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03 mars 2007

Caput regni

J'imagine le scénario suivant :
 
A l'époque où le peuple gaulois des Bituriges (étymologiquement, les Rois-du-Monde) était le plus puissant de la Gaule et où les Druides avaient conquis une influence déterminante sur la société de leur temps, les deux centres sacrés les plus importants se trouvaient être Déols et Bourges (ils ne portaient évidemment pas ces noms-là), deux tertres entourés de marais, dont le compagnonnage symbolique sera constant au cours des siècles suivants, la trace en étant gardée jusque dans la légende tardive de Denis Gaulois.

A l'heure de la conquête romaine, les Bituriges n'exercent plus le pouvoir suprême et ne sont plus que les clients des Eduens ; les Druides eux-mêmes, comme l'a bien montré Jean-Louis Brunaux, ont perdu la  prééminence des siècles antérieurs et forment une institution déclinante.
Un nouveau centre sacré a supplanté les centres bituriges : Anne Lombard-Jourdan a suggéré qu'il s'agissait d'un  tertre  situé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit. Ne pouvant éradiquer purement et simplement ce haut-lieu du paganisme, les premiers chrétiens y placèrent le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci.
medium_martyrestdenis.jpg

Martyre de saint Denis


Le lien avec les anciens centres sacrés n'est cependant pas rompu : entre Berry et Ile-de-France, Paris-Saint-Denis  et Bourges-Déols la vieille histoire perdure, se livre en échos riches et profonds. Le règne de Saint Louis est exemplaire à ce point de vue. On a vu le rôle insigne du prélat berrichon Eudes dans la consécration de la Sainte-Chapelle, la conduite de la croisade et la dotation en reliques christiques du modeste sanctuaire berrichon de Neuvy, création conjointe des princes de Déols et des seigneurs berruyers. L'abbaye royale de Saint-Denis a des possessions en propre à Reuilly et à La Chapelaude.

Etonnant comme la dualité Déols-Bourges est répétée par celle de Paris et Saint-Denis : "Depuis le XIe et, surtout, le XIIe siècle, plus encore sous Saint Louis, écrit Jacques Le Goff , Paris est la résidence habituelle du roi et donc de son conseil, la Curia, qui peu à peu se transforme de cour féodale itinérante en organisme de gouvernement tendant à la stabilité. Paris est devenu caput regni, la capitale du royaume. Mais Saint-Denis, où le roi va prendre l'oriflamme avant de partir pour la guerre ou les attributs du pèlerin avant de partir pour la croisade, sur l'autel duquel il paie un tribut de quatre besants d'or soigneusement déposés chaque année, où sont gardés, entre les sacres, les insignes du pouvoir royal, où reposent ses prédécesseurs dans l'attente de la Résurrection, Saint-Denis est appelé aussi caput regni.
Le Royaume de France a une capitale bicéphale, Paris et Saint-Denis, dont la route, bientôt parsemée de "montjoies", est la véritable voie royale. Et le triangle sacré de l'espace monarchique est Reims, où le roi reçoit le pouvoir  royal, dans la cathédrale du sacre, Paris où il l'exerce habituellement dans son palais et Saint-Denis où il l'abandonne dans le "cimetière aux rois" de l'abbaye "nationale"
(p. 530-531).

Jacques Le Goff montre que c'est d'ailleurs Saint Louis qui va pleinement utiliser "l'instrument idéologique et politique que la nécropole royale offrait  à la monarchie française", en réorganisant la disposition des tombeaux existants de manière à affirmer la continuité entre Carolingiens et Capétiens, et à se rattacher à la prestigieuse figure de Charlemagne, histoire de légitimer une bonne fois pour toutes cette dynastie capétienne "longtemps vilipendée en la personne de son fondateur Hugues Capet - que Dante va bientôt encore évoquer avec mépris" (p. 281).












23:30 Publié dans Omphalos | Lien permanent | Commentaires (7)

Commentaires

Bonjour Robin,
Peut-être avez-vous une variante locale, comme il y en a tellement, de la chanson:
Je donnerais Déols
Paris et St Denis
Auprès de ma blonde
Qu'il fait bon, fait bon...

Écrit par : Marc Briand | 07 mars 2007

Bonsoir Marc,
Pardonnez-moi de vous répondre si tardivement. J'étais momentanément absent pour cause de périple yvelinois (suis passé à Montfort l'Amaury, sur le méridien de Neuvy).
Pour la variante locale de la chanson, je suis désolé, je n'en connais pas (mais je suis loin d'être un connaisseur en la matière).
Je dois reprendre la plume bientôt, mais je crois que plus j'approche du but, plus la flemme m'envahit. Je devrais avoir, comme Buffon, un valet qui me réveille tous les jours à quatre heures du matin, fut-ce avec un seau d'eau froide...
Bien à vous, Marc

Écrit par : Robin | 12 mars 2007

Bonjour Robin,
Montfort l'Amaury où Maurice Ravel s'était installé au calme dans une petite maison à sa taille, comme une maison de poupée.
Ce cas d'architecture me fait penser au livre de Fernand Pouillon, "Les Pierres sauvages" dans lequel, avec talent, il se met dans la peau du maître d'oeuvre du Thoronet. Nous sommes là en pleine géographie sacrée. Connaissez-vous ce livre puissant ?

Écrit par : Marc Briand | 13 mars 2007

Eh non, je ne connais pas, mais vous me donnez envie. Il va falloir se mettre en quête.
Merci, Marc, pour cette nouvelle fenêtre.

Écrit par : Robin | 13 mars 2007

Saviez-vous, Marc, en m'écrivant, qu'une réédition luxueuse des Pierres Sauvages (45 euros) était disponible ? Je l'ai vue ce matin dans la vitrine de ma librairie préférée. Un choc.
De plus en plus envie de le lire, évidemment.
Bien à vous,

Écrit par : Robin | 15 mars 2007

Il n'y a pas de hasard.

Écrit par : Marc Briand | 16 mars 2007

Il n'y a pas de hasard. Bonne lecture.

Écrit par : Marc Briand | 16 mars 2007

Les commentaires sont fermés.