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11 mars 2010

En lisant Jean-Pierre Le Goff (1)

le goff.jpg J'aime que des inconnus me suggèrent une piste à explorer. C'est ainsi qu'un certain Thierry, dans un récent commentaire, m'aiguillait sur l'oeuvre de Jean-Pierre Le Goff. Une amie, Fernande B. pour en pas la citer, alias Isidore Bonaventure, m'avait parlé de lui lors d'un vernissage à Equinoxe, mais je n'avais pas cherché alors à en savoir plus. Le rappel de Thierry me persuada de le faire, et c'est ainsi que je me mis en quête dans cette même médiathèque d'Equinoxe de quelque volume legoffien. Or, elle n'en regorge pas. "Le cachet de la poste", seul opus disponible, n'était plus en rayonnage et je dus en demander le retrait au magasin.

Bonne surprise : le livre avait été édité dans cette belle collection de L'arbalète chez Gallimard, dont je possède quelques précieux exemplaires (Jacques Darras et Jacques Rebotier). C'est d'ailleurs à croire que la maison est sous la coupe d'une confrérie de Jacques puisque c'est un autre Jacques (Réda) qui préface le livre de Jean-Pierre Le Goff. Je ne tardai pas à me jeter dans sa lecture. J'appris bientôt que la principale activité de l'auteur consistait à enfiler des perles. Mais pas n'importe comment, pas n'importe où et pas n'importe quand. Bref, c'est plein d'humour mais n'était-ce pas un peu gratuit ?

Et puis seconde surprise, de taille : dans la feuille volante (c'est ainsi que JPLG baptise ses petits textes qui furent autant d'envois postaux) intitulée La voie des céphalophores, où il évoque saint Denis et la ligne Amiens-Saint-Denis-Bourges relevée par Henri Dontenville, voici qu'il évoque celui-là même sans qui ce blog n'eût point existé :

"Guy-René Doumayrou me fit remarquer que cette ligne se confondait avec celle que je traçais sur la carte de France, lors d'une recherche précédente, pour figurer le fil d'un gigantesque fil à plomb."

Doumayrou, auteur introuvable, si peu cité par mes contemporains, apparaissant soudain comme un interlocuteur de JPLG : je n'en revenais pas. (A suivre)

 

31 mars 2009

Le Chemin du Dragon

 

« Après la bénédiction du pain et du sel dans la sacristie, chaque pèlerin vénère par un baiser, les reliques du saint thérapeute des bestiaux, contenues dans un bras d'argent. Ce reliquaire était autrefois promené sur le terroir d'Estaing lors de la procession des Rogations. »

Jean-François Hirsch (in. L'Univers du Vivant, n°4, octobre 1985)

 

Procession-dragon.jpgLes Rogations sont cette fête chrétienne qui se déroule pendant les trois jours précédant le jeudi de l'Ascension. Instituée, semble-t-il, en 470 par saint Mamert de Vienne en Dauphiné, pour lutter contre tremblements de terre, feu du ciel et invasions de démons. Jacques de Voragine, dans sa Légende dorée, écrit qu' « on l'appelle encore « procession », parce que l'Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises, on porte un dragon avec une queue énorme et on implore spécialement le patronage de tous les saints. » Les cloches servent à éloigner les démons et les tempêtes : pour Philippe Walter , c'est une fête agraire où, par « des rites ambulatoires, il s'agit de protéger les récoltes en pleine croissance non seulement à un moment critique de l'année où les risques de gelée n'ont pas encore disparu mais également à une période où la sécheresse peut être dramatique. C'est la saison très redoutée de la lune rousse dont on souligne encore les méfaits dans certains terroirs. Le roux et la rouille sont d'ailleurs l'aspect dominant de toute la période des Rogations ; ils sont au coeur de ce mythe saisonnier. On notera cependant les silences ou les faiblesses de l'explication liturgique sur certains détails de la fête ( les dragons processionnels ou la triade festive par exemple). »(Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p.136)

Cette fête n'a pas échappé au regard acéré de Guy-René Doumayrou, qui mentionne lui aussi les Dragons des Rogations survivant encore en plusieurs cités du Languedoc. Mieux, il montre l'existence d'un Axe des Rogations, qu'il rapproche de la visée du premier mai :

 

axe-rogations2.jpg

« On a été tenté de l'appeler « axe du premier mai », parce qu'il vise le lever héliaque aux alentours de cette date. Toutefois, comme on le trouve souvent balisé en ligne droite sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, on ne peut l'associer à une position trop précise du soleil dans sa divagation saisonnière. On peut en revanche, sans craindre d'errer, le mettre en rapport direct avec le temps des Rogations puisque, tout aussi bien, l'ethnologie a déjà revalorisé ce vocable d'origine chrétienne pour désigner le groupe fabuleux, beaucoup plus archaïque, des dragons processionnels que l'on sortait pour célébrer ce « rite » destiné à faire descendre les dons du ciel sur la terre0 Axe des Rogations donc, cet orient, dont le trait part du soleil levant au début mai pour s'éteindre avec le soleil couchant du début novembre, sera plus justement encore appelé le Chemin du Dragon. » (Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 110)

 

Un peu plus loin, Doumayrou affirme que « le pays de Mélusine, serpente médiévale, ne pouvait manquer d'avoir le sien, le traversant de Poitiers à La Rochelle en passant par Niort, selon un azimut qui est, cette fois, effectivement celui du premier mai. Mais il est issu de Vézelay où rayonna, quelque temps, un des centres les plus importants de la Chrétienté, en l'honneur de Marie-Madeleine. La pleureuse aux longs cheveux n'était pas un dragon, sans doute, mais c'était une « moins que rien », déchue comme Lucifer, pourtant si fort illuminée par l'amour de l'homme divin qu'elle s'éleva à une dignité qui l'égalait presque à la vierge mère. » Et Doumayrou achève ce paragraphe crucial par ce passage que j'ai déjà cité en exergue d'une note passée, sans savoir que j'allais le retrouver encore plus pertinent dans son rapport au territoire que nous arpentons :

 

"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."(Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112)

 

triangle-gaules.jpg

L'axe  des Rogations est indiqué sur cette carte, filant vers Prague.

 

Quand ces résonances se sont offertes à moi, j'ai songé tout de suite à vérifier si le monument de Sauzelles était sur ce fameux Axe des Rogations surgi de Vézelay. Mais non, déception, il s'en fallait d'une petite quinzaine de kilomètres : le Chemin du Dragon filait plus au nord. Déception de courte durée cependant, car en projetant une visée sur Vézelay, je constatai immédiatement qu'elle traversait Bourges (contrairement à l'axe défini par Doumayrou qui « frôle » cette ville en s'en écartant tout de même lui aussi d'une dizaine de kilomètres). Et il n'est sans doute pas fortuit que l'axe Saint-Savin – Le Blanc – Déols, converge lui aussi sur Vézelay.

Enfin, dernier indice très significatif, la paroisse de Sauzelles dépendait elle-même de l'abbaye de Vézelay.

J'ai épluché consciencieusement le guide de l'Indre de Michel de la Torre (Nathan, 1985), c'est la seule des 247 communes du département à posséder cette caractéristique.