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26 avril 2005

Ard, I,20

"Cinq mois d'absence à ce cahier. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, m'y ramène ? Une confluence de lectures. Comme toujours, dira-t-on. Mais ici, c'est littéralement vrai.
Le pavé de Simon Schama, Le paysage et la mémoire, ne me quitte pas depuis un mois. Je le lis à petites doses, entrecoupant avec des volumes plus courts (essentiellement de la poésie), aussi bien n'ai-je atteint la deuxième partie de l'imposant ouvrage que le 22 avril. Elle est consacrée à l'EAU et s'ouvre sur une longue citation de Gaston Bachelard, extraite de L'eau et les Rêves.

"Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières (...)"

A Limoges, où je suis allé à Pâques, avec M., j'ai acheté, outre Signe ascendant d'André Breton, réédité dans la collection Poésie/Gallimard, un roman de Jean Blanzat intitulée La Gartempe. C'est le nom d'une rivière réelle du pays limousin. Je ne connais Jean Blanzat qu'à travers la biographie de François Mauriac par Jean Lacouture. Dans mon souvenir, il était instituteur et avait connu Mauriac pendant l'Occupation (il faisait partie de la Résistance). La Gartempe est précisément dédié à François Mauriac et se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s'agit pas d'une réédition : la librairie proposait plusieurs piles d'exemplaires originaux (vendus à l'époque 590 francs). Sans doute quelque vieux libraire liquidait-il un vieux fonds d'invendus ?

Et aujourd'hui, en début d'après-midi, je rencontre à la Maison de la Presse Fred Deux (lequel venait de répondre au court billet que je lui avais adressé avec la photocopie du dieu Ometeotl). Il m'annonce la réédition de La Gana et la sortie du premier tome de son journal chez André Dimanche. Après l'avoir quitté, un petit livre me saute aux yeux : Bords d'eaux de Pierre Veilletet.

Petite visite au G., F. seule avec les enfants, C. parti jouer avec l'Occidentale de Fanfare, à (ou près de) Bordeaux...
Bordeaux, soit dit en passant, la ville de Mauriac, que Veilletet évoque, dès sa deuxième page, d'une périphrase transparente :
"A l'ouest, invisible et invincible, harmoniquement lié aux petites rivières, d'abord parce qu'il en est le terme et aussi parce que le bruissement nocturne de la forêt, le vent dans la cime des pins (ainsi que le Prix Nobel de Littérature 1952 nous le chuchotait) répercute à l'intérieur des terres son halètement marin, à l'ouest donc, l'Océan fait masse et tumulte, persuasion brutale."

A ce tableau, il convient d'ajouter que si j'avais eu un peu plus de courage, j'aurais disserté au mois de décembre sur un autre thème que la lecture de Pierre Sansot avait initié et dont un article du Monde des Livres sur Claudio Magris avait suscité une série d'échos. Magris qui apparaît dans ARA I,5 [un cahier précédent], avec Danube :

"Certes, on retrouve dans Microcosmes, écrit Florence Noiville, ce qui frappait déjà dans ses précédents ouvrages : l'immense culture d'un homme nourri de Sterne, de Flaubert, de Laclos, de Melville et, bien sûr, des auteurs de langue allemande ; l'accumulation d'informations, la précision quasi maladive d'un écrivain qui reste aussi un historien ; ou encore ses thèmes de prédilection, celui de l'eau par exemple. "Sueur", "pluie fuligineuse", "rideau de traînées grises", "eau bénite", "flaque", obscurité d'une église comparable à "une mer douce et insondable", "larmes," "eaux de ces yeux marron foncé auxquels il s'était abandonné depuis toujours, pour toujours..." : il faudrait faire le compte des notations aquatiques, des fantasmes liquides qui émaillent chaque chapitre. Mais "l'hydrophylie" bien connue de Magris ne se limite plus à "l'étendue fascinante de la mer ou du fleuve. Il y a aussi, dit-il, l'eau sale, boueuse, latente de la lagune." L'eau sableuse où les enfants pataugent et construisent des châteaux."

Ce n'est pourtant pas le thème de l'eau que je voulais traiter alors, mais celui de la lenteur, auquel l'opus de Sansot, Du bon usage de la lenteur, m'avait rendu sensible. Fin de l'article de Florence Noiville :

" Magris y voit le signe d'une plus vive "attention aux choses". Sa plume s'est adoucie, humanisée ("toujours moins d'idéologie, toujours plus de pitié, de sensualité..."). Son tempo s'est ralenti. "Dans Danube, le voyageur avait le diable à ses trousses. Il fuyait le poids terrible de l'Histoire qui voulait le couvrir de son manteau de mort. Ici, il y a la lenteur" qui offre la possiblilité de vivre l'instant "sans le brûler".
C'est cela. Nous voilà conviés à La Découverte de la lenteur, pour reprendre un titre de Sten Nadolny que cite Claudio Magris. Le thème était déjà présent dans Une autre mer; mais il traverse ici, organise et sous-tend ces quelques trois cents pages. La lenteur est perçue comme un art de vivre, un moyen de "comprendre l'existence", de la "dompter", de la "savourer". La lenteur, suggère Magris, est un cadeau que l'on offre à l'être aimé. [...] Enfin, la lenteur est un art d'écrire. Pour capter les secrets, les silences, les non-dits avec une sorte de disponiblité absolue. Pour s'autoriser de longues, de très longues digressions. Un art d'écrire pour "résister", peut-être, à la frénésie ambiante. Lecteurs inquiets, pressés, agités, collectionneurs de récits "efficaces", chercheurs d'intrigues, au sens commun du terme : passez votre chemin ! Vous gagnerez du temps ! "

Faut-il enfin mentionner le fait que je travaille pour plusieurs semaines au Pont-Chrétien, village où la Bouzanne conflue avec la Creuse ?

........

Je reprends la lecture de Bords d'eaux, et voici que l'auteur cite Bachelard, page 19 : "Le même souvenir sort de toutes les fontaines." Or, c'est sur cette même formule que s'achevait la citation de Simon Schama."

24 avril 1999

Pardon pour cette longue auto-citation. J'aurais pu couper, j'ai failli le faire, mais comme dans un récit de rêve, c'est parfois le détail paraissant le plus insignifiant qui s'avère le plus porteur d' enseignement. Telle notation anodine se chargera avec le recul d'une teneur augurale. Aurais-je pu imaginer que six ans plus tard très exactement, j'allais faire retour sur ce texte ?
Fin de l'entracte ?

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