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15 décembre 2009

Saint-Marcel, de la Creuse à la Bièvre

C'est une vieille histoire. L'histoire du médecin d'un petit village, passionné d'archéologie, qui emmène le dimanche deux hommes pour fouiller avec lui le plateau des Mersans, à Saint-Marcel.

L'un de ces hommes est mon grand-père paternel, Lucien, tout petit paysan sur la commune de Bouesse.

Le médecin est Jacques Allain, pionnier d'Argentomagus, qui payait alors sur ses fonds propres ses deux compagnons de fouilles.

Vieille histoire : j'écris aujourd'hui sur Argentomagus, que mon aïeul, dans les années 60, a donc contribué à faire renaître. Le clavier et la souris ont remplacé la truelle et la pioche. Etrange continuité, et je songe qu'un hasard malicieux voulut que l'antique cité, placée sous l'égide de la blancheur et de l'éclat (étant à Neuvy Saint-Sépulchre ce que Leucade était à Delphes), fut mise au jour par un qui portait aussi la lumière dans son prénom...  Lucien...

Et l'autre, je tiens cela de mon père, je ne l'invente pas, se nommait Blanchard...

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Eglise de Saint-Marcel (Photo : Jean Faucheux)

Il me faut m'attarder sur ce site, car il se trouve que je n'ai pas parlé non plus comme il le fallait de Saint-Marcel, la cité qui a succédé à Argentomagus, s'établissant un peu plus au nord-ouest, laissant la cité s'édifiant plus bas dans la vallée reprendre le nom d'Argentomagus, du moins son premier élément. Reportons-nous à la vie du saint telle qu'elle est narrée sur le site du musée :

"Le récit légendaire du double martyr de saint-Marcel et de saint Anastase est la première manifestation de l'évangélisation d'Argentomagus. La venue de ces deux apôtres de la foi chrétienne est traditionnellement placée au milieu du IIIe s., sous le règne de l'empereur Dèce (248-251).

D'après la légende, Marcel n'avait que 15 ans tandis qu'Anastase était parvenu à l'âge mûr. Venant de Rome et se dirigeant vers Toulouse, les deux missionnaires s'arrêtèrent dans une maison du faubourg d'Argentomagus. Là, Marcel accomplit un premier prodige en rendant la santé à un misérable enfant sourd, aveugle, muet et boiteux de surcroît... Puis, renouvelant le miracle des Noces de Cana, il transforma l'eau en vin au grand émerveillement du voisinage assemblé.

Instruit de l'effervescence qui agita le quartier après ces deux miracles, Héracle, le préteur de la ville, fit bientôt comparaître le thaumaturge et son compagnon et les somma d'abjurer leur foi.

Irrité par leur refus de sacrifier Apollon, Hercule et Diane, les divinités vénérées dans le temple, Héracle livra Marcel au supplice du chevalet puis du gril sur des braises ardentes. L'adolescent supporta toutes ces épreuves avant de demander à être conduit à l'entrée du sanctuaire. Là, devant une foule considérable, Marcel ordonna à Apollon de sortir du temple. La divinité s'exécuta et, poussant un long rugissement, s'évanouit dans un nuage de soufre. Alors le saint pénétra dans le temple. Aussitôt les statues des idoles tombent de leur piédestal et viennent se briser à ses pieds.

Après avoir été une nouvelle fois livré au supplice, Marcel fut jeté dans un cachot, le saint fut peu après décapité non sans avoir prophétisé. La tradition prétend en effet que Marcel fut martyrisé et inhumé à l'emplacement de l'église actuelle. Quant à son compagnon, il fut mis à mort sur le chevalet au lieu-dit le clos Saint-Anastase, aujourd'hui le Champ de l'Image.

Quoiqu'il en soit, l'archéologie, ne nous est d'aucun secours puisque jamais ici, le moindre symbole chrétien n'a été observé sur des objets gallo-romains."


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Saint Marcel et le dragon

Châteauroux, BM, ms. 002

Bréviaire à l'usage de Paris

Cette légende montre bien en creux la difficulté que l'église rencontra pour éradiquer les cultes païens qui devaient être ici très prégnants. J'avais en 2005 déjà signalé le passage à Argenton du moine Yrieix, lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, lequel décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. C'était donc plus de trois siècles après le martyre supposé de Marcel... Les clercs qui rédigèrent la vie de Marcel n'hésitent pas à prêter vie aux divinités du temple, pour mieux les réduire en cendres par la suite, mais cette naïveté est bien sûr gênante pour les chrétiens d'aujourd'hui, et Mgr Villepelet qui recense Marcel et Anastase dans la liste des Saints Berrichons (1) juge "raisonnable et prudent de traiter ce document comme le témoin de traditions anciennes", sans accorder foi à tous les détails. Il est significatif quant à notre propos de voir que c'est Apollon qui est au premier chef concerné par l'appel de Marcel. C'est lui qui obéit à l'ordre du saint et part en fumée. non sans avoir poussé un long rugissement de bête blessée.

Ceci n'est pas sans faire penser à un autre saint Marcel, celui de Paris, qui vint à bout du dragon de la Bièvre. Jacques Le Goff lui a consacré une étude tout à fait passionnante. S'il ne fut pas martyrisé, il a au moins un autre point commun avec notre Marcel berrichon, c'est le miracle renouvelé des noces de Cana : "Le second miracle (Vita, VI), écrit J. Le Goff, qui revêt déjà une allure christologique, mais qui rappelle un des premiers miracles du Christ avant l'apostolat décisif de ses dernières années, le miracle des noces de Cana, se produit quand, Marcel puisant de l'eau dans la Seine pour permettre à son évêque de se laver les mains, cette eau se change en vin et enfle de volume au point de permettre à l'évêque de donner la communion à tout le peuple présent ; son auteur devient diacre."(2)

Ce saint Marcel, devenu lui-même évêque de Paris,  patronna sainte Geneviève. Or, celle-ci a été mise en relation par Anne Lombard-Jourdan, avec la déesse grecque Leucothéa, que nous avons évoquée au billet précédent.

Recoupements troublants. Lutèce-Argentomagus, mêmes constellations symboliques ? Il va falloir aller y voir de plus près.

____________________

(1) Mgr Jean Villepelet,  Les Saints Berichons, Tardy, 1963, p. 114-115.

(2) Jacques Le Goff, Culture ecclésiastique et culture folklorique au Moyen Age, Saint Marcel de Paris et le dragon, repris dans Pour un autre Moyen Age, Quarto, Gallimard, 1999, p. 230.