24 mars 2009
Au gué de Mijault
Difficile à trouver, le monument funéraire de Sauzelles. J'avais fait de fréquents séjours au Blanc, et jamais on ne m'avait parlé de lui. Aucune indication, aucun panneau pour avertir le touriste ou le simple curieux. Et peut-être est-ce mieux ainsi : ce monument que la tradition nomme le Saint-Fleuret continue de garder en toute discrétion la rive gauche de la Creuse sur laquelle il est établi, dans la pente boisée, à quelques centaines de mètres du hameau de Mijault.
C'est l'abbé de Douadic, François Voisin, encore lui, qui en fit le premier la description, le dessina et en parla en 1873 comme de la sépulture « certainement la plus curieuse et la plus intéressante de tout le centre de la France ». Et il est vrai qu'il faut, pour trouver un monument comparable, se rendre dans l'est de la France (Mirecourt dans les Vosges ou le rocher des Trois-Figures à Lemberg en Moselle).
Trois niches cintrées sont taillées en bas-relief dans le calcaire, abritant chacune un personnage. « Celui de gauche, fort dégradé, écrit Gérard Coulon, est une femme vêtue d'une longue tunique. Bien que la figure soit difficilement lisible, on remarque à ses pieds, côté gauche, un petit chien qui fait le beau. Au milieu est figuré un homme tête nue, vêtu d'un habit plus court qui laisse à découvert le bas de ses jambes. Les descriptions et les dessins du XIXè siècle indiquent qu'il tenait un chien dans ses bras. Aujourd'hui, malheureusement, le gel et les intempéries ont eu raison de cette partie du bas-relief : seule une dépression est visible au niveau de la poitrine du personnage. La figure de droite – la mieux conservée – représente une femme dont la chevelure est roulée en bourrelet derrière la tête. Elle tient une aiguière dans sa main droite et près d'elle, un petit chien est assis sur un autel. »( Quand la Brenne était romaine, Alan Sutton, 2001, p. 108)
Une inscription latine est gravée au-dessus des trois niches, mais Gérard Coulon reconnaît qu'elle est difficile à interpréter « en raison de son caractère lacunaire ». Cependant Isabelle Fauduet en a tout de même proposé une lecture : le personnage central aurait offert ce monument à sa femme Monima et sa fille Servilla, puis ayant perdu une seconde fille, il aurait fait compléter l'inscription par un autre lapicide.
Gérard Coulon rapporte dans son livre la légende attachée à ce lieu, collectée au siècle dernier par un historien local : un voyageur artiste aurait perdu sa femme et sa fille dans la traversée du gué de Mijault, ainsi qu'un chien qui aurait vainement essayé de les sauver de la noyade. Pour « éterniser le souvenir de cette catastrophe », il aurait sculpté la falaise, exactement en face de l'endroit funeste, et se serait représenté entre ses chères disparues, avec le chien dévoué près de sa fille.
La dame et le chien sur l'autel
Enfin, il faut signaler que le monument, daté de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle, attira les pélerins jusqu'au XIXe siècle ; diarrhées humaines, coliques ovines et mauvais sorts sur les troupeaux y étaient conjurés. « Il fallait effectuer le « voyage » le jour du 1er mai, avant le lever du soleil, et déposer quelques pièces de monnaie au pied du monument. »
Voilà pour les faits : la signification des sculptures demeure énigmatique, et de nombreuses questions restent ouvertes : quel est le rôle et le sens des chiens ? Pourquoi a-t-on donné ce nom de Saint-Fleuret (sachant que c'est la seule occurrence de ce saint dans la région et qu'il faut aller à Estaing dans le Rouergue pour en retrouver la trace) ? Pourquoi ce pélerinage le 1er mai, avant le lever du soleil ?
La géographie sacrée va tenter de répondre à ces questions.
21:44 Publié dans Poissons | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sauzelles, mijault, saint-fleuret, gérard coulon, françois voisin