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21 février 2007

Eudes le franciscain

medium_saintlouis-legoff.jpg La figure d'Eudes de Châteauroux m'intrigue. Comme chaque fois qu'une personnalité traverse ce champ encore si obscur de la géographie symbolique, l'envie est grande d'en savoir plus. Il me souvint que Jacques Le Goff avait écrit  sur le personnage de Saint Louis une somme considérable. Je ne l'avais point lu à l'époque de sa parution (1996),  mais il me paraissait évident que mon prélat castelroussin devait y avoir une bonne place. J'empruntai donc le fort volume de presque mille pages à la Médiathèque et n'ayant pas le temps d'en pratiquer une lecture exhaustive, je me jetai sur l'index des noms de personne. Petite déception : Eudes n'avait droit qu'à huit entrées, ce qui le plaçait assez loin d'Innocent IV (29 entrées) et a fortiori de Blanche de Castille (114 entrées, si je compte bien). Néanmoins j'appris bien des choses en ces quelques  pages.



Première entrée donc, page 49 : "Tout l'Orient n'aura été pour Saint Louis que mirages. Mirage d'un empire latin de Constantinople et d'une réunion des Eglises chrétiennes latine et grecque à laquelle s'employa particulièrement, à la demande de la papauté, un homme lié au roi de France, le cardinal Eudes de Châteauroux, franciscain qui avait été chancelier de l'Eglise de Paris. Mirage d'un affaiblissement des princes musulmans déchirés par des rivalités internes et qui pourtant furent vainqueurs de saint Louis et reprirent cette Terre sainte qu'il avait voulu défendre. Mirage d'une conversion des Mongols au christianisme et d'une alliance franco-mongole avec contre les musulmans." (C'est moi qui souligne).

Eudes occupe une position centrale :  lié à la fois au pape et au roi de France, il montre également la connivence étroite entre le Berry et la capitale. Son statut de franciscain, que j'apprends ici, n'est sans doute pas anodin. Rappelons qu'à l'époque de saint Louis, l'ordre est encore récent : François d'Assise est mort en 1226, l'année même du sacre de celui qui n'est encore que Louis IX et n'est âgé que de douze ans. Aviad Kleinberg ne craint pas d'écrire que  "Les Franciscains incarnèrent l'espoir le plus grand du XIIIè siècle, la promesse d'une vie conforme à la morale chrétienne ici-bas et, par voie de conséquence, de rédemption universelle dans l'au-delà. Saint François lui-même fut perçu par nombre de ses adeptes comme un second Jésus." (Histoires de saints, op. cit. p. 257.) A Châteauroux même, les Franciscains ont laissé une trace architecturale avec le plus beau monument historique de la ville actuelle, le couvent des Cordeliers (Franciscains nommés ainsi à cause de la corde  ceignant leur robe de bure).
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Seconde entrée, page 178 : " Pour la prédication de croisade, Louis IX demande au pape Innocent IV, selon la coutume, de désigner un légat pontifical pour la diriger. Lors du concile de Lyon, en 1245, le choix du pape se porta sur un personnage de premier plan, connu du roi, Eudes de Châteauroux, ancien chanoine de Notre-Dame de Paris, chancelier de l'université de Paris de 1238 à 1244, date à laquelle Innocent IV l'a fait cardinal." La note de bas de page qui est appelée par ce dernier mot voit Le Goff donner son jugement sur le personnage : "Eudes de Châteauroux ne semble pas mériter en tant que prédicateur et homme d'Etat le mépris de Barthélémy Hauréau (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXIV/2/2, pp. 204-235, Paris, (1876). Voir le mémoire de D.E.A. inédit d' A. Charansonnet que je remercie (université de Paris-I, 1987/1988, sous la direction de Bernard Guenée) : Etudes de quelques sermons d'Eudes de Châteauroux (1190 ?-1274) sur la croisade et la croix."



Page 184, suite de la Croisade : "Comme lors de l'accueil des reliques de la Passion, mais cette fois-ci avec les rites de croisade -départ pour la guerre sainte et sortie du royaume - recommence la grande liturgie pénitentielle. Le vendredi après la Pentecôte, 12 juin 1248, Louis vient à Saint-Denis prendre l'oriflamme, l'écharpe et le bâton de la main du cardinal-légat Eudes : il associe de cette manière l'insigne royal du roi de France partant en expédition guerrière et ceux du pèlerin prenant prenant le chemin du pèlerinage de croisade." Se confirme ici encore le rôle éminent du légat Eudes, associé à tous les gestes et évènements symboliques forts du règne de Louis IX. Mais il avait également sa place dans la vie diplomatique plus ordinaire du souverain, comme en témoigne l'entrée de la page 253 : "En 1246, dans le cadre des actions de pacification en vue de la croisade, Louis IX et le légat pontifical, Eudes de Châteauroux, avaient ménagé un accord sur la base du Hainaut aux Avesnes et de la Flandre aux Dampierre."

medium_salimbene.jpg Il faut tout de même sauter à la page 455 pour voir à nouveau paraître Eudes, dans la section du livre consacrée aux chroniqueurs étrangers et, plus précisément,  en ce qui nous concerne, la Cronica du franciscain Fra Salimbene de Parme. Ce religieux est témoin oculaire du passage du roi, en route vers Aigues-Mortes, à Sens où il assiste au chapitre général des Franciscains. Salimbene est subjugué par ce roi arrivant à pied, besace et bourdon au cou, demandant les prières et les suffrages des frères. C'est à cette occasion que le cardinal Eudes prend la parole avant le ministre général des Franciscains, Jean de Parme, qui fait l'éloge du roi.

L'entrée de la page 537 ne faisant  que répéter celle de  la page 184, il faut se transporter page 593 pour y voir Le Goff s'interroger une nouvelle fois sur ce Eudes qu'il qualifie ici de maître en théologie : "Comme légat pontifical pour la préparation de sa croisade, il a été en contact étroit avec le roi qu'il a accompagné en Egypte et il a rédigé sur la croisade un rapport adressé au pape. Les oeuvres d' Eudes sont encore mal connues, mais elles font l'objet d'importants travaux. Il semble qu'il a surtout été un prédicateur célèbre. On reste donc à nouveau dans le domaine qui intéresse le plus Saint Louis, celui du sermon."

La dernière entrée, page 806, dévoile un aspect moins reluisant d' Eudes de Châteauroux, et, plus largement, du règne de Saint Louis. En 1241, le souverain avait fait procéder à la crémation publique de vingt-deux charretées de manuscrits du Talmud. Innocent IV l'en félicita dans une lettre du 9 mai 1244, mais l'invita à faire brûler les exemplaires subsistants. Ce qui donna lieu à de nouveaux autodafés les années suivantes (il ne demeure qu'un seul exemplaire médiéval du Talmud, ce qui montre bien l'efficacité de la répression qui fut menée). "Pourtant, poursuit Jacques Le Goff, en 1247, Innocent IV, probablement à la suite de diverses interventions et selon l'habituelle politique des papes qui fait alterner des instigations à la persécution et des appels à la protection des juifs, ordonne à Saint Louis et à son légat en France pour la préparation de la croisade, Eudes de Châteauroux, de rendre aux juifs les Talmuds subsistants parce qu'ils sont nécessaires à leur pratique religieuse. Mais Eudes de Châteauroux supplie le pape de laisser détruire ces exemplaires et, le 15 mai 1248, l'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne, sans doute sous l'influence du dominicain Henri de Cologne, prononce une condamnation publique du Talmud."( C'est moi qui souligne.)

Eloignons-nous maintenant de notre légat neuvicien pour examiner avec Le Goff ce système du sacre que Saint Louis porte à un rayonnement inconnu jusque là. L'ordonnancement qu'il ne cesse sa vie durant de parfaire en prolongeant les lignes de force symboliques héritées des dynasties antérieures ne peut être sans rapport avec la géographie sacrée : toujours est-il qu' avec Saint Louis, comme le déclare l'historien, "la construction de la "religion royale" a presque atteint son sommet."







02:13 Publié dans Omphalos | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Bonjour Robin,
Je n'ai que les quinze premiers volumes de l'Histoire Littéraire de la France, qui couvrent les douze premiers siècles, mais vu le sérieux de cette publication, reprise des Bénédictins de St Maur par l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, il devrait y avoir un article copieux sur Eudes de Châteauroux. Le XIIIème siècle est couvert par les tomes 17à23. A part à la BNF je ne sais pas où on peut consulter un tel monument. Mais, peut-être, l'avez-vous déjà envisagé...

Écrit par : Marc Briand | 21 février 2007

Merci, Marc, pour ces infos. Je ne connais pas du tout cette Histoire Littéraire et il est bien improbable que je me rende à la BNF dans les prochains mois. Je vais en revanche essayer de me procurer la thèse de Charansonnet, apparemment disponible à la commande.
Bien à vous,

Écrit par : Robin | 21 février 2007

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