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09 juin 2007

Boire à tyrelarigot

Et tous se mirent si bien à flaconner, que le bruyt en vint par tout le camp, comment le prisonnier estoit de retour, & qu'ilz debvoient avoir au lendemain l'assault, & qu'à ce ià se preparoit le roy & les capitaines ensemble les gens de la garde, & ce par boire à tyrelarigot. Parquoy ung chascun de l'armée se mist à martiner, chopiner, & tringuer de mesmes. Somme ilz beurent si bien, qu'ilz s'endormirent comme porcz sans nul ordre parmy le camp.
(Rabelais, Pantagruel, Ch.XVIII)



Martiner, chez Rabelais, c'est donc boire plus que de raison. C'est dire si, avec saint Martin, nous ne quittons pas la thématique de la beuverie qui s'est si vite imposée dans l'étude de Verseau. Et le mot connait bien des dérivés bachiques, ainsi du martinage, que l'un de nos hauts dirigeants n'hésite pas à citer dans un de ses discours : "La nouvelle classe bourgeoise qui émerge au XVIIIème siècle n'hésite pas à remplir ses celliers, raréfiant, de ce fait, ceux des aubergistes et provoquant ce que l'on a appelé des « émeutes de la soif ». Aussi la récolte nouvelle est-elle attendue comme une bénédiction et dans la fête, notamment le 11 novembre, jour du paiement des contrats d'embauche et de la dégustation du vin nouveau ou «  martinage », du nom de Saint-Martin, célébré ce jour-là." (Allocution de Christian Poncelet, président du Sénat, 6 décembre 2006) (1)

Et nous n'oublierons pas le mal Saint-Martin (l'ivresse) et l'expression provençale "faire sant Martin" qui désignait l'acte de boucher les tonneaux et de monter à califourchon sur les fûts pour goûter le vin nouveau avec un chalumeau.
Philippe Walter rappelle que le concile d'Auxerre, dès 578, "avait tenté de mettre fin aux ripailles dont la fête du saint était l'objet. Sans succès apparemment puisqu'au XVIe siècle Ronsard continuait de célébrer les "martinales" dans le plus pur style de la tradition bachique." (Mythologie Chrétienne, op.cit. p. 53)

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Une Saint-Martin suisse


"L'oie réhabilitée", un texte succulent d'un écrivain du 19è siècle, Christophe Bataillard, qu'on peut trouver sur la bibliothèque électronique de Lisieux, montre que le rapport de saint Martin à cette tradition bachique a déjà été perçue par quelques auteurs : " Millin cite encore l'opinion du Père Carmeli, qui n'aurait vu dans les Martinalia, que la continuation dans la Gaule, païenne d'abord et ensuite chrétienne, des fêtes de Bacchus, succédant aux vendanges célébrées chez les Grecs, au mois Anthesterion, sous le nom de Pithoegia { grec }, et chez les Romains, sous les noms de Vinalia et de Brumalia. Cette opinion s'appuierait sur divers miracles opérés au tombeau de saint Martin en faveur des buveurs de vin. M. Leber admet sans hésiter cette origine : « C'est en passant par les Brumalia des Romains, dit-il, que les Anthestéries grecques sont venues se mêler au divertissement des Chrétiens, où elles ont usurpé longtemps après le nom de saint Martin. »"


Il faudrait plutôt renverser le sens de l'usurpation : c'est bien parce qu'on ne parvenait pas à éradiquer ces fêtes débridées qu'on a tenté de les modérer en les recouvrant du manteau de saint Martin. La greffe du nom a pris, mais les coutumes bachiques n'en ont pas moins perduré, assurant du même coup au saint une notoriété qui passa les siècles.
En effet, pour en revenir à Rabelais, Jean-Mary Couderc, maître de conférences à Tours, juge, dans une excellente étude sur " Les toponymes Saint-Martin dans nos campagnes" que "les 5 citations de saint Martin dans son oeuvre prouvent, par leur caractère allusif, que la légende du saint est familière à l'auteur et que ce dernier juge qu'elle est bien connue de ses contemporains. Ceci montre le niveau de popularité que conserve encore notre saint dans la première moitié du XVI' siècle (Gasnault P., 1984, p. 932)."

Une de ses occurrences est d'ailleurs observable dans le passage de la vieille accoucheuse de Saint-Genou : "Dont une horde vieigle de la compaignie, laquelle avoit la reputation d'estre grande medicine et là estoit venue de Brizepaille d'auprès de Sainctgenou d'avant soixante ans, luy feist un restrinctif si horrible, que tous ses larrys tant feurent oppilez et reserrez, que à grande pene avecques les dents, vous les eussiez eslargiz, qui est chose bien horrible à penser: mesmement que le diable à la messe de sainct Martin escripvent le caquet de deux gualoises, à belles dentz allongea son parchemin."
(C'est moi qui souligne).

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1) Petite note adventice qui n'a pas grand chose à voir : Il n'y a pas que les élèves qui pratiquent le copier-coller sans citer bien sûr leurs sources.  Il semblerait que notre président sénateur ait largement emprunté à un article légèrement antérieur de l'universitaire Gilles Fumey comme on peut en juger sur le passage cité. Voici l'original chez Gilles Fumey : "La nouvelle classe bourgeoise qui émerge au 18e siècle remplit ses celliers et raréfie d’autant les vins qui manquent chez les aubergistes, provoquant des émeutes comme celle des canuts lyonnais en 1788 ou des ouvriers du quartier de la Bastille à Paris qui fomentent des « émeutes de la soif ». La récolte est attendue comme une bénédiction et dans la fête, notamment le 11 novembre qui est le jour du paiement des contrats d’embauche et de la dégustation de vin nouveau (le « martinage », du nom de Saint Martin fêté ce jour-là par un banquet autour d’une oie, avant que l’armistice de 1918 ne prenne le dessus)."
Christian Poncelet (ou son nègre) a omis quelques détails présents ici, mais les phrases sont pratiquement identiques. Et ce n'est pas le seul exemple qu'on puisse relever dans ce discours.

00:55 Publié dans Verseau | Lien permanent | Commentaires (0)

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