l'offrais. Senti que tu y tenais, à ce geste probablement pensé et repensé d'un geste hors du commun pour mes cinquante ans.

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Le facteur de coïncidences avait ainsi salué à sa façon mes cinquante ans à moi.