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24 mars 2010

Le triangle de Saint-Just

Bien avant Jean-Pierre Le Goff, Vouillon reçut, selon l'abbé Jacquet, curé du village au début du XXème siècle, la visite d'un certain saint Just. Lequel trouva la mort sur la voie romaine qui conduisait à Bourges, aussi l'église lui fut-elle dédiée. L'abbé rapportait là une tradition locale qui décalquait en réalité l'histoire de saint Just telle qu'elle est contée dans les Acta Sancti Ursini, autrement dit le récit de la vie de saint Ursin. Nous avons souvent évoqué ce dernier, en particulier à l'occasion de l'étude de la légende de Denis Gaulois.

J'en reviens encore à cet excellent Jean Villepelet, monseigneur Jean et son livre si précieux Les Saints Berrichons. Que nous apprend-il ? Et bien que le Bienheureux Just, compagnon et disciple du grand Ursin, envoyé de Lyon à Bourges  pour porter la bonne parole aux habitants du Berry, tomba en chemin gravement malade et mourut saintement, à neuf milles de la ville de Bourges, près des bords de l'Auron. "Affligé par ce trépas, poursuit-il, Ursin rendit pourtant grâces à Dieu et à cet endroit même donna à son compagnon une sépulture honorable. Au VIème siècle, le corps du saint confesseur fut transporté dans l'église qui, après avoir été primitivement élevée en l'honneur du martyr saint Symphorien, prit dans la suite le nom de Saint-Ursin, lorsque les reliques du premier apôtre du Berry y furent elles-mêmes transférées." (p.98)

Sur le tympan du portail sud de la cathédrale de Bourges, on voit le pape bénir Just et Ursin qui ont reçu mission d'évangéliser notre païenne contrée. Mgr Villepelet signale aussi  en note que le village de Saint-Just, dans le canton de Levet, revendique l'honneur d'avoir été le lieu de sa mort et de sa sépulture privée. Or, l'axe Vouillon - Saint-Just ne semble pas anodin : orienté au nord-est, donc dans la position du soleil levant en période printanière, il est jalonné par Saint-Aubin et Primelles (où saint Firmin d'Amiens séjourna quelque temps) - et l'on sait que Prime est une prière de l'office divin, correspondant à la première heure du jour, vers 7h00 du matin.

saint-just-cassini.jpg

Considérons à présent les axes Saint-Just - Bourges et Vouillon - Bourges. On constate qu'ils sont perpendiculaires. Le premier épouse pratiquement la route nationale 76 qui traverse en droite ligne le plateau de la Septaine, tandis que le second se confond presque avec la Chaussée de César, nom donné aux vestiges de la voie romaine qui reliait Argentomagus à Avaricum. Il passe d'ailleurs par Saint-Ambroix, dont nous avons vu l'importance lors de la mise en lumière du carré buissé.

triangle_saint-just.jpg

Pour voir la carte avec un format plus large : triangle_saint-just.pdf

 

Ceci étant établi, le sens de ce long triangle allongé reste encore énigmatique.

 

31 mars 2009

Le Chemin du Dragon

 

« Après la bénédiction du pain et du sel dans la sacristie, chaque pèlerin vénère par un baiser, les reliques du saint thérapeute des bestiaux, contenues dans un bras d'argent. Ce reliquaire était autrefois promené sur le terroir d'Estaing lors de la procession des Rogations. »

Jean-François Hirsch (in. L'Univers du Vivant, n°4, octobre 1985)

 

Procession-dragon.jpgLes Rogations sont cette fête chrétienne qui se déroule pendant les trois jours précédant le jeudi de l'Ascension. Instituée, semble-t-il, en 470 par saint Mamert de Vienne en Dauphiné, pour lutter contre tremblements de terre, feu du ciel et invasions de démons. Jacques de Voragine, dans sa Légende dorée, écrit qu' « on l'appelle encore « procession », parce que l'Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises, on porte un dragon avec une queue énorme et on implore spécialement le patronage de tous les saints. » Les cloches servent à éloigner les démons et les tempêtes : pour Philippe Walter , c'est une fête agraire où, par « des rites ambulatoires, il s'agit de protéger les récoltes en pleine croissance non seulement à un moment critique de l'année où les risques de gelée n'ont pas encore disparu mais également à une période où la sécheresse peut être dramatique. C'est la saison très redoutée de la lune rousse dont on souligne encore les méfaits dans certains terroirs. Le roux et la rouille sont d'ailleurs l'aspect dominant de toute la période des Rogations ; ils sont au coeur de ce mythe saisonnier. On notera cependant les silences ou les faiblesses de l'explication liturgique sur certains détails de la fête ( les dragons processionnels ou la triade festive par exemple). »(Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p.136)

Cette fête n'a pas échappé au regard acéré de Guy-René Doumayrou, qui mentionne lui aussi les Dragons des Rogations survivant encore en plusieurs cités du Languedoc. Mieux, il montre l'existence d'un Axe des Rogations, qu'il rapproche de la visée du premier mai :

 

axe-rogations2.jpg

« On a été tenté de l'appeler « axe du premier mai », parce qu'il vise le lever héliaque aux alentours de cette date. Toutefois, comme on le trouve souvent balisé en ligne droite sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, on ne peut l'associer à une position trop précise du soleil dans sa divagation saisonnière. On peut en revanche, sans craindre d'errer, le mettre en rapport direct avec le temps des Rogations puisque, tout aussi bien, l'ethnologie a déjà revalorisé ce vocable d'origine chrétienne pour désigner le groupe fabuleux, beaucoup plus archaïque, des dragons processionnels que l'on sortait pour célébrer ce « rite » destiné à faire descendre les dons du ciel sur la terre0 Axe des Rogations donc, cet orient, dont le trait part du soleil levant au début mai pour s'éteindre avec le soleil couchant du début novembre, sera plus justement encore appelé le Chemin du Dragon. » (Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 110)

 

Un peu plus loin, Doumayrou affirme que « le pays de Mélusine, serpente médiévale, ne pouvait manquer d'avoir le sien, le traversant de Poitiers à La Rochelle en passant par Niort, selon un azimut qui est, cette fois, effectivement celui du premier mai. Mais il est issu de Vézelay où rayonna, quelque temps, un des centres les plus importants de la Chrétienté, en l'honneur de Marie-Madeleine. La pleureuse aux longs cheveux n'était pas un dragon, sans doute, mais c'était une « moins que rien », déchue comme Lucifer, pourtant si fort illuminée par l'amour de l'homme divin qu'elle s'éleva à une dignité qui l'égalait presque à la vierge mère. » Et Doumayrou achève ce paragraphe crucial par ce passage que j'ai déjà cité en exergue d'une note passée, sans savoir que j'allais le retrouver encore plus pertinent dans son rapport au territoire que nous arpentons :

 

"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."(Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112)

 

triangle-gaules.jpg

L'axe  des Rogations est indiqué sur cette carte, filant vers Prague.

 

Quand ces résonances se sont offertes à moi, j'ai songé tout de suite à vérifier si le monument de Sauzelles était sur ce fameux Axe des Rogations surgi de Vézelay. Mais non, déception, il s'en fallait d'une petite quinzaine de kilomètres : le Chemin du Dragon filait plus au nord. Déception de courte durée cependant, car en projetant une visée sur Vézelay, je constatai immédiatement qu'elle traversait Bourges (contrairement à l'axe défini par Doumayrou qui « frôle » cette ville en s'en écartant tout de même lui aussi d'une dizaine de kilomètres). Et il n'est sans doute pas fortuit que l'axe Saint-Savin – Le Blanc – Déols, converge lui aussi sur Vézelay.

Enfin, dernier indice très significatif, la paroisse de Sauzelles dépendait elle-même de l'abbaye de Vézelay.

J'ai épluché consciencieusement le guide de l'Indre de Michel de la Torre (Nathan, 1985), c'est la seule des 247 communes du département à posséder cette caractéristique.