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21 juin 2009

Bouesse et Baronte

Les fées ont quitté la vallée de la Creuse, mais la Brenne où ellles se sont, paraît-il, repliées ne bruisse plus guère non plus de leurs légendes. Et l'Evangile de Jean qui les a fait fuir a perdu lui aussi de sa superbe. Le texte est toujours flamboyant mais il n'iirradie plus que faiblement dans nos campagnes. Il faut bien établir ce constat alors même que notre périple s'achève.


Deux derniers jalons avant bouclage. Le premier se situe en limite de Brenne et de Boischaut, à Bouesse, que j'ai déjà évoqué lors de l'investigation sur le carré buissé.

blason-gaucourt.jpg

Le château féodal reconverti en restaurant s'orne encore du blason de la famille de Gaucourt, qui est "semé d'hermines aux deux bars adossés de gueules". Bars étant poissons de mer, voilà bien qui s'inscrit parfaitement dans la thématique du signe zodiacal. Dans les prés du château, la fontaine de Bouesse, manifeste, elle, par sa légende, le désir de communion mystique souvent attribué aux Poissons : en effet, les amoureux qui viennent boire à cette fontaine, dans le même verre, sont sûrs de s'aimer toujours. Souci d'éternité : en cette ultime stase de la révolution cosmique, la nécessité jaillit soudain d'une échappée hors des cadres spatio-temporels. Affranchissement de la roue du temps, volonté de permanence illustrée prosaïquement par ces femmes qui venaient aussi tremper en cette même fontaine leur linge de couleur afin qu'il ne passe pas  au soleil. Ces faits de croyance sont rapportés dans un écrit, Bouesse en Berry, château et terre, dont je possède un exemplaire photocopié dépourvu du nom de l'auteur, daté de juillet 1914, juste avant le grand embrasement où tant de jeunes paysans berrichons laissèrent leur vie. Beaucoup de cultes et de pélerinages populaires s'éteignirent doucement après ces années terribles, et il est bien possible que les légendes de la fontaine n'aient pas elles-même survécu à l'hécatombe. Je dis cela parce que ma famille du côté de mon père est originaire de Bouesse, que j'y fus baptisé et que ma grand-mère, née en 1915, et qui elle-même n'a pas connu son père, mort au combat, y vit toujours. Jamais elle ne m'a parlé de cette fontaine, dont j'appris l'existence dans l'ouvrage mentionné.
Il est vrai qu'on ne boit plus l'eau des fontaines et que les lave-linges ont démodé les lavoirs. Les légendes n'ont plus de veillées où elles puissent être racontées ; vestiges elles-mêmes, elles ne se rencontrent plus guère que dans les livres. Ce monde-ci est voué à la mort et à la destruction, dès lors il s'agit pour le Poisson mystique d'en sortir, de s'extraire du temps cyclique pour gagner le Royaume où le temps n'existe plus. Notre deuxième et dernier jalon porte la marque d'une telle tentative.

 


A Méobecq, sur la pointe du signe, au VIIème siècle, un noble franc devenu moine et nommé Baronte, eut une vision qui le transporta au ciel et en enfer. Le récit qu'il en fit le place, selon Pierre Riché, comme un précurseur de la Divine Comédie de Dante. Canonisé, sa fête était célébrée, selon Mgr Villepelet, le 2 mars, donc dans le temps des Poissons. Charles-Emmanuel Deuzeune l'évoque dans son livre "La Mort et ses rites pour tous": "Dans sa retraite monastique de Méobecq en Berry, il eut donc en esprit, avant 678-679, une anticipation de la vie éternelle par un voyage en enfer et en paradis. L'enfer n'est plus souterrain, comme chez les païens. Il est quelque part dans l'espace, hors de notre monde. Impossible donc que les morts reviennent tourmenter les vivants ! (...) L'angoisse de l'enfer a donc pour but d'utiliser l'attente pour transformer le présent et forcer ainsi les portes d'un avenir mystérieux. L'imagination sollicitée par l'au-delà laisse la place libre au réalisme du quotidien, à l'acceptation de l'histoire, que refusait le paganisme. N'oublions pas en effet que le cosmos païen, sans origine ni fin, est en proie à des forces perpétuellement renouvelées. Par le fouet de la crainte de la damnation, plus tard et non aujourd'hui, le visionnaire élargissait l'imagination de chacun hors du cauchemar sans cesse recommencé, printemps, été, automne, hiver, naissance, croissance, récolte ou razzia, mort, et, du coup, brisait le mythe païen du retour éternel par la vision d'un temps linéaire irréversible."(1)

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L'enfer dans l' Hortus Deliciarum de Herrade de Landsberg (autour de 1180).

Dans la vision, saint Pierre dit à Baronte : " Quand tu seras rentré, déclare à tous l'argent que tu as gardé sans permission en entrant au monastère et que tu as tenu caché. Ensuite, empresse-toi de donner douze sous aux pauvres et aux pélerins, un par mois, des sous bien pesés par la main d'un prêtre. Ne pèche plus et veille à ne rien posséder quand l'année sera finie." Reconduit à la première porte du Paradis, Baronte retrouve des pélerins qui se rendent à Poitiers, au tombeau de saint Hilaire. Ceux-là sont au début du circuit qui les mènera, si tout se passe bien, jusqu'au lieu suprême de l'ascension spirituelle.
Baronte choisira après sa vision de se retirer en Toscane, et il finira sa vie dans un monastère près de Pistoia, en compagnie d'un autre moine qui sera lui aussi canonisé : Desiderius. Ce nom ne saurait nous laisser indifférents, car il renvoie à un passage fondamental de la Géographie Sidérale de Guy-René Doumayrou :


"Elle [la projection zodiacale] résume la structure du monde et celle de tout être achevé, en même temps que la voie des révolutions sidérales qui lui donnent vie, modèle de la genèse que cherche à reproduire le philosophe dans son microcosme. Elle demeure une ossature interne et tout naturellement occulte, ou bien ses évidences sont si criantes qu'elles passent inaperçues ; mais la même ossature existe, affleurant plus ou moins à la conscience, en chaque individu et les coïncidences de l'une à l'autre contribuent, selon la vigueur de son désir (du latin sidus, étoile, qui a donné desiderium, regret, désir), à l'éveiller et à le guider dans la traversée des sept niveaux de la réalité. C'est alors lui qui courra l'aventure du soleil, de solstice en équinoxe et d'équinoxe en solstice : la roue zodiacale est la même chose que le chemin d'étoiles, la voie lactée, chemin de Saint-Jacques, route des Argonautes."(2)

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(1 )Charles -Emmanuel Deuzeune, La Mort et ses rites pour tous, Le plein des sens 2003, pp. 88-89. En fait ce passage est un plagiat éhonté du grand livre de Philippe Ariès, Paul Veyne, Georges Duby et Arthur Gloldhammer, Histoire de la vie privée. C'est en recherchant sur le net des informations pour Baronte afin de compléter mon texte de 1989 que je suis d'abord tombé sur le passage de Deuzeune grâce à Google Books. Puis, j'ai découvert la version anglaise du livre édité par Paul Veyne (la française n'est pas en ligne). Il n'est pas besoin d'être un expert dans la langue de Shakespeare pour constater la forfaiture. J'aurais pu passer ce détail sous silence, mais je trouve intéressant de montrer qu'il n'y a pas que sur le net que sévit le copier-coller.


(2) op. cit. p. 55

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Avec ce dernier billet s'achève donc notre pérégrination zodiacale. Conclusion provisoire, on s'en doute. Il me reste à reprendre l'ensemble de ces textes, afin d'en établir une version que je destinerai à une édition papier. Une réflexion plus générale reste à entamer, un index des noms, lieux et oeuvres cités à élaborer. Le blog ne cesse pas pour autant toute activité, il entre simplement dans une nouvelle phase. La recherche continue, de nouvelles découvertes sont toujours possibles, un regard peut-être plus affirmé sera porté sur les études susceptibles de nous éclairer sur le chemin encore long qui nous est dévolu.
Merci à tous ceux qui m'ont suivi et accompagné pendant plus de quatre ans, qui ont stimulé ma réflexion et donné l'énergie de poursuivre jusqu'au bout. J'ai une pensée toute particulière pour vous, Marc,  Jean-Marc et Ornithorynque, dont la bienveillante attention m'a souvent touché au coeur.