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05 mars 2006

Du plus simple des calembours

Evoquant saint Clair, l'érudit Romain Guignard cite plusieurs saints Clair sans pouvoir identifier lequel était honoré à Vatan. Est-ce le saint Clair, successeur de saint Martial ou le saint Clair, « premier évêque de Nantes et apôtre de la Bretagne environnante, venu en Gaule à la fin du IIIème siècle » ? Ou bien encore cet abbé originaire de Saint-Clair, près de Lyon, et mort vers 660 ? Enfin, dernière hypothèse, ce prêtre originaire de Rochester, en Angleterre, assassiné en 894 à Saint-Clair-sur-Epte, dans le Vexin ? Point commun entre tous ces saint Clair : on les invoque tous pour les affections de la vue « sans doute en vertu du plus simple des calembours : saint Clair est un saint qui fait voir clair. »

Un chanoine du chapitre de Saint Laurian rapporte ainsi le culte populaire à saint Clair le quatrième dimanche après Pâques (donc le même jour que la fête de la translation des reliques de Laurian) :

« A côté du choeur, du côté du doyenné, il y a une grande chapelle sous l'invocation de saint Clair, au bout de laquelle il y a une espèce de caveau sous le chapitre. Dans ce caveau, il y a une fontaine et une figure de saint Clair.

Le peuple qui vient en dévotion, après avoir fait ses prières dans la chapelle en entrant, descend dans ce caveau. Chacun se lave les yeux avec l'eau de la fontaine et fait aussi sa prière devant la statue de saint Clair, après quoi on lui ôte la tête de dessus les épaules pour la baiser. Cette dévotion quoique bizarre produit au moins quarante écus chaque année à la mense du chapitre, dans des années meilleures quelquefois plus. » (C'est moi qui souligne.)

Ce chanoine, à l'époque, ne comprend déjà plus cette pratique populaire, ce pourquoi il la trouve bizarre. Evidemment, la tête de la statue que l'on baise rappelle la décapitation de Laurian. Il y a aussi quelque chose de significatif à cette descente au caveau : il s'agit encore une fois d'aller au fond de la terre obscure pour trouver la lumière. Le héros descend aux Enfers pour mieux accéder à la Terre Promise, ce qu'évoque fortement, on s'en souvient, la légende du Rocher des Fileuses, à Crozant.

Même date de fête, même référence à la décapitation, Saint Clair apparaît nettement comme un doublet de saint Laurian. Grâce à une recherche sur le net, j'ai pu en avoir la confirmation, et corollairement trouver l'identité du saint Clair invoqué à Vatan.

 


Il suffit en effet de consulter le site internet de Saint-Clair-sur-Epte. Cette ville du Vexin, située sur la frontière naturelle entre la Normandie et l'Ile-de-France, est célèbre pour le traité de paix signé en 911 entre Charles le Simple et le chef viking Rollon. Vers 878, elle se nomme encore Vulcassum, lorsque s'y réfugie un jeune et beau moine qui a échangé son prénom anglais William contre le nom de Clair. Il vient d'errer pendant douze ans pour échapper aux avances d'une femme riche et puissante. Il édifie son ermitage, mais le site précise qu'« il y rencontre moult gens qui viennent même de très loin pour le voir. » Les ermitages de l'époque sont très courus...

Je recopie la fin de l'histoire telle qu'elle est racontée sur le site :

« Seulement l'implacable dame, frustrée dans ses désirs, ne l'avait pas oublié. Les deux hommes envoyés en Neustrie le poursuivaient inlassablement. En passant à Vulcassum, voyant un homme en prières, ils lui demandèrent: "Toi, connais tu un nommé Clair", "Non" répondit il dans un premier mouvement de frayeur. Ils continuèrent donc leur chemin, mais Clair s'étant ressaisi et croyant avoir commis une grosse faute en cachant la vérité les appela : "Clair, c'est moi". Alors, se mettant à genoux et leur présentant sa tête il ajouta: "Périsse ce corps qui peut être l'objet d'un amour criminel"...Puis l'un de ses bourreaux lui trancha la tête. C'était le 4 novembre 884, Clair était âgé de 39 ans.
S'accomplit alors un miracle qui mit les meurtriers en fuite, Clair prenant sa tête à deux mains alla la plonger dans l'eau de la fontaine,
puis il se rendit à son oratoire. De là il alla à l'église et se couchant à gauche de l'autel y marqua ainsi le lieu de sa sépulture. »(C'est moi qui souligne.)

Nous retrouvons ici non seulement la décapitation par les émissaires d'un ennemi juré, mais l'acte même de laver la tête tranchée à la fontaine.

Les choses ne s'arrêtent pas là : Clair avait débarqué en Neustrie avec un compagnon, Alford, qui échangea lui aussi son nom contre celui de Cyrin. Sanctifié lui aussi, ils sont fêtés tous les deux le 16 juillet, où leurs châsses sont portées en procession dans les rues du village. Ce qui se passe ensuite est bougrement intéressant :

Après une retraite aux flambeaux et le recueillement devant une chapelle, on allume un bûcher au pied d'un bouleau fraîchement abattu. Une couronne de fleurs est disposée à six mètres cinquante du sol. Si le brasier enflamme entièrement la couronne devant les reliques de saint Clair, alors le bonheur pour tous les habitants de saint Clair est assuré pour l'année.

 

Cette couronne de fleurs ne nous rappelle-t-elle pas celle de la légende des Fileuses ? Ne fait-elle pas écho à l'étymologie de Florent, fêté le 4 juillet comme le martyre de saint Laurian ? Et comment ne pas s'étonner de cette nouvelle résonance avec Flore Brazier, l'héroïne de la Rabouilleuse ?

Enfin, cette roue de feu, que nous retrouvons aussi, par exemple, dans un rite lorrain décrit par Philippe Walter1,me semble inscrite sur le sol même de la terre vatanaise.

Il faut revenir à Saint-Valentin.

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1« Une grande roue enflammée dévalait la pente de colline qui surplombe Sierck-lès-Bains en Moselle. Si elle avait été bien lancée, elle devait finir sa course dans les eaux de la Moselle. Cette roue fabriquée à l'aide de paille devait descendre le plus loin possible. Si elle plongeait dans la Moselle, c'était le signe que la récolte de vin serait excellente. » (Mythologie Chrétienne, op.cit. p.157.)

00:15 Publié dans Sagittaire | Lien permanent | Commentaires (0)

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