25 novembre 2006
Denis Gaulois (11) : Léocade et la lumière
GUIDO : Je pensais que vous voulussiez donner jusques à Saint-Denis et parler de frère Jérôme, qui cherchait la pierre à casser les oeufs.
ALAIN : Qu'est-ce à dire ?
VIVÈS : Vous le saurez tantôt. Ce moine, pour le dire plus gaiement, cherchait la pierre philosophale et était parisien – et de fait, j'ai été en beaucoup de lieux et plages du monde habitable philosophique, et je ne vis jamais en aucun endroit tant de Parisiens qu'à Paris. (...)
Béroalde de Verville (Le Moyen de parvenir, Folio Gallimard, p. 91)
« Ursin, écrit Mgr Villepelet, fut ordonné évêque par les disciples des Apôtres, qui l'envoyèrent dans les Gaules ; il atteignit bientôt la ville des Bituriges, où il prêcha aux habitants Jésus-Christ Notre-Seigneur, salut du monde. » Grégoire de Tours n'en dit pas plus sur le rôle d'Ursin dans le devenir de la communauté qu'il fonde. En effet, s'il déclare que les nouveaux convertis cherchent une maison pour établir leur église, il ne précise pas qu' Ursin mène cette quête. Quête qui, devant l'obstruction des sénateurs et autres grands personnages de la ville restant « très attachés au culte des faux dieux », conduit ces pauvres gens jusqu'à Lyon où réside Léocade, le premier sénateur des Gaules. Contre toute attente – l'homme étant encore païen – il donne sa maison de Bourges, refusant même les trois cents pièces d'or et le plat d'argent que les chrétiens lui proposent en échange, plus précisément, n'en prenant que trois, « par déférence ». Peu après, il abjure l'idolâtrie « où il était encore plongé » et se fait baptiser avec son fils Ludre. Son palais devient église, qu'on enrichit des reliques de saint Etienne. Grégoire de Tours ne reparle d'Ursin que pour signaler qu'à sa mort « son corps fut enseveli près de la ville, dans un champ où, quelques siècles plus tard, il fut retrouvé dans un état de parfaite conservation. »
Mgr Villepelet considère que bien que Grégoire de Tours ait écrit environ trois siècles après les faits, on peut néanmoins accepter son témoignage comme digne de foi ( au contraire des Acta Sancta Ursini, selon lesquels saint Ursin aurait été un des soixante-douze disciples de Jésus, peut-être même Nathanaël, et aurait même assisté à la Cène). Je suis bien sûr plus sceptique. Avec trois cents pièces d'or, les chrétiens ne pouvaient-ils acheter ou faire bâtir une église ? Comment pouvaient-ils espérer être même reçus par un haut dignitaire encore fidèle à la religion romaine ? Improbable voyage, improbable conversion que nul événement ne provoque. Ne faut-il pas plutôt lire ce passage de Grégoire de Tours comme un mythe justifiable d'une interprétation symbolique ?
Je m'interroge tout d'abord sur ce nom : Léocade. Quelle en est l'étymologie ? Et bien Léocade, si l'on en croit ce site, renvoie à Leukada, autrement dit Leucade, nom d'une île de l'archipel des Ioniennes, sur la côte occidentale de la Grèce. Or, j'ai déjà traité de Leucade en une précédente note sur Henri de Monfreid. Qu'on me permette de me citer un peu longuement :
« "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer." (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37). Jean Richer cite le géographe grec Strabon qui signale que, de son temps, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade. "Des plumes étaient collées sur son corps et on l'attachait même à des volatiles vivantes pour ralentir sa chute. Il était gracié s'il sortait vivant de l'eau."
De même, dans la roue zodiacale centrée sur Sardes, en Anatolie, la localité située à la latitude de Sardes se nomme Leuca. Un autre cap du même nom, à la pointe sud-est de la Calabre, au Promontoire Iapygium Sallentinum, "semble avoir été considéré, au moins à un certain moment, comme une sorte de relais jouant le même rôle symbolique que Leucade et avoir donc été mis en relation avec le point vernal."(Géographie Sacrée dans le Monde Romain, Guy Trédaniel, 1985, p.66). Le nom même de Leucade est apparenté à celui de la blancheur (leukè) et de la Lumière (lycos). »
Que le fils de Léocade se nomme Ludre est un autre indice remarquable : Ludre est en effet la traduction populaire du latin Lusor, où la racine lux se laisse lire avec évidence. En occitan existe encore le mot lusor qui signifie lueur : L'alba es la primièra lusor del jorn que pareis a l'asuèlh, just al moment quand lo solelh es en vam de se levar (L'aube est la première lueur du jour qui paraît à l'horizon, juste au moment où le soleil est sur le point de se lever).
C'est dans le juste prolongement de ce symbolisme de la lumière naissante que la tradition rapporte que saint Ludre mourut encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Il n'est jusqu'à son sépulcre à Déols à n'être pas sans raison en marbre de Paros : cette pierre, dont on usa pour la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace, étant d'une blancheur éclatante.
Énée se tenait droit, resplendissant dans la claire lumière ;
il avait le visage et les épaules d'un dieu ; car sa mère en personne
avait insufflé à son fils une chevelure magnifique, l'éclat vermeil
de la jeunesse et elle avait empli ses yeux d'une grâce charmante :
comme lorsque des mains artistes rehaussent la beauté de l'ivoire,
ou lorsque l'argent ou le marbre de Paros se parent d'or.
Enéide (1, 588-593)
01:45 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Bonsoir Robin,
Je me permet ici de revenir sur une de vos ancienne note (Taureau, l'Aiguille Creuse) car je n'ai toujours pas compris comment inserrer des commentaires ailleurs que dans le texte en cours...
Ayant fait une recherche Google, que j’aurais dû faire plus tôt !, je suis « tombé » sur la localité de Bosmie-l’Aiguille, située au Sud de Limoges. En fait une commune-dortoir formée de bric et de broc, mais surtout de deux anciennes paroisses : Bosmie (viendrait de Bois ma mie !) et l’Aiguille.
Ce dernier hameau, situé en rive gauche de la Vienne fait face à un Pic de l’Aiguille, en rive droite, avec lequel il est relié par un Pont de l’Aiguille, sur la Vienne. Toujours en rive droite, un peu plus à l’Est, on a un lieu-dit L’Etoile. Tous ces lieux, et je pense que ceci vous intéressera, dominent le confluent de la Briance et de la Vienne !
Le Net est malheureusement très pauvre sur cette commune, cependant le site du Quid indique une information « titillante » dans le contexte de l’Aiguille creuse : il existerait (je mets le conditionnel car je n’ai trouvé aucune autre confirmation de cette information et j’ai déjà pu vérifier que le Quid peut se mélanger les pinceaux !) un tertre dit de la « Pierre du Trésor » ! qui marquerait d’ailleurs l’emplacement d’un hameau disparu. Je n’ai pu trouver ce lieu, même sur la carte au 1/25 000 ° (consultée sur Géoportail : vive l’informatique !). Par ailleurs, on note un château du XIX° transformé en Mairie pour la commune présentant une très belle "aiguille" en guise de couverture d'une de ses tours !
Bien à vous
Écrit par : Marc Lebeau | 30 novembre 2006
Les commentaires sont fermés.