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12 décembre 2009

Argenton la brillante

Une nouvelle phase s'est ouverte pour cette tentative de restitution d'une géographie symbolique du pays berrichon : quatre années de blog, trois cents notes très exactement, doivent être refondues en un ou plusieurs volumes, qui iront peut-être à l'impression traditionnelle. J'ai fait récemment le premier pas en ce sens, à savoir reprendre l'ensemble dans un traitement de texte, ce qui veut dire remonter le temps, étant donné que dans un blog les notes s'entassent et l'ordre est donc antéchronologique.

J'ai choisi dans un premier temps de ne rien discriminer et d'enregistrer texte, iconographie et commentaires éventuels. Ce ne fut point trop long, quoique un peu fastidieux. Douze fichiers ont recueilli cette matière (plus un treizième, consacré au facteur de coïncidences, que je laisse pour l'instant de côté). Mais à peine ai-je commencé à me pencher sérieusement sur le premier fichier, consacré logiquement au Bélier, que les premières difficultés m'apparurent avec évidence. La nature discontinue des billets de blog me masquait certains manques, qui ne peuvent plus échapper dès lors qu'on s'adonne à un effort de synthèse.

C'est ainsi que je m'aperçus que j'avais un peu sous-traité le cas de la ville d'Argenton. Certes je l'avais évoquée, et très tôt, mais j'avais vite filé au-delà ou en-deça, avec la chapelle de Verneuil et la ville de Poitiers. Or, Argenton est le  second relais d'importance sur l'axe équinoxial du zodiaque neuvicien, axe Bélier-Balance qui est comme la poutre maîtresse de l'édifice zodiacal, la ligne inaugurale à partir de laquelle l'ensemble des signes se déploie.

axe_vernal.jpg

Revenons sur les découvertes de Jean Richer en ce qui concerne pareil axe dans les zodiaques qu'il a étudiés. En ce qui concerne la roue zodiacale centrée sur Delphes, il écrit : "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer."(1) Dans le chapitre précédent, Richer avait proposé ce site remarquable des falaises du cap Leucate, à l'extrémité méridionale de l'île auquel il donne son nom, comme "le lieu allégorique de l'apparente mort quotidienne du dieu solaire Apollon-Hélios."(2) Les prêtres d'Apollon s'y exerçaient au plongeon sacré, remplaçant une ancienne ordalie (selon Strabon, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade, et était gracié s'il survivait à la chute). Par ailleurs, dans le domaine littéraire, le lieu est associé au suicide de Sappho, qui y plongea par dépit amoureux.

Dans le système centré sur Sardes, en Asie Mineure, Richer mentionne pour le Bélier la cité située sur la côte d'Anatolie, nommée Leuca, correspondant au point vernal de la Grèce continentale. Par ailleurs, il désigne comme centres, dans la géographie sacrée de la Grande Grèce, Cumes (où fut érigée par les Grecs le premier temple d'Apollon de la péninsule italique), Enna (ombilic de la sicile) et Leuca, à la pointe sud-est de la Calabre. "Il existe, écrit-il, une relation simple et significative entre Delphes, Leuca et Cumes : en effet, Leuca est sur la ligne Delphes-Cumes, presque exactement à mi-chemin des deux centres."(3)

Mais quel rapport, me direz-vous, entre tous ces lieux Leuca et la cité d'Argenton ? Il faut en appeler à l'étymologie : le cap Leucade est la Roche blanche (Leukas pétré). Dans un autre mythe grec, Ino, plongeant dans la mer pour échapper à son époux rendu furieux par Héra, est recueillie par Poséidon et devient la nymphe Leucothéa, littéralement la Blanche Déesse. A la fin de Delphes, Délos et Cumes, Jean Richer revient sur la récurrence de la racine "Leuké" : "Comme si l'idée de blancheur rayonnante, évoquant ce que devait être la pureté du candidat à l'initiation, était indissociable du début du cycle zodiacal, tous les lieux liés symboliquement au point vernal portent un nom où paraît le radical Leuké.

Ceci doit être rapproché du nom des "Leukai", les jeunes filles initiées d'Aptère en Crète qui pratiquaient le plongeon rituel dans la mer." (4)

 

argenton3.jpg

Argenton, vue du vieux pont

Or Argenton porte en son nom cette idée de blancheur rayonnante : le terme même d'argent "dérive d'un arguus "éclat, blancheur", d'où vient le verbe arguere, archaïquement "faire briller, éclairer", puis au figuré "démontrer" et "convaincre" (->arguer, argument). Le métal est donc appelé "le brillant" (comme l'or est "le jaune") ; cette appellation se retrouve en grec (-> argyrite), dans les langues celtiques (gaulois argento-), en osque, etc. [...] Depuis le XIIe siècle, le mot s'emploie  en blason  il symbolise la blancheur et l'éclat."(5) La ville d'Argenton tient par ailleurs son nom de l'antique cité d'Argentomagus, important carrefour économique et politique à l'époque gallo-romaine dont nous pouvons admirer les vestiges, au nord,  sur le plateau des Mersans.

Plongeait-on dans la Creuse comme on longeait à Leucade ? Rien n'atteste d'un tel rite, mais en tout cas, il y a présence de falaises calcaires :"Assagie en amont d'Argenton, lorsqu'elle quitte des gorges encaissées, la Creuse s'étale ensuite dans les terrains argileux avant de franchir un goulet enserré entre deux coteaux calcaires." Sur le site du musée, on peut lire encore que "ce goulet, large seulement d'une centaine de mètres et franchi en oblique par la Creuse, était le passage obligé des animaux pour se rendre d'un pâturage à l'autre ou lors de leurs migrations.C'était là un excellent affût de chasse et dans ce piège naturel, rennes, bisons et chevaux devenaient des proies faciles."

Il est fort possible que le lent travail de reformulation des notes de ces quatre années passées me porte à revenir ici de temps à autre pour préciser et développer d'autres aspects de l'étude encore mal dégrossis.

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(1) Jean Richer, Géographie sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37-38.

(2) Jean Richer, Géographie sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p. 30.

(3) Jean Richer, Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970, p. 146.

(4) Jean Richer, Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970, p.209.

(5) Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert, p. 107.

 

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