21 juin 2005
Triphullion et Peristereôn
En ce jour solsticial, récapitulons donc les données afférentes à la croisée diagonale de Crozant. En fait, l'histoire tourne autour de quatre figures de saints :
Saint-Pantaléon : c'est le titulaire de l'église de Saint-Plantaire. Logiquement le village devrait porter son nom, or il porte celui d'un saint inconnu au catalogue. La paronymie de Plantaire et de Pantaléon laisse à penser qu'on a voulu condenser dans ce seul nom de Plantaire, le souvenir du saint local et l'allusion à la vigueur végétative du secteur zodiacal où le village se situe. Ce qui renforce cette hypothèse, c'est l'observation du festiaire propre à la commune. Il se réduit à deux fêtes : la fête communale de la Saint-Jean et la fête patronale de Saint Fiacre. Eh oui, le même saint Fiacre avec qui nous avons inauguré notre périple zodiacal, le prince jardinier de la chapelle de Verneuil. A part ça, notons que Pantaléon est le patron des médecins, ayant été médecin lui-même, distingué par l'empereur Maximien qui plus tard ordonnera son martyr. Le vitrail de Chartres représentant son histoire le montre guérissant un aveugle et un paralytique avant d'être jeté en prison.
Saint Jean-Baptiste : c'est le saint-Jean-aux-Fers de la chapelle, celui qui guérit l'épidémie qui décimait les troupeaux berrichons et entraîne la jalousie de Pantaléon.
Sainte Foy : c'est la jeune martyr agenaise de douze ans, dont les reliques firent la gloire de Conques. « Comme il en va pour nombre de saints, sainte Foy avait également ses spécialités, à savoir la guérison de la cécité et la libération des prisonniers. A en croire les textes, ceux-ci avaient pris l'habitude de déposer auprès de la sainte leurs chaînes qui furent accrochées comme ex-voto à la charpente de l'édifice religieux ou transformées en grilles par les artisans de la communauté. Aussi le visiteur actuel de Conques peut-il voir représentées sur le célèbre tympan de l'édifice ces chaînes pendant à des éléments architecturaux symbolisant l'abbatiale conquoise. » (M. Renout, R. Dangreville, Conques, Editions du Rouergue, 1997, p. 28)
Saint André : (je renvoie là aux notes précédentes).
Maintenant, reportons-nous au précieux ouvrage de Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l'Antiquité (Belin, 2003). Docteur du Muséum national d'Histoire naturelle, il a ausculté avec patience et rigueur les textes grecs et latins non seulement d'auteurs consacrés comme Dioscoride, Théophraste ou Pline l'Ancien, mais aussi et surtout les vestiges de textes rares dont certains n'avaient même pas été traduits jusqu'à ce jour. Il met ainsi à jour une botanique zodiacale, planétaire, tout un système de correspondances fascinant, qui mérite d'être envisagé maintenant à l'aune de la géographie sacrée.
Au signe du Taureau, deux plantes très différentes sont attribuées par les auteurs des notices astrologiques. Le texte concernant la première, le triphullion, est si court et fragmentaire qu'il n'autorise pas, selon l'auteur, l'identification à une plante plutôt qu'à une autre. Néanmoins sa lecture est éloquente :
« La plante du Taureau est le triphullion. Cueille-la quand le signe domine, c'est-à-dire le Taureau. Elle a les propriétés suivantes : mets son fruit et ses fleurs dans une peau de boeuf qui n'est pas encore né [agennêtos bous : embryon (?) ou animal mort-né]. Porte-la quand tu t'avances vers les rois, les chefs, les archontes et tu seras traité avec de grands égards. Ses feuilles en onction... [la suite du texte manque]. Son suc guérit les yeux et toutes les douleurs oculaires. La racine portée en amulette écarte démons et méchants génies (ageloudai)... [la suite manque] » (Catalogus Codicum Astrologicorum Graecorum, VIII, 2, 159-160)
Le même pouvoir ophtalmologique -rappelant donc celui de Pantaléon et de Foy- se retrouve dans la notice beaucoup plus longue et plus précise de la seconde plante du Taureau, le peristereôn, que l'on peut identifier à la verveine :
« (...) on lui attribue des pouvoirs que tu ne peux pas imaginer. En effet, elle met fin en trois jours aux affections oculaires qui semblent désespérées, grâce à la qualité du remède. Pour les ophtalmies, les oedèmes, les gonflements, tous les écoulements d' humeurs, emploie ce collyre : safran : 14 drachmes (...). Les membranes qui se forment sur la cornée (pterugia), les tumeurs, les chalazions sur les paupières et toutes sortes de maux semblables, elle les guérit en un jour. Il n'y a pas lieu de louer une quelconque puissance divine, mais chacun des pouvoirs de la plante. C'est l'expérience qui démontre sa force. » (C.C.A.G., VIII, 3, 141-142)
Guy Ducourthial se demande alors pour quelles raisons les astrologues ont particulièrement insisté sur les vertus de la plante pour soigner les affections oculaires « alors que ni les mélothésies zodiacales ni les mélothésies planétaires ne placent l'oeil sous la domination du Taureau ou de la planète qui y est domiciliée ? » (op.cit. p. 396) Et il avance alors « l'hypothèse que le choix des astrologues a pu être inspiré par la croyance en l'existence de relations entre le nom donné à cette plante, la colombe, la vue et Aphrodite. » Ce mot peristereôn évoquait en effet la colombe, oiseau d'Aphrodite, la maîtresse du signe taurin, et l'on croyait dans l'Antiquité à son pouvoir de guérison de la vue. Ainsi Celse, auteur latin contemporain de Pline, note dans la partie de son encyclopédie médicale consacrée aux ophtalmies, qu'une lésion de l'oeil ne saurait être mieux soignée qu'avec du sang de pigeon, de ramier ou d'hirondelle.
Or, que voyons-nous dans l'histoire de sainte Foy : attachée sur une grille de bronze sous laquelle brûle un feu de poix et de charbons ardents, une colombe dépose sur la tête de Foy une couronne de gloire puis éteint le brasier d'un battement d'ailes accompagné d'une rosée abondante.
Et sur le vitrail de Chartres, une colombe descend du ciel tandis que Pantaléon prie avant le supplice final.
Rappelons aussi que l'axe des châteaux rejoint Luzeret après avoir traversé le Colombier. Luzeret, paroisse de l'abbaye de Loudieu où une fontaine miraculeuse soigne spécialement les maux d'yeux.
Aujourd’hui encore, si j'en crois ce site,
dans l’église Saint Pantaléon de Rome, on continue à distribuer une eau miraculeuse bénie avec les reliques du saint, ainsi qu’un petit livret contenant une neuvaine à réciter en son honneur pour demander la guérison des maladies.
Guy Ducourthial signale encore que l'on croyait que certains oiseaux utilisaient des plantes précises pour soigner les yeux crevés ou arrachés de leurs petits. Le nom de ces plantes dérivait alors du nom de l'oiseau qui en usait, ainsi l'hirondelle (chelidôn) a-t-elle donné son nom à la chélidoine. Je ne peux m'empêcher de rapprocher cette croyance du miracle le plus remarquable narré dans le Livre de sainte Foy, à savoir qu'un certain Guibert ou Gerbert, énucléé par son maître en 980, aurait vu ses globes oculaires « pousser à nouveau sous ses paupières vides. Recouvrant la vue, il aurait manifesté sa joie en grimpant dans le clocher-porche pour ébruiter aux sons des cloches l'heureuse intervention de sainte Foy. Et le bruit s'en répandit effectivement. » (op. cit. p. 28)
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20 juin 2005
De l'importance du Berry
« Légendes et traditions furent, en Irlande, mieux protégées que sur le continent. Mais il existe aussi en France une région qui fut tenue relativement à l'écart des agressions diverses, un isolat où il s'avère que furent mieux conservées les croyances et les traditions du terroir. Il s'agit du Berry où les habitants, paysans pour la plupart, les perpétuèrent plus longtemps qu'ailleurs, loin des grandes routes d'influence. Les moeurs et coutumes de cette contrée différaient tellement, au XVIIIe siècle encore, de celles du reste du royaume que Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, pouvait conseiller au roi Louis XV « de réunir le Berry à son empire au lieu de conquérir des provinces étrangères » (L'ami des hommes, 1756). « Cette contrée, écrit de son côté Laisnel de la Salle en 1875, quoique située au beau milieu de la France, ne semble réellement avoir été découverte que de nos jours. » L 'indifférence à l'égard de l'Eglise, constatée au XIXe siècle dans cette région, a pu être attribuée au fait qu'elle ne fut jamais complètement christianisée. Ce lieu conservatoire fut le refuge d'où Charles VII, le « roi de Bourges », résista aux Anglais. C'est en Berry que refirent surface, en leur temps, Gargantua et Mélusine. La plupart des auteurs qui furent nos guides ont un lien avec le Berry et le Poitou : ce sont Pierre Bersuire, Jean d'Arras et Couldrette, Rabelais, Henri Baude, du Fouilloux et autres. »
(Anne Lombard-Jourdan, Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, p.235)
Voici donc, extrait de ce livre acheté samedi matin dans ma bonne librairie Arcanes, des lignes essentielles qui renforcent, s'il en était besoin, ma conviction profonde que cette région que j'étudie, et où j'ai l'heur de vivre, est dépositaire d'une tradition ancestrale, perpétuée par les Celtes Bituriges (étymologiquement les rois-du-monde) et entretenue au moins jusqu'à la Renaissance. J'espère trouver dans cet ouvrage prometteur de nouvelles pistes d'interprétation.
Je me suis également offert ce même jour un autre ouvrage paru très récemment : Histoires de saints, Leur rôle dans la formation de l'Occident, par Aviad Kleinberg (Bibliothèque des Histoires, Gallimard, avril 2005). Etant donnée la place qu'occupent les vies de saints dans la géographie sacrée, je ne peux qu'être curieux de ce qu'en rapporte cet historien des religions et professeur à Tel-Aviv.
Deux volumes sur lesquelles j'aurai très certainement l'occasion de revenir dans les prochains jours, après ce passage promis par la botanique astrologique.
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16 juin 2005
Sautoir et tibias croisés
Les symboles isiaques seront présents dans les rituels de la franc-maçonnerie et l'origine même des loges sera souvent cherchée dans l'Egypte primordiale. On retrouve cela, par exemple, dans un opuscule théâtral de Nicolas de Bonneville (1793), fixant les modalités de la cérémonie d'admission aux « Francs-Cosmopolites », intitulé la Fête du Vaisseau des anciens Francs. Le rideau se lève sur le tableau suivant :
« L'Isis ou l'Hiérophante est assise sur un vaisseau, à ses pieds le Sphinx. De chaque côté les images des Evangélistes avec leurs attributs dont la réunion représente les quatre parties qui composent l'image du Sphinx. » (La Quête d'Isis, p.53)
Ceci nous rappelle la croix de saint André - qui est aussi représentée chez les Francs-Maçons par des tibias croisés, encadrant souvent un crâne humain - et que l'on retrouve aussi en zone Taureau du zodiaque toulousain avec le blason du pays de Comminges : un écu de gueules à quatre otelles d'argent posées en sautoir, dont G.R. Doumayrou donne la lecture suivante :
« Elles (les otelles) peuvent représenter quatre feuilles ou lamelles d'argent consolidant l'écu de bois peint en rouge, mais évoquer aussi deux traversées diagonales (en sautoir), qui ouvrent la substance brute à la vibration stimulatrice du verbe. Elles sont en forme d'amande, autrement dit de semence, délient la substance en la divisant, et la relient à son nouveau destin : le sautoir était une croix de corde permettant au cavalier de sauter en selle, - de rompre son équilibre statique (ce que fait aussi la graine soumise en terre à la putréfaction), pour entreprendre sa chevauchée (germination de la semence libérée). Les otelles, de la sorte interprétées, signent un potentiel d'activité qui reste à évertuer. » (Géographie Sidérale, pp. 69-70)
Avant de quitter Taureau, il nous reste à interroger, en quelque sorte littéralement, ces métaphores botaniques, en mettant en correspondance les hauts-lieux du secteur avec la flore astrologique dévolue au signe, telle qu'elle apparaît dans les quelques textes antiques qui nous sont parvenus. Notre Plantaire aura nom Catalogus Codicum Astrologicorum Graecorum...
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15 juin 2005
Io et Isis
« Tout avait commencé par certains rêves étranges, lorsque Io était prêtresse de l'Héraïon près d'Argos, le plus ancien des sanctuaires, le lieu qui donnait la mesure du temps : pendant longtemps, les Grecs ont compté les années en se référant à la succession des prêtresses dans l'Héraïon. Les rêves sussurraient l'amour ardent que Zeus ressentait pour elle et lui conseillaient d'aller vers les prairies de Lerne, où paissaient les boeufs et les moutons de son père. Désormais, les rêves la voulaient ainsi : non plus prêtresse consacrée à la déesse, mais bête consacrée au dieu (...). C'est ce qu'elle devint. » (Roberto Calasso, Les Noces de Cadmos et Harmonie, p. 16)
Cette Io, fille du roi grec Inachos, était identifiée selon une tradition classique à Isis, comme en témoigne la note suivante de Jean Miélot, secrétaire de Philippe le Bon, lors d' un commentaire de l'Epitre d'Othéa de Christine de Pisan :
Yo, fut autrement appellee Ysis, dont Paris ou Parisisus est ditte, de para, c'est a dire empres, et de Ysis, ainsi : Paris est une cite situee empres Ysis, c'est a dire empres Saint Germain des prez ou son idole fu jadiz aouree et encore y perd aujourdhuy. ( Baltrusaitis, La Quête d'Isis, p.59)
Calasso décline les diverses variantes de l'enlèvement d'Europe, dont celle-ci :
« Comment tout cela avait-il commencé ? Si l'on veut de l'histoire, c'est une histoire de discorde. Et la discorde naît de l'enlèvement d'une jeune fille, ou du sacrifice d'une jeune fille. L'un ne cesse de se transformer en l'autre. Ce furent les « loups marchands » débarqués de Phénicie qui enlevèrent à Argos la tauropárthenos, la « vierge dédiée au taureau », appelée Io. Comme un message transmis de montagne en montagne, cela alluma le feu de la haine entre les deux continents. Depuis lors, Europe et Asie se battent, et à chaque coup de l'une suit un coup de l'autre. Ainsi les Crétois, « sangliers de l'Ida », enlevèrent à Asie la jeune fille Europe. Ils revinrent dans leur patrie sur un bateau en forme de taureau et ils offrirent Europe en épouse à leur roi Astérios. Ce même nom céleste aurait été aussi un des noms d'un petit-fils d'Europe : ce jeune homme à tête de taureau qui vivait au centre du labyrinthe, dans l'attente de ses victimes. Mais, plus souvent, on l'appela le Minotaure. » (Les Noces de Cadmos et Harmonie, p. 17)
Plusieurs illustrations anciennes représentent l'enlèvement d'Europe par Zeus sur un bateau décoré d'une image de taureau. Baltrusaitis signale ainsi une miniature en tête d'un chapitre de Boccace (1313-1373) figurant la « tres ancienne ysis deesse et royne des egyptiens » dans un bateau semblable à celui du blason parisien. Dans une autre miniature, le navire arbore un pavillon avec une vache.
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13 juin 2005
K, Cadmos et Calasso
Entrer chez un bouquiniste, c'est, plus que dans une librairie, s'abandonner aux caprices du hasard. Sur ces étals hétéroclites la surprise peut advenir plus facilement. Les sédiments de centaines d'années d'éditions s'offrent à nos regards et sous nos doigts furtifs peut soudain se révéler le volume inespéré échappé du long sommeil d'un grenier. Cette pièce rare (et je n'entends pas par-là quelque merveille bibliophilique : ce peut être un simple livre de poche) n'attendait que vous pour revenir à la vie et vous apporter en retour quelques-unes des réponses que vous quémandiez sans succès. Les livres en attente de lecture ont beau s 'accumuler sur mes étagères, je ne peux résister au bout de deux ou trois semaines à la tentation de passer la porte d'un de ces antres de littérature brocanteuse.
Rue du Père Adam, s'est ouvert depuis peu la bouquinerie joliment nommée par son propriétaire Le bleu fouillis des mots (détournant le bleu fouillis des étoiles claires, de l'Art Poétique verlainien). Le 28 mai dernier, j'y achetai Les noces de Cadmos et Harmonie, de l'écrivain italien Roberto Calasso. Publié en 1991 chez Gallimard, je me souvenais vaguement que le livre traitait de mythologie. J'avais eu à l'époque une velléité d'achat, et puis j'avais laissé tomber. Pour un prix très modique, je m'en portais enfin acquéreur.
Un livre pour plus tard, un de plus. Il rejoignit la cohorte des bouquins en attente. Pourtant, quelques jours plus tard, dans le Monde des Livres ( édition du 3 juin ) que je n'avais plus consulté depuis des mois, je lus en première page une critique de K., le nouveau livre de Roberto Calasso. Patrick Kéchichian parle d'une « lecture attentive et inspirée du Procès et du Château », où l'auteur « cherche moins à s'inscrire dans la lignée des exégètes du grand écrivain praguois qu'à dévoiler la « matière obscure » dont son oeuvre est née. »
Cet article, par l' intérêt qu'il suscita en moi, me força d'une certaine manière à revenir sur le livre que j'avais acheté. Je le ressortis du rang et entrepris d'en lire quelques lignes. Je devais en savoir un peu plus sur ce Calasso. Tant qu'à faire, commençons par le début.
Le début, c'est ça :
« Sur la plage de Sidon, un taureau s'essayait à imiter un roucoulement amoureux. C'était Zeus. Il fut secoué d'un frisson, comme sous la piqûre des taons ; et cette fois, ce fut un doux frisson. Eros plaçait sur sa croupe la jeune fille Europe. »
Le frisson, c'est moi qu'il parcourait à ce moment précis : ce Zeus taurin, j'en avais fait état dans mon manuscrit, dans le chapitre que je révise ce temps-ci. Par-delà la coïncidence, Roberto Calasso renouvelait mon regard sur le mythe.
01:30 Publié dans Le Facteur de coïncidences | Lien permanent | Commentaires (2)