12 mars 2006
Gué d'Amour et chèvrefeuille
- asez me plest e bien le voil
- del lai que hum nume Chevrefoil
- (Marie de France, Le lai du Chèvrefeuille)
Une question me taraude : qui a suscité le culte de saint Clair à Vatan ? Qui a ramené de Normandie des reliques censées lui appartenir ? A moins que saint Clair et saint Laurian ne recouvrent une même divinité antérieure qu'il fallait christianiser ? Saint Clair est martyrisé en 894, or une des deux Passio Sancti Lauriani aurait été écrite, d'après Mgr Villepelet, vers la fin du IXème siècle.
Peut-on trouver encore maintenant une relation entre Saint-Clair-sur-Epte et Vatan ?
Examinons le blason de la cité du Vexin, où fut signé en 911, je le rappelle, le traité de paix entre Charles le Simple et le chef viking Rollon. Il est dit : Parti, à dextre, de gueules, chargé de deux léopards d'or (qui est de Normandie) à senestre, d'azur, semé de fleurs de lis d'or ( dit de France ancien) à la vergette ondée d'argent brochant sur le tout. La rivière Epte, frontière naturelle entre Ile-de-France et Normandie, sépare donc sur le blason les léopards normands des fleurs de lis françaises. Cela fait furieusement écho à Lys Saint-Georges, dont le nom est censé symboliser la rencontre pacifique entre Richard Coeur de Lion et Philippe Auguste. Or, de qui Richard est-il le descendant, sinon de Rollon, devenu Robert 1er, duc de Normandie ?
Plus étonnant encore : en me documentant sur le 4 juillet, fête de saint Laurian, j'ai découvert que c'était précisément un 4 juillet 1190 que Richard et Philippe étaient partis de concert en croisade.
Il y a enfin ce fait divers plus qu'étrange raconté par Chaumeau, dans son Histoire de Berry, et rapporté par R. Guignard dans son livre sur Issoudun :
« Depuis le roi d'Angleterre retourna encore en France pour avoir la terre déoloise au Bas-Berry. De quoi averti, le roi Philippe s'en alla en Berry où trouva quelques Anglais ayant failli à prendre Châteauroux et qui avaient laissé les environs. Mais les Anglais avertis de la venue du roi Philippe qui, comme bon prince, venait au secours du seigneur de Chauvigny, baron de Châteauroux son vassal, envoyèrent ambassadeurs vers lui, avec quelques capitulations de paix. Auxquels le Roi, amateur de concorde, fit bon accueil, leur répondant qu'il entendrait volontiers à appointement. Finalement fut conclu de parlementer ensemble en un lieu de Berry appelé le gué d'Amour qui est entre Issoudun et le bourg de Déols où ils s'assemblèrent, eux et leurs gens, et là, fut entrepris par le Roi que l'Anglais et ses gens camperaient vers la ville de Déols en Berry et que lui et ses gens tiendraient le côté d' Issoudun pour pouvoir parlementer ensemble de leur différend. »
R. Guignard signale en note que Chaumeau place cette entrevue de « Villerai » à l'an 1200, mais qu'en 1200 le roi Richard était bel et bien mort et enterré. C'est dire déjà si la teneur historique du fait est sujette à caution... Sur le lieu de l'entrevue, il semble bien localisé près de Montierchaume, près du hameau des Villerais : d'ailleurs le pont sur le ruisseau de la Vignole se nomme encore Pont d'Amour (il est par ailleurs situé pratiquement sur le méridien de la Chapelle Saint-Laurian).
Comme à Saint-Clair-sur-Epte, l'onde sépare les deux camps qui s'apprêtent à faire la paix.
Mais poursuivons le récit de Chaumeau :
« Pareillement, fut dénoncé par cri public aux gens, tant d'une part que d'autre, que nul ne fut si osé ni si hardi de tirer l'épée, ni assaillir l'un l'autre, ni faire aucune oppression les uns contre les autres s'ils ne voyaient que les deux rois missent eux-mêmes la main aux épées. Cela fait, approchant les deux rois pour communiquer et s'entrevoir étant tous armés et ayant leurs épées au côté étant entre eux un petit ruisseau appelé le gué d'Amour, auquel y avait un aubier creux, leur fut avis et crurent avoir vu un gros serpent procédant du dit aubier. Ce qui mit les deux rois à dégaîner leurs épées pour occire le serpent, dont survint grande émotion entre les Français et Anglais. Car ils pensaient que les deux rois se voulussent combattre. Mais apercevant iceux rois que leurs gens se mutinaient, crièrent à haute voix, faisant signes qu'ils cessassent et que c'était un serpent qu'ils voulaient tuer, lequel était gros et horrible. Qui, néanmoins, était évanoui et ne savaient qu'il était devenu. A bien considérer la nature du diable qui est meurtier dès le commencement est à présumer qu'il voulait mettre et continuer ces deux rois en inimitié. Et, néanmoins, cela induisit les deux rois à faire paix par laquelle fut rendue au duc Philippe, le comté de Poitou et tout le pays de Berry, délivré de la sujétion des Anglais... » (C'est moi qui souligne.)
Cette fable du serpent sortant du bois creux, créature diabolique visant à mettre la zizanie entre les deux partis, est évidemment à envisager comme le souvenir d'un mythe où nous retrouvons l'empreinte du dragon dompté par le héros ou le saint sauroctone.
L'aubier du texte (Chaumeau écrit son Histoire en 1566) ne désigne certainement pas la partie tendre du bois entre le bois dur et l'écorce : ce sens moderne, avec cette graphie, n'apparaît pas avant 1671. Non, il désigne à l'origine la viorne ou le cytise, arbuste à bois blanc.
Or, la viorne, que l'on peut effectivement trouver le long des ruisseaux, fait partie de la famille des Caprifoliacées, à laquelle appartient bien sûr le chèvrefeuille (caprifolium), ainsi appelé parce que les chèvres en aimaient les feuilles.
Est-ce là allusion à la situation du Gué d'Amour en Capricorne ?
Toujours est-il qu'en ce même XIIème siècle, la poétesse Marie de France écrit le lai du chèvrefeuille où elle raconte l'histoire d'amour de Tristan et Iseut :
Tel le chèvrefeuille enlacé
avec le tendre coudrier
(Traduction : Françoise Morvan, Librio, 2001)
00:05 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Gaie chèvre en lacets dans les arbres : le chèvre-feuille folâtre au bois joli .
Au Morvan,de Vézelay partirent Philippe et Richard le 4 Juillet 1190.
Le serpent de discorde ne sera pas au bois.
Cordialement .
Écrit par : colette | 13 mars 2006
Merci, Colette, pour cette précision d'importance.
http://www.chez.com/ivn/dates/12ieme.htm
"Église de lumière, la Madeleine de Vézelay ne se contente pas de jouer de la lumière à l'intérieur de ses murs. Temple parmi les temples, elle s'inscrit au cœur de l'univers comme pour mieux le rassembler en elle, le résumer, le sanctifier. C'est ce que disent les représentations de l'universalité spatiale (les peuples du monde) et temporelle (le calendrier) du grand tympan. Mais c'est ce que manifeste aussi l'extraordinaire et admirable inscription de l'édifice dans le cycle cosmique du soleil.
Lorsque les moines bâtisseurs en conçurent la disposition et l'élévation, ils parvinrent à placer les ouvertures de telle manière que la lumière qui y passe s'inscrive en taches régulières sur les murs et le sol de la nef. Ainsi le chemin de lumière de la nef est-il magnifiquement inscrit au sol, dans l'axe central, par neuf taches de lumières parfaitement alignées à l'heure du midi solaire, au solstice d'été (21 juin); le 21 décembre, au solstice d'hiver, ce sont les chapiteaux supérieurs du mur nord de la nef que la lumière solaire de midi vient frapper, avec une régularité parfaite."
Extrait de http://vezelay.cef.fr/lumiere.htm
Fascinante ouverture.
Écrit par : Robin | 13 mars 2006
Cette mise en lumière comme on le claironne de ci/là n'a de sens qu'en trouvailles/retrouvailles du Christ .
Cet espace gothique, d'exhubérance trop forte,à la limite, peut être contre gouté par la crypte, plus sombre,humide et puissante de présences ...
Les 2 aspects se complètent et enchantent tout autant.
Connaissez-vous ce lieu?
Écrit par : colette | 14 mars 2006
Oui, je le connais, je suis passé par là voici quelques années. Beau souvenir, mais je n'avais pas repris mes recherches en géographie sacrée. J'y reviendrai quelque jour...
Écrit par : Robin | 15 mars 2006
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