Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

23 septembre 2006

Les Vergers du Ciel


Retour dans la blogosphère, et pas fier pour autant, car tout d'abord, du programme gaillardement annoncé dans la dernière note, il me faut bien avouer que je n'ai pas accompli l'ombre d'un début de commencement : Berque ? Dupront ? Toujours pas lus, toujours en souffrance dans le rayonnage des livres essentiels à lire impérativement... Le texte sur Glastonbury, le retour sur l'Homme Sauvage : procrastinés, oubliés, négligés. L'index, ah oui l'index, qui serait si commode, même pour moi : reporté à la Saint-Glinglin (son hagiographie reste à écrire, à celui-ci). Bon, le bilan n'est pas glorieux, mais c'est qu'en ces mois estivaux d'autres lectures se sont imposées, m'ouvrant d'autres horizons, parfois bien éloignées de la stricte géographie sacrée. Je me suis dispersé, éparpillé, et puis voilà, c'est l'automne et je vois bien qu'il faut que je me rassemble, que j'en termine avec cette circumambulation berrichonne. Une fin provisoire, je le sais déjà, j'ai mis seize ans à reprendre l'étude, 1989 – 2005, et peut-être qu'au bout de ce périple, j'en aurai ras le bol des symboles, des capricornes et des centaures, des taureaux et des verseaux. La différence, c'est que la chose ne dormira plus dans les tiroirs, elle se sera infusée dans l'imprévisible tissu de l'internet. Elle ne m'appartiendra plus complètement. Bien malin qui pourra dire ce qu'il en adviendra.

Avant d'en revenir à mon objet principal dans une note prochaine (la stratégie dilatoire a la peau dure...), j'ai le plus vif désir de vous conter la dernière coïncidence dont je fus le témoin, auditif en premier lieu.


medium_Argenton-ciel.jpg

Allant, le vendredi 8 septembre, en voiture d'Orsennes à Argenton, je tombe sur l'émission A voix nue, de France-Culture, où Sophie Naulleau reçoit pour le dernier jour Jean-Pierre Sicre, fondateur des éditions Phébus. J'avais déjà surpris une bribe d'entretien un des jours précédents et j'écoute avec plaisir cet amoureux des livres et du bon vin.


« Un regret, c'est de ne pas avoir publié un romancier que j'adorais immensément, qui était Christian Charrière qui avait publié ses meilleurs livres chez Fayard dans les années 70, et qui se trouve être à mes yeux le plus grand romancier des années 70, avec le Tournier de la bonne époque et un ou deux livres de Georges Walter (...) notamment ces sublimes Enfants d'Attila qu'adorait tant Vialatte, mais Christian Charrière s'était arrêté au début des années 80 d'écrire. J'avais réussi à le persuader (...) de revenir au roman après plus de vingt ans d'absence, et il est mort l'été dernier. Ça, c'est un grand regret. Restent les livres (...), notamment les sublimes Vergers du Ciel qui est pour moi un des grands livres de littérature de son époque. »


Je ne connais pas George Walter, mais je me souvenais encore de la Forêt d'Iscambe de Christian Charrière, lu dans les années 80, cette pérégrination dans une France recouverte par la jungle et où les héros prenaient les vestiges des stations-service pour des temples dédiés au dieu Antar et à la déesse Shell... Là-dessus, j'arrive - aux alentours de midi – à Argenton-sur-Creuse où j'ai coutume de hanter à cette heure-ci la Maison de la Presse. Presque en face, de l'autre côté de la rue, une petite librairie étroite et peu avenante a disposé sur le trottoir deux étals de bouquins d'occasion. N'ayant point trouvé pitance à la Maison de la Presse, je traverse à tout hasard. Surprise, parmi la petite cinquantaine de volumes qui s'offrent là, défraîchis, jaunis, à vrai dire peu ragoûtants, je remarque Les Vergers du Ciel, encore adorné du bandeau Christian Charrière... L'édition originale de 1975. Ce n'est pas tout, trois ouvrages plus loin, que vois-je ? Les Enfants d'Attila, de Georges Walter. Les deux livres que Sicre vient de citer il y a quelques minutes... Pour la bagatelle de six euros, je m'en rends possesseur.


medium_Argenton-ciel2.2.jpgCela sonne bien sûr comme un signe, un appel. C'est comme si des puissances tutélaires vous accordaient une grâce soudaine. Maintenant, quel sens donner à cette rencontre ? Je me dis que peut-être un de ces livres va m'apporter un enseignement essentiel. Rien n'est moins sûr. Pourtant, peu de temps après, j'abandonne mes autres lectures en cours pour Les Vergers du Ciel. Au départ, je suis séduit par l'écriture, le lyrisme de la phrase, les images riches et nombreuses, même si l'intrigue m'indiffère, voire m'ennuie. Mais je reconnais que ces vergers perchés au sommet de la ville, qui laissent choir leurs fruits de lumière sur les maisons en contrebas et la rivière ombreuse, exhalent une réelle poésie. Je vais donc dans ma lecture comme un orpailleur à la recherche de la pépite. Mais la quête s'avère vaine, ou je ne sais pas voir. Plus l'histoire avance et moins j'y adhère ; certaines figures de style me semblent trop récurrentes et surtout je me fatigue de cette thématique de l'ombre et de la lumière infiniment ressassée, au point de presque faire système. Et je crois comprendre pourquoi Charrière a abandonné le roman pour se consacrer à des essais de spiritualité, de symbologie et d'interprétation des rêves. Quelque chose de desséchant est en germe dans cette fiction, une sorte de vision jungienne trop univoque. Au bout du compte, je laisse tomber, je rends les armes à la moitié du livre. Non sans quelque remords, mais je n'en pouvais plus.


Tout ça pour ça ? Cette belle coïncidence pour ce lâchage final ? Cela pose question, en effet. Pourtant, examinons l'affaire de plus belle. Il y a matière à glose : c'est à Argenton, placé sur l'axe équinoxial, au départ du circuit zodiacal, que j'ai trouvé le livre. Equinoxe, équilibre de l'ombre et de la lumière qui trouve place fin septembre. Or, je l'apprendrai un peu plus tard sur un site web, c'est le 11 septembre 2005 que Christian Charrière a rendu l'âme. La maison Phébus, de Jean-Pierre Sicre, tire, elle, son nom du dieu solaire, apparenté à Apollon.


Mais nous sommes souvent devant les coïncidences comme des spectateurs stupéfiés ne sachant que penser de ce qui nous frappe, de ce qui nous étonne au sens presque étymologique du terme. Ce sont de petits récits qui nous laissent interdits, nous laissent juste entrevoir un ordre caché du monde, et je repense en écrivant ceci à ces lignes de J.B. Pontalis lus ce soir-même :


« Anton Ehrenzweig a parlé d’un « ordre caché de l’art ». L’ordre visible, je n’en veux pas. J’y vois l’ombre de la mort. Le chaos m’angoisse. Ce que je cherche dans l’art et d’abord dans la psychanalyse, c’est l’ordre caché dont personne ne peut se prévaloir d’être le maître. Un ordre qui, loin de lutter contre le désordre, ne fait qu’un avec lui. »


Mais je pense encore que je n'ai pas encore lu, ni même exploré sommairement Les Enfants d'Attila, l'autre livre. Et que peut-être...



Commentaires

D'autant plus que - bonjour Colette et Robin - Marie domine Argenton-sur-Creuse si je ne m'abuse... (j'ai fait un petit séjour à Gargilesse dans une autre vie). Le point d'équilibre entre jour et nuit est peut-être aussi celui entre l'Orient et l'Occident ? Sicre évoque dans l'émission cette synthèse - en l'occurence à travers les écrits d'Istrati - comme un idéal...

Autre curiosité relevée dans l'émission : le soleil qui devait servir à illustrer Phébus était en fait une lune, retravaillée par le graphiste.

A bientôt.

Écrit par : OrnithOrynque | 23 septembre 2006

Belle série tortueuse, mais imparable ! Je retiens surtout la superbe définition de l'ordre caché qui ne fait qu'un avec le désordre et qui me semble d'une justesse prodigieuse...

Écrit par : Marc Lebeau | 24 septembre 2006

Pour Saint Glinglin je vois plutôt une "Somme téléologique"...

Écrit par : Marc Briand | 27 septembre 2006

Les commentaires sont fermés.