09 avril 2006
Silvain et Sucellus
« La rencontre phonétique de Silvain et Silvestre suggère également des dédicaces au dieu latin Silvanus (Silvano Silvestris Sacrum) comme des épithètes que l'on peut rapporter au dieu Mars et renvoie à la tradition d'une construction de la première église de Levroux sur les ruines d'un édifice romain. »
(Jean-Paul Saint-Aubin, Saint Silvain)
Selon Joël Schmidt, Silvain n'avait pas l'honneur d'un culte officiel dans la Rome antique, mais il était très populaire dans les campagnes, où fruits et jeunes animaux d'étable lui étaient offerts. Divinité associée aux bocages, aux vergers et aux petits bois, adoré tout d'abord sous la forme d'un arbre avant de prendre apparence humaine et d'être assimilé à Pan ou à Faunus, il est ordinairement représenté sous la forme d'un joyeux vieillard, couronné de lierre, et une serpe à la main : « Son caractère malicieux, enclin à la taquinerie, le faisait craindre des voyageurs qui traversaient les bois, et les parents menaçaient leurs enfants du courroux de Silvain lorsqu'ils cassaient les branches d'arbres. » (Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Larousse, 1998, p. 192.)
Tiens, ce courroux nous rappelle incidemment le nom du fiancé déchu de Rodène... Ceci dit, Silvain est un dieu romain, et il ne se présente pas tel quel sur le territoire gaulois. Paul-Marie Duval le montre cependant associé au dieu celtique Sucellus, le dieu au maillet, mais seulement en Narbonnaise : « Sucellus prend dans le Midi l'allure de Silvain et ne garde que ses attributs, maillet et vase, avec son chien : toujours barbu, il se dénude et porte seulement un court manteau ou une peau de loup jetée sur les épaules ; sa tête se couronne de feuillage, un arbre pousse auprès de lui, des fruits chargent ses bras. Il arrive que les deux types se mêlent et que le dieu vêtu à la gauloise soit couronné de feuilles ou tienne une serpe, une flûte de Pan, un couteau de chasse ; inversement, les autels dédiés Silvano se couvrent de maillets. La pénétration est ici tout à fait réciproque. » (Les dieux de la Gaule, Payot, 1976, p.78.)
Sucellus lui-même est surtout honoré dans le bassin du Rhône et de la Saône. Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de l'évoquer à propos de la géographie sacrée de la vallée de l'Arnon, où j'ai cité les travaux d'Anne Lombard-Jourdan qui l'assimile à Cernunnos, le dieu-cerf, envisagé comme le dieu-père celtique, le Dis Pater dont parle Jules César dans la Guerre des Gaules.
Le préhistorien Jean-Jacques Hatt, écrit lui aussi, en conclusion de son analyse, que « Silvain-Sucellus-Dispater est l'un des dieux les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain. Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques. (...) Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles-mêmes en grande partie à un état religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. » 1
Il importe maintenant de développer ce « simultanément sidéral et chtonien ».
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1Ce texte fait partie d'un document précieux mis en ligne par les héritiers de Jean-Jacques Hatt. Décédé en 1997, il « n'a pas pu terminer le deuxième tome de " Mythes et dieux de la Gaule"; suite du tome I publié chez Picard en 1989. Son épouse et ses enfants ont trié et rassemblé le texte et les photographies, réalisé la saisie informatique du manuscrit. Son petit fils Ambroise Lassalle, conservateur territorial du patrimoine, a numérisé les illustrations disponibles à partir d'un stock imposant de photographies souvent non légendées. Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée Archéologique de Strasbourg, a relu et effectué la mise en forme de l'ensemble du texte après saisie, mis au point une maquette éditoriale et réalisé une sélection de documents d'illustration, parmi les documents disponibles. Thierry Hatt a assemblé les chapitres et les images en fichiers Adobe Acrobat et a installé ces derniers sur le site Internet dédié. Cette publication a été mise en ligne en septembre 2005. » (Avertissement de la famille.)
01:25 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (5)
Commentaires
Bonjour,
Vous ecrivez "Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges" en parlant de Sucellus. Je voulais vous signaler l'existence d'une stéle représentant le Dieu au maillet à St Brandan dans le 22. Voir la carte archéologique de la Gaule consacrée aux Côtes-d'Armor p 275.
Cordialement,
Yann
Écrit par : yann | 10 avril 2006
Merci, Yann, pour votre lecture attentive et le rectificatif. Je m'appuyais sur l'ouvrage "Le Val de Loire dans l'Antiquité", de Michel Provost (CNRS Editions), page 358. Peut-être que la notation ne prenait en compte justement que le Val de Loire ?
Existe-t-il une représentation de ce Sucellus breton sur le web ?
Cordialement,
Robin
Écrit par : Robin | 10 avril 2006
Silvain et Silvestre portent dans leur nom leur origine forestière. Ils nous rappellent ces contrées étrangers et inquiétantes que sont les forêts, lieux de vie sauvage (selva, silva, silvain). Qui dit vit sauvage, dit espace de non droit... A l'inverse, votre prénom (Robin) peut avoir pour origine cette robe que portaient les magistrats sous l'Ancien Régime. Robin, certes... des Bois ?
Écrit par : Jean-Marc | 15 avril 2006
Votre remarque est tout à fait juste, Jean-Marc, et anticipe même une note prochaine : Philippe Walter, dans son livre "Mythologie chrétienne", écrit qu"on peut souligner que le nom de Sylvestre a pour étymologie le latin "silva" "la forêt" et que ce nom est à rapprocher de la grande figure de l'Homme sauvage, personnage clé de la mythologie préchrétienne, figure archétypale du revenant pour les traditions médiévales." Affaire donc à suivre.
Je vous remercie pour le lien.
Cordialement,
Robin
Écrit par : Robin | 15 avril 2006
Bonjour
J'ai une photo, prise par moi, que je tiens à votre disposition si vous m'indiquez une adresse mail.
Yann
Écrit par : yann | 20 avril 2006
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