04 novembre 2005
Lacrimarum valle
Montgivray, ancienne Maugivray, s'honore d'une très vieille église, dont les parties les plus anciennes remontent au 11ème siècle. Elle est placée sous le vocable de saint Saturnin, ce qui n'est pas très fréquent en Berry où une seule paroisse, dans le Cher, porte le nom de saint Saturnin. Nous l'avons d'ailleurs déjà rencontrée à l'occasion de l'étude du méridien de Toulx Sainte-Croix.
L'alignement avec Montgivray ne laisse cependant pas d'être intéressant : passant tout d'abord par l'église de Lacs, puis suivant la vallée de l'Igneraie (traversant même le hameau dit Igneray), il est jalonné par le château dit de La Vallas (ancien fief cité en 1473), puis par le lieu-dit Malvaux. Au sud de Saint-Saturnin, il est balisé par le Mont Joint avant d'atteindre un autre gros hameau nommé La Vallas, sur la rive gauche de la Meuzelle, un peu en amont de La Chapelaude. En face, sur la rive droite de la même rivière, frôlant l'axe, se trouve le lieu-dit Saint-Sornin (forme occitane de saint Saturnin), sur le même horizon qu'un autre hameau dit les Malvaux. Précisons encore que le parallèle de Saint-Saturnin atteint le château de Malvaux, au nord de Saint-Eloy d'Allier (tandis que du côté occidental il rejoint la tour Gazeau et traverse le bois de Bougaseau).
Quel sens maintenant donner à une telle récurrence de Malvaux et plus largement de lieux désignant des vallées ? J'ai une hypothèse, fragile je l'avoue, qui m'est immédiatement venue à l'esprit quand l'alignement s'est dessiné voici quelques années : je la livre telle quelle, n'en ayant pas d'autre à proposer dans l'état actuel de ma réflexion. C'est le nom de Lacs qui fit office de déclencheur : j'y vis tout de suite le début du latin lacrimarum qui, associé à valle, donne la fameuse « vallée de larmes » du psaume 84, repris par le Salve Regina (Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valle).
On peut certes m'objecter que lacs (prononcer « la ») signifie mare, étang, et que le bourg a certainement pris son nom de la présence d'un étang proche de l'église, je ne peux m'empêcher de rêver à un autre niveau de lecture.
Il y a une question toute simple qu'il faut se poser devant ces lieux préfixés par le mal, ce Maugivray et ces Malvaux : pourquoi les populations acceptèrent-elles de vivre en ces lieux s'ils étaient maléficiés ? N'aurait-on pas dû plutôt les fuir, les déserter ? Mieux : qui, à cette époque, semble délibérément rechercher ces endroits pour y fonder une communauté de vie ? Les cisterciens, bien sûr :
« L'Exordium Cistercii, un des documents les plus anciens de l'Ordre, a peut-être contribué à alimenter le mythe que les moines cisterciens avaient recherché délibérément des emplacements malsains pour fonder leurs abbayes. Il y est dit que lorsque Robert et ses vingt-et-un compagnons quittèrent Molesme et arrivèrent à leur nouvelle maison, Cîteaux leur apparut comme « un lieu d'horreur et une vaste solitude » et qu'ils entreprirent de « transformer la solitude qu'ils avaient trouvée en une abbaye ». En réalité, « l'horrible et vaste solitude » fait référence au cantique de Moïse dans le Deutéronome (32, 10) et ne saurait être prise au pied de la lettre. » (Terryl N. Kinder)
Or, une abbaye cistercienne se loge dans l'étroit compas ouvert entre le parallèle de Saint-Saturnin et l'axe de Montgivray : la très ruinée abbaye des Pierres, implantée dans ce que l'on appelait le « Val Horrible ». Un alignement avec Saint-Saturnin conduit jusqu'à la Roche-Guillebaud, ancienne forteresse elle aussi en ruines bâtie sur un éperon rocheux des bords de l'Arnon (on y a souvent vu le modèle de La Roche-Mauprat, du roman de George Sand1).
Affronter l'horreur, le mal, la souffrance, lutter contre ses propres démons intérieurs, c'était le défi de ces hommes de Dieu. Saurons-nous encore l'entendre ? Les larmes fondent et figurent la condition humaine, et ce depuis notre naissance. Le philosophe Jean-Louis Chrétien peut ainsi écrire dans Promesses furtives (Minuit, 2004, p. 86) que l' « humanité des larmes, c'est aussi de réquérir instamment, dans l'écoute, la nôtre. Le psalmiste lui-même demande à Dieu, non pas d'abord de sécher ses larmes, mais de les écouter : Auribus percipe lacrimas meas (« Avec tes oreilles perçois mes larmes »)Psaume 39 (38), 13. »
1Philippe Barlet a fait justice de cette attribution dans un article décisif, Le Mystère de la Roche-Mauprat, paru dans l'ouvrage collectif George Sand, Une européenne en Berry, Le Blanc-Châteauroux-La Châtre, 2004. Notons par ailleurs que Mauprat, c'est étymologiquement le mauvais pré. On reste dans la même symbolique...
00:05 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (11)
Commentaires
Pourquoi pleurons-nous en 7 ?
Écrit par : colette | 05 novembre 2005
Votre question m'est énigmatique, Colette. Voulez-vous désigner par là le septième signe, c'est-à-dire Balance ? J'ai inscrit cette note sous cette égide à cause de Montgivray, d'où l'alignement est issu, mais, de fait, la constellation symbolique se déploie pour l'essentiel en Vierge. Il y a peut-être un lien à établir avec le Salve Regina. Vous me direz si je suis dans l'erreur.
Écrit par : Robin | 05 novembre 2005
Oui j'ai dit 7 pour Balance et, bien que vous nous ayez prévenus qu'il n'y a pas de murs entre ces secteurs je n'ai pas pu comprendre le lien entre les racines MAL/MAU des lieux, la Vierge et nos pleurs et ce 7ème signe qui est volontiers associé à Vénus/harmonie/justice/beauté/douceur et sans doute d'autres encore .
Je vous avoue avoir trouvé de la confusion dans votre note mais sans doute que je rencontre les limites de mon cheminement par vos vaulx.
J'ai même failli poursuivre mon commentaire par l'élargissement de vos rêveries d'eau en mer (Mère) et sable (Sand). Il faut dire qu'à ces heures avancées la terre a fini par céder sous les pas en abysses ...
et visualisé un positionnement lunaire en Balance
Lorsque vous dites "J'ai inscrit cette note sous cette égide à cause de Montgivray, d'où l'alignement est issu, mais, de fait, la constellation symbolique se déploie pour l'essentiel en Vierge" je ne comprends pas mieux.
Et surtout, je suis incapable de vous dire si vous êtes dans l'erreur, sauf à rapprocher erreur de errer ... dans les deux cas de figure il n'y a que vous qui le pouvez dire .
Je retiens de cette note une belle référence à JL Chrétien - que je ne connaissais pas - et au livre que vous citez.
Me vient ceci : en Balance, nous sommes au monde, dans notre humanité , nus , à l'opposé de notre Je , écartelés sur la croix de notre incarnation.
Écrit par : colette | 05 novembre 2005
Comment les choses se passent-elles ? Un jour, on apprend qu'une certaine église porte le nom de saint Saturnin. Le saint n'est pas fréquent en Berry. Ce qui est rare excite la curiosité. Un village porte ce nom, on trace la ligne reliant les deux sites et là, on constate des récurrences, des répétitions de vocables, une autre forme de Saturnin apparaît. Quelque chose de l'ordre d'un précipité symbolique vient de jaillir. Quelle en est maintenant la signification ? C'est la deuxième phase de la recherche, la plus longue, toujours incertaine, vouée à l'hypothèse et à l'interprétation. Que de la confusion s'y attache, c'était presque inévitable. Encore maintenant, je ne saisis pas encore le rôle de saint Saturnin dans la configuration : pourquoi lui et pas un autre ? Des éléments peut-être essentiels restent insus. Peut-être. Je hasarde une explication, qui passe par cette image de la vallée de larmes. Il se trouve que j'emprunte un ouvrage de Jean-Louis Chrétien, que je connais pas, mais le livre m'attire, quelques lignes glanées ici et là, la quatrième de couverture. A la maison, je découvre qu'au milieu du livre, se trouve un chapitre sur l'humanité des larmes. La coïncidence, encore une, me renforce dans mon idée. J'erre peut-être, mais le lecteur n'aura pas tout perdu si au moins je lui fais connaître ce penseur. J'écris comme ici dans ce commentaire, sans recul, au risque de me fourvoyer.
Je trace un sillon qui n'est pas toujours droit.
Écrit par : Robin | 06 novembre 2005
Bonsoir,
C'est bien pour cela que vos écrits nous parlent et nous attachent !
Écrit par : Marc LEBEAU | 07 novembre 2005
Post-Scriptum à mon envoi d'hier !
Saturnin peut, en langue des oiseaux, faire référence à Saturne. Or Saturne est en exaltation dans la Balance. "Donc", Saturnin aurait bien sa place en Balance à Montgivray? Non ? De plus, un des Saint Saturnin connait son martyr attaché à la queue d'un taureau : on a ainsi les deux signes vénusiens Taureau et Balance.
Écrit par : Marc LEBEAU | 08 novembre 2005
Merci beaucoup, Marc, pour ces précisions. Vous avez tout à fait raison, et j'avais oublié ce fait de l'exaltation de Saturne en Balance. Sur le lien avec le Taureau, j'ai fait une longue étude, avec Saint Sernin de Toulouse. Il reste que le village de Saint-Saturnin est en Vierge et que je viens de découvrir une autre église Saint-Saturnin dans l'Indre, à Vouillon, en Sagittaire. Un site tout à fait intéressant par ailleurs, et dont je vais parler bientôt. Mais voilà, trois localisations différentes pour Saturnin, ça complexifie les choses. Et ma question reste entière, pourquoi lier Saturnin aux lieux-vallées ?
Écrit par : Robin | 08 novembre 2005
Bon, voilà que je suis de nouveau perdu dans les dédales de l'informatique en général et de votre blog en particulier !
Donc, je viens ici pour un commentaire, concernant plutôt Omphalos où je voulais vous signalez un adepte de géographie sacrée sur le net : Géographie sacrée du Jarez, article de Dominique Setzepfandt, dans le site de la Société Périllos qui traite des liens entre le secteur du Pilat, près de Lyon, et les Corbières - http://www.societe-perillos.com/geo_jarez.html.
Citation de quelques morceaux choisis du début :
"L'Histoire n'ayant officiellement plus de sens depuis que les portes - surtout celle de Brandebourg - s'ouvrent dans les deux sens, tout ne serait donc que le fruit des amours monstruenux de Dame Coïncidence Fortuite et du Sieur Parfait Hasard.
Tout, hommes, lieux, évènements, sortirait vierge et amnésique d'un chaos non plus primordial mais permanent. (...) Pour qui veut bien se donner la peine de jeter un oeil sur les textes et les cartes, le monde apparaîtra bien plus complexe et plus riche de significations cachées que ne le dépeignent théories et équations. Il n'est pas un lieu, aussi modeste fût-il, qui ne soit porteur d'un sens. Sens dont l'histoire et la géographie sont, tout à la fois, la cause et l'effet."
PS : avez-vous reçu mon envoi par mel du 3-11 ?
Écrit par : Marc LEBEAU | 10 novembre 2005
Je connais cet article de la société Périllos, j'ai même failli le mettre en lien au moment de l'étude de Toulx Sainte-Croix. Cela ne s'est pas fait car je travaillais sur un "échafaudage" symbolique qui reste à consolider. Vous avez bien fait de mettre le lien dans le commentaire, cela intéressera sûrement quelques-uns des lecteurs.
Je ne saurais renier bien sûr ce qui est écrit sur Dame Coïncidence...
Réponse à votre P.S : oui, j'ai bien reçu votre mel. Pardonnez-moi de ne pas y avoir encore répondu. Je l'ai relu encore hier soir très attentivement car il est porteur de questions cruciales, qu'il faudra bien un jour ou l'autre exposer ici même. Je vous réponds bientôt. Bien à vous.
Écrit par : Robin | 11 novembre 2005
Décidément cette vallée fait couler beaucoup d'encres .
Je réagis au commentaire de M.Lebeau pour :
- le remercier de ce lien - un de plus pour ajouter à nos tournis/ricochets et même pour évoquer un possible courant d'air (qu'est-ce à dire?)
- et donc pour interroger (qui de vous 2 ?) sur cette grave (à mon oreille) allusion à une question melée "qu'il faudra bien un jour ou l'autre exposer ici même" .
Chutons-nous en ténèbres?
Écrit par : colette | 12 novembre 2005
Pas de mystères inutiles, et de ténèbres prématurées : ces questions cruciales que j'évoque en commentaire sont celles de l'origine et de la construction des zodiaques symboliques. Quelle part de l'homme et/ou du destin ? Et j'ajouterai : quelle résonance pour notre époque, quel sens, quel utilité ? C'est un débat que nous avons entamé en privé avec Marc, mais qui sera sans doute public un jour ou l'autre.
Je préfère pour le moment m'en tenir ici à l'établissement des faits, à l'exposition des recoupements symboliques. Mais si vous avez déjà sur ces questions des éclairages, des idées précises ou de simples intuitions, nous vous écouterons avec plaisir.
Écrit par : Robin Plackert | 13 novembre 2005
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