23 mai 2007
Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes
Jean-Claude Pirotte (Expédition nocturne autour de ma cave, coll, Ecrivins, Stock, 2006)
Près de cinq cents ans après la publication de Gargantua, Brisepaille, ce petit hameau près de Saint-Genou d'où est originaire la vieille accoucheuse de Gargamelle, existe toujours. Si Rabelais connaissait si bien la région, c'est qu'il y séjournait parfois, rendant visite à son ami Antoine de Tranchelion, abbé de Saint-Genou, qu'il se plaît d'ailleurs à citer dans un autre chapitre du livre, où cinq pélerins de Saint-Genou sont interrogés :
« Dont este vous, vous aultres pauvres hayres?
- De Sainct Genou, dirent ilz.
- Et comment (dist le moyne) se porte l'abbé Tranchelion , le bon beuveur ? Et les moynes, quelle chere font ilz ? Le cor Dieu ! ilz biscotent voz femmes, ce pendent que estes en romivage !
- Hin, hen ! (dist Lasdaller) je n'ay pas peur de la mienne, car qui la verra de jour ne se rompera jà le col pour l'aller visiter la nuict."
Notons qu'avec ce qualificatif de bon beuveur décerné à Tranchelion, nous ne quittons pas la thématique de la beuverie.Mais examinons maintenant l'hagiographie de ce saint très rare dans la toponymie française qu'est saint Genou, et pour cela reportons-nous une nouvelle fois au livre si précieux (et lui aussi bien rare) de Mgr Jean Villepelet, Les Saints Berrichons (Tardy, deuxième édition, 1963). On y apprend qu'une Vita Sancti Genulphi, rédigée au XIe siècle, fait de ce saint un Romain, envoyé de Rome par Sixte II avec son père, saint Genit, pour évangéliser la Gaule. Dans une version ultérieure, Genit est un simple compagnon de Genou. Veut-on masquer cette trop simple évidence : Genit géniteur de Genou, lui-même portant en germe la génération ? En tout cas, Le Dictionnaire Historique de la Langue Française (Robert) indique que le nom de genou dans les langues indo-européennes (latin, grec, langues indo-iraniennes) " est sans doute à rapprocher de la racine *gne-, *gen(e)- naître (latin gignere, grec gignesthai) selon l’usage ancien de faire reconnaître le nouveau-né en le mettant sur les genoux de son père ».
Entre parenthèses, cela ne rend que plus cohérent le choix de Rabelais de faire naître Gargantua par l'entremise d'une native de Saint-Genou.
Selon la tradition, Genou aurait vécu très saintement et accompli quantité de miracles en un lieu appelé autrefois Celle-des-Démons, et identifié aujourd'hui avec la commune de Selles Saint-Denis, près de Salbris, en Sologne. En effet, le village se nommait autrefois Selles Saint-Genou, une fontaine et une chapelle portant encore son nom (Genoulph).
Il semblerait que les reliques du saint aient été transportées à Saint-Genou à la création du monastère au IXe siècle (cette translation aurait eu lieu un 10 juin, fixant ainsi la date de la fête de saint Genou, dont la mort serait survenue le 17 janvier).
Selles-sur-Nahon, une commune proche de Saint-Genou, était auparavant identifiée comme le Cella supra Nahonem de la Vita. "Saelles" en 1222, elle se nomme au XVIIè Celle-Saint-Genou, mais est appelée aussi, de par la légende, Celle-le-Diable ou Selles-le-Démon. Il est dit que saint Genou et saint Genit y construisirent une église dédiée à saint Pierre où ils furent ensevelis. Il existait aussi un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Genou. Le Nahon désigne aussi bien l'affluent du Fouzon que celui de la Sauldre, à Selles Saint-Denis.
Par curiosité et réflexe quasi professionnel, j'ai tracé l'alignement Selles Saint-Denis - Saint-Genou : or, il passe à proximité de Selles-sur-Nahon. L'insistance sur le diable ou les démons laisse penser que le culte de saint Genou a certainement remplacé une dévotion païenne très ancienne, probablement liée à une source sacrée, source guérisseuse. Saint Genou lui-même apparaît comme un saint guérisseur, du "feu d'enfer" tout d'abord, puis des gouttes (les gouttes désignant d'ailleurs en berrichon des sources). C'est bien sur cette attribution que Genou est une nouvelle fois citée dans le Gargantua, tout de suite après une autre vieille connaissance :
O (dist Grandgouzier) les faulx prophetes vo' annoncent telz abuz. Blasphement ilz en ceste faczon les iustes & sainctz de dieu, qu'ilz les font semblables aux diables, qui ne font que mal entre les humains. Comme Homere escript que la peste fut mise en l'oust des Gregoys par Apollo. Et comme les Poetes faignent un grand tas de Veioves & dieux malfaisans. Ainsi preschoit à Sinays un Caphart, que sainct Antoine mettoit le feu es iambes, & sainct Eutrope, faisoit les hydropicques/ & saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes. (C'est moi qui souligne).01:05 Publié dans Verseau | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Bonsoir Robin,
Intéressant de voir surgir ce Saint Genou ! qui fait partie du "mythe RLC" (affaire de Rennes-le-Château) car directement lié par sa date de fête (17 janvier !) au méridien de Paris dite Rose-Ligne... Roseline étant elle aussi fêtée le 17 janvier, ainsi que Saint Antoine et Saint Sulpice...
Bref un saint déjà bien marqué pour la géographie sacrée méridienne !
Écrit par : Marc Lebeau | 24 mai 2007
Bonsoir Marc,
Je me doutais bien que vous me feriez signe un jour ou l'autre au sujet de saint Genou... En recherchant sur ce saint je suis bien évidemment tombé sur des références à RLC. Je n'en ai point fait mention, en premier lieu pour ne pas disperser mon propos, ensuite parce que j'ai encore beaucoup de difficultés à avoir une vision claire sur le sujet. Mais vos remarques intéresseront certainement tous les nombreux amateurs de cette énigme. En tout cas, saint Genou, dont je n'avais aucune idée en 1989, m'a formidablement ouvert le champ d'investigation en Verseau. Le travail ne fait que commencer.
Écrit par : Robin | 24 mai 2007
Bonjour Robin,
J'ai rajouté une note sur Aquarius.
Écrit par : Marc Briand | 26 mai 2007
Bonsoir Marc,
La disposition de Doumayrou est celle des zodiaques traditionnels, ainsi qu'il le dit lui-même page 40 de son livre. Il suivait en cela Jean Richer.
J'en profite pour vous dire que j'ai enfin trouvé, et bien sûr au moment où je ne le cherchais plus, Les pierres sauvages de Fernand Pouillon. Je l'ai commencé illico : c'est effectivement un grand livre, puissant et grave.
Merci infiniment encore une fois de me l'avoir signalé.
PS : l'adresse de ma cave à merveilles : Le bleu fouillis des mots, dont le maître des lieux, Michel Baggi, tient blog poétique sur le web.
http://lebleufouillis.canalblog.com/
Écrit par : Robin | 26 mai 2007
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