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06 mars 2009

Douadic la bretonne

Douadic... Ce nom à consonance bretonne*, où se croisent Douarnenez et Hoëdic, avait de quoi surprendre Luminais le Nantais, émerveillé qu'il était déjà, sans aucun doute, par les paysages qui s'offraient à lui, ciels immenses, étangs aux allures de mer, landes et bois de vaste solitude. Cette terre devint pour lui si familière que c'est ici qu'il choisit de reposer, dans l'humble cimetière du village, non loin d'une autre tombe, celle de l'abbé François Voisin, curé de Douadic de 1857 jusqu'à sa mort en 1891, donc cinq ans avant la sienne.

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Abbé Voisin que Gérard Coulon désigne comme le pionnier de l'archéologie en Brenne. Le premier à fouiller partiellement une villa gallo-romaine au Blanc, au lieu-dit La Villerie, et ceci sur ses fonds propres, la municipalité restant indifférente à ces travaux. « C'est vers la même époque, explique Gérard Coulon, qu'il dégage la villa de Douadic, aux Petits-Cimetières. Un site qu'il avait repéré de manière originale, en observant des anomalies dans la croissance des céréales. « Au mois de juin, écrit-il, quand le le seigle ou le blé commencent à monter, on remarque de vastes lignes où la plante est moins verte, moins vigoureuse et plus basse ; c'est là encore que se trouvent des murailles, ou, à peu de profondeur du sol, le pavé des appartements. » Une constatation prémonitoire qui annonçait les futures révélations de l'archéologie aérienne, un siècle plus tard. » (Gérard Coulon, Quand la Brenne était romaine, Alan Sutton, 2001, p. 15.)

C'est encore l'abbé Voisin qui redécouvre les peintures médiévales de l'église Saint-Ambroise de Douadic, une très belle scène du Jugement dernier sur le mur du chevet, datée de la première moitié du XIIe siècle, et deux scènes peintes dans la chapelle des fonts baptismaux, dont une Vierge à l'enfant de la fin du même siècle. L'église elle-même mérite plus qu'un regard cursif ; ainsi que l'écrit lui-même l'abbé, « elle l'emporte sur le plus grand nombre des églises de campagne, par la pureté de son style, l'uniformité de son plan, l'élégance et l'harmonie de tout son ensemble. » On pourrait bien sûr le soupçonner de prêcher pour sa paroisse, mais force est de reconnaître qu'il a amplement raison.

Mais il y a plus qu'une réussite architecturale, l'Inventaire général de monuments et des richesses artistiques de la France signale que le clocher, édifié peu après le reste de l'édifice, est porté par quatre piliers dans la première travée de la nef : « sa forme carrée à deux niveaux de baies jumelées, dont un niveau aveugle, est comparable à celle des clochers de Pouligny Saint-Pierre et Saint-Génitour au Blanc. »**

 

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Douadic

 

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Pouligny Saint-Pierre

 

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Saint- Génitour, Le Blanc

Une telle observation suscite bien sûr l'intérêt d'un géographe sidéral. La relation formelle est-elle recoupée par une relation géométrique ? C'est la première question que l'on est amené à se poser. Les trois monuments évoqués ne sont guère éloignés les uns des autres, facilitant ainsi d'éventuelles visées symboliques.

(A suivre)

Plus d'images sur les trois églises, ainsi que sur le château de Salvert dans le nouvel album photo Douadic - Pouligny Saint Pierre - Saint Génitour.

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*La consonance bretonne ne serait pas une simple coïncidence, si l'on en croit Stéphane Gendron : « Selon A. Dauzat, Douadic pourrait représenter le transfert d'un patronyme breton altéré (DENLF 251). C'est l'hypothèse que nous retiendrons, ce NP étant probablement un dérivé de Ouadec, Ouédec, du breton houad, « canard » (DESHAYES 1995 : 142). Le NP Douadic est actuellement bien attesté dans le sud de l'Indre-et-Loire, l'Indre, le nord-est de la Vienne, sous des formes diverses : Doidy, Douady, Doidic, Douadic (MOREAU 1992 : 127 ; DENF : 344) ».

Ceci dit, rien n'explique la provenance d'un tel patronyme breton, répandu sur cette large portion de territoire.

**Christian Trézin, Entre Brenne et Poitou, le canton du Blanc, Arep – Centre Editions, Parc Régional de la Brenne, septembre 2005, p. 34.

19 février 2009

Les 365 gouffres du Suin

"Demain comme hier, je veux aller, le coeur battant, respirer ma jeunesse dans le fort parfum des sifflantes, sauvages prés, torrents sinueux, scieries de sapins, près de ce lieu profond où, célébrant ses mystères, le Rhône autrefois disparaissait, cheval fantôme sous les pierres tombales de son lit. Mais  rajeuni, sacré par la nuit de ses gouffres, il surgissait plus loin, piaffant au soleil."


Jean Tardieu (Mon pays des fleuves cachés, in La part de l'ombre, Poésie/Gallimard, 1972)


Oui, le gouffre des Gaules n'est pas qu'une métaphore. Je l'ai déjà dit : au château de Salvert, proche de Douadic, un gouffre est adossé. La petite rivière, le Suin, commence son périple à travers un plateau calcaire, et, tel le Rhône de Tardieu, il lui arrive de disparaître. Le paysage qu'il traverse n'est d'ailleurs plus du tout celui des étangs brennous, on se croirait plutôt descendu au sud-ouest. C'est un véritable causse que l'on peut arpenter sur cette commune de Pouligny Saint-Pierre jouxtant celle de Douadic ; chênes et génévriers parsèment les pelouses calcicoles qui s'étendent en contrebas des hameaux de pierre blanche.

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On ne s'étonnera pas de découvrir que ces gouffres du Suin ont suscité aussi une légende, dont Chantal de La Véronne rapporte deux versions, l'une tourangelle, l'autre "plus spécifiquement brennouse" :

"D'après la première, à l'époque où le Suin était une rivière comme les autres et où ses eaux coulaient abondantes et régulières, la Vierge Marie portant l'Enfant Jésus dans ses bras se rendit de Lureuil à Pouligny Saint-Pierre. Comme elle approchait de ce dernier bourg elle fut arrêtée par le Suin qui lui barrait le passage. Elle chercha donc un gué et ne trouva, près de la Roche à la Velue, que de grosses pierres éparses qui permettaient de traverser la rivière en sautant de l'une à l'autre ; Marie s'engagea sur les pierres et elle parvenait au milieu du courant, lorsque le Diable fit surgir une énorme vague qui renversa la Mère et l'Enfant et les projeta de roc en roc. Ils allaient être noyés, mais Dieu le Père, qui veillait, les transporta sains et saufs sur l'autre rive, et leurs vêtements étaient aussi secs qu'avant la traversée. Alors la Sainte Vierge, tremblant encore à la pensée du danger qu'avait couru son fils, étendit la main vers les flots qui grondaient toujours et dit : "Méchante petite rivière, tu seras maudite dans la succession des siècles. Désormais ton cours comptera autant de gouffres qu'il y a de jours dans l'année." Et voilà pourquoi, de Salvert à Fonterlan, on peut compter 365 gouffres toujours altérés : les cataractes du ciel peuvent s'ouvrir, les bondes de la Mer Rouge peuvent être entièrement levées, les 365 gouffres du Suin, celui de Salvert en tête, boivent toutes les eaux qui descendent dans la vallée." (La Brenne, Histoire et traditions, pp. 95-96) [C'est moi qui souligne]

Belle histoire, qui prête bien sûr à sourire quand on voit la largeur du ruisseau... Et si je ne connais pas assez la contrée pour pouvoir estimer le nombre de gouffres, toujours est-il que la carte IGN n'en mentionne guère que deux... Mais il est vrai que le Suin a un débit intermittent. Par ailleurs cette Roche à la Velue nous intrigue (quelle est donc cette Velue ? Femme sauvage ?) et surtout ces 365 gouffres comme autant de jours de l'année posent question. Que veut donc nous dire le conte à cet endroit précis ? Que l'abîme brennou qui engloutit toutes les eaux célestes exerce son magistère sur les douze mois de l'année, sur toute la circonférence de la roue zodiacale ?

 

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Sur le causse du Suin


Dans la seconde version, c'est une reine poursuivie par des ennemis qui est arrêtée par le Suin. Un voeu qu'elle prononce fait surgir d'innombrables gouffres où disparaissent aussitôt les flots tumultueux, et la voici qui peut traverser à pied sec.

Et si ces 365 jours avaient une traduction géométrique, sous la forme du cercle bien sûr, car l'année est la durée de révolution de la Terre autour du Soleil ? C'est ce que nous allons voir dans le prochain épisode.