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18 décembre 2005

Encore plus fort avec saint Guinefort

Plus fort que le saint à tête de chien, le saint à corps de chien, le saint chien... Oui, après le très connu saint Christophe, évoquons le très singulier saint Guinefort ou Généfort, également appelé le saint lévrier. Jean - Claude Schmitt lui a consacré un livre (cité en note dans l'article du 7 décembre), d'après ce document exceptionnel qu'est le rapport du dominicain Etienne de Bourbon qui prêchait dans les Dombes dans la première moitié du XIIIème siècle. L'inquisiteur apprend en confession que les femmes du pays amènent leurs enfants chétifs à saint Guinefort, lequel – à son grand scandale – se révèle être un lévrier... Le chien aurait tué un énorme serpent qui menaçait l'enfant de son maître, mais celui-ci, un seigneur de la contrée, abusé par le berceau renversé et le sang sur la gueule du chien, l'aurait trucidé d'un coup d'épée. S'apercevant ensuite de sa méprise, il aurait jeté le cadavre du chien dans un puits et planté quelques arbres autour pour garder mémoire de l'événement. Le château aurait ensuite été détruit par volonté divine. Que cette légende soit tirée de faits réels, comme l'affirme ce site, est hautement improbable, car on la retrouve dans de nombreux pays, jusqu'en Inde. « Dans une version du pays de Galles, peut-on lire sur cet autre site, le prince Llewellyn avait un lévrier nommé Gellert ou Cylart. C'est la même histoire, mais dès que le prince réalisa son erreur, il fut prit d'un tel chagrin qu'il érigea un monument de reconnaissance au chien et donna le nom du lévrier au lieu où il le fit enterrer. Dans cette histoire celui qui attaque l'enfant n'est pas un serpent mais un loup. »

Par ailleurs, saint Guinefort n'est pas l'apanage des Dombes ; son culte est attesté une quarantaine de fois en France et en Italie du nord. Et la plus ancienne mention de son existence, nous la trouvons, tenez-vous bien, à Bourges, en 1075... Dans une charte donnée, entre 1073 et 1078, en faveur de la Collégiale Saint-Ursin de Bourges. Ce document « atteste, écrit Anne Lombard-Jourdan, la présence du corps de Guinefort qui y est confirmé à plusieurs reprises. Il n'est pas indifférent que le corps de ce saint ait été conservé à l'église Saint-Ursin dont le portail offrait une iconographie cynégétique et calendaire très particulière. Il était honoré en Berry le 25, le 26 ou le 27 gévrier et à Sens le 26 février, donc en période de Carnaval. » (Aux sources de Carnaval, op.cit. p. 206).

 

 

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 Cernunnos (Pilier des Nautes, Paris)

La thèse d'Anne Lombard-Jourdan, pour la résumer bien sommairement, c'est que Carnaval, qui est la fête païenne la plus célébrée dans le monde chrétien, illustre le mythe fondateur du combat du cerf et du serpent, auquel elle rattache le dieu-cerf gaulois Cernunnos, dont Gargantua ne serait qu'un avatar, « récupéré par Rabelais, sur le mode parodique, dit Jacques Le Goff en sa préface au livre, dans les traditions gauloises orales qui affleurent dans la culture populaire auquel il s'abreuve. » Grand cerf qui devient l'ancêtre mythique des rois de France, dont le cerf volant devient l'emblème à la fin du XIVème siècle.

L'étymologie de Guinefort ( formé à partir du verbe guiner, dont le sens paraît être « frapper »), permet aussi de le rapprocher du dieu gaulois : « Guinefort serait donc l'exacte traduction, en parler roman, du nom gaulois de Sucellus, « celui qui frappe fort », épithète par lequel on désignait « le dieu au maillet », substitut de Cernunnos. » (p. 207).

Anne Lombard-Jourdan se demande si le chien n'a pas pris la place occupée par le cerf dans le mythe, le culte de Sucellus-Cernunnos ayant été fréquemment constaté dans l'est de la France et tout spécialement dans cette vallée du Rhône, la statuaire romaine le représentant d'ailleurs souvent en compagnie d'un chien. « Si l'inquisiteur jugea les rites encore pratiqués dans le secret de la forêt assez répréhensibles pour s'employer à les ruiner, c'est qu'ils avaient un fort relent de paganisme. Il joua le grand jeu : exhumation des « reliques du chien », destruction du bosquet sacré (lucum), prédication en plein air sur le lieu même, exhortations aux paysans rassemblés de cesser leurs pratiques coupables, interdiction faite par les seigneurs du lieu d'y jamais revenir. Et tout cela apparemment sans grand succès. Le lieu de culte garda son mystère et une vieille femme devait servir de guide. Mais les mères continuèrent de s'y rendre. » (p.208). Jean-Claude Schmitt montre bien dans son livre que le culte s'est perpétué jusqu'au début du XXème siècle.

Un paragraphe plus loin, nous ne serons pas surpris de voir l'historienne évoquer le Dagda irlandais, le « dieu bon », appelé également Eochaid Ollathair, c'est-à-dire « Père de tous » ou « Père suprême ». « Comme l'a établi M.-L. Sjoestedt, ce dieu n'est pas bon moralement, mais « bon à tout ». Il est à la fois guerrier, magicien, technicien. Il est omniscient et omnipuissant. Il a le prestige d'un dieu ancien. Il traîne une massue « qui tue d'un côté et ressuscite de l'autre » et possède un chaudron « que nul ne quitte non repu ». On a souligné les analogies existant entre ce dieu et le Cernunnos-Sucellus des Gaules. Leurs attributs sont voisins : massue et chaudron de l'un et maillet et corne d'abondance de l'autre. Le Dagda s'unit à la femme de Nechtan (Neptune ?), Boann, éponyme de la rivière sacrée d'Irlande (la Boyne), à la façon dont Sucellus s'allie à Nantosuelta, « la rivière brillante ». » (p.208).


La transition est dès lors toute trouvée qui va nous permettre de passer des rives de l'Arnon à celles de la Bouzanne. J'ai déjà évoqué cette rivière à plusieurs reprises, mais il importe maintenant de la découvrir dans l'intégralité de son cours avant de la replacer dans le cadre plus général de la géographie sacrée biturige envisagée dans sa globalité et de s'interroger sur les liens unissant les deux systèmes symboliques fluviaux.






17:30 Publié dans Scorpion | Lien permanent | Commentaires (6)

Commentaires

Bonsoir, Robin

Magnifique article où l'on vous sent au mieux de votre forme ! Que de travail également, et je vais vite examiner les liens très prometteurs que vous mentionnez.

Sinon, j'allais dire, je persiste et je signe : avec cette nouvelle équivalence Cerf/Serpent, une fois de plus on retrouve ici une problématique Taureau/Scorpion ...

A vous lire

Écrit par : Marc LEBEAU | 18 décembre 2005

Pourquoi problématique ?

Écrit par : colette | 18 décembre 2005

Bonsoir Colette,

J'employais "problématique" dans le sens, comme le dit Robert d'"ensemble de problèmes dont les éléments sont liés" et non dans le sens de ce qui pose problème !

Ceci dit, j'ai peut-être trouvé un début d'explication de tous ces chiens en secteur Vierge. C'est un peu ardu, mais je pense que cela ouvre des perspectives intéressantes.

Donc admettons que les chiens qui nous intéressent, comme le disait justement Robin, soient liés à la "Canicule", autre nom de Sirius. Dans le temps où les hommes pouvaient encore regarder les étoiles depuis leurs balcons ou leur perron et en suivre la course jour après jour, il y avait une notion très importante qui rythmait la vie de l'année et qui avait pour nom "scientifique" le Lever, ou coucher d'ailleurs, Héliaque. Cela représentait le moment où l'on pouvait apercevoir pour la première fois l'astre à l'aube au-dessus de l'horizon. Sirius et les Pléïades, notamment, étaient particulièrement suivies sur ce plan.

En ce qui concerne Sirius, ce lever héliaque avait lieu, du temps des pharaons vers la fin juin et signifiait le début de la crue du Nil - on parle même dans le cas de Sirius de Lever Sothiaque, vu l'importance de la chose. Avec la précession des équinoxes ce Lever s'est progressivement décalè vers le mois de juillet et la période avait ainsi reçue sous les romains le nom de Caniculaire. Pour les dates qui nous intéressent ici concernant le Saint Lévrier ou Guignefort, c'est-à-dire la deuxième moitié d'août, on a affaire, astrologiquement parlant, à la culmination de Sirius : c'est-à-dire qu'au moment du lever du Soleil, Sirius occupe le milieu du ciel et écrase sous son poids, comme le dit Hésioppe, les pauvres hommes.

On voit ainsi se dessiner un axe d'importance, bien reconnu avec les dates de fête des Saints Guignefort (fin février/22 août, suivant les auteurs et les lieux), un axe début de la Vierge/début des Poissons ! Où l'on retrouve la Vierge de l'Arnon ! Non ?

Écrit par : Marc LEBEAU | 19 décembre 2005

Merci pour votre réponse qui me laisse ?

Mais quels problèmes alors? Liés, oui je pense aussi que le zodiaque nous apprend les liens .

Et je suis de ces gens qui, privés d'oeil de perron/balcon ne lit pas le ciel, alors je suis sûre de ne pas vous piger ?

Nous étions dans l'axe Taureau/Scorpion et vous terminez en Vierge/Poissons.

A Robin, j'avoue que j'ai du mal avec ces têtes de chien .
Avez-vous trouvé ma muse hic ?

Écrit par : colette | 19 décembre 2005

Merci, Marc, pour toutes ces précisions. J'ajouterai que Sirius vient du grec seirios (forte chaleur), et dérive d'un terme égyptien plus ancien. ε, au sud-est de l'étoile Wezen dans cette constellation du Grand Chien, s'appelle Adhara et signifie "les Vierges".Une autre, η, dans le coin sud-est, se nomme Aludra, un nom arabe de même racine que Adhara et qui signifie "virginité". (Source :Photo-Guide du Ciel Nocturne, Delachaux et Niestlé, 1998)

Où l'on voit que Sirius n'est pas sans rapport avec la Vierge...

A Colette, désolé pour les têtes de chien mais nous n'en avons pas encore fini avec elles...

Ceci dit, j'ai bien trouvé votre muse hic...

Écrit par : Robin | 20 décembre 2005

Votre double en vers me sied tout à fait.
J'attends les chevaux/hommes...

Écrit par : colette | 22 décembre 2005

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