Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

18 mai 2005

Le taureau de Saint Sernin

Sous la conduite de Brennus, Les Gaulois Volques pillent Delphes et en ramènent un trésor qu'ils abandonnent dans les marécages de la Garonne parce qu'il leur aurait porté malheur. Guy-René Doumayrou rapporte que Jean Markale, dans son étude sur les Celtes (page 119), « constate que rien n'atteste la réalité historique de cette équipée et que l'or de Delphes pourrait fort bien avoir été de nature spirituelle, plutôt que grossièrement métallique. Autrement dit, la légende ne ferait que porter témoignage, par le truchement tout à fait traditionnel du récit allégorique, d'une transmission initiatique de la puissance oraculaire, de l'omphalos héllène à l'omphalos occitan. Nombre de légendes de cette sorte, prises à la lettre par l'érudition moderne refusant a priori (ce qui ne relève pas d'une attitude proprement scientifique) l'interprétation symbolique qui était pourtant jadis la règle, ont conduit à l'élaboration d'une histoire rendant certainement très mal compte des réalités passées. » (G.S., p. 51)

Un semblable souci de transmission de centre à centre ne se cache-t-il pas dans le tropisme toulousain de Guillaume d'Aquitaine et Robert d'Arbrissel ? Pourquoi modifier les prérogatives de Saint-Sernin, le lieu le plus sacré de la ville, comme en témoigne encore une inscription à l'entrée de la crypte : Non est in toto sanctior orbe locus, il n'est pas au monde de lieu plus saint ? Pourquoi créer un prieuré au nord de Toulouse, tout comme Saint-Sernin est au nord de Toulouse et Saint-Denis au nord de Paris ? Il est vrai ici que l'équipée militaire n'est pas une légende, mais encore une fois, sous les enjeux apparents de pouvoir, se dissimulent peut-être d' authentiques motifs d'ordre spirituel.


Pour le comprendre, il n'est pas inutile de se pencher sur une autre histoire au parfum de légende, la Passio précisément de Saint Sernin, (dérivation occitane populaire de Saint Saturnin), rédigée au Vème siècle. Envoyé en Gaule par le Pape avec six autres évêques (dont saint Martial, premier évêque de Limoges), il aurait évangélisé Pampelune puis Toulouse. En 250, sous Dèce, les prêtres du Capitole (alors consacré à Jupiter) l'accusent de rendre muet par sa présence l'oracle du temple et le somment dès lors de sacrifier le taureau rituel. Refus catégorique de Saturnin qui lui vaut d'être attaché par les pieds à la queue de l'animal furieux.

Pris d'une rage folle, le taureau dévale les marches de l'escalier du Capitole. Saturnin, le cou brisé, est traîné le long du cardo romain (la rue saint-Rome) avant d'être abandonné, une fois passé la porte Nord, en dehors donc des remparts de la ville, sur la route de Cahors, à l'emplacement de l'actuelle rue du Taur (pour taureau). Recueilli par deux jeunes femmes (les saintes Puelles), son corps sans vie est enterré dans un fossé profond. Le taureau, lui, est achevé un peu plus loin, au lieu nommé depuis Matabiau (de matar = tuer et biau = bœuf), où se trouve la gare actuelle.

C'est un autre Hilaire, contemporain de Hilaire de Poitiers dont j'ai déjà parlé, évêque de Toulouse au quatrième siècle (358-360), qui fait construire une petite église en bois sur la tombe du martyr. Cet oratoire devient rapidement un important lieu de pèlerinage, si bien qu'à la fin du IVe siècle, devant l'afflux des fidèles, l'évêque saint Sylve (360-400) décide de construire un édifice plus grand, achevé en 402 sous l'épiscopat de saint Exupère , lequel organise le transfert des reliques du premier martyr toulousain dans la nouvelle basilique et fait rédiger les actes officiels du martyre (connus donc sous le nom de Passio antiqua).


Ce n'est qu'au début du IXe siècle que se constitue à Saint-Sernin une communauté de chanoines réguliers. Et, en 1080, commence la construction de la basilique romane actuelle. Le 24 mai 1096, le pape Urbain II, venu demander au comte Raymond de conduire la première croisade, consacre l'autel et la basilique. Or, la même année, lors de son séjour à Angers, Urbain II avait fait prêcher Robert d'Arbrissel en sa présence et lui avait donné plein pouvoir d'annoncer en tous lieux la parole divine.

medium_martyresaintsaturnin.jpg

Une grande partie de ce que je retrace ici, je l'ai trouvé sur le très riche site de l'Ecole occitane de carillon, qui traite entre autres des sept sonneries toulousaines. Elles « prennent leur racine dans le martyre de saint Saturnin en 250. C'est un véritable tableau de ces instants : les quatre cloches au pied pour les pattes du taureau, les deux petites à la main pour les cris de la foule haranguant la bête. Dès lors, les premiers chrétiens ont voulu perpétuer le souvenir de leur premier évêque par ces rythmes qui se sont transférés après le VIIe siècle aux cloches, nous permettant aujourd'hui de jouer cette partition vieille de plus de 1750 ans. Peut-être la plus vieille partition au monde ?
Au nombre de sept, elles se nomment :
Simple, Marche, Double majeur (ou double de marche), Plan, Roulements, Taur simple (ou Petit Taur) et Grand Taur.
»

Ce qui me frappe, c'est qu'on peut trouver entre la Passio de Sernin et le pélerinage de Jovard au moins quatre grands points communs :

- la récurrence du nombre sept : les sept apôtres évangélisateurs envoyés par le Pape dont fait partie Sernin, mais aussi Martial, dont Mauvières et Ruffec relèvent dans la Roue du nemeton belâbrais ; les sept sonneries ; les sept stations de Notre-Dame-de-Jovard. Mais, dira-t-on justement, sept est un nombre tellement fréquent en symbolisme qu'on ne saurait s'étonner outre mesure d'une telle coïncidence.

- la récurrence de Jupiter est déjà plus surprenante : on a vu que Jovard dérivait de Jovis (Jupiter), et Sernin est accusé de troubler l'oracle de ce dieu auquel l'empereur rendait un culte officiel.

- la récurrence du taureau mis à mort : au nord de la Forêt de la Luzeraize, se trouve un étang dit du Boeuf Mort.

- la récurrence de l'épine : le prieuré de Lespinasse fondé au nord de Toulouse ; le prieuré de l'Epeau ; le château et l'étang de l'Epineau au nord de la Roue du nemeton ; et enfin notons qu'en 1251, Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, offrit une Epine de la couronne du Christ aux chanoines de Saint-Sernin.

01:35 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.